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De plateaux télé en studios radiophoniques, le sympathique postier de Neuilly-sur-Seine est devenu au fil des mois un acteur incontournable de « la société du spectacle », comme dirait Guy Debord. Tout naturellement, beaucoup, à gauche comme à droite, posent fielleusement la question suivante : pourquoi, sous Sarko 1er, les médias à sa botte se montrent-ils si complaisants avec ce révolutionnaire aux bonnes joues ?... et d’enchaîner sur la théorie du complot suivante : Nicolas Sarkozy propulserait Besancenot pour gêner la gauche institutionnelle comme Mitterrand avait contribué à favoriser Le Pen pour contrer la droite classique. On assisterait donc à une sorte de « chien de ma chienne » à vingt-cinq ans de distance entre la droite et la gauche.
Certes séduisante, cette thèse est un peu trop simple, voir simpliste, pour correspondre à la réalité. Revenons un instant sur les faits. Il est indéniable que Mitterrand et son conseiller Jean-Louis Bianco ont lancé l’opération par l’envoi d’un courrier au rédacteur en chef de « l’heure de vérité » sur la télévision d’état Antenne 2. En focalisant leur attention sur une élection partielle à Dreux, les médias ont mis Le Pen au centre du jeu politicien. Le RPR et l’UDF se retrouvèrent en porte-à-faux très rapidement. En effet, quarante ans après la Libération et vingt ans après la guerre d’Algérie et les tueries de l’OAS, ils ne pouvaient pas, ils ne devaient pas, sur le plan moral s’allier aux héritiers symboliques, mais parfois aux acteurs mêmes, de la Milice, de la gestapo française, de la division Charlemagne et des commandos delta. Toute possibilité de « front des droites » était inconcevable, au vu de l’histoire de France bien sûr, mais aussi de l’histoire des droites en France. Le Gaullisme avait fait par deux fois, au sens propre du terme, le « coup de feu » contre l’extrême-droite fascisante. A fortiori, les déclarations antisémites récurrentes du leader du FN en pleine période de « redécouverte » de la Shoa, rendaient toute alliance impossible, y compris pour l’image de la France dans le monde. Bref, en paralysant 15 à 18 % de l’électorat principalement de droite, Mitterrand empêchait un rassemblement majoritaire contre lui. Notons en aparté que nous souffrons encore à gauche de cette politique d’un cynique vulgaire car, en favorisant le FN, la gauche au pouvoir a construit dans les années 80, et pour longtemps, une droite idéologique, largement majoritaire à près de 60 % dans l’opinion !
Revenons à aujourd’hui, s’agit-il avec la « starisation » de Besancenot d’un complot politique symétrique ? Difficile de le croire, car justement la symbolique politique est exactement inverse. L’extrême-gauche en France au 20eme siècle n’est pas associée à une quelconque « terreur rouge ». Au contraire, pendant la deuxième guerre mondiale et pendant la guerre d’Algérie, les communistes, par exemple, sont dans le camp de la défense, de la patrie et dans celui du combat démocratique. Enfin, la France n’a pas connu des « années de plomb » comme l’Italie avec le terrorisme des Brigades Rouges. Même un déjeuner entre Besancenot et Rouillant (ex « d’Action Directe ») ne peut constituer un épouvantail très efficace.
Par ailleurs, au contraire de la droite, les grandes heures de la « geste » de gauche sont justement liées à l’alliance entre gauche modérée et gauche radicale, comme en 1936, à la Libération, lors du Programme commun, ou en Mai 81 avec l’entrée des ministres communistes au gouvernement. Ainsi, une unité populaire est loin d’être moralement un handicap pour la gauche, bien au contraire.
Alors, si cette fausse symétrie n’est pas la véritable raison, pourquoi donc cette promotion médiatique permanente du « copain Olivier » ... ?
Hypothèse : et si les tenants du capital financier, en « starisant » l’extrême gauche, cherchaient en réalité un moyen de briser une spirale dépressive qui pourrait à terme leur être fatale ?
Certes, le raisonnement peut paraître un peu paradoxal, mais qui semble correspondre à la situation de crise économique profonde que nous traversons. Sur la nature de cette crise, qui a éclaté l’été dernier, l’élément principal est la surabondance – dans des proportions monstrueuses ! – des liquidités monétaires disponibles. Dès la crise asiatique de 1997, mais avec une accélération exponentielle depuis 2004, la planète financière dégueule littéralement sous les liquidités (par liquidités, il faut comprendre : la masse monétaire immédiatement disponible permettant un achat d’actif quel qu’il soit, sans aucun délai).
Nous assistons donc à une inflation considérable de la masse monétaire globale, en particulier par la création monétaire liée à l’émission de crédit de toute nature (nous reviendrons prochainement dans Respublica sur ce dernier point). En choisissant de sauver le système bancaire et en refusant par là même une destruction de richesse qui aurait fait diminuer la masse monétaire (donc les comptes en banque de certains...), le système financier globalisé a engendré une inflation qui provoque une hausse des prix. Comme l’immobilier, les actions et les obligations sont provisoirement hors course, la spéculation se concentre au bout d’un moment sur les matières premières (...) et les « commodités » (...).
Nous sommes très exactement dans un schéma inverse à celui de 1929 : des liquidités en trop grande quantité se « fixent » sur les matières premières faisant monter leurs cours de manière artificielle, alors même que la croissance diminue !
Ainsi, ce « fixing » entre l’offre et la demande, c’est à dire la fixation des prix d’achat et de vente en temps réel, est pollué par cette déferlante monétaire extérieure au marché au jour le jour et concentrée sur les marchés à terme (c’est à dire sur les « options », synonyme de « paris sur l’avenir », que prennent les opérateurs du marché sur l’évolution futures des cours de la marchandise en question). Les conséquences sont faciles à comprendre : nous assistons à une hausse des prix sur un marché dont les flux physiques stagnent… une sorte de hausse des prix « dans le vide » !
Comme cette inflation n’est pas provoquée par une hausse du coût du travail, nous n’assistons pas à la course poursuite traditionnelle entre les prix et les salaires (ou entre les salaires et les prix). Les salaires stagnent, et le clash pourrait être très près de nous car les salariés consommateurs seront bientôt dans l’impossibilité de faire face à cette hausse des prix.
Comment faire pour sauver le système de cette énorme masse de liquidités ? Tout simplement en diluant cette masse monétaire dans l’ensemble de l’économie, c’est-à-dire en favorisant une hausse des salaires pour revenir au schéma classique de la crise inflationniste « à la papa », hausse des prix-hausse des salaires…
Mais comment faire ? Comme il n’est pas envisageable que les fonds d’investissement fassent d’exu mêmes des chèques aux travailleurs pauvres déjà surendettés pour qu’ils continuent encore et toujours à consommer en remplissant leur caddy chez Carrefour ou ailleurs, il faut trouver une autre solution. Certes, Sarkozy se veut le président du pouvoir d’achat mais ce n’est pas très crédible. Reste donc l’idée de ressusciter pour un temps l’extrême gauche afin de ranimer momentanément la lutte de classe et de provoquer un réveil social qui se traduira par une hausse des salaires, seul remède à la crise des liquidités. C’est très risqué car la planète finance joue avec le feu et gageons que cela puisse provoquer de sacrés révolutions, mais les grands financiers ont-ils d’autres choix ?
Mieux vaut sacrifier le petit patronat qui paiera la note... C’est d’ailleurs une constante historique : dans les années trente déjà, le « New Deal » sous Roosevelt a eu pour conséquence d’accélérer la concentration capitaliste, en liquidant les entreprises dont la productivité était faible. Aujourd’hui les entreprises du premier monde qui ne sont pas fortement robotisées ne survivront pas à une inflation des salaires. Mais pour faire ce saut vers une robotisation complète et compatible avec une économie en réseau, les entreprises en question devront faire appel à la sphère financière pour permettre ce lourd investissement initial, amortissable uniquement sur moyen ou long terme.
Mais problème ! Aujourd’hui, le peuple des employés du libéralisme est si faible, si peu organisé et si peu « conscientisé » qu’il est incapable de réagir. Il ne peut par lui-même obtenir un minimum d’échelle mobile des salaires. Or le temps presse et par un petit coup de pouce médiatique au facteur sympa, certains espèrent créer une tension sociale pouvant justifier, y compris aux yeux du patronat archaïque, une hausse des salaires permettant de sauver la consommation, et par suite la finance internationale.
Hypothèse tordue ? ! Pas tant que cela, car les intérêts du monde de la finance ne sont pas ceux du patronat archaïque. Par ailleurs, cette hypothèse s’inscrit dans la longue tradition de « l’école italienne » qui, de Gramsci à Négri, montre que le mode de production capitaliste est la résultante d’une tension dialectique entre capital et travail : l’un et l’autre sont liés même s’ils semblent s’opposer. Selon cette école, en période de crise – ce qui est d’actualité... – le capitalisme « pur » se transforme en « capitalisme de rapports de forces » car pour éviter un krach définitif, la planète finance est capable de mutations, quitte à sacrifier pour un temps les intérêts immédiats d’une partie patronat afin de préserver ses intérêts historiques.
N’oublions jamais la phrase de Keynes : « le capitalisme doit être sauvé contre lui-même ».
Évariste
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Nous, signataires de cet appel, sommes des citoyens de gauche, partisans d'une Europe sociale qui protège les peuples. Face au Traité Constitutionnel Européen qui entérinait le dogme du libéralisme économique, nous avons mené campagne et voté non au référendum du 29 mai 2005. Nous représentons 31,3 % des suffrages qui se sont exprimés lors de ce scrutin.
Nous sommes aujourd'hui inquiets : alors que ce désir d'une véritable Europe sociale est la plus importante force d'opinion qui se soit exprimée en mai 2005, il y a fort à craindre qu'elle ne soit pas représentée au parlement européen qui sera élu lors des prochaines européennes en Juin 2009.
La tentative de rassemblement des collectifs du 29 Mai, fin 2006, a été un échec : elle nécessitait en effet la désignation d'un candidat unique pour l'ensemble des tendances de notre front. La conséquence de cet échec a été l'absence de traduction politique à la hauteur de notre mouvement : les deux candidats au second tour de l'élection présidentielle soutiennent la construction libérale de l'Europe. Pire ! Le 4 février 2008, loin d'entériner le résultat du référendum, Nicolas Sarkozy et les parlementaires soutenant l'Europe libérale bafouent la souveraineté populaire en adoptant un traité identique sous une forme prétendument « simplifiée ».
Nous ne voulons pas ajouter à ce déni de démocratie une absence de représentation au parlement européen à l'issu des élections européennes de Juin 2009.
Pour le scrutin des européennes de Juin 2009, la France sera divisée en 8 grandes circonscriptions où il faudra déposer des listes de candidats. Le nombre de sièges par circonscription, fixé par le décret n°2004-396 du 6 mai 2004, est de 12 pour le Nord-ouest, 10 pour l'Ouest, 10 pour l'Est, 10 pour le Sud-ouest, 6 pour le Massif central-Centre, 13 pour le Sud-est, 14 pour l'Ile-de-France et 3 pour l'Outre mer. Soit un total de 78 sièges de députés européens pour la France.
Il se trouve que les élections européennes sont des élections proportionnelles à seuil. Ce qui veut dire que Les candidats ne peuvent espérer obtenir un siège s'ils ne franchissent pas la barre fatidique des 5 %.
Mais ce n'est pas tout. Ces élections sont aussi des élections à la proportionnelle. Ce qui veut dire que le nombre de sièges obtenus dépendra du nombre des votes exprimés en fonction du nombre de sièges disponibles dans une circonscription. Il y a donc un second seuil qui dépend, quant à lui, du calcul de proportionnalité. Ce pourcentage minimum de voix nécessaires pour espérer obtenir un seul siège varie de 7% des suffrages dans la circonscription d'île de France, à plus de 9% dans celle du Massif central-Centre !
Pour exemple : dans le Massif central-Centre, lors des dernières européennes en 2004, la dernière liste a avoir obtenu un unique siège avait reçu 9,96 % des suffrages exprimés. Sur les 18 listes présentées, seules trois ont obtenu des sièges !
Or, aux présidentielles, les résultats obtenus par les candidats dispersés, défendant le non au TCE, sont, à gauche, de 4,1 % pour la LCR, 1,9% pour le PCF, 1,3% pour José Bové et LO et 0,3% pour M. Schivardi. Les conclusions sont implacables : aucune des formations politiques défendant l'Europe sociale n'est en mesure d'obtenir le moindre siège aux prochaines européennes si la dispersion est encore de mise.
