« En allant à la rencontre des Gilets jaunes sur les ronds-points de province, je leur ai demandé ce qu’il revendiquaient pour leurs enfants. Ils m’ont avoué, « c’est vrai, on les a un peu oubliés ». Oubliés, ils le sont en effet quand on regarde le listing de leurs revendications. Bien sûr ils finissent par s’accorder pour dire que les mineurs étrangers ont droit à la sécurité et à l’éducation. Bien sûr ils revendiquent des classes de 25 élèves pour leurs enfants et aussi quelques facilités de garde pour leurs minots. Mais au-delà, point de doléances ! Et pendant ce temps là, un enfant habitant le Yémen meurt toutes les 10 minutes. Depuis 2015, 85 000 enfants de moins de 5 ans ont été anéantis, avant même d’avoir commencé à vivre. De tous ces faits, notre gouvernement en est l’un des complices, comme il est complice du sort qu’il réserve en France à l’enfance délaissée, oubliée, en danger. Comme le dit le psychanalyste Roland Gori : « il faut prendre en compte tous les enfants en danger, les mineurs migrants bien sûr, mais aussi les enfants de la rue, les enfants enrôlés dans le radicalisme », les exploité-e-s des petits boulots, les refusé•e•s d’apprentissage et les relégué•e•s des institutions sanitaires, sociales ou médico-sociales. Un autre ami psychanalyste, dans l’article qu’il nous propose dans cette édition spéciale, comme pour tous ceux qui ont participé à ce numéro spécial sur les Mineurs Isolés Étrangers, pense qu’aujourd’hui ces MNA deviennent des lanceurs d’alerte, qui nous montrent que « ceux-ci sont les symptômes du fait que c’est l’enfance elle-même qui est en danger. ». Aujourd’hui, en danger ils le sont, quand, comme pour leurs parents, pour leurs familles, on sonne, aujourd’hui, en Europe, la fin de l’hospitalité. En danger quand, en France, à la protection et à l’accompagnement, comme le dit le syndicat Sud Éducation « se substituent l’évaluation et la suspicion. » En danger quand on confond volontairement politique de l’accueil et politique du tri et des chiffres. En danger quand on fragilise le statut des MNA en faisant glisser pernicieusement la reconnaissance de leurs droits de mineurs, alignée sur celle du droit des majeurs. En danger quand ces jeunes désirant s’intégrer sont finalement « déboutés » et que faute d’intégration, ils deviennent hors-la-loi. Et toujours en danger, quand on les voit, sans forcer le trait, tout doucement passer du registre des réglementations de l’Aide Sociale à l’Enfance à celle du statut de délinquant, consacré depuis la fin de la guerre par les « Ordonnances de 45 » ; ces mêmes ordonnances qu’on envisage de réviser, sous l’influence de la politique du tout répressif. En danger lorsque le gouvernement annonce, en catimini, la sortie imminente (pour janvier 2019), d’un décret instituant le « Fichier biométrique » des mineurs étrangers. Ça ne vous rappelle rien les fichiers biométriques ? C’est donc bien toute la conception de l’enfance qui est aujourd’hui niée, falsifiée, déshumanisée. Il est grand temps que le Réseau d’Éducation Populaire (REP) relève avec ses partenaires, ses réseaux, avec les institutions et les personnes sensibilisées aux questions de la jeunesse, le défi d’un mouvement d’ampleur qui appellerait à participer à des États généraux de l’Enfance en danger. N’oublions pas les leçons du sociologue Robert Castel quand il nous disait : « Il faut rappeler avec fermeté que la protection sociale n’est pas seulement l’octroi de secours en faveur des plus démunis pour leur éviter une déchéance totale. Au sens fort du mot, elle est pour tous, la condition de base pour qu’ils puissent continuer d’appartenir à une société de semblables. » Et bien sûr, dans cette « Société de Semblables », manquent toujours à l’appelle, les « invisibles », ces femmes, ces filles, ces gamines que depuis le début, nous rappelant les contes pour enfants qui se terminent mal, nous appelons « LES PETITES POUCETTES ».
ReSPUBLICA a déjà publié dans le passé plusieurs articles sur cette question grâce aux camarades de notre réseau fortement investis (ici et là par exemple) et a décidé d’y consacrer ce numéro de rentrée, coordonné par Christian Dulieu. Retrouvez le prochain numéro, 893, dès la semaine prochaine, et recevez chers lecteurs et chères lectrices, nos vœux 2019 pour une année fraternelle de lutte(s) !