A propos de « Pour une école de l’exigence intellectuelle. Changer de paradigme pédagogique »,

Objet : Recension du livre de Jean-Pierre Terrail,  par Alain Planche (dans le n° 820)

En grande partie d’accord avec l’article et je pense même que nous en sommes arrivés à un niveau difficilement rattrapable tant en matière de niveau que de ségrégation mais là comme ailleurs on fait l’autruche. Il est exact que les réformes calamiteuses n’ont jamais été sérieusement évaluées mais ses ont poursuivies en dépit du bon sens. On en voit le résultat aujourd’hui !

Mais à mon avis vous minimisez le rôle des parents ; lorsque j’étais encore en activité j’ai entendu de nombreuses fois des mères d’élèves de maternelle demander à leur rejeton « elle a été gentille la maîtresse ? ». Que devient l’autorité de l’enseignant ?

Pour en revenir aux réformes, j’ai quitté la France de 1962 à 73   pour enseigner en coopération et lorsque je suis revenu en plein dans les maths modernes, grammaire fonctionnelle, activités d’éveil je me suis demandé où allait notre pays et je me le demande encore ! Il me semblait souvent que mes collègues avaient perdu tout bon sens.

D’autres pays ont connu ces errements mais ils redressent la barre ; je doute que nous y arrivions aussi  car nous refusons de voir la réalité ; ce sont les classement qui sont fautifs, pas nous !

J. Champetier

Réponse de l’auteur de l’article, Alain Planche

Vous avez raison de mettre en valeur le rôle des parents dans ce que vous appelez avec quelque raison « l’évolution calamiteuse » de notre système éducatif, mais je vous rappelle que mon article est une note de lecture sur le livre de Jean-Pierre Terrail, Pour une école de l’exigence intellectuelle. Or, si Jean-Pierre Terrail n’ignore pas ce rôle des parents, il ne le minimise pas, ce n’est simplement pas l’objet de son livre, qui est centré sur le changement de paradigme pédagogique lui-même et non la recherche systématique des responsables de toutes les dérives actuelles. Il se contente donc de souligner que l’on ne peut pas comprendre les orientations pédagogiques modernes si on les isole des évolutions sociales que nous avons vécues depuis l’après-guerre, et notamment la  montée en puissance des nouvelles classes moyennes et des valeurs dont elles sont porteuses (conception de l’enfant comme sujet autonome, recours à la libre initiative et au jeu plus qu’à l’autorité, etc.).

Ceci dit, j’ajouterai de ma propre initiative que les associations de parents d’élèves ne sont sans doute pas très favorables à l’école de l’exigence intellectuelle que propose Jean-Pierre Terrail. J’ai donc, comme vous, beaucoup de doutes sur la possibilité de « redresser la barre ».

Commentaire de Jean-Noël Laurenti, membre de la Rédaction de ReSPUBLICA

Sans doute on peut déplorer l’attitude de bien des parents (pas tous). Mais pourquoi faudrait-il que le rôle des parents soit déterminants ? dans la destruction de l’autorité des enseignants, il ne l’est que grâce à l’aval de l’institution. Quand Jules Ferry a obligé tous les enfants à aller apprendre à lire et à écrire au lieu d’aller traire les vaches, c’était pour une grande part contre la volonté des parents. Si les parents bobos demandent à leur rejeton si la maîtresse a été gentille, c’est à l’Etat à faire comprendre à l’enfant que la maîtresse n’a pas à être gentille (ni méchante). Or les méthodes officielles, et même les programmes, imposent le ludique, la gentillesse, l' »empathie », bref, ce qui relève de l’affectif et non de la formation de l’esprit critique. On peut même dire que les pédagogies officielles ont soufflé aux parents ce mépris de l’enseignant dont fait si largement preuve sa hiérarchie.
Si nous vivions dans un régime où prédomine le souci du bien public, évidemment les réformes devraient être évaluées. Mais dans le système actuel, pas plus que les « réformes » de la SNCF ou de la poste il n’est question de les évaluer, puisque leur premier objectif est de saboter l’école publique. Si on les évaluait cet angle, l’objectif est atteint : il est inutile d’évaluer.
Car ces réformes ne sont poursuivies en dépit du bon sens : elles sont au contraire très cohérentes et très bien pensées en fonction d’un objectif simple : détruire l’institution républicaine qu’est l’école publique, réduire à quasi néant sa fonction émancipatrice et « adapter » les individus à la société capitaliste. L’habileté du pouvoir, qu’il soit bleu ou rose, consiste à estomper cet objectif réel et profond, à procéder par touches successives, quitte à se déconsidérer en donnant l’impression du n’importe quoi. Quant aux enseignants, ils peuvent suivre pour des motivations multiples, la première cause étant la dégradation de leur statut, qui les rend plus dépendants de la hiérarchie.
Une histoire reste à faire : celle de la convergence entre les idéologies pédagogiques et pédagogistes d’inspiration libertaire (« décoloniser l’enfant », etc.) et aussi très largement chrétienne (l’école de Genève), et les idéologies officielles libérales qui visent à préserver le système social, voire à détruire les acquis sociaux et politiques.
Cela ne nous autorise pas pour autant à sombrer dans le défaitisme et le renoncement. Mais ayons bien conscience que la reconstruction de l’école républicaine suppose une analyse et un combat social beaucoup plus plus généraux.