Que les candidats représentant le non de gauche fassent ce rapide calcul : ils s'apercevront très vite que désunis, ils n'ont aucune chance. Tout le monde sera perdant, alors que rassemblés au sein de listes communes, 31,3 % des suffrages correspond à un minimum de 24 sièges de députés sur les 78 auxquels la France a droit.
Notre appel n'est pas un énième appel à la recomposition des partis politiques de gauche. Sa finalité est beaucoup plus modeste : il s'agit d'un appel à représenter l'Europe sociale dans les instances européennes. Comme toute force d'opinion, nous avons le droit d'être représentés au niveau européen ! Nous appelons solennellement toutes les forces politiques qui, en mai 2005, ont dit non au TCE et oui à l'Europe sociale de constituer dès à présent des listes communes que nous pourrons défendre comme nous l'avons fait lors que la campagne de 2005.
Nous demandons la formation d'un front unitaire entre toutes les tendances politiques qui ont mené conjointement la grande campagne populaire face au TCE et aux défenseurs de l'Europe Libérale. Le peuple du non de gauche ne peut accepter l'idée qu'il ne sera pas représenté au prochain parlement européen alors que le non au TCE l'a emporté et que ce non était majoritairement un non de gauche !
ReSPUBLICA
Une récente décision officielle, confirmée par le Conseil d'Etat, a refusé la nationalité française à une Marocaine portant la tenue dite "islamique intégrale" prônée par certaines sectes intégristes - également appelée burqa - qui, masquant entièrement le corps et le visage, ne laisse entrevoir que les yeux.
Au-delà de la question de l'intégration, peut-on tolérer le port public d'un masque intégral inamovible ? Que doit faire un employé de banque devant un spectre noir non identifiable qui pénètre dans son agence ? Et ne serait-il pas imprudent, de la part d'un directeur de crèche, de confier un bébé à une personne masquée prétendant être sa mère ?
Notons d'abord, dans l'affaire citée, que le refus de la nationalité repose sur des déclarations de la personne remettant explicitement en cause l'égalité entre hommes et femmes et non sur le port d'un vêtement : cette personne est à cet égard dans la même situation qu'un certain imam de Vénissieux, qui fut condamné pour la même raison.
Mais venons-en au sujet, à cette fameuse burqa. J'ai amplement expliqué ma position sur le port du voile islamique dans ce blog[1]. Cette position est une conséquence de la théorie de la laïcité que j'ai exposée dans le livre Qu'est-ce que la laïcité ? et repose sur la distinction entre trois espaces : l'espace relevant de l'autorité publique (constitution, déclaration, maintien et protection des droits), l'espace de la société civile et l'espace privé proprement dit. Voilà pourquoi j'ai toujours dit et écrit que le port du voile islamique doit être proscrit dans le premier espace (école obligatoire, bureaux de vote, fonction publique, etc.) et qu'il serait antilaïque de l'interdire - tant qu'il n'est lié à aucune déclaration contraire aux lois (notamment d'inégalité entre hommes et femmes) - dans les deux autres espaces. Cela ne veut pas dire que je suis favorable au port du voile, mais seulement que je ne vois aucun motif juridique pour l'interdire dans la société civile : il y a d'ailleurs, outre le port du voile, beaucoup de choses non interdites qui ne me plaisent pas et qui me choquent profondément... !
Certains en ont hâtivement conclu que ma position serait la même s'agissant de la burqa (ah! ces intellos, toujours prêts à se coucher, n'est-ce pas ?).
Que non ! Je pense au contraire que cette fameuse "tenue intégrale" devrait être interdite dans l'espace civil, c'est-à-dire dans tous les lieux accessibles au public. Et cela pour une raison très simple : non seulement elle empêche l'identification physique de facto (en cela elle est comparable à un passe-montagne ou à un pansement couvrant le visage), mais elle est faite pour cela et portée à cet effet. C'est bien plus qu'un passe-montagne, qu'on enlève dès que la température le permet ou dès que quelqu'un veut voir votre visage : c'est un masque porté pour cacher le corps, la silhouette et le visage, un masque délibérément inamovible, un masque intégral fait pour se cacher tout le temps parce qu'on ne veut pas ou qu'on n'a pas le droit de se montrer. Se masquer ainsi, c'est affirmer une volonté d'échapper à toute identification - que cette volonté soit celle de la personne ou celle d'autrui ne change rien à la question. C'est donc plus qu'une intention et plus qu'un recel occasionnel. La preuve ? Demandez donc à une personne portant burqa de se démasquer, histoire de voir sa tronche...
Je dis "une personne" car, à bien y penser, rien n'indique son sexe : même Sébastien Chabal serait méconnaissable ainsi accoutré ! Vous allez me dire : mais justement c'est fait pour ça, pour qu'on ne voie rien du sexe. Je juge que c'est une femme parce qu'on m'a dit qu'une certaine coutume dans certaines sectes contraint les femmes à se cacher ainsi. Je fais l'hypothèse que c'est une femme un peu comme Descartes, regardant par sa fenêtre et ne voyant dans la rue "que des chapeaux et des manteaux", juge qu'il voit ses semblables[2] en vertu d'une "inspection de l'esprit", laquelle est ici instruite par une forme d'expérience. Dans le même passage, Descartes évoque une autre hypothèse digne d'un film d'épouvante : cela pourrait recouvrir des spectres. Descartes n'avait pas vu nos films d'horreur, mais, spectateur des tragédies sanglantes "tristes et lamentables" qui précédèrent la tragédie classique, il pensait peut-être à ce genre de scénario[3]... Eh bien, justement, nous y sommes : en pleine scène lugubre peuplée d'épouvantails en forme d'oiseaux de malheur qui s'abattent sur la liberté des femmes en faisant peur à tous.
Un directeur d'école maternelle peut-il, à l'heure de la sortie, confier un enfant à une personne entièrement masquée qui prétend être sa mère et qui refuse de se montrer ? Non : il aura raison de garder l'enfant et d'appeler la police pour tentative de rapt. Un employé de banque peut-il ouvrir la porte de son agence à un individu masqué, portant par exemple une cagoule, ou un casque et de larges lunettes noires ? Non : si une personne en burqa parvenait à pénétrer dans la banque, il aurait raison de donner l'alarme. De même pour un commerçant : sa méfiance et sa peur seraient légitimes. Toute personne portant la burqa est dans la situation d'un malfaiteur s'apprêtant à commettre un hold-up, le visage couvert d'une cagoule. La différence à l'égard de ce masque est que le malfaiteur s'en débarrasse ensuite : il désire rentrer dans l'ordinaire de la société pour jouir de son forfait. La burqa ne sert pas à couvrir un forfait[4], elle est en elle-même un malfait autrement large : elle fait mal et peur à ceux qui la voient, elle fait mal à celle qui la porte. Où l'on retrouve, objectivement, la thèse de l'intégrisme islamiste pour lequel le corps de la femme est un mal absolu, une honte. La burqa fait honte à celle qui la porte, elle fait honte à ceux qui la tolèrent. C'est un hold-up permanent qui s'en prend violemment à la liberté des femmes.
Fadela Amara a déclaré que la burqa est une prison. Et cela est déductible de ce que je viens de dire. Indépendamment de toute interprétation idéologique, c'est une prison d'abord parce que c'est un masque : celui qui refuse l'identification se soustrait aux lois ordinaires et se trouve donc en situation de réclusion. La personne portant burqa est chargée d'une carapace impénétrable qui la rend intouchable, à la fois au-dessus et au-dessous des lois. Prétendant se "protéger" puisqu'elle promène les murs de sa maison - maison dont elle ne peut jamais sortir - autour d'elle, elle est en même temps inaccessible et exclue. Son existence civile est suspendue : autant rester enfermée sans espoir de sortir jamais... Rester indéfiniment à l'intérieur de murs - fussent-ils en toile - dont on ne peut pas sortir, cela s'appelle de la réclusion. Et quand la réclusion n'est pas prononcée par la loi, quand elle se fonde sur l'être (ici : être de sexe féminin) et non sur les actes criminels d'une personne, régulièrement jugés et condamnés en vertu d'une loi préalable, elle est arbitraire et illégitime : interdire la burqa serait donc un acte de libération.
© Catherine Kintzler, 2008
[1] Voir notamment l'article La laïcité face au communautarisme et à l'ultra-laïcisme ([charger le lien]) et les nombreux commentaires qui le suivent.
[2] Descartes, Méditations métaphysiques (méditation seconde).
[3] Tragédies sanglantes de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle (Poullet, Heudon, Virey du Gravier, Laudun d'Aygaliers, Durval, Billard de Courgenay). On en voit la réminiscence par exemple dans quelques scènes de L'Illusion comique de Corneille de 1636 (voir l'article sur L'Illusion comique [charger le lien]).
[4] Du moins et à ma connaissance n'a-t-on pas d'exemple de cet usage en France. Mais rien n'empêche qu'elle puisse aussi servir à cela, car elle offre bien des avantages en rendant la personne à la fois méconnaissable et "intouchable".
Catherine Kintzler
www.mezetulle.net
Auteur de "Qu’est-ce que la laïcité ?", publié chez Vrin, 2007.
Les partisans de l’école privée peuvent se réjouir. Tous ceux qui préfèrent la séparation de l’école et de l’Etat à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, qu’ils soient ultracatholiques ou ultralibéraux, ou ultra-les deux, peuvent savourer leur victoire. La guerre scolaire est presque terminée. Et ils ont gagné.
Le ver était dans le fruit depuis l’accommodement Debré de 1959, lorsque l’Etat a permis à l’école privée d’avoir le beurre et l’argent du beurre : le pouvoir de concurrencer l’école publique par la sélection et le soutien financier de l’Etat pour le faire. L’avancée de la démocratisation scolaire a rendu cette concurrence de plus en plus déloyale. Avec un objectif de 80 % au bac, des enfants venant de milieux sociaux défavorisés et des classes surchargées, l’école publique s’est mise à ramer. Pour sauver le niveau, il aurait fallu augmenter le taux d’encadrement et faire baisser le nombre d’élèves par classe. Notamment dans les ZEP. Mais les budgets n’ont pas été à la hauteur des promesses. Au lieu de concentrer ses moyens au service de l’école publique, l’Etat a gaspillé sa marge de manœuvre en augmentant les crédits alloués à l’école privée. Les vannes sont grandes ouvertes depuis 2004, date à laquelle les collectivités locales ont obtenu le droit de financer sans limites les établissements privés. Les régions de gauche ne sont pas en reste. Alors qu’il existe toujours plus de 500 communes sans école publique, l’Etat et les collectivités financent quasiment à parité la scolarisation d’un élève dans le privé et dans le public. Cela s’appelle déshabiller le public pour mieux habiller le privé.
Pendant ce temps, l’école publique coule. Loin de lui porter secours, l’actuel gouvernement instrumentalise certaines critiques constructives pour en faire le procès idéologique, ce qui semble justifier de la regarder se noyer. L’Etat pourrait profiter du tassement de certaines classes d’âge pour faire baisser le nombre d’élèves par classe, mais il préfère baisser le nombre de professeurs. Résultat, les classes resteront surchargées. Notamment dans les quartiers populaires, où les proviseurs disent pourtant manquer de personnel encadrant. En guise de réponse, le "plan banlieue" prévoit de financer la création de 50 classes confiées à l’école privée, essentiellement catholique. "Jamais l’Etat n’avait autant organisé la concurrence de son propre service public", commente Eddy Khaldi, syndicaliste et enseignant. Il s’apprête à publier un livre qui devrait agiter la rentrée, Main basse sur l’école publique, cosigné avec Muriel Fitoussi (Demopolis). Fouillé et documenté, il retrace de façon parfois glaçante la montée en puissance du lobbying en faveur de l’école privée ; lequel est parvenu à placer des alliés au plus haut niveau des rectorats, de l’Etat, et même de l’éducation nationale, grâce à des réseaux comme Enseignement et liberté, Créateurs d’écoles ou SOS Education. A l’image de deux directeurs de cabinet du ministre de l’éducation nationale sous Edouard Balladur, Guy Bourgeois et Xavier Darcos.
Conformément à la stratégie définie par Créateurs d’école, dont il fut l’un des membres fondateurs, l’actuel ministre de l’éducation nationale ne veut pas de guerre frontale avec l’école publique, mais une "révolution de velours". Juste assez de velours pour éviter une contre-offensive syndicale. Et ce qu’il faut de détermination pour faire avancer sa révolution, ou plutôt sa contre-révolution. Les grèves ne devraient plus être un problème grâce au service minimum, mis en place après un sondage privé décrétant que les Français y sont plutôt favorables... Une enquête opportunément commandée et financée par SOS Education. Avec ce joker, le ministre a les coudées libres. Mais, de toute façon, le plus dur est fait : la suppression de 11 000 postes de professeur dès cette année, 44 000 en quatre ans si ça continue à ce rythme, l’autonomisation des universités, la multiplication des partenariats privé-public, la déréglementation de la carte scolaire... Tout est passé comme une lettre à la poste. Y compris cette confidence d’Emmanuelle Mignon, conseillère du président de la République, rapportée par un journaliste en 2004 : "Je suis pour une privatisation totale de l’éducation nationale." Pourquoi se gêner ?
