Après le séisme du 10 avril, notre tâche centrale est de travailler à refonder notre stratégie, nos actions opérationnelles et les tactiques correspondantes. Pour cela, nous vous proposons cette chronique, non comme un texte définitif, mais comme une invitation au débat fraternel, digne et ouvert avec tous ceux qui le souhaitent. D’abord avec une réflexion de nature sociologique, puis avec une première esquisse de mise en discussion et enfin un rendez-vous dans deux mois comme une étape de formalisation stratégique.
Première analyse sociologique de l’élection du 10 avril
Nous devons prendre en compte l’approfondissement exponentiel de cinq fractures : sociale, générationnelle, communautaire, géographique et institutionnelle(1)Nous nous sommes appuyés sur des réflexions de Frédéric Pierru et Frédérick Stambach..
La fracture sociale se creuse
Avec 12 825 millions d’abstentions, 543 760 bulletins blancs et 239 341 bulletins nuls, le refus du vote exprimé est plus fort qu’en 2017. + 4,11 % d’abstentions et si on cumule les trois chiffres, cela fait 13,6 millions d’inscrits qui ont choisi de ne pas choisir l’un des 12 candidats, soit 28 %, résultat plus fort qu’en 2017. Mais notons que beaucoup d’abstentionnistes de 2017 ont voté pour un candidat (principalement pour Mélenchon) et que beaucoup de ceux qui ont voté pour un candidat en 2017 se sont abstenus (y compris des votes Mélenchon de 2017).
Comme en 2017, c’est la classe populaire ouvrière et employée et les jeunes de moins de 35 ans qui sont le plus abstenus par rapport au meilleur résultat des candidats du premier tour. Le niveau d’abstention est inversement proportionnel au niveau des revenus. La classe ouvrière et employée qui a voté pour un candidat a choisi Marine Le Pen pour environ 40 % contre légèrement moins de 20 % pour Macron et Mélenchon. Mélenchon a un votre très interclassiste alors que l’électorat de Macron et Le Pen sont symétriquement inverses sur le plan social. A noter que Mélenchon est en tête du vote des chômeurs. (43 %) et que Le Pen est en tête chez les indépendants (37 %). A noter aussi l’absence de vote des indépendants pour Roussel et Hidalgo et la quasi-absence ouvrière pour Hidalgo et Jadot. Par contre, Jadot fait 8 % chez les indépendants. Le vote Macron et Le Pen est inversement proportionnel au niveau des diplômes (de 28 % à 33 % pour Macron, et de 35,8 % à 13 % chez Le Pen sur les cas suivants : inférieur au bac, seulement le bac, bac+, bac +3 et plus). Pour Mélenchon, c’est plus contrasté (dans l’ordre 14 %, 22 %, 17 % et 26 %). En fonction des revenus nets du foyer, symétrie inverse pour Macron et Le Pen (de 14 à 35 % chez Macron, 31à 19 % chez Le Pen sur les items – de 1 250 euros, 1 250-2 000 euros, 2 000 à 3 000 euros et + de 3 000 euros. Pour Mélenchon, c’est le même type de courbe que Marine Le Pen, légèrement atténué (de 28 à 18).
Il est à pointer l’accroissement des votes Le Pen chez les sympathisants de toutes les organisations syndicales. La CGT donne 42 % pour Mélenchon, 22 % pour Le Pen, 12 % pour Macron, 8 % pour Roussel. La CFDT donne 44 % pour Macron, 15 % pour Le Pen, 14 % pour Mélenchon, 9 % pour Jadot. Pour FO, Le Pen arrive en tête avec 31 %, Mélenchon avec 29 %, 17 % pour Macron, 4 % pour Roussel et Zemmour. Pour la CFTC 29 % pour Le Pen, 27 % pour Macron, 18 % pour Mélenchon, 9 % pour Zemmour. Pour la CGC 44 % pour Macron, 17 % pour Le Pen, 10 % pour Pécresse, 9 % pour Mélenchon. Pour l’UNSA, 28 % pour Macron, 24 % pour Mélenchon, 19 % pour Le Pen, 7 % pour Zemmour. Pour Solidaires, 51 % pour Mélenchon, 14 % pour le Pen, 12 % pour Macron, 8 % pour Jadot, 6 % pour Roussel. Pour la FSU, 42 % pour Mélenchon, 19 % pour Macron, 10 % pour Le Pen et 8 % pour Jadot.
