La dernière une du site ReSpublica « Candidat du Peuple, candidat du 11 janvier – Lettre ouverte à Jean-Luc Mélenchon » me fait réagir.
Si je souscris totalement au propos tendant à la défense de la laïcité et du racisme, je trouve cependant l’argumentaire critiquable. Pourquoi en effet faire un symbole de la manifestation du 11 Janvier ? Je n’étais pas Charlie! J’étais consterné, indigné, horrifié par les attentats mais fallait-il pour autant d’une part défiler derrière des chefs d’états dont la plupart ne peuvent pas se prétendre républicains laïques et encore moins sociaux et d’autre part répondre à des sollicitations et mots d’ordre pas forcément en lien avec la réalité du phénomène terroriste. Pour ma part j’ai trouvé l’attitude de François Ruffin, le rédacteur du journal Fakir, particulièrement digne en posant les véritables questions (http://www.fakirpresse.info/je-suis-charlie-combien-de-divisions). Je trouve dommage que l’article ne prenne pas plus de recul après une année passée. Combien d’abonnés et de lecteurs de Charlie Hebdo dans la foule ? Était-ce vraiment un combat laïque et républicain qui y était défendu dans la manifestation du 11 Janvier ? j’en doute, la peur y était pour beaucoup. On embrassait la police, celle qui quelques mois plus tard cognait les manifestants contre la loi El Khomri. On peut discuter Emmanuel Todd. il n’est tout de même pas le seul à avoir souligné l’homogénéité sociale de la manifestation du 11 Janvier.
« Ceux qui, « à gauche », lisent le 11 janvier comme un rassemblement raciste de « catholiques zombies » – selon le mot saisissant de mépris d’Emmanuel Todd – ceux-là sont aveuglés par leur coupure sociale d’avec peuple français et leur incapacité à comprendre. »
Je pense qu’il y a au contraire capacité à comprendre en lisant E. Todd. Même si ses attaches anglo-saxonnes ne le font pas adhérer à ma (notre) conception de la laïcité et donc du mode français du « vivre ensemble », je persiste à penser que beaucoup de ses observations sont justes et qu’il faut en tenir compte.
La critique de l’Islam me pose problème quand elle quitte le champ religieux vers l’assimilation à une population originaire d’Afrique du nord. Cela comporte le risque de basculer dans le racisme anti-arabe. Dans l’article il y a à peu près 62 % de mots ayant un rapport avec l’islam (sans compter les références aux pays musulmans), 24 % avec les juifs et 14 % avec les catholiques. Je ne crois pas faire preuve d’islamo-gauchisme en critiquant le fait que dans des propos voulant défendre la laïcité on s’attaque plus précisément à l’Islam. C’est comme cela que l’on s’expose à l’accusation d’islamophobie alors qu’il s’agit de défendre la liberté. Avec raison il est fait allusion à la Manif pour tous mais concernant les catholiques l’offensive actuelle en Pologne contre le droit à l’avortement et la contraception mériterait d’être évoquée tout autant. De même les propos du candidat Fillon et le pedigree de son entourage ( http://la-bas.org/la-bas-magazine/chroniques/fillon-ultra-liberal-mais-ultra-reac-aussi ) vaut la peine aussi qu’on s’y attarde. Je regrette donc ce déséquilibre. L’article met l’accent sur les dangers des intégrismes religieux à l’égard des femmes. C’est tout à fait juste mais réducteur. D’une part combattre l’exploitation de l’image de la femme (pas que l’image d’ailleurs) par l’autre religion féroce qu’est le capitalisme est tout aussi légitime. D’autre part d’autres domaines comme l’école laïque en particulier sont attaqués (mais je ne vous apprends rien bien sûr :-) ).
Enfin, je m’interroge sur les références aux ouvrages de Ernesto Laclau et Chantal Mouffe. Je n’ai lu à leur sujet.que des interviews et des articles ( http://www.monde-diplomatique.fr/2015/09/KEUCHEYAN/53712 . Il y aurait à discuter sur leurs influences sur Syriza et Podemos. Comme chantait Boris Vian « il y a quelque chose qui cloche ». Sur la critique de l’essentialisme il semble qu’il y ait échec.
« Si l’on se penche sur une carte des derniers résultats électoraux en Espagne, le bilan est facile à tirer : en dehors du cœur de l’agglomération madrilène (zone riche, dynamique et urbaine), qui leur est plutôt favorable, les podemitas ne séduisent guère dans le centre de l’Espagne. De la même façon, ils sont à la traîne dans les régions périphériques plus défavorisées (Région de Murcie, Andalousie, Canaries, Asturies). C’est pourtant dans ces zones que se trouvent les plus pauvres des Espagnols, ceux qui bénéficient le moins des avantages matériels offerts par la mondialisation – je pense notamment aux zones rurales de Castille-et-León, de Castille-La Manche, d’Aragon et d’Estrémadure. Ces régions sont centrales géographiquement mais périphériques économiquement et politiquement – et elles n’intéressent pas Podemos, puisqu’elles tournent le dos à cette formation (même si l’on note des exceptions locales, comme l’agglomération de Cadix, en Andalousie). » Espagne : « ceux qui croient que Podemos remettra en cause l’Union européenne se trompent », entretien avec Nicolas Klein
Il ne faudrait pas jeter la « lutte des classes » avec l’eau du bain !
Pour conclure, je trouve dommage que l’argumentaire de cette lettre ayant pour vocation d’influer sur les thèmes de campagne de Jean-Luc Mélenchon ne soit pas mieux équilibrée, qu’elle pêche par sa référence à la manifestation du 11 Janvier qui n’est pas, à mon avis, une manifestation pour la laïcité, qu’elle est malhabile dans sa démarche. Elle ne répond pas non plus aux questions que je me pose sur la « coupure » entre les populations du centre et de la périphérie. Ce dernier thème était à l’ordre du jour des « Nuits debout » mais sans résultats hélas.
Pierre Maillet