Ayant été militant et responsable intermédiaire de l’UNEF ID au tournant des années 70-80, ce n’est pas sans colère que j’assiste aux débats actuels autour de l’UNEF et du syndicalisme étudiant. Je désire donc apporter mon éclairage à ces discussions, et espère ainsi aider les jeunes qui désirent combattre l’injustice et l’obscurantisme à se réapproprier cette histoire, ses hauts faits comme ses faiblesses.
Cette contribution semble d’autant plus nécessaire que nous assistons à une offensive terrible contre l’enseignement supérieur et la recherche publique de la part du gouvernement Macron. Inutile de le cacher : la récente loi de programmation de la recherche (la LPR) est un coup important porté aux étudiants et aux universitaires. Pour résister, les étudiants ont besoin d’un authentique syndicat.
Retour sur l’histoire de l’UNEF
On se souvient qu’en 1968, la grève générale avait mis en lumière l’importance de la question universitaire (projet de réforme Fouchet). On sait aussi que l’UNEF y eut un rôle déterminant, permettant de centraliser le combat des étudiants contre De Gaulle et Pompidou.
La grève générale jugulée, le gouvernement De Gaulle-Pompidou fit voter la loi Edgar Faure qui instaurait la cogestion à l’Université. Afin d’être en mesure de baisser les ressources allouées à l’enseignement supérieur, d’endiguer la montée du nombre d’étudiants, l’UNEF et les syndicats enseignants étaient invités à s’associer à la mise en place des plans du gouvernement, en premier lieu dans les conseils d’Université et les conseils d’UER.
C’est fondamentalement cette question qui fit voler en éclats l’unité de l’UNEF en 1971 : l’UNEF allait-elle ou pas s’associer à la politique anti-universitaire du régime gaulliste ? Et après toutes ces années, nous restons convaincus qu’en refusant le système de la participation, dans un contexte où le gauchisme le plus délirant faisait les dégâts qu’on sait dans les campus, le maintien d’une UNEF (sous le sigle « Unité Syndicale ») permit de préserver l’avenir – quel que soit son affaiblissement d’alors.
Les années qui suivirent furent difficile pour l’UNEF (US). Il fallut reconstruire pied à pied face aux sarcasmes gauchistes et aux pressions des partisans de la cogestion, souvent liés à un PCF en plein recul, et à l’UNEF Renouveau. En tout cas, l’activité de cette génération, qui précéda la mienne, permit à une force syndicale indépendante de réémerger à l’Université, de façon limitée mais réelle.
C’est sur une orientation précise qu’eut lieu ce début de reconstruction. A partir du milieu des années 70, l’UNEF (Unité Syndicale) n’eut cesse de mener un combat quotidien, quasi-obsessionnel, pour les revendications étudiantes, contre les conseils de gestion universitaire et la participation à ceux-ci. Dans combien d’UER avons-nous exigé le dédoublement des TD, des examens qui ne soient pas des concours déguisés, etc. ! Et puis il y avait la défense des œuvres universitaires… Sans aucun doute avons-nous été moins brillants avec la MNEF, dont nous avons ménagé la direction (liée au PS et notoirement étrangère au monde étudiant, pour le dire courtoisement). Mais au final le bilan de cette génération politique est plus qu’honorable.
Puis il y eut le projet de réforme Saunier-Seité qui visait au rapprochement Université-entreprises, à en finir avec le système national d’enseignement supérieur. Durant la grève étudiante que suscita ce projet, les militants de l’UNEF (US) mirent toutes leurs forces dans la bataille pour infliger une défaite à Giscard d’Estaing, notamment en défendant la perspective d’une montée nationale à Paris. Cette montée n’eut pas lieu, mais les liens de l’UNEF avec les étudiants se renforcèrent. Quant au mot d’ordre de montée à Paris, on sait l’importance qu’il prit dix ans plus tard, lors de l’affrontement avec Devaquet, qui, fondamentalement, voulait poursuivre dans la voie tracée par Saunier-Seïté.
