Après le 7 juillet : les semaines qui viennent

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Le verdict vient de tomber, le peuple français a tranché en se mobilisant fortement (67,2 % de participation). Le Rassemblement national (143 députés, + 55 par rapport à 2022) n’a pas la majorité absolue. Avec moins de députés qu’annoncé, il en est même assez loin. Les Français se sont exprimés, les deux tiers d’entre eux ne veulent pas de gouvernement d’extrême droite ; le tiers des voix n’a jamais fait une majorité.

 

Le Nouveau front populaire (NFP) non plus n’a pas la majorité (182 sièges, + 32/2022). Même s’il obtient plus de députés que prévu, la dynamique espérée n’a pas eu lieu. Il arrive toutefois en tête, ce qui nous réjouit, grâce au report de voix d’une partie des électeurs d’Ensemble. Comme prévu, le macronisme baisse (156 députés – 94/2022) en nombre de députés, mais il ne s’effondre pas autant qu’escompté grâce aux voix des électeurs du NFP. Il est loin de sa majorité relative d’avant la dissolution par un Président de la République ayant joué avec le feu.

La situation politique après ces élections législatives

La situation est-elle bloquée pour autant et le pays est-il ingouvernable ainsi que veulent le laisser entendre commentateurs zélés et politiciens de droite pour affoler la population et mieux préparer l’alliance de toutes les droites dont celles-ci rêvent depuis des décennies ?

Dans l’immédiat, rien n’oblige le gouvernement en place à démissionner, les affaires courantes peuvent être traitées. Les Jeux olympiques exerceront-ils une pression suffisante pour maintenir le statu quo pendant quelques semaines ? C’est possible, mais pas sûr. Certes, le Président de la République peut accepter la démission du gouvernement (les lettres de démission sont prêtes et signées depuis la nomination de chaque ministre, il n’y manque que la date) et, par une décision dont il a seul le secret, nommer un nouveau premier ministre et un nouveau gouvernement. Mais il peut refuser cette démission et maintenir le gouvernement actuel, avec quelques ajustements s’il le juge nécessaire. Rien n’est à exclure de ce côté. La réponse arrivera dans les prochains jours.

Si cette hypothèse ne se réalise pas, formellement, seule une motion de censure majoritaire à l’Assemblée nationale peut faire tomber le gouvernement. Vu la nouvelle composition de celle-ci, ce n’est pas exclu. Alors le Président de la République devra nommer un nouveau Premier ministre pour former un gouvernement qui n’est pas constitutionnellement obligé d’engager sa responsabilité devant l’Assemblée nationale pour gouverner. Cependant, une nouvelle motion de censure peut être déposée et adoptée à la première occasion. Et rebelote. Rappelons ici que le Président ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale avant un an, soit juin 2025. Cette situation peut-elle durer un an ? Peu probable, la situation internationale, la place de la France dans l’Union européenne, ainsi que l’hubris d’Emmanuel Macron plaident pour une réponse négative ; mais sait-on jamais !

La perspective d’une alliance droite, extrême droite, extrême centre macroniste

La solution possible est la recherche d’une voie à droite toute, avec une alliance du RN, d’une partie des dits Républicains et de députés macronistes. Le parti Les Républicains n’a pas donné de consigne de vote pour faire barrage au Rassemblement national au second tour des législatives et beaucoup de « macronistes » (Édouard Philippe, Bruno Le Maire, Aurore Berger, Gérald Darmanin entre autres) ont défendu le ni-ni, refusant d’appeler à voter Nouveau front populaire par haine de classe plus que par lutte contre l’antisémitisme qui a servi en occurrence de prétexte.

Cette alliance de toutes les droites est possible. Elle peut être majoritaire sur des projets de liquidation des services publics (privatisation de l’audiovisuel public, de la Poste à Amazon, de services de santé, poursuite de la désagrégation de l’Éducation nationale, etc.), des mesures antisociales avec encore plus d’austérité, des décisions anti-immigrés, des stratégies ultrasécuritaires qui misent plus sur la répression que sur la protection des personnes et des biens. Dans ce cadre, la mise en cause des libertés individuelles et collectives, jusqu’à juin 2025, prendra de plus en plus de consistance. À ce moment, il est fort probable que le Président de la République use d’un nouveau coup de poker avec une nouvelle dissolution.

Rassemblement national renforcé et rôle des forces de gauche

Dans ces conditions, il y a de fortes chances que, les mêmes causes entraînant les mêmes effets, le Rassemblement national continue à progresser. Par contre, faire échec à son accession au pouvoir deviendra de plus en plus difficile et compliqué, sauf si les forces de gauches sont capables de proposer autre chose qu’une stratégie du « contre ». Elles devront s’atteler à proposer et construire avec le peuple un projet politique de changement, pas seulement une liste à la Prévert de dispositions plus ou moins cohérentes. La tâche de ces forces, partis politiques de gauche, société civile, syndicats, associations, est impérativement de travailler à ce projet articulant développement humain, économie avec développement des services publics sur tout le territoire de la République et de tous les services publics, administration comprise, et pas seulement deux (école et santé, aussi importants et urgents soient-ils), pouvoir d’achat, écologie, culture, liberté, démocratie. Dans de telles conditions, ce qui est déterminant c’est plus l’impulsion politique, la trajectoire, que la liste des mesures. Un an, c’est court et nous devrons le faire tout en luttant « bec et ongle » contre les politiques réactionnaires du gouvernement. Tout en même temps.

