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Recherche (le) peuple désespérement

Nous vous le disons d’emblée, c’est le livre politique de l’automne pour tous les militants et citoyens éclairés. Vous arrêtez de suite le livre que vous êtes en train de lire, il attendra bien les longues nuits d’hiver. Vous pensiez en acheter un autre ? Retardez cet achat et précipitez-vous pour acquérir, avant qu’il ne soit épuisé, le livre qui a le même titre que cet article. Il est édité aux éditions Bourin. Que dites-vous ? Un autre journal vous en conseille un autre ? Changez de journal ! Vous avez un emploi du temps qui ne vous permet pas de lire ? Supprimer vos prochaines réunions familiales et galantes, repoussez au lendemain les activités militantes à l’efficacité douteuse, sachant que beaucoup de lignes stratégiques organisationnelles sont à « l’ouest » comme disent les « djeuns »!

Vous souhaitez connaître les auteurs? Sachez d’abord que la somme de leurs âges est inférieure au mien ! Sachez ensuite que j’écris cette recension car j’en ai un peu marre de tous ces  » jeunes cons » qui ressemblent tellement par mimétisme aux « vieux cons » de ma génération. Je ne suis pas sensible au jeunisme. Mais lorsque certains d’entre eux montrent une voie de reconstruction, écoutons-les ! Pourquoi ? Pour redresser les lignes stratégiques obsolètes de la gauche tout entière, gauche de la gauche comprise. Ce n’est pas encore fait avec ce livre, mais les trois premiers chapitres en donnent les prémisses sans nul doute. Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin en ont fixé les bases sociologiques nécessaires. Car c’est bien là que toutes les lignes stratégiques de gauche ou d’extrême gauche font défaut. Après ce que d’aucuns appellent improprement « les trente glorieuses », puis la mondialisation néolibérale et enfin le turbocapitalisme, phase actuelle du capitalisme, énormément de choses ont évolué, y compris la sociologie des classes sociales et surtout leur enracinement spatial.

En lisant ce livre, on comprend pourquoi ceux qui n’ont comme univers que les villes-centres et les lieux de vacances pour bobos, qui ne voient plus de couches populaires dans leur vie courante, qui estiment que les couches populaires (ouvriers, employés) n’existent que dans les quartiers des communes de banlieues appelés pour la circonstance « quartiers populaires », ont en fait une vue déformée de la réalité, et donc reproduisent des schémas obsolètes, produits par des médias aux ordres du néolibéralisme et repris par les organisations de gauche dans leurs lignes stratégiques.
Ce livre concentre, en quelques dizaines de pages, les résultats des travaux de nombreux chercheurs bien répertoriés dans une bibliographie impressionnante mais directement connectée au texte lui-même. Cela est pour les militants et les citoyens éclairés de première importance ! On peut donc lire le texte lui-même ou on peut aller chercher des développements dans la bibliographie et je peux vous dire que vous en ressortez plus intelligent qu’avant.

Nous comprenons enfin pourquoi le PS de François Mitterrand a gagné en 1981 et pourquoi le PS de Jospin, Hollande et Royal a perdu par la suite. La messe est dite quand on sait que Lionel Jospin, lors du premier tour de la présidentielle de 2002, perd près des trois-quarts des couches populaires qui ont voté François Mitterrand au premier tour de la présidentielle de 1981 et que Ségolène Royal ne fait qu’un peu plus du double de Jospin et perd donc environ 40 % des voix qui  s’étaient reportés sur François Mitterrand au premier tour de 1981. Elle y est même devancée dans les couches populaires par… Nicolas Sarkozy lui-même ! Un comble ! Ségolène Royal est donc qualifiée au second tour, mais ne rassemble alors que la moitié des voix des couches populaires alors que François Mitterrand a eu au deuxième tour les trois-quarts de ces voix.
Le premier enseignement du livre est donc : qui veut gagner le droit d’administrer la France doit reconquérir d’abord les couches populaires, puis l’ensemble de la gauche.

