La cheffe de la coalition droite et extrême-droite a montré sa capacité à exprimer haut et fort tout et son contraire, changeant de position comme de chemise sur des sujets importants pour gagner les élections. Elle a réussi au-delà de ses espérances. Il s’agit de tempérer cette percée qui s’est produite sur un fond de relative indifférence et d’une abstention historique selon le journal italien Repubblica. Au-delà des menaces de la présidente de la Commission européenne,Ursula von der Leyen, brandissant les instruments de rétorsion dont dispose l’Union européenne pour mettre au pas l’Italie(1)Ursula von der Leyen citée par Marianne n° 1333 : « L’Union dispose des instruments […] si les choses vont dans une direction difficile », Giorgia Meloni(2)Membre du Mouvement social italien, de l’Alliance nationale puis du Peuple de la liberté avant de fonder le parti d’extrême-droite postfasciste Frères d’Italie ou Fratelli d’Italia (FdL) en 2014 qu’elle préside. ne soutient pas Poutine et se range clairement derrière l’OTAN et Kiev et les « jusqu’au-boutistes » ou « va-t-en-guerre » qui sont le pendant des mêmes côté russe. La position de l’Union européenne et le message en filigrane de la présidente de la Commission européenne sont pourtant clairs : « Si vous ne soutenez pas Poutine », tout ira bien.
De quoi est faite l’extrême-droite historiquement ?
Ce qui a longtemps caractérisé l’extrême-droite sont les traits suivants :
- Estimer les élections inutiles et illégitimes ;
- Dénoncer la représentation parlementaire ;
- Stigmatiser les juifs et les francs-maçons hier, les immigrés africains ou du Moyen-Orient aujourd’hui ;
- Employer des moyens illégaux tels que les attentats, la violence de rue, les passages à tabac, organiser des milices armées ;
- Prôner la suprématie de la race blanche ;
- Être favorable à la colonisation occidentale ou approuver l’apartheid hier, estimer aujourd’hui que ces deux systèmes furent positifs ;
- Reléguer la femme au rôle de procréation et la maintenir au foyer pour satisfaire son mari et élever les enfants ;
- Interdire le divorce et l’avortement dans le pire des cas ou en limiter l’accès dans le meilleur des cas ;
- Être pour un État fort de préférence sous une forme dictatoriale ;
- Être un partisan du système économique capitaliste.
À l’aune de ces traits caractéristiques, chacun et chacune est en mesure d’évaluer et de qualifier d’extrême-droite le mouvement de Giorgia Meloni. Certains de ces traits caractérisent les mouvements actuels d’extrême-droite d’autres sont mis de côté. Il est légitime de s’interroger sur la franchise quant à ce tri effectué pour paraître plus fréquentable et plus acceptable.
Quelles ont été les conditions qui ont favorisé cette poussée électorale de la démagogie d’extrême-droite ?
Comme en France et en Suède, les mouvements d’extrême-droite, post fasciste ou non, étaient longtemps très minoritaires. Une cause qui explique la poussée de ces partis est la faiblesse de la gauche. En effet, depuis la coloration très libérale prise par l’Union européenne, du traité de Maastricht au traité de Lisbonne en passant pas la monnaie unique, les politiques, dits du « cercle de la raison », de la gauche libérale ont troqué la défense des ouvriers, des employés, des salariés, des artisans et petits commerçants, des petits paysans, des responsables des petites et moyennes entreprises contre les seules réformes sociétales, mais, clairement pour une économie libérale. Cela a conforté le pouvoir d’une oligarchie libérale contre la démocratie.
Quelles ont été les conséquences de cette orientation libérale de l’Union européenne ?