La fracture générationnelle est toujours là
Macron est en tête du premier tour grâce aux retraités (42 % pour les plus de 65 ans) et aux cadres (37,5 %) que Mélenchon est largement en tête chez les 18-35 ans.
La fracture communautaire s’accroît
D’après le sondage IFOP pour La Croix (il est bizarre que ce sondage ne donne rien sur ceux qui se déclarent juifs !) c’est un point de critique. Pour les protestants, 36 % pour Macron (30 % en 2017), 17 % pour Le Pen et 16 % pour Mélenchon. Pour les musulmans 69 % pour Mélenchon (37 % en 2017), 14 % pour Macron et 7 % pour Le Pen. Pour les catholiques, 40 % pour l’extrême droite catholique (27 % Le Pen, 3 % Nicolas Dupont-Aignan, 10 % Zemmour), 22 % pour Macron et 14 % pour Mélenchon.
Par contre les sans religion se répartissent pour 76 % sur les trois candidats arrivés en tête.
La fracture géographique s’amplifie
Si Marine Le Pen est forte en zone rurale et périurbaine, Macron et Mélenchon sont plus forts dans les grandes agglomérations.
A noter le score remarquable de Jean Lassalle (qui dépasse le PS et le PC) quand on sait qu’il fait le gros de ces voix principalement en zone rurale montagnarde (Pyrénées, Massif central, Corse, Morvan, etc.)
La fracture institutionnelle est béante
Nous sommes une nouvelle fois victimes de la terrible constitution de la Ve République, ce cadre institutionnel pourri depuis le départ. Mais, configuration nouvelle, les élus qui dirigent la quasi-totalité des collectivités locales ont des attaches partisanes avec les partis balayés dans le scrutin du 10 avril (LR, PC, PS). Les quatre candidats arrivés en tête du premier tour n’ont que très peu d’influence dans les collectivités locales. La bataille des législatives sera donc très ouverte.
Pour simple information, le vote des prisonniers a donné une abstention de 86 %. Seuls 10 234 prisonniers ont voté sur 70 000. Mélenchon a 45,8 % des suffrages exprimés, Macron 20,3 % et Le Pen 18,6 %.
Esquisse de mise en discussion stratégique
Commençons par critiquer un certain nombre de vieilles stratégies que l’on nous présente.
♦ D’abord, l’appel à voter Le Pen pour s’opposer à McKinsey-alias-Macron qui nous a produit la pire mandature depuis 1983. C’est oublier la nature profonde de ce courant d’extrême droite national-populiste. C’est un adversaire antagonique à notre projet de République sociale. On ne s’associe pas avec le diable même avec une longue cuillère. Nul ne peut militer dans notre réseau en votant Le Pen.
♦ Ensuite, l’appel à voter McKinsey-alias-Macron pour s’opposer à la bête immonde de l’extrême droite national-populiste. C’est ne pas voir les lois liberticides déjà votées, la destruction de presque tous les services publics largement entamée, les attaques contre l’école républicaine et sociale et la Sécurité sociale destinées à être amplifiées durant la prochaine mandature, etc.
C’est oublier que cet argument nous fut servi en 2002 pour 82 % pour Chirac, puis en 2017 pour 66 % pour McKinsey alias Macron. Aujourd’hui, ce même McKinsey-alias-Macron est dans les sondages à 52 à 54 % dans les sondages. Continuer cette courbe n’est pas la solution ! Dans ce cas, il ne resterait à la gauche que de choisir la date de la victoire de l’extrême droite national-populiste, soit en 2022 soit en 2027 ?
N’abusons pas de la formule « les fafs prennent les clés et on ne sait pas quand ils les rendent ». Lisez l’historien Pierre Serna et vous verrez que l’extrême centre (ou le poison français) ne rend les clés que contraint et forcé – comme les « fafs » ! Si le seul objectif de la gauche dite véritable est de permettre de retarder la victoire de l’extrême droite national-populiste, c’est le meilleur moyen de désespérer définitivement Billancourt ! car être dans l’affrontement inévitable sans l’avoir préparé n’est pas la meilleure stratégie. Et dans ce cas, ce sera la victoire finale de l’union des droites comme au début des années 30 en Allemagne, sous la férule du grand patronat.