C’est tout ce travail qui fait qu’à la fin des années 70, l’UNEF était incontestablement devenue la force dominante des campus. A Grenoble, à Clermont, à Dijon, dans certaines universités parisiennes (Nanterre, Jussieu…), l’UNEF réunissait alors plusieurs centaines d’étudiants chaque semaine.
Au final, ce sont ces progrès quantitatifs et qualitatifs qui permirent de proclamer l’UNEF Indépendante et Démocratique en 1980. Ce n’était pas encore la grande UNEF de l’après-guerre, mais des progrès réels avaient été réalisés. Et répétons-le : l’orientation d’alors du syndicat était celle d’un combat continu contre la cogestion. Aucune reconstruction ne peut se faire sans mener cette activité.
La chute
En 1981, le gouvernement Mitterrand émit une vague promesse d’abrogation de la loi Faure à propos de laquelle personne ne pouvait s’illusionner (il s’agissait tout au plus de « moderniser » le système cogestionnaire).
Pourtant, sous ce prétexte, la direction d’alors de l’UNEF décida d’intégrer le jeu de la participation et ses intrigues soi-disant pour « faire entrer le changement à l’Université ». En faisant ce choix, les dirigeants de l’UNEF rompaient avec la propre histoire de l’organisation et l’engageaient dans la voie du déclin. Tout le travail des années 70 allait être balayé en quelques années.
Partout, les structures de l’UNEF, ses comités d’action s’étiolèrent. La mobilisation de 1986, contre le projet Devaquet, est largement un chant du cygne. Le rôle de l’UNEF, servant d’épine dorsale à la coordination nationale étudiante, y fut décisif et contribua grandement à la défaite de Devaquet et Chirac. Mais l’UNEF était déjà exsangue, transformée en champ clos des affrontements de militants divers et de leurs petites ambitions, souvent très matérielles.
Désormais réduite à un appareil de plus en plus désincarné, à une pouponnière du Parti Socialiste, l’UNEF s’est survécu à elle-même pour un temps. D’autant plus que les gouvernements, bons princes, n’hésitaient pas à subventionner une « action syndicale » aussi complaisante. Les « élus » étudiants disposent désormais d’un statut, ce qui les rend d’autant plus étrangers à la vie réelle des amphis.
Et au final, il y eut cette réunification sinistre de 2001, où quelques poignées de membres de l’UNEF Solidarité Étudiante acceptèrent de se prêter à la comédie de la « Grande UNEF » dans un congrès où fut définitivement enterrée toute référence à la lutte contre la cogestion. Évidemment, les grands absents de ce cirque, ce furent les étudiants qui savaient bien que tout ceci ne les concernait pas. Certes, en 2006, l’UNEF eut encore un rôle réel dans la mobilisation contre le CPE – encore qu’il ne soit pas comparable à qu’elle avait eu en 1986. Une agonie n’est jamais linéaire.
Il faut le reconnaître : nous sommes sans doute au terme de ce long déclin. Nationalement, l’UNEF est largement devenue une coquille vide, incontestablement minoritaire (voire marginale) dans les campus. L’état de sa direction reflète largement celui de la gauche officielle. Nationalement, l’implosion du PS a permis à une nouvelle direction, encore plus immature, profondément étrangère au mouvement ouvrier et à ses traditions, de prendre la direction de l’organisation. Seules quelques subventions permettent à un état-major d’une poignée de membres de faire le tour d’AGE (1)AGE : Association Générale d’Étudiants – structure de base de l’UNEF dans les villes étudiantes. au sein desquelles se réunissent rarement plus d’une dizaine d’étudiants. C’est ça l’UNEF ?
Désorientation maximale
Concluons. Quiconque observe l’activité de l’UNEF actuelle voit bien combien celle-ci est devenue largement étrangère aux étudiants.