Imaginer l’improbable soit une alliance sur fond d’intérêt général : le compromis sans la compromission

Une autre situation peut être imaginée qui demanderait un haut niveau du sens de l’intérêt général, de l’intérêt du pays avec des forces politiques et hommes et femmes politiques ayant le sens de l’État, capables de se hisser au niveau des défis sociaux, écologiques, démocratiques. Ce serait une alliance sur la base d’un programme négocié donnant la priorité aux transformations sociales et environnementales indispensables, dans le cadre communautaire de l’Union européenne du Nouveau front populaire et d’une partie de la bourgeoisie représentée par une frange dite de gauche de la macronie et des Républicains classés comme ex-gaullistes sociaux. Cette solution est très très improbable pour au moins deux raisons :

  • la majorité à l’Assemblée nationale est impossible à obtenir sur cette option et la haine et le mépris de classe de la macronie s’y opposent ;
  • Gabriel Attal, Premier ministre encore en place, a déclaré mercredi 3 juillet « Il n’y a pas et il n’y aura jamais d’alliance avec la France insoumise » et Emmanuel Macron a encore précisé la semaine dernière qu’il « n’est pas question de gouverner demain » avec la France insoumise.

Or, une coalition majoritaire à l’Assemblée nationale sur une base progressiste n’est pas possible sans la France insoumise.

Nous aurons peut-être la réponse dans les jours ou semaines ou mois qui viennent. Après tout, la Belgique est bien restée 541 jours (18 mois) en 2010-2011 et 493 jours (16 mois) en 2019-2020 sans gouvernement en exercice avec des gouvernements expédiant les « affaires courantes ».

Quelques considérations complémentaires : le social et le sociétal

Ne nous y trompons pas, les fondements du vote Rassemblement national sont certes pour certains le racisme et la sécurité, mais le terreau de ces phénomènes se trouve dans la situation concrète des personnes, dans leurs conditions de vie, avec une baisse du pouvoir d’achat pour les classes populaires et moyennes, les inégalités abyssales résultat de politiques de classe en faveur du capital et des ultras riches, beaucoup plus que dans les problèmes identitaires et la disparition des services publics.

Pour gagner, la gauche doit revenir dans son unité à ces fondamentaux sociaux. Certes, des évolutions de sociétés (sociétales, pour utiliser le vocabulaire approximatif des sociologues) sont importantes et travaillent aussi la société, mais leur solution passe par leur articulation sur le social. Elles ne peuvent advenir que dans cette articulation et non indépendamment ou à la place des questions sociales. La gauche dans son ensemble doit sortir de l’illusion des solutions sociétales à la place du social. La lutte de classe est à un niveau très exacerbé, l’affrontement de classe est permanent et porte sur tous les aspects de la vie de chacun et de la société, quoi qu’en disent les tenants du dépassement du clivage droite/gauche.

Le refuge dans le « sociétal » est une sorte de fuite en avant, un refus d’affronter la lutte de classe dans toute sa dimension. Le différentialisme défendu par une partie de la gauche et des écologistes est une impasse, un renoncement. La gauche doit retrouver ses fondamentaux : le droit à la différence, mais pas la différence des droits. Nelson Mandela y insistait en affirmant : « Je veux pour les Noirs non pas le droit à la différence, mais le droit à l’indifférence ». La multicrise que traverse le capitalisme avec les dérèglements climatiques, la raréfaction des ressources naturelles, la baisse des profits (qui ne sont maintenus que grâce aux subventions publiques diverses au capital) et du taux de profits pour le capital investi ne peut trouver de solution pour les populations dans la fuite en avant du « sociétal ».

L’intérêt du patronat à ne pas confondre avec les TPE, PME et artisans

Le patronat s’accommodera d’un gouvernement des droites réunies du RN aux macronistes, il s’accommoderait très bien aussi d’un gouvernement RN seul. La démocratie n’est pas son problème prioritaire, pourvu que le business ne souffre pas. Les exemples italiens, hongrois, polonais, néerlandais nous le démontrent. De plus, certains « grands patrons » multimilliardaires militent pour des politiques d’extrême droite conservatrices, réactionnaires. Vincent Bolloré a acheté des médias pour cela. Pierre-Edouard Stérin(1)Celui qui voulait créer une « oasis pour familles chrétiennes » et a des visées sur le journal Marianne. prend le même chemin. « Plusieurs candidats issus de la galaxie du milliardaire catholique conservateur ont été investis sous la bannière RN-LR »(2)Titre en page 4 le journal Le Monde du jeudi 27 juin 2024..

Influence des personnalités pour le meilleur et le pire

Les personnalités au pouvoir jouent également dans la vie d’un pays. Leurs choix peuvent peser considérablement. L’histoire nous en donne de nombreux exemples et aujourd’hui nous le constatons à propos de la situation en Palestine ou en Ukraine. Emmanuel Macron restera dans l’histoire comme le président qui a conduit une politique en faveur des riches, le président de la finance, des multinationales et « des premiers de cordée » n’ayant qu’à « traverser la rue » pour trouver un emploi. Se présentant comme un président philosophe lors de son premier mandat, nous aurions dû être vigilant aux avertissements d’Érasme qui dans son Éloge de la folie (point XXIV) note :

On vantera après cela, s’il plaît aux Dieux, la maxime fameuse de Platon : « Heureuses les républiques dont les philosophes seraient chefs, ou dont les chefs seraient philosophes ! » Si vous consultez l’Histoire, vous verrez au contraire, que le pire gouvernement fut toujours celui d’un homme frotté de philosophie ou de littérature. L’exemple des deux Caton est concluant : l’un, par ses dénonciations extravagantes, a mis la République sens dessus dessous ; l’autre, en défendant avec trop de sagesse la liberté du peuple romain, l’a compromis sans retour.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Celui qui voulait créer une « oasis pour familles chrétiennes » et a des visées sur le journal Marianne.
2 Titre en page 4 le journal Le Monde du jeudi 27 juin 2024.