Dans les cénacles de l’école privée, on prépare déjà la suite : le "chèque éducation", grâce auquel chaque élève recevra directement l’aide de l’Etat pour choisir de s’inscrire dans le privé ou dans le public. Une idée empruntée au modèle anglo-saxon, qui a fait les beaux jours des écoles privées religieuses. Est-ce bien rassurant pour la cohésion sociale et le vivre-ensemble ? Jusqu’ici, l’école confessionnelle sous contrat donne le sentiment de vouloir privilégier l’enseignement au prosélytisme. Mais les temps changent. L’Eglise, qui confie de plus en plus ses missions éducatives à des courants comme l’Opus Dei ou la Légion du christ, milite pour accentuer le "caractère propre", c’est-à-dire le caractère catholique, de ses écoles. Les autres religions ne sont pas en reste. A quoi ressemblera le vivre-ensemble quand un nombre grandissant d’élèves français aura fait ses classes dans des écoles tenues par l’Opus Dei, les Frères musulmans ou les loubavitchs ? C’est à cela que devraient penser ceux qui, à droite comme à gauche, dénoncent volontiers le repli communautaire, mais n’ont aucun courage quand il s’agit de gouverner. Au mépris de cette évidence : l’Etat n’a pas les moyens de favoriser la privatisation et la confessionnalisation de l’enseignement au détriment de son école.
Caroline Fourest carolinefourest.canalblog.com
Il y a plusieurs façons de lire le conflit en Géorgie. Il y a d’abord la façon « Choc des civilisations » à la Bush-Sarkozy : les « gentils dirigeants démocrates de l’Occident » face aux méchants dictateurs de l’Orient. La grande majorité des lecteurs de ReSPUBLICA ont depuis longtemps éliminé cette supercherie comme donnée de la « société du spectacle » chère à Guy Debord.
Cette grande majorité des lecteurs de ReSPUBLICA ont bien compris le soutien des « gentils démocrates de l’Occident » à la Colombie, à la Birmanie, aux monarchies pétrolières, aux dictateurs africains, etc.
Suivant l’éclairage donné, on peut en fait voir, dans le conflit de la Géorgie, un soutien prorusse aux demandes séparatistes prorusses des Abkhazes et des Ossètes du sud contre le centralisme géorgien, une lutte des Géorgiens contre un néo-colonialisme panrusse, une guerre de contrôle des pipe-lines entre la mer Noire et la mer Caspienne (de ce point de vue, la Géorgie est l’Afghanistan du Caucase !), une lutte pour un repartage entre plusieurs néo-impérialismes. Et, bien, chers amis, c’est tout cela à la fois. Mais il y a une raison principale qui surdétermine l’ensemble des raisons secondaires.
Venons-en aux faits :
La raison principale provient de la phase actuelle du capitalisme. Les lecteurs de ReSPUBLICA sont familiers du fait que les politiques néolibérales ont commencé dans les années 70 et ont été scellées au sein du « Consensus de Washington » en 1979 principalement pour contrer les évolutions précédentes donnant dans le partage des richesses une part jugé excessive aux revenus du travail et aux cotisations sociales. On sait par exemple, qu’en France, cette part a diminué de 9,3 points de PIB sur le dernier quart de siècle (soit 170 milliards par an de 1982 à 2007) au profit des profits.
L’écroulement de l’Union soviétique à la fin des années 80 a ouvert la voie à une nouvelle étape du capitalisme : le turbocapitalisme qui accélère les politiques néolibérales et fortifie la nouvelle alliance entre les néolibéraux, les communautaristes et autres intégristes. Au début de cette étape, la plupart des responsables alter-mondialistes et anti-libéraux y ont vu le triomphe pour une longue période de l’impérialisme US qui allait diriger toute la planète. Et bien c’est comme Capri, c’est fini ! Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, la majorité des responsables anti-libéraux et alter-mondialistes est hors sol dans l’analyse ce qui a d’ailleurs produit les impasses théoriques et pratiques qui ont conduit, après la victoire du 29 mai 2005, aux défaites de 2007, 2008, et suivantes.
En fait, après l’enlisement étasunien en Afghanistan et en Irak, nous entrons, tout en restant dans les conditions de l’étape turbo-capitaliste, dans une phase de repartage entre néo-impérialismes. Les 3 autres raisons sont secondaires : soit elles sont le produit du nouvel impérialisme russe, soit elle est le produit du fait que de nombreux Etats ne sont pas des Etats-nations (Géorgie, comme l’ex-Tchécoslovaquie, comme l’ex-Yougoslavie, comme l’actuelle Belgique sans gouvernement depuis 14 mois, etc.,), soit elle est le produit de la réalité énergétique. Mais ces trois raisons sont surdéterminées par la lutte pour le repartage entre néo-impérialismes. L’impérialisme étasunien, empêtré en Irak et en Afghanistan, qui s’apprête à transférer une partie de ses troupes d’Irak en Afghanistan, n’a plus les moyens militaires pour intervenir en Europe de l’Est comme elle l’a fait naguère en ex-Yougoslavie. Les dirigeants étasuniens ont donné leur aval à l’intervention géorgienne pensant qu’une fois de plus, la direction russe allait émettre un nouvel avis défavorable mais sans intervenir comme elle le faisait jusqu’ici en ex-Yougoslavie. Cette fois-ci, la Russie a dit « Niet » en envoyant un message pour les autres Etats de la région : « Avis aux amateurs, la Russie est de retour ! ». Les stratèges étasuniens en sont pour leur frais. Déjà, les stratèges étasuniens avaient tenté l’aventure en soutenant l’histrion de la théocratie tibétaine, le dalaï-lama (vous savez cette théocratie, qui avant l’intervention chinoise en 1959, était pour le servage et contre l’école pour les enfants du peuple !). Avec son développement économique (très lié aux EU car c’est eux qui financent le déficit américain en achetant les bons du trésor étasuniens), les JO utilisés comme une reconnaissance politique, le néo-impérialisme chinois a également dit non à l’impérialisme étasunien.
Oui, nous sommes dans une nouvelle phase du turbocapitalisme (lui-même, étape actuelle du capitalisme), celle du retour des conflits de repartage entre les impérialismes. Bien évidemment, les batailles autour de la production et du transfert des hydrocarbures, des communautarismes, des intégrismes, des nationalismes ethniques, servent de prétexte et de support à l’intervention des néo-impérialismes.
1) Tout d’abord, ne pas se laisser engluer l’esprit par le « Choc des civilisations » de Samuel Huttington. Laissez cela aux bobos et autres prêtres de ce « Choc des civilisations » du style Bernard Henri-Lévy par exemple. N’avez-vous pas remarqué que c’est la même propagande que l’on nous a servie pour l’Irak que l’on nous sert, dans le conflit en Géorgie contre les Russes ?
Laissez cela aussi à ceux qui se disent à tort laïques, et qui « infiltrent les organisations laïques pour cela » pour ne combattre que le communautarisme et l’intégrisme islamiste rejoignant par là le « Choc des civilisations » alors qu’on ne les avaient pas vu lors des batailles pour la loi contre les signes religieux à l’école, et sur les batailles menées sur le Code civil, il y a une dizaine d’années contre le communautarisme catholique et qu’aujourd’hui, ils vont jusqu’à s’allier avec la droite voire l’extrême droite catholique pour cela.
2) Combattre tous les néo-impérialismes, tous les communautarismes, tous les intégrismes, qu’ils soient ethniques ou religieux. Méfiez-vous de ceux qui vous courtisent pour n’en combattre qu’un et pas les autres.
Méfiez-vous par exemple, de ceux qui ne voient qu’un impérialisme, méfiez-vous de ceux qui ne voient qu’un intégrisme, qu’un communautarisme.
Méfiez-vous de ceux qui font du relativisme culturel post-collaborationniste ou post-colonial en donnant plus de poids aux identités qu’aux principes républicains (liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, démocratie, sûreté, développement durable et souveraineté populaire)
3) Combattre contre les causes et non contre les conséquences de ces batailles entre impérialismes :
4) Combattre pour des Etats-nations à caractère laïque et républicain ; c’est-à- dire d’un Etat-nation ou il n’existe que le citoyen dans la sphère publique et que les identités et les particularités n’existent que dans la société civile.
Il est facile de montrer que les impérialismes et les néolibéraux se servent des conflits ethniques et religieux dans tous les Etats qui ne sont ni Etat-nation ni républicain. C’est d’ailleurs dans ces Etats qu’il y a la guerre.
Et méfiez-vous de ceux qui considèrent cela comme secondaire, cela cache souvent une pensée communautariste. Et méfiez-vous de ceux qui veulent transformer la France par le modèle anglo-saxon, voir détruire la France pour faire l’Europe des régions.
Il est facile de montrer par exemple, que les combattants de l’Amérique latine, contrairement à la majorité des européens, se servent des Etats-nations pour mener leur lutte (Venezuela, Bolivie, Equateur, etc.).
5) Se rassembler dans des organisations qui répondent à ces critères. De plus en plus, il apparaît que se rassembler dans des organisations qui mènent une politique contraire à ce que l’on croit est une impasse théorique et pratique.
Jérôme Manouchian
Les idées les plus simples ne sont pas les plus faciles à comprendre : par exemple, qu’il n’y aura jamais de justice tant qu’on comptera seulement sur l’accroissement des richesses pour améliorer le sort des plus misérables. Subordonner la justice à l’aisance économique, c’est s’autoriser à la différer. Le dogme de l’économie toute-puissante dessaisit les citoyens de leur souveraineté et quand l’Etat lui-même fait de la production sa préoccupation principale, il perd sa fonction en renonçant à toute volonté politique.
La nécessité de la croissance est le nouveau dogme. L’enrichissement universel est tenu pour inévitable et indispensable : produire plus permettra plus de justice, car la justice consiste à répartir les richesses. Les libertés fondamentales et tout ce qui, grâce à l’instruction et à la culture, fait la dignité de l’homme, est du même coup subordonné aux impératifs économiques et sociaux. Ainsi certains partisans du progrès disaient naguère que le combat laïque est une façon de renoncer aux luttes sociales. Défendre Dreyfus ne leur avait pas paru immédiatement essentiel. On oublie donc que la république, la justice et la laïcité sont un combat permanent qui ne dépend pas des conjonctures économiques. Ainsi s’explique aussi bien, pour une grande part, l’hégémonie du libéralisme économique sur les esprits.
De son côté le parti de l’expérience subordonne les principes au faits ; pour lui une idée ou un idéal est une utopie, et il s’imagine en prise avec la réalité. Il veut qu’on attende pour être juste d’être plus riche, par crainte de mettre l’économie en péril et d’appauvrir les plus pauvres. Rien ne paraît plus sensé que ce chantage érigé en doctrine.
Ainsi, les uns, espérant que l’avenir nous enrichira, dépenseraient déjà la richesse future au nom de la justice ; les autres, faisant leurs comptes, remettent au lendemain la justice. Dans tous les cas la justice dépend de l’état de la caisse. Il est confortable d’oublier qu’elle ne dépend pas des circonstances : attendons pour être honnêtes d’en avoir les moyens ! Le primat idéologique de l’économie, c’est-à-dire la subordination de la politique à l’économie, et les philosophies de l’histoire qui font de l’économie, libérale ou non, la détermination en dernière instance devaient mener là. Et une fois réveillé du fantasme de la croissance infinie, on rêve de développement durable, comptant toujours sur plus de richesses pour améliorer la condition des plus malheureux. Produisons ! Mais l’injustice vient-elle chez nous, ailleurs ou autrefois, du manque de richesses ? L’idéologie de la croissance a pour conséquence nécessaire qu’il suffit d’une crise économique pour qu’on ne soit plus tenu d’être juste et qu’on détruise ce qui a été institué au temps des vaches grasses pour améliorer la condition des plus humbles.