Mais cela ne suffit pas. Il faut comprendre les modifications de la réalité depuis lors.
Nous voyons, directement en lisant ce livre, comment la mondialisation néolibérale a profondément modifié la sociologie française. Nous voyons que, contrairement à ceux qui ont cru à la fin de la classe ouvrière et des couches populaires, ces dernières sont majoritaires dans le pays et donc que les couches moyennes dont on parle tant sont toujours minoritaires dans le pays. Nous voyons la recomposition sociologique s’effectuer dans quatre types de territoires : villes-centres, banlieues, zones périurbaines et zones rurales. Nous y voyons que les deux derniers espaces sont méconnus, oubliés, voire méprisés par tous les partis de la gauche, gauche de la gauche comprise. Nous comprenons mieux pourquoi le Front national a pu un temps s’y engouffrer. Qui sait que dans les zones rurales les couches populaires sont 5 fois plus nombreuses que les paysans pris au sens large ! Voilà qui va surprendre des militants et des citoyens éclairés !
C’est le deuxième enseignement de ce livre : la gauche ne peut gagner que si elle parle aussi aux couches populaires des zones périurbaines et rurales !

Mais cela ne suffit pas. Il faut comprendre comment se déterminent les couches populaires. Le non au traité constitutionnel européen a gagné principalement grâce à une mobilisation sans précédent des couches populaires des banlieues, des zones périurbaines et des zones rurales.
C’est le troisième enseignement de ce livre : si la gauche veut gagner, elle doit reconstituer le bloc sociologique majoritaire réalisé le 29 mai. Car les villes-centres concentrent principalement les gagnants de la mondialisation néolibérale. Et les banlieues, les zones périurbaines et les zones rurales, principalement les perdants. Voilà donc l’alliance majoritaire potentielle pour la gauche.

C’est le quatrième enseignement de ce livre : la bataille pour l’hégémonie idéologique de la gauche dans les banlieues, dans les zones périurbaines et dans les zones rurales devient donc centrale. Ceux qui ont organisé ou pris la parole dans les zones périurbaines et rurales pendant la bataille du non au TCE ont-ils remarqué qu’il y avait plus de monde pour participer aux réunions d’éducation populaire dans les zones rurales et périurbaines que dans les villes-centres ? De ce point de vue, les organisations qui ont répondu à l’appel de l’UFAL pour mener dans tout le pays une campagne d’éducation populaire tournée vers l’action ont vu juste. Comment expliquer autrement que lors de cette campagne d’éducation populaire tournée vers l’action, il y ait fréquemment un public beaucoup plus important sur une ligne de classe dans les zones rurales et périurbaines que dans les villes-centres !

Mais ce n’est pas tout. Pour retisser le lien avec les couches populaires, il convient de comprendre qu’ils ont compris où se situent leurs intérêts.
C’est le cinquième enseignement du livre : si la gauche veut gagner, elle doit reprendre le chemin des discours sur l’émancipation humaine, de la lutte pour la démocratie y compris au sein des organisations, elle doit comprendre que la lutte contre le libre-échange est une nécessité, que l’aspiration à l’égalité des couches populaires ne sera pas satisfaite par l’ersatz de l’équité ! L’aspiration à la république égalitaire ne sera pas détournée vers l’acceptation de l’apartheid social organisé par un communautarisme de quotas de visibilité !

Trois regrets : il manque une réflexion profonde sur la laïcité (pourtant sous-jacente dans les propos du livre) et un approfondissement des alternatives au libre-échange. Sur ce dernier point, il est dommage que le néo-protectionnisme altruiste, écologique et social ne soit pas présenté comme une alternative au libre-échange et au vieux protectionnisme de la droite. Enfin, on pourrait ajouter au livre que les sujets qui intéressent les couches populaires (emploi, précarité, protection sociale, logement, services publics, école, vivre ensemble et laïcité) sont ceux qui ne sont pas ou peu représentés dans les universités d’été des « grandes organisations », le PS à la Rochelle, le PC au Vieux-Boucau, le NPA à Port-Leucate ou le PG à Clermont-Ferrand ou ATTAC à Arles.

Mais ne ménageons pas notre satisfaction à la lecture de ce livre. Et comme nous sommes favorables à votre satisfaction, il est impératif que vous lisiez ce livre et que nous vous nous en fassiez à votre tour une recension. Nous attendons vos avis. Car c’est sur les sujets de ce livre que doivent se déterminer les débats politiques de la période. En tout cas pour ceux, militants et citoyens éclairés, qui veulent oeuvrer à la transformation sociale avec une coalition sociale majoritaire. Les autres peuvent continuer à lire leurs autres médias favoris…

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