« Voici le peuple ; il change avril en Floréal,
Victor Hugo, « L’année terrible ».
Il se fait République, il règne, il délibère.
Voici la populace : elle accepte Tibère.
Je veux la République et je chasse César. »
« Quelquefois le peuple se fausse fidélité à lui-même. La foule est traître au peuple. » (Victor Hugo, Les Misérables)
Victor Hugo, Les misérables.
Une fois de plus, la sentence de l’histoire se répète : les réactionnaires vont toujours au bout de leur forfait. Car ils sont les gérants du capital et largement soutenus par leurs commanditaires du grand patronat. Malgré leur habillage pseudo-moderniste, le vernis craque et les travailleurs, les citoyens s’aperçoivent petit à petit du réel. Même la société du spectacle médiatique, avec l’ensemble de son clergé qui a porté le discours d’Emmanuel Macron, n’a pas pu empêcher le constat de Victor Hugo de se vérifier à partir du 19 janvier 2023 : « Honneur au grand jour qui s’écoule ! / Hier vous n’étiez qu’une foule : / Vous êtes un peuple aujourd’hui ! » (« Les chants du crépuscule »).
De moins en moins de citoyens se glorifient d’avoir voté pour Emmanuel Macron au deuxième tour de la présidentielle, il ne peut plus se déplacer vers le peuple auprès duquel il est systématiquement hué. Ses ministres également. Les casserolades se déploient sur tout le pays malgré la « guignolade » des arrêtés anti-casseroles des préfets. Il n’est plus soutenu que par une fraction importante des retraités et par les cadres supérieurs et professions intellectuelles qui sont sa base sociale. Et même là, ça se rétrécit. Et il lui reste 4 ans de mandat ! Et il ne pourra utiliser qu’un seul 49-3 durant toute la session parlementaire. Pour en savoir plus, inutile donc d’écouter Macron et Borne. Il suffit d’entendre Geoffroy Roux de Bézieux lors de son show médiatique sur BFM(1)L’interview en intégralité du président du MEDEF, Geoffroy Roux de Bézieux bfmtv.com. Il a, avec un sourire que n’a plus Macron, défini les seuls points sur lesquels on peut négocier à froid avec le patronat : l’emploi des seniors, les parcours dans l’entreprise (dont les promotions et les refus de promotion) et les transferts salariaux, le tout entre partenaires sociaux, point barre et circulez. Quant aux salaires, l’enrobage verbal du président du Medef lors de cette interview montre que seule une nouvelle lutte pourra décoincer la machine patronale.
L’espoir renaît du côté des travailleurs
La transformation de la foule en peuple depuis le 19 janvier 2023 a bien eu lieu malgré la promulgation de la loi sur les retraites, honnie du peuple (90 % des actifs, plus des deux tiers de la population), bien que le gouvernement représentatif légal ait une fois de plus montré son caractère illégitime et anti-démocratique.
Nous pouvons également saluer le communiqué aux travailleuses et travailleurs d’Iran pour le 1er mai signé par la CFDT, de la CGT, de la FSU, Solidaires et de l’Unsa ! Nous pouvons également saluer les représentants de nombreux syndicats étrangers qui sont venus participer à la manifestation syndicale animée du premier mai à Paris. Car il est de la plus haute importance de développer des solidarités internationales d’une part face à des États qui emprisonnent des syndicalistes « coupables » de vouloir que les droits stipulés par l’OIT soient appliqués en Iran et d’autre part avec les syndicats qui mènent le même combat que le nôtre dans d’autres pays !
Venons-en aux remontées que nous avons eues de nos correspondants. Ces correspondants en zones rurale, périphérique, dans les villes-centres, dans les banlieues, nous ont remontés cet espoir de la transformation de la foule en peuple. Cet espoir est né grâce à l’unité de l’Intersyndicale qui tranchait avec le peu de perspective offert par le champ politique de gauche qui a nourri les quatre formes de l’abstention aux élections de 2022. Quand Albi fait une manifestation avec plus de manifestants que d’habitants dans l’agglomération, quand la vingtaine de militants syndicaux d’Avranches se retrouvent avec 600, puis 1 000 et 1 200 participants, que ce même compte-rendu se répète dans tous les coins de l’hexagone et chez les ultra-marins dans les différents points du globe, il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas considérer que cette étape sera marquante dans le temps de l’histoire – même si, ici et là, des militants qui ne s’intéressent qu’au temps humain négligent toujours le temps de l’histoire.