Qu’il soit impossible à un seul pays de déclarer forfait dans la course universelle à la croissance, que certains pays aient besoin de croître tout simplement pour nourrir leur population, cela n’enlève rien à la vérité de ce qui précède. Aucun « progrès » dans cette course jamais ne garantira la justice, car l’injustice ne vient pas d’abord de la pénurie ou de l’insuffisance des biens à répartir mais des passions humaines et des préjugés. Ou bien considérera-t-on que c’est en vertu d’une nécessité économique que certains faisaient payer un verre d’eau pendant la débâcle de 1940 ? La rareté n’est pas la raison des prix ou des salaires exorbitants. Les gains de quelques célèbres gladiateurs du ballon ne s’expliquent que par l’adulation dont ils sont l’objet : l’économie dépend de l’opinion, et finalement du battage médiatique. Y a-t-il même une réalité économique ?
Il résulte de la nature de l’essor économique que les citoyens ne peuvent agir directement sur les puissances industrielles et financières qui l’empor-tent sur le pouvoir politique lui-même. Le capitalisme accomplit aujourd’hui le dépérissement de l’Etat républicain. Il a dessaisi le citoyen de sa citoyenneté. Et comme sa réussite nous rend plus dépendants comme consommateurs que comme salariés, nul ne cherche à s’y opposer. Comment faire grève si l’on a des traites à payer, puisqu’il a fallu emprunter pour consommer ? Rendre propriétaires les salariés les plus modérément rétribués est un moyen efficace de les tenir, puisqu’ils sont par là prisonniers de leur banque ; et leurs maisons, de moindre qualité, ne valant plus rien à leur mort, leurs enfants ne pourrons rien en tirer, d’autant que les bassins d’emploi se déplacent. Mais pour mesurer notre impuissance, il suffit de considérer nos habitudes de consommation les plus ordinaires, auxquelles seuls les plus misérables peuvent échapper : nous sommes attachés aux automobiles comme à notre liberté ; nous ne pouvons plus rouler sans climatisation ; il nous faut étouffer de chaleur l’hiver ; etc. Il n’y a pas plus de politique quand le citoyen s’est métamorphosé en consommateur que lorsqu’il est maintenu dans la misère. Comment dès lors éviter que la société civile vienne complètement à bout de l’Etat ? Telle est aujourd’hui la question politique majeure. Comment résister aux puissances industrielles et financières ? Or si c’est l’Etat qui s’empare de la production, il perd lui-même sa fonction proprement politique.
L’institution judiciaire dépend de l’Etat, et aussi l’école, la recherche, la santé publique, même si les techniques et les laboratoires de recherche sont dépendants du pouvoir économique ; et encore la culture. La loi limite le marché : la volonté politique l’emporte sur les puissances économiques. Une nation peut sauver son industrie cinématographique que la « loi » du marché aurait fait disparaître : l’idée même d’une politique culturelle implique que les intérêts économiques ne sont pas les seuls principes de décision.
Soit l’exemple de la santé. Les laboratoires pharmaceutiques et les fabricants de matériel médical de pointe ne sont pas des philanthropes ; le serment d’Hippocrate n’est pas leur charte. La « valeur » qui compte pour eux n’est pas la santé (valere, en latin, c’est « se porter bien »), mais la valeur boursière de leurs actions. L’affaire du sang contaminé (où public et privé sont mêlés) n’est pas un accident. Cette industrie n’a pas pour finalité de soigner les malades : la santé publique est pour elle un moyen en vue d’une fin, l’enrichissement de quelques-uns. Pourtant la volonté des citoyens et le souci de leur santé peuvent l’emporter sur cette puissance. La puissance politique, qui réside tout entière dans la volonté des citoyens, dans leur conviction, que le vote a pour vocation d’exprimer, impose par la loi des limites à la puissance économique. Il y a des crimes : on a vendu du lait en poudre en Afrique de sorte que les mères le mélangeant à de l’eau polluée, on a provoqué des catastrophes sanitaires, mais inversement les laboratoires ont fini par céder et par vendre en Afrique à prix réduit certains médicaments. Et si le vote est détourné de son sens, comme il arrive souvent, ou si les représentants du peuple sont sensibles aux pressions des puissances, des manifestations deviennent nécessaires.
De la même façon il dépend de la puissance publique de faire en sorte qu’il y ait assez de juges et de greffiers pour traiter les affaires, assez d’éducateurs et d’hommes ou de femmes compétents pour suivre l’application des peines, assez de prisons et des prisons conformes aux règles européennes, etc. Leur état déplorable ne vient pas de ce que respecter les règles élémentaires d’humanité coûte trop cher, mais de ce que les citoyens sont satisfaits de l’état des lieux. Et sont-ils choqués s’il n’y a pas assez de juges pour traiter les affaires financières, ni assez d’inspecteurs du travail ? L’insuffisance d’une institution tient toujours à l’absence de volonté politique des élus et des électeurs, et non à quelque nécessité sur laquelle on ne pourrait rien.
De même il dépend de la politique de faire en sorte que l’école instruise assez les hommes pour qu’ils s’éveillent à la conscience d’eux-mêmes et deviennent des citoyens critiques. L’échec est patent, car l’école ne peut exister qu’à contrecourant de l’idéologie dominante, comme autrefois contre les superstitions des campagnes. Paraphrasons Bachelard : il n’y a de véritable école que là où la société est faite pour l’école et non l’école pour la société. Or on s’accorde aveuglément à dire que l’échec scolaire et le malaise de l’institution viennent de l’inadéquation de l’école à la société, alors qu’ils viennent de ce qu’on confond la fonction sociale de l’école et son essence.
Propos simpliste, dira-t-on, qui ignore la complexité du monde moderne : mais toute époque n’est-elle pas complexe pour ses acteurs ? On objectera encore que je ne propose pas de programme : mais les programmes électoraux ont-ils jamais été réalisés ? Contentons-nous donc d’appliquer les lois et de veiller en toute chose à l’état de droit, sans admettre jamais qu’aucune puissance soit au-dessus de la loi. Si pour des raisons « techniques » le parlement ne peut qu’enregistrer des milliers de lois, inventons une chambre ou une cour nouvelle, chargée de veiller à l’application des lois existantes. Projet plus révolutionnaire et plus efficace que ce qu’on nomme ordinairement révolution. Le sang ou le changement incessant des lois font toujours le jeu des puissants. Renverser les tyrans consiste généralement à les remplacer par d’autres. Il est vain aussi de chercher à renverser le pouvoir économique pour le donner à on ne sait qui. Il suffit de lui opposer le droit, comme on fait ordinairement : un milliardaire qui prend envie de raser un pâté de maisons pour construire son palais ne peut pas toujours vaincre l’obstacle du droit. Une telle politique requiert seulement que les hommes de la société civile que nous sommes tous veuillent être citoyens. Il suffit, mais il le faut. Alors l’opinion, qu’elle s’exprime ou non par le suffrage, sera plus forte que la bourse. Seule l’opinion peut contraindre les puissances financières. Mais rien n’est possible si les hommes se laissent acheter.
C’est pourquoi la liberté d’opinion est le fondement de tous les droits. Or quelle législation peut s’opposer à la direction de conscience qui aujourd’hui n’est pas imposée par l’Eglise mais par les médias et les instituts de sondage ? Une école laïque ne se garde pas seulement des pressions cléricales mais aussi des pressions de la société civile, et elle s’interdit toute relation avec l’univers médiatique. Il suffit de lui rendre sa fonction propre, qui est d’instruire, et l’opinion sera libre. Mais nous n’en voulons pas : nous sommes veules non par peur des armes mais parce que nous craignons d’être moins bien chauffés l’hiver prochain.
© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2008
Jean-Michel Muglioni
Les troubles qui ont lieu de temps en temps dans nos banlieues nous font rappeler celles, de novembre 2005. On se souvient que les militants de gauche s’étaient une fois de plus divisés à cette occasion.
Les uns, imbus d’un marxisme superficiel et appauvri, dérivant vers un populisme classique, ont justifié et souvent soutenu, les incendiaires de gymnases, d’écoles et de voitures, sous prétexte que ces jeunes subissent effectivement une double discrimination ethnique et sociale, et que le chômage fait des ravages parmi eux. Ils avaient cependant fait fi du fait que les premières victimes de ces troubles sont en majorité des gens de conditions modestes, dont un grand nombre de familles immigrées. Mais eux, qu’auraient-ils fait, si des émeutiers avaient brûlé leurs véhicules en stationnement devant le lycée de banlieue où ils vont enseigner ?
Les autres, ultra-minoritaires au sein de la gauche laïque, qui, sous prétexte de défendre le juste droit de nos concitoyens à la sécurité, se sont mis à appeler à la seule répression des émeutiers, dans la pure tradition de la droite.
Leur position consiste à ne mettre en avant que les conséquences de ces émeutes. Jamais les causes aussi ! Comme l’a toujours fait la droite et l’extrême droite contre les ouvriers, les couches populaires et les immigrés italiens, polonais, espagnoles, maghrébins… en vue d’empêcher la prise de conscience des causes véritables, de culpabiliser leurs propres victimes et de coaliser l’opinion contre eux. Sachant que pour une partie de ces militants- et une partie seulement- en proie à un populisme xénophobe, banlieues signifient immigrés musulmans et immigrés Noirs qu’ils abhorrent.
Ce n’est plus un secret (sauf pour les intéressés eux-mêmes) que ce groupe suscite un rejet grandissant depuis quelques temps de la part de la gauche laïque et antiraciste, principalement -mais pas seulement- parce qu’il ne cesse, depuis des années, mais aujourd’hui à visage de plus en plus découvert, à s’en pendre aux immigrés vivant régulièrement et paisiblement en France, en usant au besoin d’arguments qu’ils ramassent dans les poubelles de l’extrême droite, arguments qu’ils tentent cependant de camoufler derrière un discours « savant » ou un marxisme vulgaire.
Cela rappelle aux laïques des pays arabes, communistes ou démocrates, les dirigeants, pourtant modernistes et séculiers, qui faisaient de l’islamisme, sans les islamistes, persuadés à tort, qu’ils couperont ainsi l’herbe sous les pieds de ces derniers.
La vision unilatérale des premiers comme celle des seconds sont indigentes, et n’ont rien de gauche, ni de scientifique.
Comme si la dénonciation de l’ostracisme anti-immigrés était contradictoire avec, au minimum la condamnation des destructions ; d’autant plus que se sont souvent les caïds de la drogue et du bisness douteux qui ont joué un rôle non seulement de catalyseurs, mais aussi de meneurs dans ces émeutes, afin de maintenir des zones de non-droit propices à leurs trafics en tout genre.
Ce n’est pas vrai, s’insurgent ces sectateurs, la grande majorité des jeunes qui ont été arrêtés se sont révélés être des mineurs et sans antécédents judiciaires. Ils semblent ignorer que les délinquants ne se laissent pas facilement arrêter dans de pareils troubles, tant ils sont rompus à la guérilla avec les représentants de l’autorité. Ne s’agit-il pas mieux d’éradiquer, par aussi bien la répression que la pédagogie, les tendances nihilistes de ces jeunes émeutiers, que des voyous avaient réussi à entraîner, et de s’efforcer de les canaliser vers des formes de luttes modernes, saines et bien plus efficaces ?
Quant à la minorité de laïques xénophobes, ils sont, comme les premiers, parfois tout aussi bardés de diplômes, auteurs de plusieurs ouvrages et cumulant des années, voire des dizaines d’années de militantisme à gauche, est-ce si difficile pour eux de réclamer tout à la fois un traitement symptomatique de cette crise, y compris un juste châtiment des auteurs de destructions, à un traitement de fond des problèmes socio-économiques et de l’échec scolaire massif auxquels sont en buttes les habitants de ces quartiers, en particuliers les immigrés ? Mais c’est justement ce dont ils ne veulent pas entendre parler.
Hakim Arabdiou
Dans trois semaines seulement aura lieu le dépôt des motions pour un congrès socialiste qui sera décisif dans l’histoire de la gauche. La rédaction de ces motions ne doit donc pas s’improviser au hasard d’arrangements secrets et de coalitions tactiques de dernière minute. Après nous être régulièrement rencontrés et à la lecture de nos contributions respectives, nous avons constaté la profondeur de nos convergences sur les thèmes essentiels que doit trancher le congrès socialiste.
Nous avons donc décidé d’engager le processus de rédaction d’une motion commune capable de représenter le point de vue de la gauche du parti dans ce congrès.
Elle s’organisera autour des marqueurs essentiels contre les renoncements et les demi mesures qui ont rendu le point de vue socialiste inaudible et souvent inacceptable par la gauche populaire.
Notre premier objectif est d’empêcher le PS de devenir un « parti démocrate » comme il l’est devenu dans beaucoup de pays européens, avant de se transformer parfois en parti centriste comme en Italie, au prix d’une disparition totale de la gauche parlementaire.
