Le dernier article de Philippe Hervé mis à la Une de ReSPUBLICA intitulé « ENA : des bâtisseurs… aux syndics-liquidateurs ! » participe de la nécessaire compréhension du réel sans laquelle aucune bifurcation émancipatrice n’est possible. Mais alors, posons-nous la question suivante : Après la séquence des syndics-liquidateurs, la gauche est-elle capable de refonder la France ?
Car les syndics-liquidateurs qui ont organisé « l’intégration progressive et complète dans la sphère financière anglo-saxonne » de l’économie française ont même fait reculer notre pays dans le concert des nations. La France est le seul membre permanent du Conseil de sécurité à ne pas avoir été capable de trouver et de produire un vaccin contre le coronavirus Sars-Cov-2. En fait, eux-mêmes intégrés à la sphère financière anglo-saxonne, les syndics-liquidateurs ont participé au recul de la France face aux États-Unis, au Royaume-Uni, à l’Allemagne. S’il ne nous reste que l’humour, revoyons cette séquence des Guignols de l’info sur la grippe aviaire : https://www.youtube.com/watch?v=STPopTOrPVE…
SpaceX contre Arianespace
SpaceX, entreprise privée, facturera deux fois moins cher un lancement pour un client privé d’une fusée avec un premier étage réutilisable que pour le futur Ariane 6, non encore utilisable et sans rien de réutilisable ! Pourquoi ? pour plusieurs raisons, d’abord parce que SpaceX est le premier lanceur avec un premier étage réutilisable. Ensuite, parce qu’il est largement financé par de l’argent public pour la recherche et parce que les structures publiques américaines surpaient leurs lancements. Mais ce n’est pas tout : Space X utilise un seul moteur, Ariane trois moteurs différents, un par étage… D’autre part, SpaceX est totalement intégré alors que la bureaucratie arianesque est incroyable : Arianespace est répartie en 600 entreprises dont 350 PME, le tout dans 13 pays différents (en appliquant la règle du retour géographique) ! Avec des salaires de 70 % plus élevés pour SpaceX que chez Arianeespace ! Tandis qu’en France, le crédit-impôt recherche finance les dividendes !
Les États-Unis contre l’Union européenne
Pour les vaccins, écoutons l’économiste Fabienne Orsi : l’administration Trump a lancé dès le mois de mai 2020, l’opération Warp Speed soit 18 milliards de soutien public pour accélérer le développement et la production de vaccins avec une priorité nationale. Mais tout cela provient du Bayh-Dohle Act de décembre 1980 qui favorise le transfert des recherches universitaires vers l’industrie et les firmes privées américaines en fermant la porte aux firmes étrangères, autorise le dépôt de brevets financés sur fonds publics, et l’octroi de licences d’exclusivité aux entreprises étasuniennes.
Déjà l’arrêt Chakrabarty en juin 1980 avait autorisé la brevetabilité de tout « produit de l’homme » donc des OGM, permettant ainsi un début de privatisation de la recherche sur le vivant. Si vous ajoutez à cela que le Nasdaq a permis aux start-up d’entrer dans ce marché boursier automatisé, vous avez là le dispositif qui a permis aux États-Unis d’engager le « rapt » privé de la propriété industrielle. Ainsi les États-Unis créent-ils en 2006 la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda) qui met en place le financement, l’assistance technique et la mise en marché des produits médicaux dans le domaine de la biosécurité.
Pitoyable : l’Union européenne a voulu copier les États-Unis en créant une nouvelle agence européenne, la Health Emergency Response Authority (Hera), ce n’est qu’un « machin » bureaucratique supplémentaire sans efficacité, sans financement et sans mécanisme de coordination entre les gouvernements et les entreprises privées…
Lafarge repris par le suisse Holcim
2015, soi-disant « mariage d’amour entre égaux » ; 2018, fermeture du siège de Lafarge en France pour expatriation dans le canton de Zoug en Suisse. Transfert qui permet en plus une optimisation fiscale !
La part rentable de Technip reprise par l’étasunien FMC après leur divorce
Avec la séparation des biens et la partie la plus rentable à savoir l’activité sous-marine (forage d’extraction des métaux rares) qui était à l’origine issue de Technip se retrouve remise à l’américain FMC.
Essilor en position défavorable face à Luxottica
Nouveau mariage d’amour chez les géants de l’optique en 2018 puis conflits à répétition avec avantage aux points pour l’italien Luxoticca. Montée sur le ring à l’assemblée générale des actionnaires le 21 mai 2021.
Alcatel trompé par Nokia
Nouveau mariage d’amour avec promesse de maintenir les emplois. Résultat 1233 licenciements.
Alsthom digéré par General Electric
Voilà un nouveau mariage d’amour où General Electric a avalé Alsthom puis a licencié 1 350 salariés. Pourquoi ? parce qu’il y a avait eu une action coordonnée de la justice étasunienne, de la multinationale étasunienne, et d’un pacte de corruption à la tête d’Alsthom.
Avec Macron, que reste-t-il de souveraineté à la France ! Et la gauche dans tout ça ?
Avez-vous entendu en France en 2021 un discours de gauche qui se préoccupe d’abord de la réalité que nous venons de décrire et de la soumission de la France par rapport aux grandes multinationales prédatrices ? Question supplémentaire : Avez-vous entendu un discours de gauche en France qui propose une alternative de gauche à ce réel-là ? Si oui, n’oubliez pas de nous faire suivre leur argumentation !
Résumons : l’impérialisme américain a construit un dispositif nationaliste basé sur la propriété lucrative d’une oligarchie. La Chine a construit un dispositif nationaliste basé sur la toute-puissance de l’Etat chinois. Force est de constater que ces deux modèles ont la particularité d’être efficaces même si nous n’envions pas ces deux modèles et proposons une voie alternative. La France refuse de fonctionner comme une nation défendant les intérêts du peuple.
Par contre, le modèle européen basé sur une bureaucratie bavarde et inefficace est incapable de rassembler ses forces vives et de jouer les premiers rôles alors qu’il donnait au départ plus d’atouts face à ces deux superpuissances.
Alors, le rôle de la gauche n’est-il pas de proposer une alternative concurrentielle à ce duopole mondial ? Il ne pourra pas y avoir d’avenir politique pour la République sociale sans comprendre que l’on ne peut être une grande puissance sans recherche industrielle de haut niveau, sans travailler dur à partir des conditions concrètes (et non des considérations moralisantes générales confuses ou sur des pensées magiques qui ne modifient en rien le système tel qu’il est, sans faire émerger un soutien populaire (le bloc historique majoritaire autour de la classe populaire ouvrière et employée), sans dégager une ligne stratégique de réindustrialisation massive financée, avec transition énergétique et écologique très soutenue, ni sans partir d’une véritable délibération démocratique (refusons l’actuelle démocrature) d’abord nationale (une République sociale se conçoit d’abord au sein d’une nation puis au sein d’une coopération internationaliste).
Nous avons déjà mis sur la table les conditions nécessaires au processus de République sociale : ses principes constitutifs, ses ruptures nécessaires, ses exigences et la stratégie de l’évolution révolutionnaire (voir les deux tomes de Penser la république sociale pour le 21e siècle dans notre Librairie militante). Aujourd’hui, l’état de la France est tel que nous alertons sur l’urgence de l’une des six conditions indispensables, celle d’une nécessaire et massive réindustrialisation.
Voilà pour l’essentiel ce que nous proposons à la discussion générale ! Avis aux amateurs !