Suite à la mise en œuvre de ces différents traités économiques, traités pour lesquels il y eut un déversement idéologique façon orgues de Staline de la part de la quasi-totalité des partis politiques et des médias sous forme de mépris à l’égard des classes populaires :
- Être pour l’Europe libérale, c’est être cultivé, c’est vouloir la paix entre les peuples, c’est assurer la prospérité économique pour tous, c’est aller dans le sens de l’histoire ;
- Être contre l’Europe libérale c’est faire partie des incultes, c’est être pour les nations donc, enchaînement et raccourci simpliste, c’est être pour le nationalisme et donc pour la guerre ;
- Être pour l’Europe libérale c’est conforter la démocratie et les droits de l’être humain ;
- Être pour une Europe transnationale, c’est être pour l’émergence d’un vrai paradis sur Terre.
Quelles furent les conséquences ?
La hausse du chômage, les fermetures d’usine délocalisées, la concurrence entre ouvriers sur fond de moins-disant social, la hausse du coût de la vie, la guerre dans les Balkans, la guerre russo-ukrainienne, l’alignement pour ne pas dire la soumission aux États-Unis par OTAN interposé.
En ce qui concerne la démocratie et le respect de la volonté des peuples, on repassera :
- Le peuple grec, dans les années 2010, permet l’accès au pouvoir d’une alliance de gauche qui ne veut pas se soumettre aux critères économiques de Maastricht. Réponse de l’Europe : sanctions économiques, pas de démocratie en dehors des traités, paupérisation effroyable du peuple grec.
- Le peuple italien permet l’accès au pouvoir d’une alliance de droite et d’extrême-droite, même si on pense que cette victoire n’est pas une bonne chose. Réponse de l’Europe : l’Europe dispose des instruments pour sanctionner l’Italie et le remettre dans le droit chemin.
L’Union européenne : un système démocratique d’intensité faible
Le fait d’inscrire dans une sorte de constitution, gravée dans le marbre, un fonctionnement économique, en l’occurrence libéral voire ultralibéral, n’est pas démocratique, car indiscutable. Une Constitution démocratique doit se contenter de fixer les règles qui permettent la délibération collective la plus large possible et la plus démocratique possible de chaque peuple et, non pas, figer pour l’éternité un modèle économique. De Gaulle, avec un système économique mixte fait d’entreprises nationalisées et d’entreprises privées, traçant l’avenir au moyen de plans quinquennaux aurait été sanctionné par la Commission européenne aujourd’hui. Ainsi, les peuples peuvent voter à condition de ne pas remettre en cause les critères ultralibéraux des traités de Maastricht et de Lisbonne ainsi que les traités de libre-échange avec d’autres régions du monde.
Il ne faut donc pas s’étonner que l’extrême-droite monte en puissance. Il ne suffit pas de dénoncer ce phénomène, il faut en déterminer les causes pour mieux tarir les sources qui permettent cette montée. Les peuples ont bien vu que l’alternance gauche libérale et droite libérale se fonde sur le même programme économique qui incite à la destruction des services sociaux, à la réduction des droits ou conquis sociaux, à une évolution régressive des retraites, à un décrochement des revenus des salariés et du travail par rapport à l’inflation et aux dividendes versés aux grands actionnaires. C’est ainsi que l’abstention et le vote d’extrême-droite gagnent du terrain. Quand l’Union européenne évoque les valeurs de l’Europe, elle désigne moins les droits humains qui ne sont qu’un cache-sexe pour ne pas montrer que c’est le libéralisme économique qu’il s’agit de défendre et de promouvoir en priorité.
La question de l’immigration présentée par la droite et l’extrême-droite comme cause de l’insécurité joue également quand il y a concurrence sur le marché du travail, quand des incivilités rendent la vie impossible aux habitants des quartiers populaires, quand des groupes religieux intégristes veulent imposer leur vision de ce que devrait être, selon eux, la « vie bonne » en contradiction avec notre contrat social fondé sur la laïcité, vision intégriste qui contraint principalement les femmes par leur tropisme patriarcal. Pour l’Italie, l’obligation de gérer l’arrivée de migrants, seule, car arrivant en premier sur le sol italien a sans doute joué en faveur de l’extrême-droite. L’arrivée, en quelques années, en Suède, d’un million de migrants a également dû être un élément poussant les Suédois à accorder leur voix à l’extrême-droite.