Pour cela nous voulons proposer au PS de se refonder sur les thèmes qui forment son identité historique :
1° la paix, et donc la rupture avec le suivisme à l’égard du gouvernement américain, de la politique du choc des civilisations et de l’OTAN. Ce point implique évidemment l’opposition totale à la politique européenne de construction du « grand marché transatlantique ». Il inclut l’engagement pour le retrait des troupes françaises d’Afghanistan.
2° Nous sommes les partisans d’un autre mode d’organisation sociale, dans la tradition de l’idéal socialiste. Dans cette perspective, nous voulons engager une refonte du partage des richesses, qui permette au travail de récupérer les 10 points de richesse nationale qui sont passés de ses poches à celles du capital depuis 20 ans. Salaires, retraites, services publics, il faut inverser la ligne actuelle.
3° la remise en cause du modèle productif dominant et donc l’instauration d’une véritable planification écologique du développement de notre pays.
4° la rupture complète et totale avec le modèle actuel de construction européenne. Cela implique l’arrêt du processus de ratification du traité de Lisbonne et la bataille pour une Europe où la loi est faite par et pour les citoyens.
5° Nous voulons apprendre du renouveau de la gauche en Amérique latine, plutôt que de l’Europe du Nord où se consomme le naufrage de la sociale démocratie. Pour nous la refondation républicaine de notre pays ne peut être séparée de nos objectifs sociaux. Nous voulons proposer aux Français une 6ème République parlementaire, fermement laïque et sociale.
Tout cela bien sûr n’est possible que si le Parti socialiste est totalement clair sur sa stratégie d’alliances. Le rassemblement d’une majorité de Français pour accomplir ce programme ne peut se faire dans la confusion des accords politiciens avec un secteur de la droite. Il ne peut donc être question de pactiser avec le Modem. Nos alliances doivent se nouer exclusivement à gauche et sans exclusive à l’égard de l’extrême gauche.
Si nous voulons et si nous proposons la clarté sur ces points, c’est parce que tous les signes convergent pour montrer que l’emballement du modèle capitaliste actuel conduit à grand pas à une crise économique, écologique, sociale et politique, vers les premiers déchirements pour la paix du monde. A l’heure où le capitalisme entre dans une crise aiguë, le Parti socialiste, pour être utile aux travailleurs et au pays, doit rompre avec son surmoi libéral, ses tentations centristes, ses partenariats en Europe avec des partis qui gouvernent avec la droite. Bref avec tout ce qui le rend partie prenante et complice actif d’un ordre du monde qui tourne mal.
Jean-Luc Mélenchon est 1er signataire de la contribution « Pour Réinventer la gauche », présentée par Trait d’union.
Marc Dolez est 1er signataire de la contribution « Debout la gauche », présentée par Forces Militantes.
Marc Dolez www.marc-dolez.net
Jean-Luc Mélenchon www.jean-luc-melenchon.fr
Dans l’ambiance idéologique de la déréglementation et du « libre marché » (ambiance d’ailleurs nourrie du texte même des divers traités européens) il était inévitable que la Commission Européenne attaque les métiers portuaires et qu’elle accorde à la manutention portuaire une attention particulière.
En effet, le travail portuaire et plus précisément la manutention est un secteur d’activité où dans tous les pays d’Europe (et même ailleurs) existent des traditions d’organisation et de lutte de la main-d’œuvre qui ont abouti à faire de ce travail un secteur réservé à une certaine catégorie de travailleurs : les dockers ; spécialisés et embauchés, selon des modes contractuels divers (à la journée, au mois...), par des entreprises elles-mêmes spécialisées. Cette notion même de travail « réservé » est, en elle-même, un concept insupportable pour les néo libéraux qui nous gouvernent. Pourtant elle a pénétré, d’une façon ou d’une autre, dans les conventions collectives, les codes du travail et même dans une convention internationale de l’OIT (Organisation Internationale du travail) signée en 1973 et ratifiée par de nombreux Etats de l’Union Européenne.
Il s’agissait donc, pour l’Union européenne, de s’attaquer à une corporation (sans connotation péjorative
s’agissant d’une profession soudée, ayant de fortes traditions de lutte et dans laquelle on fait généralement toute sa carrière) et d’ouvrir le travail portuaire au vaste marché libre de la main-d’œuvre ce qui aurait permis, concurrence entre ouvriers aidant, de faire baisser les salaires.
Dans ce cadre les dockers français ont obtenu le statut de « travailleurs intermittents à employeurs multiples » en 47, leur garantissant liberté et flexibilité (non subie) revendiquée, liée à de bons salaires - tout cela grâce à des structures syndicales fortes.
Les armateurs et la commission ont décidé que ça suffisait comme ça et ont voulu faire disparaître cette profession.
Cette offensive a commencé par le secteur de la marine marchande. Syndiqué mais éclaté par navire, il a été taillé en pièce au point qu’il est devenu l’archétype d’un MARCHE DU TRAVAIL MONDIALISE depuis la fin des années 90.
Des agences d’intérim (maning agencies) proposent des emplois par le biais d’enchères de salaires dégressives. Les conventions collectives sont démantelées; les salaires, payés en dollars et en liquide, sont des aumônes pour les marins des pays en voie de développement (que l’on dit) ou d’Europe de l’Est et en baisse de 40à 50 % pour les marins français, hollandais, allemands, souvent officiers. Les pavillons de complaisance représentent 70 % des immatriculations de navires. La France n’est pas en reste avec son Registre International Français (RIF) créé en 2005 qui a achevé de bafouer les acquis des marins. Mais l’hyperlibéralisme ne s’est pas arrêté en chemin.
En 89 M. Thatcher a ouvert les hostilités contre les dockers anglais, les plus nombreux en Europe (70.000 environ). 2 ans de lutte après, il en reste un peu plus de 10.000.
Les autres dockers ne se solidarisent pas avec les camarades anglais. Attaqués à leur tour dès 91 par des gouvernements socialistes, les français restent isolés et malgré 2 ans de lutte, l’effectif passe de 8400 à 4200. Licenciements synonymes de RMI, dépressions, divorces, suicides... pour beaucoup d’entre eux.
L’Espagne et l’Italie vivaient la même épreuve.
Les ports du Nord de l’Europe avaient un train d’avance ; le mal était fait depuis plusieurs années.
Car les attaques perdurent. La commission européenne s’en charge.
Il fallait faire baisser les coûts portuaires, on peut s’en étonner (sachant que le transport terrestre est 10 à 100 fois plus cher que le maritime à la tonne/km).
Or la manutention portuaire est un secteur combatif et organisé. Ce qui leur a permis de s’imposer sur les quais et les navires.
Donc, pour faire baisser les salaires, il fallait une mesure radicale : CHANGER DE SALARIES.
Les armateurs eurent l’idée de faire décharger leurs navires par les marins. Ce qui était impossible avec des marins à statuts devenait possible avec ce nouveau marché du travail mondialisé, employant des personnels précarisés.
La Commission appela ça, l’« Auto-assistance ». La compagnie maritime n’aurait plus besoin de dockers, elle pourrait se débrouiller avec les « moyens du bord » ; l’équipage.
Les dockers européens ont vite senti le danger. Pas question de revivre la défaite dans la division.
La bataille fut gagnée 2 fois, en 2003 et 2006 face au Parlement européen et sa Directive Maritime.
Mais coordonner des syndicats à l’échelle de l’ Europe pour agir ensemble était un véritable défi. Chaque pays s’étant battu, seul, sans soutien des autres dockers face aux attaques du patronat et des gouvernements.
En France, la CGT, à travers la Fédération nationale des Ports et Docks organise la très grande majorité de la profession mais des dissidences sont apparues au moment de la réforme portuaire de 1992 et se sont maintenues à Saint-Nazaire et à Dunkerque. A St-Nazaire une coopérative ouvrière fut créée, rompant avec la CGT, ce fut un échec. A Dunkerque, après une lutte fratricide entre dockers, une direction de collaboration de classe a triomphé.
Les équipes syndicales des autres ports restent combatives mais sectaires et corporatistes. L’influence du PCF s’étiole.
Seul Le Havre, 1er port de France se singularise. Dirigé par les anarcho-syndicalistes jusqu’au début des années 60, sa direction est devenue corporatiste jusqu’ à dériver depuis 90 vers des pratiques peu glorieuses pour le syndicalisme.
Il existe pour les transports une structure pour la grande majorité des fédérations professionnelles de transport (l’ETF) avec un secrétariat portuaire.
Mais, fondée par l’ITF (International Transport Fédération), issue de la guerre froide, elle ne satisfaisait pas les syndicats les plus à gauche.
Dans l’urgence, la FNPD (Fédération nationale des ports et docks CGT), la fédération espagnole libertaire (au passage, signalons que Barcelone est le seul port où des femmes dockers sont employées) et quelques autres créent la Fédération alternative internationale des dockers.
Elle a des adhérents aux USA et en Amérique du Sud depuis peu.
Elle organisa la riposte:
Maintien d’une mobilisation permanente des dockers européens.
Organisation de la coordination syndicale européenne.
Suivi des travaux du Parlement concernant les dockers. Lobbying intense
Organisation de grèves et manifestations de masse combatives.
Par deux fois la Directive maritime fut rejetée. Notamment, suite à l’eurogrève de janvier 2006, impliquant 50 ports et 40. 000 dockers. Les vitres du Parlement européen s’en souviennent.
Rejetée, certes, mais attention à l’AGCS (accord général sur le commerce des services) dans le cadre duquel l’UE a offert ses transports maritimes à la libéralisation.
Les dockers ont été défaits, mais d’autres métiers cœxistent dans les ports et qui sont dans l’œil du cyclone.
Les travailleurs des ports autonomes.
Les travailleurs des services technico-nautiques (remorquage, lamanage, pilotage).
Les remorqueurs, souvent par 2 aident le navire à entrer dans le port. Le pilote connaît les pièges inhérents à chaque port et guident le commandant. Dans leurs embarcations les lamaneurs recueillent les amarres et les fixent au quai.
Les premiers font partie d’un établissement public employant des personnels de droit privé; en clair, ces salariés bénéficient de la sécurité de l’emploi.
Les armateurs intervenant au Havre et Marseille se sont vu offrir des terminaux ultra-modernes (Port 2000, Fos 2 XL) qui leur sont dédiés. Ils veulent en exclure les dockers et « acquérir » les portiqueurs au sein de leur personnel, aux conditions sociales que l’on imagine.
Les 7 ports autonomes (Dunkerque, Le Havre, Rouen, Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, Marseille) s’opposent à cette privatisation depuis deux ans avec les équipes syndicales CGT.
Les seconds sont menacés à leur tour. Au Havre, « les Abeilles », la compagnie historique de remorquage, s’est vue « concurrencée » par un nouvel opérateur venu de Hollande.
D’anciens patrons pêcheurs font office de capitaines au lieu de ceux issus de cinq ans de formation dans les écoles, réputées, de la marine marchande.
Les conventions collectives sont piétinées et la sécurité non observée.
Les grèves regroupant les personnels des deux compagnies se succèdent afin que ce nouvel intervenant s’adapte au mieux-disant social.
La Commission européenne a de plus pointé sa volonté de disparition du pilotage des navires comme une évidence liée aux nouvelles capacités techniques des navires.
Les lamaneurs, organisés en coopérative ouvrière, seront à terme mis en concurrence.
Les dockers, bien que défaits et mensualisés (contre leur gré), avec 4000 licenciements et des conditions de travail revues à la baisse, avec près de 400 morts de l’amiante au Havre, réussissent cependant à éviter le pire, la disparition de leur métier.
Ils se battent régulièrement pour exiger un départ à 55 ans et imposer l’embauche des jeunes dockers non titulaires. Mais la grève des portiqueurs pose problème à la direction syndicale du Havre (pas sur Marseille, semble-t-il) car les armateurs exercent un chantage et sautent l’escale du Havre. Donc le trafic baisse (de 30 % depuis le début de la grève des portiqueurs), et se pose la question du licenciement d’une partie des dockers.
Or, portiqueurs des ports autonomes et dockers appartiennent à la même structure, la Fédération Nationale des Ports et Docks CGT). Le néolibéralisme arrive à instiller le poison de la division, et provoque des affrontements, qui peuvent être physiques, au sein d’un ensemble de salariés que tout uni depuis des lustres.
Les personnels des deux compagnies de remorquage, quant à eux, sont soudés et combattent comme ils peuvent.
Cette attaque contre des corps de métiers n’est pas unique; elle exige, comme ailleurs, pour la riposte et la reconquête des droits perdus, un haut niveau de mobilisation et d’unité. Il faudra également s’attacher à la rotation des mandats au sein des équipes syndicales afin d’éviter des dérives préjudiciables aux salariés, comme à la lutte.
