L’auteur de cette chronique pense que, parce que nous sommes insérés dans une nouvelle phase du capitalisme, la fuite en avant de l’oligarchie face aux contradictions intrinsèques de cette formation sociale capitaliste nous conduit à pas lents mais décidés vers une nouvelle barbarie, vers un nouvel ordre moral. Comme dans l’histoire de la grenouille chauffée, la grenouille s’adapte si on augmente la température de l’eau doucement et elle finit par mourir car elle n’a pas pensé à une alternative. Mais cette fois-ci, avec les nouveaux instruments coercitifs, les nouveaux appareils idéologiques dans les mains de l’État ou d’oligarques mondiaux, la sous-administration des choses et la surbureaucratisation de l’État, le cadre néolibéral et ordolibéral à la fois, les nouvelles formes de contrôle social, cette montée d’un nouvel ordre moral est d’une nature plus complexe et totalement différente. Elle est d’abord multiforme. Elle s’exerce par le nouveau management et son contrôle social nommé par un mot euphémisant : l’évaluation! Elle s’exerce par un accroissement de la répression que nous avons pu connaître lorsque l’extrême centre macroniste est sorti des pratiques républicaines de la police contre les gilets jaunes. Elle s’exerce par une succession de lois qui diminuent les libertés publiques mais qui par exemple, sont inopérantes contre le développement des baronnies de la drogue dans les quartiers. Elle s’exerce aussi par le soutien de l’oligarchie (dans ses nominations et par son financement) et de leurs médias dominants de toute politique identitaire, essentialiste, communautariste qu’elle soit d’extrême droite, de droite ou de gauche, pourvu que cela permette au grand patronat de mener la lutte des classes (un des hommes les plus riches du monde, Warren Buffett, n’a -t-il pas dit: « Bien sûr que la lutte des classes existe, puisque c’est notre classe qui est en train de la gagner »). Elle s’exerce en empêchant la gauche syndicale et politique de la contrer ; en général, en favorisant l’utilisation comme primat des concepts de race et de genre en lieu et place du primat de la question sociale qui seule peut fédérer le peuple dans un bloc historique populaire autour de la classe populaire ouvrière et employée. Et contrairement aux périodes passées, la pénétration des préoccupations identitaires, essentialistes, communautaristes dans la gauche syndicale et politique l’empêche de proposer une alternative majoritaire. Et enfin, en supprimant petit à petit la liberté d’expression et de réunion.
Par exemple, un magistrat ordonne la censure préalable d’une enquête de Mediapart. Saisi par l’avocat de Gaël Perdriau, le président du tribunal judiciaire de Paris a fait injonction à Mediapart de ne pas publier de nouvelles révélations sur l’affaire du chantage à la sextape de Saint-Étienne. Une censure préalable, décidée sans débat contradictoire, sans droit de la défense est un procédé anti-républicain qui remet en cause une liberté publique fondamentale : la liberté de la presse !
Présentation d’une censure ordinaire
Au printemps 2022, la médiathèque départementale des Alpes-de-Haute-Provence a décidé de participer au Mois du documentaire avec son propre réseau. Une sélection de films a été proposée dont le documentaire Roland Gori, une époque sans esprit du réalisateur Xavier Dayan, la date et l’horaire ayant été fixés et validés.
Sauf que la mairie de Barcelonnette est intervenue pour interrompre le processus, contester le choix des médiathèques et a refusé cette programmation. C’est grâce au réseau départemental que cette programmation a quand même pu avoir lieu en étant déplacée dans la médiathèque de Jausiers.
La maire de Barcelonnette, Sophie Vaginay-Ricourt, a justifié sa censure auprès du journal La Provence, le Jeudi 24 novembre 2022, en expliquant que : « Nous ne souhaitions pas ce militantisme de la pensée et d’un sujet politique dans un espace dédié à la culture » ! Le film fort heureusement a déjà été projeté dans une quarantaine de villes, avec plus de 120 séances en salle suivies de débats en présence de Roland Gori, de Xavier Gayan, de nombreux psychanalystes (Alain Vanier, Marie-Jean Sauret…) ou de penseurs et d’écrivains (Barbara Cassin, Clotilde Leguil, Camille Laurens…).
Voilà le résumé du film censuré par la maire de Barcelonnette :
« Aujourd’hui nous vivons dans un monde où la logique de rentabilité s’applique à tous les domaines. Les lieux dédiés aux métiers du soin, du social, de l’éducation, de la culture… sont gérés par des managers ou des experts pour qui seuls comptent les chiffres, niant les besoins humains. Le psychanalyste Roland Gori se bat depuis des années contre le délitement de notre société. Ce film est un portrait de sa pensée, de son engagement, comme L’Appel des appels, qu’il avait co-initié avec Stefan Chedri, pour nous opposer à cette casse des métiers et à la marchandisation de l’existence.
Ce film propose un portrait intime de Roland Gori, accompagné de témoignages de proches : ses éditeurs Henri Trubert et Sophie Marinopoulos (éditions Les Liens qui libèrent), la philosophe et académicienne Barbara Cassin, le médecin hospitalier et auteure Marie-José del Volgo, le directeur du théâtre Toursky à Marseille Richard Martin. »
On en est là : un maire de droite peut dans cette séquence bâillonner la liberté d’expression et de réunion. Et ces baillons sont fréquents ici et là. Il est temps de républicaniser ce pays qui en perd ses propres principes. Et ce n’est pas parce qu’il y a des pays encore plus autoritaires que nous devons accepter de commencer à les copier