♦ Et puis, se contenter de l’abstention, du vote nul ou blanc, considérant qu’aucun des deux candidats n’est acceptable. Encore une voie sans alternative si on en reste là. Car si on ne s’occupe pas de combattre de façon concomitante l’extrême centre Mac Kinsey alias Macron et les extrêmes droites national-populistes ou favorables à l’union des droites, nous aurons dans les deux cas l’extrême droite dès que le grand patronat sera contraint par les événements de choisir la solution d’extrême droite. Dans tous les cas, ce sera in fine nous contre l’extrême droite, car c’est la loi de l’histoire. Aujourd’hui, nous voyons la débâcle du PS, du PC et de LR. Demain, nous vivrons la débâcle de l’extrême centre McKinsey-alias-Macron comme dans les années 30 !
Voilà pourquoi, la stratégie c’est de se préparer à cet affrontement inévitable. Car refuser de se préparer à l’inévitable, c’est croire que l’on peut indéfiniment se battre avec la peau des autres et mettre des cierges dans les églises pour prier que McKinsey-alias-Macron pourra nous éviter ad vitam l’affrontement inévitable avec l’extrême droite. Car McKinsey-alias-Macron n’est là que pour retarder la poussée de l’extrême droite national-populiste. Eh oui, nous sommes les futurs résistants comme l’ont été nos anciens à la suite de « l’étrange défaite » (clin d’œil à Marc Bloch). Dit autrement, nous ne serons pas complices de cette « étrange défaite » !
♦ Une autre impasse est de nous rejouer la pièce de théâtre de 2002 en 2022. Jospin aurait perdu à cause des fautifs Taubira, Chevènement, Laguiller, Mamère, Besancenot ! Eh bien non ! La cause principale résidait dans la politique antisociale du gouvernement Jospin qui est toujours le champion toutes catégories des privatisations de toute l’histoire de France et du sectarisme anti-rassemblement de la gauche.
Arrêtons de dire que c’est toujours la faute des autres. Commençons par penser notre faute à nous ! N’oubliez jamais que le ressentiment contre les autres n’est que la conséquence de l’incapacité de créer dans notre camp les conditions du rassemblement majoritaire.
Notre refus de ces quatre voies nous pousse à privilégier la préparation à l’affrontement inévitable. Et donc, l’important est de préparer cet affrontement dès maintenant et de prendre l’engagement que, quel que soit le second tour, nous nous retrouverons dès le 25 avril pour travailler ensemble.
Au lieu d’accepter que la gauche soit minoritaire à vie (aujourd’hui 32 % des votants) et de faire avancer la machine à perdre en estimant que c’est la faute à tel ou tel dirigeant de la gauche, discutons du comment devenir majoritaire à gauche ! Ou dit autrement, comment on passe de 32 % à 51 % ? Et ce ne sera sûrement pas par une alliance à gauche sans contenus.
D’abord, il faut, pour les législatives, un accord à gauche le plus large possible autour d’un programme commun mobilisateur accepté par tous. Bien sûr, cet accord doit tenir compte du rapport des forces que les électeurs ont produit le 10 avril 2022 et aussi aux bases d’appui locales existantes des uns et des autres.
Ensuite il faut, et c’est notre priorité, nous semble-t-il, travailler à la constitution d’un bloc historique populaire pour ouvrir la voie à une République sociale que nous avons esquissée dans la chronique précédente. Et c’est la perspective de ce bloc historique populaire qui reste l’objectif culturel et politique de notre Réseau.
Notre invitation au colloque du 25 juin 2022
La poursuite de cette discussion et de notre colloque du 19 février dernier au Palais du Luxembourg doit aboutir à l’étape du colloque à Paris du samedi 25 juin de 9h à 17h. Pour y participer et, ou, si vous le souhaitez, participer à l’élaboration de cette initiative, vous pouvez vous inscrire sur nos trois adresses banalisées :
- evariste@gaucherepublicaine.org pour ReSPUBLICA
- reseaueducationpopulaire@gmail.com pour le Réseau Education Populaire et Educpod
- combatlaiquecombatsocial@gmail.com pour « Combat laïque-Combat social, fédérer le peuple »
Notes de bas de page
↑1 | Nous nous sommes appuyés sur des réflexions de Frédéric Pierru et Frédérick Stambach. |
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