Cette mobilisation est, hélas, encore à construire !
Wilfrid Pasquet
Wilfrid Pasquet
Ce qui est intéressant avec le président Sarkozy, c’est que parfois il dit tout haut ce qu’il pense tout bas. Le 8 janvier dernier, au cours de sa conférence de presse, les journalistes accrédités ont ainsi appris en quelle estime il les tenait : quand vous êtes à mes basques, leur a-t-il lancé en substance, c’est que je vous ai sifflés, sinon vous ne m’approchez pas.
C’est au tour des syndicats de comprendre ce qu’il entend par dialogue social. Déjà, l’accord hybride sur la représentativité syndicale et les expérimentations locales de dépassement des 35 heures signé par le Medef, la CFDT et la CGT leur en avait donné une idée : il a été unilatéralement déchiré par le gouvernement en juin. Et voici que devant le conseil national de l’UMP, samedi 5 juillet 2008, le président de la République a déclenché rires et applaudissements dans la salle en se moquant de la grève : « La France est en train de changer, a-t-il déclaré, elle change beaucoup plus vite et beaucoup plus profondément qu’on ne le croit : désormais quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit. » Les syndicats crient à la provocation. Il est bien temps de gémir.
Car a-t-on jamais entendu président de la République, garant du respect de la Constitution, oser ridiculiser publiquement un droit démocratique conquis difficilement qui a contribué à édifier une société française plus humaine. Même la Révolution française n’en a pas voulu : ses artisans étaient traumatisés par les entraves qu’accumulaient les corporations sous l’Ancien Régime. Et s’il faut attendre 1864 pour que la grève cesse d’être un délit, elle reste une rupture de contrat pouvant justifier le licenciement du gréviste. Ce n’est qu’en 1946 que le droit de grève finit par être inscrit dans le préambule de la Constitution de la IVe République, soit après deux guerres mondiales. La Constitution de 1958 a intégré ce préambule.
Ainsi, avant d’être un droit, la grève a été pendant près de deux siècles un des seuls moyens efficaces à la disposition de ceux qui ont, comme seules ressources, leur travail et sa cessation momentanée pour faire pression sur leur patron. C’est à elle qu’ils ont dû des augmentations de salaire, la diminution du rythme des cadences, l’accroissement de la sécurité dans l’entreprise, la réduction du temps de travail ou parfois l’annulation d’un licenciement.
Et forcément, ces conquêtes n’ont pu être obtenues par la seule philanthropie patronale et gouvernementale : elles n’ont été arrachées que sous la contrainte parce que, dès l’origine, la grève dérangeait tout le monde et les grévistes en premier lieu qui ne percevaient plus leur salaire. Une grève n’est jamais une partie de plaisir, mais le dernier recours pour un enjeu jugé vital.
Le patronat comptait justement sur « le pourrissement » du mouvement par l’épuisement des grévistes pour qu’ils reprennent le travail au plus vite. À défaut, toutes les manœuvres étaient bonnes : la fermeture de l’entreprise, le licenciement, la division du personnel, l’intimidation par des milices patronales. L’armée pouvait même être envoyée pour déloger les grévistes qui parfois occupaient les lieux de travail, et « rétablir l’ordre public » qui, lui, n’était pas dérangé par des horaires de travail épuisants et des salaires de misère.
L’efficacité d’une grève tenait donc obligatoirement à son pouvoir de nuisance. Si elle perturbe la production, la vie de l’entreprise, voire celle d’une région ou d’un pays, alors, bon gré mal gré, les patrons et les gouvernants sont obligés d’en tenir compte. Si, en revanche, elle n’incommode que ceux qui la font, elle ne sert à rien ? Et on peut en rire avec le conseil national de l’UMP.
C’est cette grève indolore et inutile que le président de la République vient de saluer.
Est-ce à dire que l’augmentation des salaires, la limitation du temps de travail et l’amélioration des conditions de travail n’ont plus besoin de ces confrontations d’un autre âge pour être acquises ? Suffit-il donc désormais entre gens responsables et généreux de s’asseoir autour d’une table et de négocier ? On peut en douter, à en juger par la manière dont le gouvernement a roulé deux syndicats en ne tenant aucun compte d’un accord signé avec le patronat sur les expérimentations locales de dépassement des 35 heures qu’un projet de loi a généralisées.
Que reste-t-il donc à faire aux salariés ? Subir sans mot dire le démantèlement méthodique de la protection sociale qui a été si longue à édifier ? Se féliciter des augmentations de salaires phénoménales que s’attribuent chaque année les grands patrons, de leurs parachutes et retraites dorées ? Servir de claque à une cohorte de parvenus qui exhibent leur richesse à la télévision ? Et entendre sans broncher un conseil national de l’UMP rire et applaudir aux railleries du président de la République contre la grève devenue indolore ? Oui, sans doute, jusqu’à ce que, le fond ayant été touché, une grève d’un autre genre, car douloureuse celle-là, vienne leur rentrer leur rire dans la gorge, à ces nantis qui ont tout oublié ou rien appris.
Paul Villach www.agoravox.fr/auteur.php3?id_auteur=4929
De retour. Je reprends mes habitudes. A commencer par l’observation du gavage des crânes par le vingt heures à la télé. Je tombe sur la cérémonie finale des jeux de Pékin. Le présentateur retrouve le ton du persiflage anti chinois qui s’était un peu effacé ces temps derniers. Si cette arrogance me peine ce n’est pas parce qu’elle surprend mais parce qu’elle est devenue banale. La violence des clichés qu’elle contient est banalisée. Donc elle finit par faire partie de ces préjugés qui vont de soi et qui sont d’autant plus dangereux qu’on n’en a pas conscience. Qui a lu dans « Le Monde » les articles sur la prostitution à Pékin ou l’état des toilettes publiques en Chine sait qu’elle est sans aucune limite de décence. Qui a pris la mesure de la provocation du Dalaï lama annonçant mensongèrement 140 morts au Tibet la veille de la cérémonie de clôture des jeux comprend qu’il n’y a plus de limite dans la désinformation irresponsable. On s’userait à démonter et à démontrer. N’empêche. La Chine vient de signer son entrée dans le cercle des maitres du monde, en tête de tous les domaines de performance de notre temps. Et le matraquage semi raciste qui aura accompagné l’évènement dans les médias français ne nous aide pas à penser cette nouvelle situation pour y trouver une place raisonnable. Constatons que l’opinion est dressée à penser dans les seuls termes de l’affrontement entre « l’occident », démocratique et bienveillant, et le reste du monde, hostile et incertain. Mentalité de guerre. L’épisode médiatique qui accompagne les événements du Caucase aggrave lamentablement ce manichéisme. Car du point de vue des valeurs qui nous font suspecter le gouvernement Russes nous devrions vomir le gouvernement géorgien. Le dressage prévoit à l’inverse que nous devons dénoncer les russes et soutenir le misérable gouvernement géorgien. Les Ossètes n’arrivent à être ni des tibétains ni des kosovars aux yeux de la bien pensance officielle. Et le semi dictateur géorgien Mikhaïl Saakachvili devrait être notre héros. Le « deux poids deux mesures » bat son plein. Et comme on le sait deux poids de mesure ce n’est ni poids ni mesure. Mais si j’en juge par les questions que l’on m’a posées dans la rue pendant ma semaine de tourisme parisien, je commence à croire que tout le monde n’est plus dupe. Une part de plus en plus large de l’opinion se méfie dorénavant par principe des embrasesemnts médiatiques mais surtout s’inquiète de la violence que ce système contient et prépare.
Les gens s’inquiètent. A mesure que se révèlent dramatiquement les points de tensions de l’architecture géopolitique du monde, les citoyens prennent conscience qu’il leur faut commencer par comprendre ce qui se passe. Sinon comment se faire une appréciation ? Et comment prendre sa part à ce qui doit être décidé le moment venu? Cette exigence personnelle doit être respectée. Sans elle la démocratie républicaine est une abstraction. J’espère avoir été assez clair dans l’expression de cette idée pour passer à son corollaire en étant compris. Le principal problème que posent les évènements auxquels nous sommes confrontés est la manière avec laquelle nous en avons connaissance. Le principal problème de la guerre en Afghanistan, en Ossétie et en Géorgie ou de ce qui se passe au Tibet est la manière dont nous en sommes saisis par les médias de référence qui martèlent en boucle les cerveaux. Nous avons besoin d’informations, de tableaux factuels, ils nous servent de la propagande. Nous aurions besoin de débats argumentés, ils mettent en place des jeux de rôle entre gentils et méchants. L’affaire géorgienne l’illustre après combien d’autres. La scène réelle a tout simplement été entièrement reformatée par le message médiatique dominant. Le président géorgien Saakachvili est élu dans des conditions que l’opposition de son pays dénonce partout, les législatives se déroulent sous état d’urgence, l’unique télé prive est occupée par l’armée (mais était donc passé Robert Ménard ?) et il n’y a qu’un seul député d’opposition élu. Mais ce serait là le camp de la démocratie. C’est le président de la Géorgie qui fait bombarder son propre pays en Ossétie. Mais ce serait lui l’agressé. La population se défends les armes à la main contre l’invasion géorgienne mais ce sont les russes qui sont qualifiés d’envahisseurs.. Ainsi amnistié pour le passé et le présent, tout est alors permis y compris ce qui d’habitude n’est pas du tout toléré pour bien moins que ça. Le correspondant sur place du journal « Le Monde », Piotr Smolar donne d’inquiétantes informations (22 aout 2008) qui dans n’importe quel autre contexte soulèveraient des tempêtes. « Deux quartiers portent les stigmates des obus : celui de la gare et celui autour du centre culturel juif réduit en cendres. En écoutant les habitants qui dépeignent tous les russes en sauveurs et les géorgiens en bourreaux, on entend deux histoires différentes; celles des hommes vécue à l’air libre et celle des femmes sous terre; celle des combattants, civils ou militaires qui ont défié les troupes géorgiennes avant l’arrivée des russes et celle des personnes réfugiées dans les caves des maisons et des immeubles pendant que toute la ville tremblait sous l’effet des bombardements. Le quartier juif se trouve à quelques centaines de mètres des bâtiments de l’administration, cible prioritaires de l’artillerie géorgienne. Difficile de comprendre comment les maisons ont été pulvérisées. » Cette résistance de la population ossète face aux troupes géorgiennes, cet antisémitisme meurtrier que décrit sur place le correspondant du journal « Le Monde » où en trouve-t-on écho ailleurs ? Ou était donc passé BHl et les autres chiens de garde de l’indignation politiquement correcte ? Ou était Laurent Joffrin et son journal qui dénonçait sur une page l’antisémitisme de Chavez pour quatre mots dans un discours de noël traduits à contre sens ? Justement, se taire dans ce cas là c’est faire la part de tache qui leur revient dans la pmropagande de guerre.
Quand on présente ces données dans un de ces diners d’amis en vacances qui sont le chic de la vie des militants politiques de gauche, il y a toujours quelqu’un pour se faire le porte parole de l’air du temps et jouer les raisonnables à bon compte : « Peut-être bien que ces géorgiens ne sont pas nets, mais quand même les russes ne sont pas des saints non plus ! ». J’ai déjà connu ça à propos du Dalaï Lama : « peut-être bien que c’est un réactionnaire théocrate mais les chinois tout de même ! ». La figure du méchant est irréductible. Sa perversité intrinsèque vaut amnistie pour toutes les turpitudes de celui qui l’affronte. Ce reflexe mental emprunte au racisme son mécanisme essentiel : l’autre est radicalement autre en tous points, dans tous les cas et pour toujours. Il est donc inutile de réfléchir à son sujet notamment s’il s’agit de noter ce qu’il partage avec nous de positif. Et pire s’il s’agit de constater que ce qu’il fait de mauvais est exactement ce que nous faisons de notre côté également. De cette façon nous sommes invités ou plutôt entrainés dans des solidarités d’autant plus prégnantes qu’elles sont énoncées d’une manière subliminale. Nous sommes avec les uns quoiqu’il arrive parce que « tout de même, les autres… ». Nos nobles sentiments de compassion humaine et d‘amours des valeurs essentielles de liberté et de respects des droits de l’homme sont ainsi régulièrement invités à monter en selle sur de discutables montures que nous gagnerions pourtant à examiner de plus près. Un bilan raisonné de ce qui se passe dans le Caucase ne permet pas d’adhérer à la mise en scène anti russe et pro géorgienne à laquelle nous sommes médiatiquement exposés. Du point de vue de nos valeurs, le gouvernement géorgien ne mérite que notre dégout. Parallèlement, rien de ce que font les russes ne peut être mis en cause sans que nous soyons obligés de prononcer la même critique à propos des choix et décisions pris au Kosovo ou en Irak. Le dire ce n’est pas choisir un alignement contre un autre. C’est préférer la lucidité sans laquelle on ne peut plus être maitre de soi-même ni libre de ses choix. Je sais bien qu’une telle pondération n’est pas à l’ordre du jour. Je n’ai fais ce détour que pour signaler comment, à mon avis, on devrait se poser le problème si on voulait vraiment le placer sur le terrain de la morale et des principes. Mais bien sur ce n’est pas de cela dont il est question. Dans le monde de du « choc des civilisations » qu’orchestrent les Etats unis d’Amérique, la morale et les principes sont l’équivalent médiatique de la tenue de camouflage dans l’infanterie. Ils doivent s’adapter au cadre. Ce n’est pas nouveau. Cela s’est passé de la même façon à chaque période de guerre, partout et de tout temps. Seuls les naïfs de notre temps ont cru qu’ils en seraient exempts : « à notre époque ce n’est pas possible de manipuler comme autre fois » pensent les télé-gavés.
