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Sur l’école « de Jules Ferry » : nos lecteurs commentent

1/ Courrier de Denis Billon

Je voudrais réagir à cet article sur l’école de Fatiha Boudjelhat.
Et donc cela est destiné à celle qui l’a écrit. D’abord, laissez moi vous dire que nous ne sommes pas loin l’un de l’autre.Je fus membre du MDC de sa création en 1992 à sa disparition en 2002. J’ai refusé ce pôle républicain et sa suite, le MRC, qui mélangeait torchons et serviettes, souverainistes de gauche et de droite. J’avais au MRC une belle affichette avec des cerises, et qui disait « Redresser la gauche avec la France ».
Une gauche républicaine eut été indispensable.
Il va de soi que, comme vous je suis très loin de cette NVB, qui est plus dangereuse qu’il n’y paraît.
Toutefois, je voudrais rappeler certaines choses. J Ferry n’a pas tout inventé. La révolution a préparé l’école émancipatrice, laïque, ouverte à tous.
Je suis lorrain, et l’abbé Grégoire a défini le futur de l’Education nationale.
Au cours du XIXe siècle, les révolutionnaires ont lancé de grandes expériences. L’enseignement mutuel a suivi son bonhomme de chemin.
Il n’est pas exagéré de dire que ce qui a été construit lors de la Commune n’était guère apprécié des bourgeois.
Et J Ferry était un grand bourgeois. J Ferry était colonialiste, et qui lui reprocherait à une époque où tous les Français ou presque vantaient les mérites de la colonisation. Il a beaucoup fait pour la formation des garçons et des filles.
Mais l’enseignement de Jules Ferry était un enseignement de classe.
Jusque les années 50, l’enseignement était divisé en deux strates totalement étrangères l’une à l’autre. Le premier degré était pour les ouvriers, le second pour les bourgeois. De la maternelle à la faculté, on avait placé une frontière infranchissable. Longtemps, l’élève du premier degré qui avait atteint le niveau du baccalauréat n’avait pas le droit de le passer. Même l’Ecole normale supérieure avait une école du premier et une du second degré.
Pour autant, l’école de la IIIe République a formé des citoyens conscients et patriotes. Les instituteurs, hussards noirs, n’y ont pas été pour rien et ont payé de leur vie, plus que les autres, leur patriotisme.
S’il faut rechercher des responsables à 1940, il vaut mieux regarder dans l’incurie des gradés de l’époque.
Je suis lorrain et bien placé pour savoir qu’une ligne fixe, comme la ligne Maginot, est faite pour être contournée, avec des chars que les généraux ne voulaient pas construire (Cf De Gaulle).
Mais il y a eu aussi la connivence entre les industriels des deux pays.
Il y avait des De Wendel des deux côtés de la frontière.
Je suis originaire de Longwy. Les usines ont fabriqué de l’acier pour les obus de l’armée française jusque 1940. Puis de 1940 à 1944 pour l’armée allemande. A partir de 1944, ce fut pour l’armée américaine. Et les usines n’ont pas cessé de produire une seule journée.

2/ Les fossoyeurs de l’école laïque

Texte de La Libre Pensée du Gard (transmis par Francis Labbe)

Bien que nous n’adhérions pas à une vision trop idéalisée de l’école de Jules Ferry, et que nous pensions que l’école républicaine doit apprendre à penser plutôt que de transmettre des « valeurs », par essence relatives et subjectives, nous estimons utile de mettre ce texte de nos camarades du Gard en circulation sur nos réseaux. D’une façon générale, nous estimons que l’école de la République sociale doit s’appuyer sur les principes qui la constituent.
L’école publique laïque, forte de ses valeurs humanistes, a, dès sa création, démontré son efficacité. Hélas ! L’école n’est plus actuellement ce milieu protégé propice à l’étude et à la réflexion comme le souhaitaient les législateurs de la IIIème République. En effet, de nombreux obstacles se sont dressés sur son chemin depuis 135 ans et notre système scolaire et universitaire a été souvent mis à mal, et pas seulement par des gouvernants de droite mais également par ceux, de gauche, qui n’ont plus rien à voir avec Jules Ferry ni avec les penseurs de l’éducation qu’étaient Jaurès ou Jean Zay.

En premier lieu, les plus grandes atteintes sont venues des choix politiques des gouvernements des années 20 et surtout de la Ve République.
La Loi Debré de 1959 permet de ponctionner environ 10 milliards d’euros dans la poche des citoyens pour financer les écoles privées sous contrats d’associations au point que les élèves de ces écoles sont plus subventionnés que ceux des écoles, collèges ou lycées publics.
Le «  processus de Bologne  » (1999) a commencé à supprimer le monopole des Etats de la collation des diplômes et des grades.
La loi Carle (2009), quant à elle, permet à une famille de faire financer par leur commune de résidence les frais de scolarité de leur enfant inscrit dans un établissement privé d’une autre commune. Jusqu’à présent, certaines communes refusaient de payer, puisque la capacité d’accueil de leur école publique permettait de scolariser gratuitement les enfants concernés.
Un amendement récent à cette loi (2015) oblige maintenant, au nom de «  la liberté d’enseignement  », une commune à cracher au bassinet si une famille scolarise son enfant dans une autre commune, sous prétexte de lui faire étudier une langue régionale qui n’est pas enseignée sur place. C’est comme si, au nom de leur liberté, certaines personnes réclamaient le financement public de leur course en taxi pour éviter de prendre les transports en commun ! Pensons aux petites communes rurales et à leurs habitants, qui devront payer pour la fantaisie d’une poignée d’entre eux. Où est l’égalité républicaine ?