La mobilisation de ce premier mai 2023 a été l’un des 1er mai les plus importants de ces dernières décennies. 13ème manifestation contre les retraites, il faut noter que la province a vécu une mobilisation encore plus exceptionnelle que les mobilisations précédentes. La plupart des 2 millions environ de manifestants ont vécu une mobilisation exemplaire sans violences. Et rentrés chez eux, ils ont vu les médias dominants passer en boucle des violences parisiennes comme information principale. Notre première réaction est de dire qu’il est intolérable d’avoir des chaînes continues d’information dont les animateurs fonctionnent comme un clergé défendant le dogme néolibéral. Revenons néanmoins sur ces violences parisiennes. D’abord, il y a eu un pré-cortège de tête de plusieurs milliers de black blocks bien organisés et prévisibles devant le cortège syndical. De nombreux blessés chez les manifestants et chez les policiers du début jusqu’à la fin. Dans ces derniers, nous avons vu en boucle le CRS enflammé par un cocktail Molotov. Disons-le tout net, nous condamnons toutes les violences, celles des policiers et celles des black blocks. Toute violence contre ceux qui ont le monopole de la violence légale est pain bénit pour un pouvoir qui prépare la future union de toutes les droites. Mais nous condamnons les ordres donnés aux policiers quand ceux-ci attaquent des manifestants paisibles. C’est aussi du pain bénit pour ceux qui veulent régler les problèmes de la France par un surcroit d’autoritarisme et de violence exacerbée.
Mais cette manifestation du 1er mai 2023 montre que le haut niveau de colère populaire est toujours présent.
Mais la voie de l’émancipation est étroite
Si les comités de lutte ou autre réseaux multipros organisés hors des entreprises se sont légèrement renforcés, force est de constater que les AG dans les entreprises pour débattre de la grève de masse ont eu une faible fréquentation. Les processus de grève reconductible ont été minoritaires. Ce qui explique l’échec de la massification de la grève. Et ce ne sont pas les incantations de l’extrême gauche gauchiste appelant à pleins poumons à la grève générale qui ont eu la moindre action d’amplification. D’autant que jamais dans l’histoire, les directions syndicales n’ont été à l’initiative d’une grève générale. C’est toujours, les bases qui par capillarité développe une montée des mobilisations bien avant les appels à la généralisation par les directions syndicales. Mais pour cela, il faut connaître l’histoire sociale, que trop de militants ignorent. Bien sûr, nos adversaires patronaux ont utilisé leurs méthodes habituelles (prime Castex à la RATP, etc.). D’autre part, l’influence syndicale chez les travailleurs précarisés est faible et cela ne peut pas être compensé par le gauchisme extérieur de la militance des partis politique de gauche. On voit là l’influence des lois Travail promulguées par l’extrême centre politique qui ont fortement diminué les moyens des syndicats de base dans les entreprises. On voit là poindre une déformation de la répartition financière au sein des structures syndicales entre les bases et les sommets, au détriment des premiers.
Par ailleurs, la faiblesse de la formation des militants et de l’éducation populaire refondée pour l’ensemble de la population permet difficilement aujourd’hui la dialectique indispensable entre les appareils militants et les travailleurs mobilisés. En dernier lieu, l’Intersyndicale n’a pas osé proposer à temps une montée sur Paris de type 16 janvier 1994 qui aurait pu rassembler encore plus de monde qu’il y a près de 30 ans (1 million de manifestants à Paris contre la loi Bayrou, faisant céder le gouvernement immédiatement). L’un des débats importants réside aussi dans le renforcement des structures syndicales territoriales de type union locale, seule possibilité de soutenir l’action des syndicats d’entreprises moins dotés aujourd’hui. Ou dit autrement, renouer avec les bourses du travail d’antan. Y compris en travaillant la reformation d’un nouveau partage des finances syndicales. Et si il y avait un mouvement de recomposition et de restructuration syndicales, ce serait un plus car c’est le grand patronat et les élites néolibérales qui sont gagnantes face à l’éparpillement syndical le plus fort d’Europe, voire du monde !