Mieux vaut examiner les enjeux concrets de la montée des tensions au Caucase si l’on veut chercher une axe de travail pour la paix. La politique des russes est gouvernée par la riposte à la pression que les USA ont immédiatement fait peser sur eux, dès la chute de l’URSS. Ceux-ci ont non seulement immédiatement pesé pour le démantèlement des marches de l’anciens empire et leur annexion au système « occidental » mais organisé ensuite concrètement une longue série de mesures destinées à diminuer durablement les moyens de la Russie pour l’avenir y compris comme puissance régionale. D’un côté ils ont instrumentalisé l’expansion de l’Union européenne vers les pays de l’Europe de l’est. Deux pierres d’un coup : l’union y a perdu toute cohérence politique en intégrant dix pays d’un coup, de l’autre leur adhésion préalable à l’OTAN a permis sans autre justification de pérenniser une alliance militaire qui était pourtant censé n’avoir plus d’objet avec la fin de la guerre froide. Sans trêve l’encerclement de la Russie a été, pas à pas, étendu. Localement par l’appui à des regroupements régionaux ouvertement mal disposés à l’égard de la Russie. Par exemple le groupe Mer Noire-Caucase, le GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie). Mais aussi beaucoup plus ouvertement et agressivement en soutenant l’adhésion à l’OTAN de la Géorgie et de l’Ukraine. Une pure provocation. Il est alors intéressant de se souvenir que ces adhésions ont été repoussées par les français et les allemands au dernier sommet de Bucarest. Dans ce contexte, la provocation géorgienne est alors une vraie opportunité. Car depuis lors, les allemands ont changé de point de vue et il est peu probable que Sarkozy reste en retrait. Il y a ainsi plusieurs "heureux concours de circonstances" à la suite des événements dans le Caucase. Ainsi les polonais ont fini par accepter l’installation chez eux des stations de missiles anti missiles américains dont ils ne voulaient plus depuis quelques temps. Ces systèmes d’armes, les russes ont toujours refusé de croire qu’elles soient vraiment destinées à se défendre des iraniens comme le prétendent les américains… Au bout du compte, dans ce tableau il ne faut pas oublier ce qui en est l’enjeu concret et immédiat, c’est-à-dire à l’instrument de puissance qu’est la maitrise des richesses naturelles. Et surtout de l’énergie. On peut dire que le tracé des oléoducs a été particulièrement significatif, au prix de contournements spectaculaires. Ainsi de l’acheminement du pétrole et du gaz de la Caspienne et de l’Asie centrale en contournant la Russie par des tuyaux géopolitiquement corrects Caspienne-Méditerranée, Bakou-Tbilissi-Ceyan (pétrole) et Bakou-Tbilissi-Erzeroum (gaz). Pour quelle raison « l’occident » fait-il tout cela ? Quel problème pose le retour de la puissance russe ? Seulement ceux de l’existence d’un monde multipolaire. Cette perspective est pourtant celle qui convient à l’intérêt de la France autant qu’à une pensée pacifique sur notre temps. D’abord parce que c’est elle qui garantit notre propre indépendance et celle de l’Europe. Ensuite parce que c’est celle qui est conforme à l’évolution du monde ou de nouvelles grandes puissances émergent. Imagine-t-on toutes les contrer par des mesures de force ? On ne doit pas laisser les images de la période de la guerre froide envahir l’espace de la réflexion sur le présent. La Russie actuelle est une grande puissance qui revient. C’est une économie capitaliste. La compétition avec elle n’a pas de contenu idéologique objectif. Choisir le mode de la violence et des méthodes de guerre contre elle signifie que nous décidons d’inscrire tout l’avenir du monde dans cette logique. Exactement comme cela est fait avec la Chine sous prétexte de Tibétains. Et ainsi de suite. C’est la logique du « choc des civilisations ». Dans ce genre de situation la prime va sans cesse aux plus provocateurs et aux plus violents. Il est absurde de se mettre dans leurs mains. Saakachvili a organisé l’agression contre l’Ossétie pour répondre à des problèmes de politique intérieure. Faut-il l’en féliciter ? Quand les états baltes, membres de l’union européenne se précipitent à Tbilissi pour manifester leur solidarité doit-on accepter que l’union européenne soit entrainée par eux dans cette direction belliqueuse. Et d’ailleurs devra t on toujours fermer les yeux sur leur propre politique ethnique et linguistique ? Au total, il est vain, inutile, contreproductif et dangereux d’affronter la Russie. Ce pays doit être compris, ses intérêts respectés et avec lui la règle doit être la négociation et la coopération plutôt que les tentatives d’intimidation et d’encerclement. (...)
Voir cet article sur son site d'origine
Jean-Luc Mélenchon www.jean-luc-melenchon.fr
Comme souvent, cet article n’a rien de réjouissant. Sari Nusseibeh, symbole par excellence de la modération du côté palestinien, auteur d’un plan de paix avec Ami Ayalon sur le principe de deux peuples, deux Etats, doute aujourd’hui de la faisabilité de ce principe. Même lui ! Si l’avenir lui donne raison, les gouvernements israéliens successifs devront s’interroger sur leurs responsabilités, qui sont très lourdes. Ils auront tué dans l’œuf toute chance d’un accord de paix raisonnable et équitable.
L’interview est longue et passionnante, comme d’habitude avec Nusseibeh. Il va au fond des choses, sans langue de bois, sans crainte de choquer, et analyse les perspectives d’avenir avec lucidité.
Nusseibeh pose un ultimatum. Quand cet ultimatum est prononcé par quelqu’un comme lui, il faut faire attention, très attention.
La Paix Maintenant
Traduction : Gérard Eizenberg, pour La Paix Maintenant
A la fin de mon entretien avec Sari Nusseibeh, dans l’hôtel American Colony à Jérusalem Est, le très respecté président de l’université Al-Qods - et co-auteur de l’initiative « La Voix des Peuples », un plan de paix formulé conjointement avec Ami Ayalon, ancien chef du Shin Bet[1], dit qu’il ne serait pas surpris si un habitant palestinien de Jérusalem se présentait aux élections municipales de novembre prochain. Ce candidat ne se présenterait pas en tant que représentant de la seule Jérusalem, mais au nom de tous les Palestiniens des territoires occupés, souligne Nusseibeh.
"Alors, pourquoi ne le faites-vous pas ?". Sari Nusseibeh, 59 ans, fils d’Anouar Nusseibeh, ancien ministre jordanien, ne sourit pas. "C’est possible", dit ce professeur de philosophie musulmane, qui a brièvement remplacé Fayçal Husseini, il y a quelques années, en tant que représentant palestinien de Jérusalem Est au sein du gouvernement palestinien. "Tout est possible."
L’opinion de Nusseibeh selon laquelle le « château de cartes » d’Oslo avait commencé à s’effondrer s’est confirmée cette semaine. En effet, selon Ha’aretz (information non démentie par le cabinet du premier ministre, ndt), Olmert avait fait une dernière offre de paix : Israël annexerait 7 % de la Cisjordanie compensés par un territoire dans le Néguev qui représenterait 5,5 % de la Cisjordanie ; un accord sur l’avenir de Jérusalem serait reporté à plus tard ; il n’y aurait pas de droit au retour de réfugiés palestiniens en Israël ; tout ce plan ne serait mis en œuvre qu’une fois le Hamas éjecté du pouvoir dans la bande de Gaza.
Nusseibeh dit très bien savoir ce qui se passe au cours des négociations ou, plus précisément, ce qui ne se passe pas. Pendant plus de 20 ans, la direction palestinienne a tenté de convaincre son peuple d’accepter un Etat dans les frontières du 4 juin 1967, alors qu’Israël anéantit cette option. Nusseibeh explique : "On ne peut pas négocier un accord définitif sans parler de Jérusalem. Cet accord comprend en premier lieu, je pense, Jérusalem et les réfugiés. Si l’on remet Jérusalem à plus tard, on remet à plus tard les réfugiés. En réalité, on ne traite pas le problème. Il faut discuter de ces questions, et c’est là exactement que le marchandage doit avoir lieu."
Sari Nusseibeh, le Palestinien laïque, le symbole de la modération, le partenaire d’Ami Ayalon, est-il en train d’enterrer la solution à deux Etats ?
"Je suis toujours en faveur d’une solution à deux Etats et je persisterai, mais dans la mesure où l’on se rend compte qu’elle n’est plus pratiquable ou bien que cela n’aura pas lieu, on commence à réfléchir aux alternatives. J’ai le sentiment qu’il y a deux trajectoires opposées. D’un côté, il y a ce que les gens disent et pensent, des deux côtés. On a l’impression que le temps va bientôt manquer, que si l’on souhaite une solution à deux Etats, il faut qu’elle intervienne très vite. Mais de l’autre, si l’on observe ce qui se passe sur le terrain, en Israël et dans les territoires occupés, on voit que les choses prennent une direction inverse, comme si elles étaient déconnectées de la réalité. La réflexion va dans une direction, la réalité dans une autre."
Pour Nusseibeh, la lutte pour une solution à un seul Etat pourrait prendre une forme qui ressemblerait à certaines des luttes non-violentes menées par des groupes ethniques opprimés, ailleurs : "Nous pouvons nous battre pour l’égalité des droits, le droit à l’existence, le retour et l’égalité, et il pourrait y avoir un mouvement pacifique, comme en Afrique du Sud. Je pense que, du côté palestinien, il faudrait peut-être commencer à débattre et à reprendre l’idée d’un Etat unique."
Nusseibeh continue : "Ces 15 dernières années, nous avons échoué. Nous n’avons pas créé le monde que nous souhaitions. Nous étions censés être très intelligents. Nous nous sommes persuadés que nous allions être très démocratiques, très propres, un modèle pour le reste du monde arabe. Et que Jérusalem allait être notre capitale. Voilà en quoi nous croyions. Mais il s’est révélé que tout cela était parfaitement idiot. Jérusalem est out, tout ce que nous avons, c’est Ramallah. Et nous avons perdu Gaza. Il y a la corruption et l’inefficacité. Ce n’est pas ce à quoi nous nous étions engagés quand, au début des années 80, nous avions idéologisé la solution à deux Etats."
"Il se trouve que le Fatah, en particulier, le parti du centre et la seule alternative viable aux extrêmes, de gauche ou de droite, a aujourd’hui besoin d’une stratégie, d’une idéologie. Parce que l’idéologie que le Fatah a adoptée depuis 15 ans (une solution à deux Etats) est en train de vaciller, et que le Fatah vacille avec elle. Il est donc temps de repenser, de ramener le Fatah à la nouvelle idée, ancienne-nouvelle, d’un Etat unique."
Le récent « terrorisme au bulldozer » à Jérusalem ne souligne-t-il pas les difficultés inhérentes au modèle d’un Etat bi-national ?
"Ce sont des incidents isolés, mais, en effet, ils reflètent une maladie grave de la société arabe de Jérusalem. Une maladie qui a entraîné pression et schizophrénie, le fait que les gens parlent hébreu, écoutent des chansons en hébreu, sortent avec des petites amies israéliennes, alors qu’en même temps, ils vivent dans des quartiers arabes et sous l’influence de la culture musulmane. Ils sont soumis à des forces contradictoires."
Quelle est la force motrice derrière une solution à deux Etats ? Le fait qu’elle semble plus acceptable à une majorité de gens des deux côtés et donc plus appliquable. La motivation première est de minimiser la souffrance humaine. C’est ce que nous devons tous rechercher. Si la solution à un seul Etat devait intervenir, cela ne se fera pas en un jour. Ce serait très long, et ce ne serait pas la solution idéale. La meilleure solution, celle qui causerait le moins de souffrances et pourraitt être appliquée, est d’avoir la paix maintenant, l’acceptation mutuelle sur la base de deux Etats. "
Est-ce un ultimatum ?
