14 mars : dix points marquants et l’amorçe d’un retour du peuple au vote de gauche

1) C’est un résultat électoral de crise. La carte électorale a énormément bougé. Nous sommes très loin d’une stabilité. La crise économique, le désastre de la politique néolibérale, la nouvelle géosociologie des territoires, le retard politico-stratégique de la gauche, promettent un avenir politique mouvementé à la France et tous ceux qui croient à un avenir linéaire seront « hors sol ».

2) Le chiffre record de l’abstention montre clairement que l’offre politique n’est toujours pas au rendez-vous, surtout pour les couches populaires (ouvriers, employés) majoritaires dans ce pays. Il nécessite d’admettre que l’analyse des résultats est également obérée par cette abstention massive.

3) Le président de la République subit un échec cinglant. Sa majorité néolibérale a reperdu une bonne partie de l’électorat populaire qui l’avait porté à la présidence. Les débats vont donc reprendre au sein de la droite néolibérale, comme chez leurs commanditaires des directions des firmes multinationales. Des turbulences y sont donc prévisibles.

4) Même si le Front national n’est pas au niveau de son score des régionales de 2004, il vient de montrer qu’il a redressé la tête depuis les élections précédentes et va donc probablement entraîner l’échec de Nicolas Sarkozy et de l’UMP dans ces élections en se maintenant dans 10 à 12 régions.  Et si on ajoute au Front national différentes petites listes insignifiantes en elles-mêmes mais qui participent des remises en question de l’électorat de droite, ces marques de mécontentement alimenteront le débat au sein de la droite.

5) Le MODEM est mort. En dehors de l’équipe Lassalle en Aquitaine, il a perdu son électorat populaire. Une stratégie sans base sociologique stable et un programme déconnecté du discours, voilà ce qu’ont petit à petit compris les électeurs. C’est pour eux, comme nous l’avons prédit, la fin de l’histoire.

6) L’installation d’Europe Ecologie comme troisième force du pays est la conséquence du mécontentement des couches moyennes de l’offre politique traditionnelle et du grand talent tactique de Dany Cohn-Bendit. Peu de commentateurs ont compris ces qualités tactiques, tant pendant le mouvement de Mai 68 que dans la montée d’Europe Ecologie. Mais qu’on se dise bien que les génies tactiques n’ont qu’un temps (Chevènement, Mitterrand, Bayrou, entre autres !) et que rien ne remplace l’analyse stratégique (comme l’ont expliqué Sun Tzu, Clausewitz et beaucoup d’autres). Pour comprendre pourquoi le mécontentement des couches moyennes de l’offre politique traditionnelle aboutit à Europe Ecologie, n’oublions pas qu’une couche sociale peut toujours tenter de privilégier la défense de ses intérêts avant de penser à faire alliance avec d’autres couches sociales et notamment dans ce cas, avec des couches populaires. De ce point de vue, l’histoire ne fait que commencer.

7) Le parti socialiste est un des bénéficiaires conjoncturels de ce premier tour des élections, notamment grâce d’une part au retour d’une partie des couches populaires qui l’avaient boudé lors des élections précédentes et d’autre part, à un discours moins gestionnaire de la direction du PS. Ces deux points sont majeurs bien que la situation reste pour le PS bien précaire.

8 ) Le Languedoc-Roussillon montre que les « élites politiques » de gauche (Front de gauche, Europe Ecologie et PS ) ont été incapables de traiter le cas singulier du populisme de gauche animé par Georges Frêche. Ils réussissent le tour de force d’être absents du 2ème tour de l’élection régionale et de permettre une triangulaire droite néolibérale- Front national – populisme de gauche. De la jospinade languedocienne. Une honte pour toute la gauche !

