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Le suicide collectif des fédérations d’éducation populaire est-il une nécessité ?

La demande d’éducation populaire dépasse très largement aujourd’hui l’offre d’éducation populaire. Cette demande ne se traduit pas exclusivement et formellement par la soudaine soif de se libérer collectivement des chaînes de l’oppression mais par le constat douloureux de voir se déliter l’esprit critique au bénéfice de la résignation collective. 

Après cent ans d’éducation populaire revendiquée haut et fort par des fédérations devenues soumises aux politiques institutionnelles qui prennent malin plaisir à les diviser à travers les appels d’offres ou autres appels à projets quel constat devons-vous faire aujourd’hui ? Ont – elles réussi à atteindre leurs objectifs ? Ont – elles su s’émanciper de leur tutelle étatique qu’elles ont contribué, délibérément ou pas, à enrichir ? Ont – elles su et pu mobiliser des énergies et des outils pour faire de l’éducation populaire sur les territoires ? 

La résignation gagne du terrain. Tous les indicateurs le démontrent. Les médias de masse, propriétés d’un conglomérat d’industriels, fabriquent l’opinion collective depuis de trop nombreuses années. Ils sont aidés en cela par un pouvoir obnubilé par la rentabilité de tout acte qui ne souhaite pas des esprits éclairés mais de la main d’œuvre au service du PIB.  Cette connivence avance à grands pas et, il faut l’avouer, a réussi son pari.

L’oppresseur se grime en seul et unique acteur capable d’adapter la société française aux exigences d’un contexte de mondialisation. Tout le reste ne serait qu’utopie et cris d’orfraies d’une poignée de gauchistes. Quoiqu’il en soit, la culture de l’esprit critique ne fait pas partie des objectifs de l’État. 

Il devrait dès lors être la priorité de ceux qui se réclament de l’éducation populaire. Libre arbitre, estime de soi, émancipation culturelle, curiosité intellectuelle sont des armes. Elles devraient être en vente libre au sein des fédérations ! Il n’en est rien. 

En lieu et place d’éducation populaire les mouvements ont décidé de se concentrer sur la formation d’animateurs techniciens et purement techniciens en y ajoutant quelques saupoudrages lexicaux qui auraient le rôle de rendre leur projet aussi cohérent aujourd’hui qu’il l’était peut-être hier. Ainsi, nous retrouvons « éducation nouvelle » pour certains ou « animation volontaire » pour d’autres. Nous ne sommes pas dupes. La proximité politiques des dirigeants avec le pouvoir, qu’il soit national ou régional, n’est pas un marqueur de souveraineté. La dépendance aux subventions ciblées et volontairement encouragée par un mode de relation descendante et hiérarchique institution – associations ne prouve pas non plus la volonté de promouvoir l’éducation populaire car occupées à répondre aux appels à projet et à essayer de survivre, les associations ne peuvent de toutes façons, le voudraient-elles, se mobiliser sur des projets qui ne rapportent « rien » d’autre qu’une dynamique collective conscientisée au service de l’émancipation.

L’animation socio-culturelle est donc devenue au fil des années le faire valoir d’une éducation populaire Canada Dry (pour reprendre l’ancien slogan de la marque). Et cette posture des fédérations, cette inertie idéologique, encore une fois volontaire ou pas, fait le bonheur des institutions politiques. Avec des acteurs aussi dociles et soumis il n’est en effet pas difficile de poursuivre l’œuvre de destruction massive des esprits libres. La connivence devient complicité entre assassins. L’un tue avec préméditation, l’autre s’est enfermé dans une relation symbiotique dont il ne sait plus s’extraire pour certains, dont il ne veut pas s’extraire pour d’autres. 

Combien de fédérations, de mutuelles ou autres mouvements associatifs ont été, malgré des projets ambitieux et certainement sincères, de simples escabeaux utilisés pour atteindre pouvoir et reconnaissance ? Ces stratégies individuelles ou collectives ont depuis des années discrédité les actions militantes du terrain.

Les soldats de l’éducation populaire sont bien entendu tenus éloignés de ces enjeux par des organisations pyramidales et complexes mais ils le sont aussi par la nécessité de faire vivre la structure qui les nourrit. Quel que soit, et nous pouvons l’entendre, le prix idéologique à payer. 

