Cette année, le 1er mai – journée internationale des travailleurs – s’inscrit dans un contexte particulier, après le « 24ème acte » du mouvement des gilets jaunes et presqu’une semaine après les « non-annonces » du Président de la République qui continue d’appliquer son programme ultra-libéral. Ce n’est pas la première fois que cette journée de mobilisation traditionnelle revêt un caractère spécial. Il suffit de regarder quelques années en arrière pour s’en apercevoir, en 2002 – lors de l’entre-deux-tours présidentiel alors que le Front national était au second tour – ou en 2016 – lors de la « loi travail » – ou bien encore simplement l’année précédente avec un niveau de radicalité très présent dans plusieurs grandes villes de France. Alors pourquoi cette année serait si spéciale ?
Il n’est donc pas question de tout miser ou de tout espérer d’un 1er mai qui permettrait de gagner en une seule journée – nous savons que la construction du rapport de force passe aussi par la construction des organisations politiques, syndicales, d’éducation populaire – mais il convient de réfléchir à la portée symbolique et stratégique de cette journée actuellement. En effet, celle-ci survient après cinq mois de mobilisation sociale dans le cadre d’un mouvement atypique et fort que représentent « les gilets jaunes », après une mobilisation toute aussi importante sur les thématiques écologiques et dans un contexte où le gouvernement (qui a certes été obligé de lâcher sur quelques points) continue de vouloir appliquer sa politique de classe envoyant un signal fort qui doit appeler une riposte générale. Mais ce n’est pas tout, car trois points viennent s’ajouter à cette situation qui peuvent la rendre en somme exceptionnelle :
– Le mouvement syndical combatif qui comprend la nécessité d’avoir un 1er mai très réussi pour différentes raisons. Côté CGT, l’approche du 52ème congrès compte pour la mobilisation, de plus en interne la contestation gronde contre le réformisme de la « direction » (qui a débouché sur un appel de plusieurs fédérations et unions départementales il y a quelques semaines pour le 27 avril 2019) et il ne faut pas oublier que certains militants CGT souhaitent que le syndicat revienne sur le devant de la scène. Côté Solidaires, si le syndicat a pris position assez rapidement pour le mouvement des gilets jaunes et que la jonction dans le secteur privé s’est faite plus facilement avec ces derniers, il sait également l’importance d’exister en tant que tel lors du 1er mai, mais le versant fonction publique prépare aussi la date du 9 mai comme une journée de grève nationale. Des secteurs fortement mobilisés comme l’éducation devront aussi grossir les rangs, notamment avec la FSU.
– La tentation du tout répressif par le gouvernement (interdictions administratives de manifester, véhicules blindés, flash-balls, brigades des voltigeurs remises en place…) qui n’aura pas éteint la contestation mais au contraire rassemblé dans une fraternité sociale des mouvements et citoyens qui ont tous été frappés par la violence, « pacifistes » compris. Il s’agit donc d’un moment important, à savoir celui où il faut démontrer que la liberté de manifester, d’expression, base d’une société démocratique, ne peut être remise en cause impunément par le gouvernement. Les appels à un « acte ultime », à l’alliance des gilets jaunes et rouges, à une contestation générale, circulent massivement sur les réseaux sociaux et militants et pourraient être partagés par de nombreuses personnes passant outre les chapelles et le sectarisme.
– L’auto-organisation acquise dans le cadre du mouvement des gilets jaunes par des dizaines de milliers de citoyens, qui en plus de s’être fortement conscientisés, savent que la convergence est nécessaire, qu’il est indispensable de s’allier avec le mouvement syndical notamment et que le 1er mai représente une journée qui pourrait être la démonstration de force nécessaire pour faire plier le gouvernement. Ainsi, sans avoir besoin d’organiser des montées en car à Paris, la ville devrait bien être l’épicentre d’un mouvement pluriel, aux modalités de manifestation différentes, mais unies dans un ras-le-bol explosif.
Si nous rajoutons à cela l‘approche des élections européennes, les organisations politiques devraient mobiliser de manière importante, du mouvement anarchiste dès le matin (il faut aussi prendre en compte le renforcement relatif de ces organisations depuis quelques mois) jusqu’aux partis politiques avec essentiellement la France insoumise, mais aussi sûrement un rebond du PCF. Autant dire que chaque appareil et courant a toutes les raisons du monde de se mobiliser de manière conséquente cette année, qu’il s’agisse de raisons stratégiques, de calendrier interne ou politique… mais aussi pour opposer une réponse au gouvernement avec un mouvement social qui peut faire trembler le pouvoir s’il reste déterminé.
Cette journée du 1er mai ne résoudra pas les questions du blocage de l’économie, de la construction d’une grève public/privé réellement effective, mais a déjà permis de faire bouger les lignes dans de nombreux collectifs militants, sur la nécessité de hausser le ton pour se donner les moyens de construire une République réellement sociale. Il s’agit d’un moment qu’il faut saisir, en se donnant les moyens possibles de réussir ce 1er mai, c’est-à-dire commencer par toutes et tous y participer, avec ou sans gilets jaunes, avec ou sans attaches politiques ou syndicales, mais pour faire masse et marcher vers nos objectifs.
Alors si vous hésitez encore à sortir demain, en pensant qu’il s’agit d’une énième manifestation, c’est peut-être le moment d’y aller et d’entraîner le plus grand nombre !