9) L’écroulement du NPA est dû principalement au fait que les couches populaires qui l’avaient rejoint aux européennes ne lui pardonnent pas d’avoir rompu l’unité de la gauche du non. Il aurait pu par exemple, disent beaucoup d’ouvriers et d’employés, avoir une position unitaire sans participer aux exécutifs de la gauche. Mais une raison secondaire a joué. La symbolique de la candidate voilée, émergence d’une stratégie d’alliance avec la religion supposée des pauvres, a suscité la réprobation de chez tous ceux attachés à la globalisation des combats (notamment laïques et féministes) et de tous ceux qui sont indignés que l’on puisse déclarer que pour représenter les quartiers populaires, il faut une candidate voilée. Que des trotskistes rompent avec la thèse marxiste de la religion « opium du peuple » et souhaitent instrumentaliser la religion à des fins politiciennes, c’est abject et dérisoire. Le peuple a de ce point de vue une certaine pertinence.
Lutte Ouvrière, qui tient un discours qui s’entend dans les couches populaires, est sanctionné de ne pas donner de perspectives politiques aux travailleurs gagnés à l’idée de lier le combat par les urnes au combat par les luttes sociales.

10) Le Front de gauche semble s’installer dans le paysage mais sa progression est enrayée. Et on ne peut pas dire qu’il est possible d’extrapoler un résultat proportionnel des 17 régions où il est présent aux 22 régions métropolitaines. C’est outrecuidant puisque ceux qui ont rompu l’alliance du Front de gauche l’ont fait précisément parce qu’ils étaient incapables de faire 5% au premier tour, préférant donc garder leurs élus plutôt que de participer à une expérience nationale !  Donc malgré une stratégie d’union qui garde une certaine pertinence, il stagne à cause de plusieurs causes conjoncturelles et structurelles. Quant aux causes structurelles, voir l’article sur les déficits politico-stratégiques du non de gauche. Quant aux causes conjoncturelles, proposer aux électeurs des communistes sur plusieurs listes concurrentes, dans plusieurs régions, proposer aux électeurs des alliances à la carte région par région, tout ceci a donné l’impression d’une stratégie opportuniste : ici alliance PG-NPA, ici Front de gauche élargi, ici alliance PS- communistes, etc.

Le début d’un retour (précaire) du peuple dans le vote de gauche

Comme les sondages l’ont montré, les couches populaires (ouvriers, employés) ont démarré leur retour à gauche. Mais malheureusement aussi vers le Front national.

Ce retour n’est que fragile et encore largement partiel. Notamment parce que une bonne partie des couches populaires gonflent l’abstention, voire les votes nuls, en grand nombre. Est-ce que les partis de gauche et d’extrême gauche sauront apporter les réponses aux questions que se posent les couches populaires majoritaires dans le pays ? Rien n’est moins sûr, même si nous l’espérons.
Quand le désastre du gouvernement de la Gauche plurielle de Jospin entraîna toute la gauche dans l’impasse : 13 % des chômeurs, 11 % des ouvriers votent pour Lionel Jospin (PS) et 1 % des ouvriers votent Robert Hue (PCF), alors que le Front national engrange 30 % des votes ouvriers !
En 2007, léger mieux de ce point de vue vers le PS et la LCR (devenu depuis le NPA) mais pas vers le PCF. Mais le compte n’y est pas car Jean-Marie Le Pen (FN), Ségolène Royal (PS), Nicolas Sarkozy (UMP) et François Bayrou se partagent l’essentiel des voix des couches populaires et qu’un candidat de gauche ne peut gagner qu’avec la très grande majorité de ces couches populaires.
Nous serons attentifs aux sondages à la sortie des urnes pour juger des votes ou des non-votes des couches populaires. Mais les résultats montrent un début de retour à gauche des voix des couches populaires. Malheureusement, c’est également le cas pour le Front national. Et trop de citoyens des couches populaires manifestent encore leur mécontentement dans l’abstention. La bataille pour l’hégémonie dans les couches populaires a donc repris entre la gauche et le Front national. Faire en sorte que la gauche gagne cette bataille de l’hégémonie est centrale pour la gauche. Et cette bataille ne doit pas simplement se faire par des gadgets, aussi médiatiques qu’ils soient.