Depuis Jean Macé et la création de la Ligue de l’Enseignement quel est donc le bilan à porter à l’actif de ces projets dits d’éducation populaire ? Main dans la main avec les mairies, les départements et les régions socialistes quelques fédérations ont sans doute bien relayé les messages du parti mais ont – elles eu une quelconque influence sur le projet politique ? Elles ont souffert sous Hollande comme jamais elles n’auraient dû souffrir sous un gouvernement se réclamant de la gauche mais leurs dirigeants pouvaient – ils dénoncer l’organe politique qui nourrissait leur ambition pour assurer le développement de l’organe associatif qui les avait fait naître ? Comment présider à l’indépendance politique d’un mouvement quand on préside celui-ci et qu’on entretient une connivence régionale via le conseil économique et social ? Comment ne pas voir une quelconque volonté d’accointance quand on préside une fédération nationale et que l’on doit son évolution de carrière à l’administration d’État ? Le système de corruption idéologique est donc bien huilé et il accouche d’un copinage qui engendre à son tour des idées qui se complaisent à n’être qu’une écume d’éducation populaire. 

A affirmer cela nous conviendrons ainsi que les fédérations reprocheraient dans leur texte ce qu’elles encourageraient soi-disant par leur fonctionnement, toujours liées à un parti socialiste qui a souhaité et entretenu cette servilité pendant des années en privilégiant ses amis complaisants, même incompétents, à des partenaires peut-être certes incommodants mais sincères. Ce dernier meurt lentement aujourd’hui de ces pratiques et, malheureusement, nous sommes forcés de constater aujourd’hui que les raclées d’hier ne lui ont pas servi à sortir du coma. 

Si agir collectivement à la transformation sociale est un enjeu démocratique dans une société où l’individualisme croît et où la montée du fascisme est constatée sur tous les territoires alors nous affirmons en conclusion que le manque de courage politique des chefs et des chefaillons des mouvements qui se réclament de l’éducation populaire ne permettra pas plus demain qu’aujourd’hui aux projets qu’ils sont censés porter d’être à la hauteur des enjeux. Qui évaluerait désormais le développement de l’éducation populaire sur les territoires ? Les Conseillers d’Éducation Populaire et de la Jeunesse du Ministère de la Jeunesse et des Sports se transforment en contrôleurs et n’ont plus les moyens d’aller à la rencontre des pratiques. Ils sont de plus en plus écartés de leur compétence pédagogique pour vérifier la conformité des paperasseries. L’intention déclarative des acteurs prendra le pas sur la démonstration et la dérive du tout animation technique exclura toute dimension d’éducation populaire telle que nous venons de la définir. Les régions, de droite comme de gauche, ne paraissent pas plus attachées à l’éducation populaire que l’État. Elles ont besoin de former des demandeurs d’emploi et qu’importe le fond de la formation des animateurs. Quand bien même l’ignorance des méthodes d’éducation populaire anéantirait de toutes façons toute exigence éducative il est clairement démontré par les résultats que l’institution n’a pas intérêt à vouloir d’un projet qui pourrait critiquer le socle de son fonctionnement démocratique et donc son ADN. 

Nous remarquons donc désormais que les logiques économiques ont isolé les acteurs et que les formations en animation sont devenues un marché où sont volontairement conviés à s’entretuer ceux qui sont censés combattre le système anti éducation populaire. Tant que les postures, fonctionnements internes et méthodes ne seront pas remis en cause il sera bien difficile de sortir collectivement et unis de ce piège tendu par le capitalisme et par les arrivistes qui le portent. Il sera certainement très difficile aussi d’amener celles et ceux qui tiennent les ficelles de la servitude à reconnaître qu’ils doivent changer de paradigme. C’est le travail que doit entreprendre leur base. 

Pour sortir de ce marasme suicidaire, nous appelons donc à un dialogue franc et sans langue de bois entre tous les acteurs d’éducation populaire qui n’aurait d’autre finalité de faire comprendre aux institutions qui les instrumentalisent qu’ils seront désormais au service d’un projet de transformation sociale initiée par une refondation de l’éducation populaire. Ce projet, loin de gommer toute singularité et toute identité, ne pourrait reposer que sur un collectif indépendant. Il nous paraît de surcroît fondamental, vous l’aurez compris, qu’il émane et soit enrichi de celles et de ceux qui font de l’éducation populaire en direction des publics et sur les territoires et non de celles et de ceux qui la gouvernent. Ce n’est qu’au prix de cette rencontre que nous serons en capacité de lutter. Ces assises de l’éducation populaire peuvent échouer et elles échoueront inexorablement si elles ne sont portées que par les querelles d’égo des chefs et chefaillons cités plus haut mais si ceux-ci, dans un sursaut de clairvoyance, venaient à comprendre que la finalité du projet doit dépasser leurs chapelles et leurs ambitions alors cette force serait à coup sûr un adversaire redoutable et indiscutable pour lutter contre le modèle du monde qu’ils nous préparent. 

Source : http://huberthurard.over-blog.com

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