Gageons que les écoles privées vont très vite se trouver un pseudo-professeur de langue régionale, que les services académiques n’en trouveront pas pour les écoles publiques, ou ne les paieront pas, et que nos «  chers  » conseillers départementaux et régionaux voteront des crédits pour soutenir ces « pauvres » établissements privés contraints de scolariser de nouveaux élèves…
Récemment, les attaques se sont accélérées.
En effet, les récentes réformes Peillon-Hamon-Belkacem enfoncent encore plus le clou.
Avec les animateurs des TAP, la «  réserve citoyenne  », bientôt la police (?) et l’intrusion de la publicité de marques, c’est l’invasion par n’importe qui et n’importe quoi sans contrôle sérieux de la valeur laïque des intervenants. L’école, les enfants et leurs enseignants sont à vendre. Quel beau marché juteux ! On ne forme plus des citoyens, on formate des consommateurs !
Des centaines d’heures d’instruction des notions de base ont disparu de l’année scolaire ; la liberté pédagogique de l’enseignant n’existe plus et son statut est menacé.
La territorialisation de l’école va mettre les établissements du premier degré sous la coupe du collège local mais surtout sous celle des maires. Il s’agit là d’une privatisation de notre système éducatif et de son contrôle par les pouvoir politiques locaux. Ce sera la fin de l’égalité du droit au même enseignement de qualité pour tous les enfants de notre pays !.

En fait, la France s’est, depuis une trentaine d’années, ralliée au mouvement européen de la privatisation de l’enseignement avec, pour modèles, les systèmes anglais ou américain dont le côté communautariste et ségrégationniste bien connu forme surtout des ghettos scolaires. Notre système éducatif était un des meilleurs du monde encore dans les années 80. Dans quel état sera-t-il dans 20 ans ?
Pourtant, l’école publique laïque est le seul moyen de former les futurs citoyens responsables et de leur apprendre à vivre ensemble dans le respect de celui qui ne vient pas du même pays et qui croit ou ne croit pas comme lui.
Cette mise à l’encan de l’école est aussi associée à celle des services de santé, des hôpitaux, des services publics, de la sécurité sociale, détruisant ainsi les avancées sociales mises en place par le Conseil National de la Résistance après la Libération.

3/ Commentaire de la Rédaction

Il est vrai que l’école de Jules Ferry n’était pas le nec plus ultra de la république. Etant donné que le verre était à moitié plein, ont tort ceux qui prétendent qu’il était plein, comme ceux qui prétendent qu’il était complètement vide.
C’est un problème que l’on discute depuis le XIXe siècle et qui est pourtant bien simple : contre l’héritage nobiliaire la bourgeoisie pouvait faire et a fait un bout de chemin avec le prolétariat. Elle a aussi utilisé ce bout de chemin pour calmer les revendications du prolétariat et parfois en les récupérant et en les retournant contre lui. Mais il serait absurde que le prolétariat refuse ce bout de chemin au prétexte que la bourgeoisie y apporte une contribution active.
Et il est très vrai que l’idéal d’école républicaine promu par Jules Ferry n’a pas été inventé par lui, que toute une réflexion républicaine sur ce sujet existait depuis la Révolution. Des éléments en ont été repris ; détournés aussi certainement. C’est toujours bon à prendre à condition de rester vigilant. Car ce serait là l’erreur : idéaliser. 
On sait aussi que certaines mesures prises par les gouvernements bourgeois « progressistes » avaient pour but de freiner l’efficacité de l’école : par exemple la suppression des moniteurs par Guizot et de façon générale l’exclusion de l’enseignement mutuel. Comme d’excellentes méthode de pédagogies nouvelles deviennent désastreuses quand elles sont utilisées par le ministère de l’EN. Eh bien, tenons-nous-le pour dit et agissons en conséquence.
L’explication de cette ambiguïté, nous la trouvons encore une fois chez Jaurès dans le fameux discours « République et socialisme » du 21 novembre 1893, où il explique comment naturellement l’école voulue par les républicains appelle un approfondissement de sa mission libératrice au-delà de ce qu’ils ont voulu :

En vérité, vous êtes dans un état d’esprit étrange. (Exclamations au centre.) Vous avez voulu faire des lois d’instruction pour le peuple ; vous avez voulu par la presse libre, par l’école, par les réunions libres multiplier pour lui toutes les excitations et tous les éveils. Vous ne supposiez pas, probablement, que dans le prolétariat tous au même degré fussent animés par ce mouvement d’émancipation intellectuelle que vous vouliez produire. Il était inévitable que quelques individualités plus énergiques vibrassent d’une vibration plus forte. Et parce que ces individualités, au lieu de se séparer du peuple, restent avec lui et en lui pour lutter avec lui, parce qu’au lieu d’aller mendier je ne sais quelles misérables complaisances auprès du capital soupçonneux, ces hommes restent dans le peuple pour préparer l’émancipation générale de la classe dont ils sont, vous croyez les flétrir et vous voulez les traquer par l’artifice de vos lois !

Savez-vous où sont les meneurs, où sont les excitateurs ? Ils ne sont ni parmi ces ouvriers qui organisent les syndicats que vous voulez sournoisement dissoudre, ni parmi les théoriciens, ni parmi les propagandistes de socialisme ; non, les principaux meneurs, les principaux excitateurs, ils sont d’abord parmi les capitalistes eux-mêmes, mais ils sont dans la majorité gouvernementale elle-même. (Applaudissements à l’extrême gauche. – Protestations au centre.)

Tout comme l’aboutissement de la république ne peut être que la république sociale. Rien de bien nouveau dans tout ça.

Jean-Noël LAURENTI

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