"Absolument, c’est un ultimatum. A mon avis, si une percée majeure n’intervient pas avant la fin de cette année, nous devrons commencer à nous battre pour l’égalité. Dans les années 80, avant la première Intifada, je disais que le corps politique palestinien était schizophrène. C’était comme si la tête allait dans un sens, celui de la recherche de l’indépendance, de l’identité nationale, alors que le corps s’immergeait lentement dans le système israélien, et je disais que cela ne pouvait pas durer parce que cela allait casser. Soit le corps se joindrait à la tête et il y aurait une campagne de désobéissance civile, soit la tête devrait se joindre au corps, et il y aurait alors une campagne pour l’égalité des droits civiques avec pour objectif de faire partie du système israélien."
"Dans 50, 100, 200 ans, il y aura une fin quelconque. Un jour ou l’autre, aussi lointain que paraisse cet avenir, je pense que nous vivrons en paix les uns avec les autres, d’une façon ou d’une autre. Je ne sais pas bien comment, dans un ou deux Etats, ou dans une confédération d’Etats, mais les gens finiront pas vivre en paix. Entre-temps, nous ne ferons que nous infliger des souffrances. C’est une tragédie, une immense tragédie, parce que nous savons que nous pouvons le faire dès maintenant. Qu’aujourd’hui, avec un peu de courage, de leadership et de vision, nous pouvons le faire arriver aujourd’hui, nous pouvons parvenir à une solution pacifique dès aujourd’hui. L’initiative de paix arabe proposée en 2002[2] représente une chance fantastique. Les Palestiniens l’ont adoptée, ils iront jusqu’au bout. C’est une chance parfaite. Elle ne mentionne même pas le droit au retour. C’est même mieux que le plan Ayalon-Nusseibeh, je suis prêt à l’accepter. "
Quand on lui demande pourquoi lui - si conscient de la difficulté de parvenir à une solution équitable et logique sur Jérusalem - est opposé à l’idée d’Olmert de remettre à plus tard la discussion sur cette question, Nusseibeh dit espérer que le premier ministre israélien ne répète pas la même erreur d’Ehoud Barak à Camp David, et que l’idée du report ne répond qu’à des fins de communication.
"Parce que pour Israël, quelle que soit l’importance de Jérusalem, le facteur essentiel est le caractère juif de l’Etat. Et que, quelle que soit l’importance des réfugiés, ce qui est le plus important pour les Palestiniens et les musulmans, c’est Jérusalem. C’est là-dessus que les plus extrémistes des réfugiés seront prêts à faire un sacrifice. Espérons que ce n’est pas là qu’Olmert et Abbas sont en désaccord, sinon ce serait sans espoir. C’est maintenant que nous devons tout faire, mettre tout sur la table."
"Les faits sur le terrain rendent la situation irréversible", avertit Nusseibeh. "Prenez les paramètres Clinton : les quartiers palestiniens sont sous souveraineté palestinienne, les quartiers juifs sous souveraineté juive. Ces paramètres sont acceptables sur le principe, mais avec les faits sur le terrain, comme l’expulsion de familles arabes de leurs maisons dans le quartier de Sheikh Jarrah et l’occupation de ces zones par des colons juifs, ils vont devenir inacceptables sur le plan pratique. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas le temps."
Vous avez créé certains remous au sein de la direction palestinienne quand, récemment, vous avez demandé aux Européens de stopper l’aide à l’Autorité palestinienne (AP). Quelqu’un s’est même demandé si vous ne souhaitiez pas renoncer à l’aide apportée à votre université Al-Qods.
"La réaction de Ramallah a été un peu inquiète. Ils m’ont appelé plusieurs fois, assez inquiets. " Nusseibeh ajoute que l’AP est toujours gangrenée par la corruption (différente de celle dont Olmert est accusé). Les pays donateurs subventionnent des milliers de salariés d’ONG, ce qui crée une dépendance malsaine vis-à-vis d’entités étrangères : "Nous sommes dans une situation horrible. Notre bible politique, notre programme, nos valeurs morales, il faut que nous nous reprenions. Si ce n’est pas pour créer un Etat, au moins pour notre santé mentale et pour nos valeurs en tant que peuple. Hormis à Rammalah, tout le vit dans de très mauvaises conditions. L’occupation est terrible, le siège est partout, la pression. Actuellement, les Européens financent l’occupation. Et ils sont contents parce qu’ils sentent qu’ils font quelque chose, cela soulage leur conscience. Et les Israéliens sont contents parce que ce ne sont pas eux qui payent. Et les Palestiniens sont contents parce que leurs salaires sont payés. L’économie continue à fonctionner, et les gens s’en contentent. Mais c’est de l’argent mort qui court après de l’argent mort."
Nussibeh raconte une entrevue récente avec le premier ministre britannique Gordon Brown au consulat britannique à Jérusalem, avec quatre autres Palestiniens, entrevue au cours de laquelle Brown déclarait qu’il aimerait jouer un rôle plus central dans le processus de paix que celui d’une caisse enregistreuse. "Je lui ai dit, je voudrais vous dire ce que vous pouvez faire pour passer d’un rôle de payeur à celui d’un joueur : conditionnez vos versements à des progrès tangibles dans le processus de paix." Il y a peu, continue le professeur, "j’étais à Bruxelles. J’ai dit aux Européens : si vous voulez verser de l’argent, faites-le seulement à la condition que nous bâtissions un Etat, auquel cas cela a du sens que vous dépensiez de l’argent pour nous construire un aéroport. Mais si, au bout du compte, il ne va pas y a voir d’Etat palestinien indépendant, pourquoi gaspiller votre argent ? Gaspillez-le, si vous le devez, pour nous intégrer à la société israélienne. Cela a davantage de sens. Donnez de l’argent pour nous permettre de faire partie de la société israélienne, d’avoir des droits égaux. Elevez notre niveau d’éducation, notre niveau de vie. Mais que l’AP prenne tout cet argent et crée toute cette dette, cela n’a aucun sens. Peut-être les Européens doivent-ils lier leurs aides à de réels progrès dans les pourparlers de paix, pour créer un choc et que les Israéliens et les Palestiniens sortent de leur complaisance, de leur absence de courage."
Que pensez-vous du soutien grandissant chez les Palestiniens d’un démantèlement de l’AP ?
"L’AP ne sert à rien. Si nous ne parvenons pas à un accord de paix avant la fin de l’année, je pense qu’il vaudrait mieux revenir à la période où nous vivions heureux sous occupation. Nous avions une petite Administration civile[3], le Trésor israélien gagnait environ 20 millions sur nous. Aujourd’hui, nous creusons d’énormes déficits, année après année. Nous dépensons des milliards, nous avons 160 000 fonctionnaires, dont la moitié dans la sécurité, qui ne nous apportent aucune sécurité d’aucune sorte, nous dépensons des sommes énormes sur des armes que nous n’utilisons que les uns contre les autres et qui ne nous apportent aucune sécurité non plus. C’est le foutoir absolu."
Nusseibeh dit que jusqu’aujourd’hui, les Palestiniens s’étaient opposés à toute participation aux élections municipales de Jérusalem par crainte de nuire au lien entre les Arabes de Jérusalem Est et les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Maintenant, compte tenu de l’amenuisement des chances d’une solution à deux Etats, il est peut-être temps pour les Palestiniens de reconsidérer la question : "Pourquoi les habitants (arabes) de Jérusalem devraient-ils se rattacher à la Mouqata, à Ramallah ? Il n’y a aucune raison. L’élection municipale de Jérusalem pourrait servir de point de lancement de la lutte pour l’égalité des droits dans un Etat bi-national. Nous commençons par Jérusalem, non comme une entité en soi, mais comme un fer de lance de tout le corps palestinien. Pourquoi pas ? Pourquoi ne pas faire de la faiblesse une force ? "
Etes-vous déçu par le camp de la paix israélien ? Votre partenaire Ami Ayalon, qui a rejoint le gouvernement que vous accusez de prendre ses distances avec vos propositions, vous a-t-il trahi ?
Je respecte Ami Ayalon. C’est quelqu’un de très intègre, c’est quelque chose chez lui qui m’a toujours attiré. Ce n’est pas une trahison envers ma personne. Je considère cela comme la soumission ultime de l’individu à la roue de l’Histoire. On atteint un point où l’on ne se sent plus capable de faire ce qu’on souhaite, de diriger les roues dans le sens qu’on souhaite. Et l’on se soumet, on devient une partie de la machine. Ce n’est pas vraiment une trahison, plutôt une manifestation de faiblesse. Je suis triste plutôt que surpris. Cela fait partie des faiblesses humaines. J’espérais encore parce que, avant d’entrer au Parti travailliste, il était venu me parler. J’aime cela chez lui. Je savais ce qu’il faisait. Des gens le poussaient depuis longtemps, essayant de le faire entrer dans le système, et il a résisté. Mais je pense qu’à un moment donné, il a pris sa décision. Je peux peut-être diriger le Parti travailliste et de là, ce serait le meilleur endroit où me trouver, m’a-t-il dit. Très bien, fais-le, lui ai-je répondu. J’ai été malheureux quand il a été marginalisé et est devenu ministre sans portefeuille." Nusseibeh affirme qu’il a perdu tout contact avec Ayalon depuis que celui-ci a été nommé ministre.
Interrogé sur la capacité d’Abbas à rassembler les Palestiniens en faveur d’un accord qui ressemblerait à la « Voix des Peuples », Nusseibeh dit qu’à la fois le président palestinien et Olmert doivent affronter courageusement leurs oppositions respectives. Par exemple, si Abbas "se présentait devant le peuple palestinien et disait : J’ai pris l’initiative de ce document. Je veux dissoudre le Parlement et me présenter aux élections, et ce sera mon programme politique. Pas seulement pour moi en tant que président, mais aussi en tant que leader du Fatah. Supposons qu’il fasse cela. Il susciterait un débat dans notre société. Ce serait un débat qui irait très loin, très démocratique. Cela marquerait le début d’un processus, d’une lutte. Je pense que du côté israélien, Olmert pourrait faire de même. Nous ne savons pas si les deux dirigeants seront réélus, mais cela vaudrait la peine, même s’ils ne le sont pas, parce que, au moins, nous saurions que nous avons donné une chance à un accord de paix."
Ami Ayalon dit en réaction : "Je suis d’accord avec Sari Nusseibeh. La solution à deux Etats ne sera bientôt plus possible. Il exprime la frustration et le désespoir des Palestiniens, et nous devons en tenir compte. Si un homme comme lui, fils d’un réfugié palestinien, qui a renoncé à son droit au retour et qui a été attaqué physiquement pour cela, en arrive à la conclusion que la solution à deux Etats n’est plus une option, cela signifie que l’approche palestinienne pragmatique s’effondre. Je suis d’accord pour dire qu’Olmert a raté une occasion de parvenir à un accord à cause de ses efforts pour survivre politiquement. Le Parti travailliste ne réussira pas à revenir au pouvoir en attaquant les autres partis, mais seulement en se réunissant sous le drapeau à la fois de la sécurité et des accords politiques."
[1] Texte de l’accord Nusseibeh-Ayalon : [charger le lien]
[2] Voir par exemple "Une nouvelle chance pour la paix" [charger le lien]
[3] Administration civile|_|: comme son nom ne l’indique pas, il s’agit d’une administration militaire chargée de régler les problèmes des civils (palestiniens et colons) dans les territoires occupés (ndt)
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Akiva Eldar
Selon une information diffusée jeudi par les médias israéliens, le président du Venezuela, Hugo Chavez, s’est entretenu la veille avec des représentants du Congrès juif mondial (CJM), et a notamment déclaré se sentir « profondément engagé à lutter contre l’antisémitisme ».
Le leader « progressiste », qui a estimé que cette rencontre avait constitué « un moment très important » et qu’en dépit des « désaccords sur la question du Moyen-Orient », des « liens de paix et d’amitié » le rattachent à la communauté juive, a également affirmé vouloir maintenir un « contact régulier » avec les membres du CJM, dont le Sécrétaire général, Michaël Shneider, a de son côté indiqué : « Nous avons fait part de nos inquiétudes au président Chavez concernant le retour du phénomène antisémite, et il a assuré nos responsables être prêt à en combattre les manifestations dans son pays ».
Chavez, qui a tenu à préciser qu’il n’a « jamais été antijuif », a enfin appelé à l’instauration d’un « dialogue constructif entre les trois religions monothéistes ».
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Israel-infos.net