À l’Université, la récente loi de programmation de la recherche est un pas très important dans la voie du démantèlement-privatisation de la Recherche publique, du démantèlement du statut d’enseignant-chercheur, de la régionalisation de l’enseignement supérieur (auquel nous résistons depuis au moins 1976 !). Cette loi vient même d’être complétée par une ordonnance qui, utilisant le prétexte de la pandémie, autorise les conseils à déroger au code de l’Éducation. Mais qui siège dans ces conseils, qui met en place ces mesures ? Les dirigeants de l’UNEF, entre autres.
Autre exemple. La pandémie, qui dure depuis un an, a plongé dans la misère des jeunes par milliers. Face à cette misère, les CROUS doivent prendre en charge le ravitaillement gratuit des étudiants, les cités U doivent être mises à disposition gratuitement de tous les étudiants qui en ont besoin. Mais de tout ceci, les dirigeants de l’UNEF ne parlent guère, voire pas du tout.
Une complaisance assumée envers l’aliénation religieuse
« Le 59e congrès de l’UNEF réaffirme la nécessité d’un syndicat regroupant la grande masse des étudiants pour la défense de leurs intérêts matériels et moraux, indépendamment de leur opinion religieuse politique ou philosophique. Ce syndicat c’est l’UNEF. »
A l’opposé de ces lignes toujours aussi actuelles, la direction de l’UNEF s’est trouvée une nouvelle croisade, « l’antiracisme » soi-disant « politique ». Sans doute y a-t-il derrière ceci la volonté de trouver des accords avec des organisations étrangères à la démocratie, au mouvement ouvrier. On survit comme on peut.
Mais il faut être concret. En 2016, eut donc lieu une scène stupéfiante lors de la réunion du Collectif national de l’UNEF :
« En octobre 2016, à l’université de Nanterre, se tient le collectif national où William Martinet doit faire ses adieux. Quelques « camarades » ont une demande très particulière. Ils veulent disposer d’une salle pour prier. La décision est prise de leur laisser une pièce qui doit servir, plus tard, à un atelier de formation. Un SMS est même envoyé pour dire que l’on peut y prier si on le désire. » (Le Monde, 6.X.2017).
Puis ce fut la désignation d’une responsable d’AGE portant le voile. Certes, aucune loi n’interdit à un syndicaliste d’afficher ses croyances. Mais faire le choix d’une porte-parole affichant sa religiosité, quelle qu’elle soit, n’a rien d’anodin. C’est faire le choix de la division, entre ceux qui acceptent la religiosité et ceux qui la réprouvent.
Répétons-le : jamais à l’époque de l’UNEF, organisation qui affichait son universalisme, viscéralement laïque, nous n’aurions accepté qu’un de nos cadres arbore un tel accoutrement.
Diviser, encore et encore
Ensuite, a eu lieu la sinistre affaire de Grenoble, initiée par le refus fait par un prof (suivi d’un autre) d’endosser le concept volontairement ambigu d’ « islamophobie ». En conséquence, toute une campagne calomnieuse s’est immédiatement engagée visant à les présenter comme « fachos ».
Certes, ces enseignants n’ont pas toujours exprimé ce refus avec les mots adéquats – ce ne sont pas des professionnels de la politique. Mais sur le fond comment ne pas les comprendre ? Comment ne pas saisir que sous couvert d’antiracisme, on manie l’ambiguïté vis-à-vis d’une religion ?
Du bout des lèvres, face au scandale, la direction de l’UNEF a pris ses distances avec ses militants grenoblois, coupables d’avoir usé de méthodes particulièrement honteuses. Mais sur le fond, elle n’a pas bougé d’un iota : « La définition de l’islamophobie, c’est l’hostilité envers l’islam et les musulmans » a déclaré la présidente de ce qu’il reste de l’UNEF. Mensonge ! Un islamophobe est une personne viscéralement hostile à l’Islam, pas forcément aux musulmans.
Cette prise de position provocatrice est un cadeau de plus fait aux réactionnaires de tous poils, ceux pour qui un syndicat étudiant, même dans cet état, c’est trop. Une UNEF soutenant ouvertement les obscurantistes de tout poil ? Rien de mieux pour alimenter un climat liberticide !