Nécessité d’un gauche de combat qui renoue avec sa tradition historique d’organisation des travailleurs
En France, sans en exagérer l’importance, la présence d’un Jean-Luc Mélenchon, porteur d’une voix plus audible pour les classes populaires ou qui entre mieux en résonance avec leurs préoccupations a sans doute évité l’élection de Marine Le Pen et l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite. Nous avons conscience des qualités de Jean-Luc Mélenchon qui sont nombreuses et de ses défauts qui sont tout autant nombreux notamment en ce qui concerne des positions ambiguës à l’égard de religieux intégristes, lui qui, pourtant, est fondamentalement attaché à la laïcité, du moins voulons-nous encore le penser. Marine Le Pen et le RN ont su écarter de leurs discours les propos nettement fascisants et pro-libéraux sur le plan économique des débuts du FN. Une gauche de gauche doit renouer avec ses fondamentaux, sans tomber dans le fondamentalisme, en s’inspirant de Jean Jaurès. Cette gauche doit se construire ou se reconstruire autour d’une colonne vertébrale que nous définissons par « Combat laïque, combat social, fédérer le peuple ». Un projet de gauche audible et visible pour le peuple doit se bâtir avec lui et pourrait se décliner selon quatre axes émancipateurs :
- émancipation économique pour s’affranchir de la doxa ultralibérale ou néoconservatrice qui conduit à toujours plus de précarité et d’inégalités extrêmes ;
- émancipation sociale pour que « la République politique aboutisse à la République sociale en liant le combat laïque au combat social » comme l’affirmait Jean Jaurès ;
- émancipation écologique pour s’affranchir de notre dépendance aux énergies carbonées et fossiles, aux pesticides chimiques, pour se libérer du court-termisme de la finance et du productivisme afin de préserver et la santé des êtres humains et les grands équilibres planétaires selon le principe qui consiste à ne pas prélever dans la nature plus que ce qu’elle est capable de reconstituer et ne pas produire plus que ce qu’elle est capable de supporter ;
- émancipation laïque avec un État qui s’abstient de définir quel est le bon concept de la « vie bonne », qui traite à égalité toutes les conceptions métaphysiques (athées, agnostiques ou religieuses), qui libère la loi commune de toute tutelle théologique ou religieuse, qui consacre en priorité ses dépenses de fonctionnement et d’investissement aux biens communs : hôpitaux publics, services de secours, service public d’éducation de qualité qui accueille tous les enfants quelle que soit la situation de fortune des parents et leurs options spirituelles, service de police et de gendarmerie pour assurer la tranquillité publique, service de justice pour une application équitable des lois, gestion publique pour préserver la qualité de l’eau, de l’air, des sols, transports en commun publics…
Il ne sert à rien de se lamenter d’une situation que nous condamnons si nous chérissons les causes qui l’engendrent, à savoir un capitalisme financier mortifère et pour la nature et pour les êtres humains, défendu par les politiques de la droite libérale et de la gauche libérale : Sarkozy, Le Maire, Philippe, Borne, Hollande, Macron… Le vote pour l’extrême-droite est une impasse et une sorte de miroir aux alouettes faisant croire qu’elle combat ce système pour mieux accaparer le vote de celles et ceux qui en sont les victimes.
Notes de bas de page
↑1 | Ursula von der Leyen citée par Marianne n° 1333 : « L’Union dispose des instruments […] si les choses vont dans une direction difficile » |
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↑2 | Membre du Mouvement social italien, de l’Alliance nationale puis du Peuple de la liberté avant de fonder le parti d’extrême-droite postfasciste Frères d’Italie ou Fratelli d’Italia (FdL) en 2014 qu’elle préside. |