Racialisme et sexisme
Et désormais, il y a l’affaire des réunions non-mixtes. Un universitaire défenseur de la médiocre direction de l’UNEF, R. Morder, affirme que face aux modifications du milieu étudiant, les syndicats « cherchent d’autres modèles, d’autres formes d’organisation, d’expression », d’où ces réunions (2)Il est vrai que Morder s’affirme dans ce texte partisan de l’autonomie universitaire, ce qui en dit long sur ses intentions..
On peut le suivre sur un point. Effectivement, de telles réunions « non-mixtes », n’ont jamais existé à l’époque où la reconstruction de l’UNEF était une réalité. Nous étions pour rassembler les étudiants sur la base des revendications de la défense de l’Enseignement Supérieur, pas les diviser, surtout sur la base de leur sexe ou leur couleur de peau. Celui qui aurait défendu une telle idée se serait immédiatement fait marginaliser, et c’est très bien ainsi.
Pourtant la pratique existait déjà ailleurs : la LCR, l’ancêtre du NPA actuel, avait constitué des groupes sexistes en son sein. Le refus de ces pratiques par la majorité de l’UNEF était donc un choix conscient et parfaitement renseigné. Cette majorité, proche de l’OCI « lambertiste », était farouchement opposée à des initiatives, qui ne pouvaient que diviser les jeunes. C’eut été affaiblir l’unité nécessaire au combat contre le gouvernement de Giscard d’Estaing.
Et puisque Morder étale sa confusion sur le sujet, revenons sur le cas des étudiants étrangers. Le syndicat étudiant encourageait bien ces étudiants à combiner leur activité dans l’UNEF avec celle qu’ils menaient dans leurs propres organisations nationales, l’UNEM (Maroc), la FEANF (Afrique noire), etc. Mais en aucun cas il ne s’agissait de mettre en place des structures menant à la division du syndicat étudiant. Ces associations, indépendantes de l’UNEF, permettaient avant tout à ce que les étudiants concernés se défendent face aux gouvernements des pays d’origine (montant des bourses, répression dans ces pays, etc.).
Défense du syndicalisme indépendant
Finalement, la plus grave accusation qu’il faut porter contre les dirigeants UNEF est que leurs provocations imbéciles ne font qu’aider un des gouvernements les plus réactionnaires qu’ait connu la Ve République, alors qu’il accentue autant que possible les traits autoritaires du régime (cf. la loi sur le « séparatisme »).
En fait, au lieu de défendre réellement les étudiants, de les rassembler contre Vidal et Macron, les dirigeants de l’UNEF les divisent. La logique de leur activité ne peut qu’aboutir à la liquidation de l’UNEF comme authentique organisation syndicale.
Pour Blanquer, Vidal et Macron : c’est une aubaine. Cette politique folle leur permet de prendre la posture de défenseurs de la République menacée, d’opposants à l’ethno-différencialisme. Tout ceci ne fait que légitimer la campagne de Vidal contre l’islamo-gauchisme, ses attaques contre les libertés académiques – au bout du compte, il y a la casse du statut des universitaires. Quant aux outrances de la présidente de l’UNEF, elles ont permis à Blanquer de crier au fascisme, d’autres députés de droite allant jusqu’à demander la dissolution du syndicat.
Face à de telles campagnes, bien naïf serait celui resterait neutre en s’appuyant sur le dégoût que suscite la politique des racialistes de l’UNEF.
Il ne s’agit évidemment pas pour Blanquer et Vidal de combattre « le fascisme ». La vérité est que la bourgeoisie n’a jamais renoncé à domestiquer les syndicats de classe, porteurs d’authentiques revendications et indépendants de l’État capitaliste. Disposer d’un droit de regard de l’État sur le fonctionnement, les initiatives de ces organisations, serait un pas important en ce sens.
C’est pourquoi il faut s’opposer à toute sanction, à toute mesure de contrôle de l’UNEF. Car si Blanquer et Vidal arrivaient à leurs fins, la reconstruction d’un authentique syndicat étudiant serait encore plus difficile.
P. Morsu, le 24.III.2021
Remerciements à V. Présumey