Autre faiblesse du mouvement actuel, celui de la très faible centralisation dialectique et de la direction du mouvement social. Même si nous devons garder le cadre unitaire de l’Intersyndicale qui reste une base plébiscitée, il faut développer des pratiques visant à augmenter la puissance d’agir, la conscientisation et l’émancipation. Par exemple, le fait de ne pas avoir mis en débat la possibilité de lier la bataille des retraites avec la bataille sur les salaires en ce moment de forte inflation surtout des produits alimentaires a peut-être nui au développement de la lutte. Comme le débat de savoir s’ il suffit de critiquer Emmanuel Macron et sa loi sans proposer des revendications précises autre que celle de dire que l’on ne veut pas des 64 ans ou si la formulation de revendications précises peut aider la popularisation du mouvement. Les allers-retours entre direction et base sociale peuvent aider de ce point de vue au développement du mouvement. Car l’isolement d’une partie des travailleurs attendant la date de la prochaine manifestation de l’Intersyndicale n’est pas le modèle le plus efficient. Réfléchir à moins de bureaucratisation et plus de dialogue base-sommet dans les syndicats ne serait pas du luxe.
Une autre faiblesse réside dans une formation et une éducation populaire refondée insuffisantes dont on a parlé ci-dessus sur de nombreux sujets. Par exemple, lier les combats démocratiques, laïques, sociaux et écologiques ne se fera pas sans un plus grand volontarisme en termes de formation et d’éducation populaire refondée. Se battre pour une vie meilleure demande de participer aussi bien à la bataille des retraites, que des salaires mais aussi de l’eau qui va commencer à manquer, par exemple. L’ancien secrétaire général de la CGT qui avait monté l’association « Plus jamais ça » avec des associations écologiques sans avoir suscité le moindre débat dans sa centrale syndicale n’est pas le modèle à suivre. Nous espérons que sur ce point la décision du dernier congrès de la Cgt d’en débattre dans l’organisation aura effectivement lieu. Et que ce débat aura lieu dans les autres syndicats également.
Notons aussi une faiblesse des parlementaires de gauche dans la rédaction de la proposition du premier Référendum d’initiative partagée(RIP) proposé. Il fut alors facile pour un Conseil constitutionnel très majoritairement néolibéral d’avoir une interprétation négative. On verra ce qui adviendra pour le deuxième.
Dans ce mouvement, c’est Laurent Berger qui a dirigé le mouvement social. Cela a augmenté fortement la participation aux manifestations mais cela n’a pas permis loin s’en faut de « mettre le pays à l’arrêt », condition indispensable pour faire céder le grand patronat qui aurait alors vite téléphoné au gérant du capital pour le faire reculer.
Quel agenda pour les travailleurs après le 1er mai 2023?
Alors que faire ? Séparons le moyen terme du court terme.
Sur le moyen terme, sans doute, convaincre par la formation et l’éducation populaire refondée que le principe de la grève n’est pas passéiste et c’est la seule action qui désarme le grand patronat. Mais il faut s’y préparer (caisses de grève prévues à l’avance, débat démocratique sur la stratégie dans les entreprises ou dans les structures syndicales territoriales et professionnelles(2)Un débat démocratique sur la stratégie, ne doit pas se contenter d’un tour de table sur l’ambiance dans chaque entreprise puis d’une présentation d’un agenda suivi de la fixation de la date de la prochaine réunion. C’est par le débat démocratique argumenté que l’on peut aider au développement de la puissance d’agir, de la conscientisation et du désir d’émancipation., etc.). Mais surtout ne pas croire – preuve d’idéalisme gauchiste – qu’un appel à la grève générale suffit à la déclencher. Quant aux idées en vogue, elles doivent être débattues mais sans croire que chacune peut à elle seule donner les clés de la bonne stratégie. Blocage des flux, mouvement des places, zadisation, agitation permanente, violence minoritaire, front politico-syndical ont des avantages et des inconvénients. Et le principal inconvénient est que certains types d’actions sont plus facilement « contrôlables » par le pouvoir qui possède le monopole de la violence légale. Au jeu de la violence, celui qui a le monopole de la violence légale et bénéficie de forces policières dont il couvre les bavures, en sort toujours vainqueur et cela peut entraîner une fascisation de ce même pouvoir.
Par ailleurs, appeler à un front politico-syndical dans la situation actuelle n’est pas sérieux. Il convient d’abord de bien s’entendre sur le périmètre des partis et des syndicats. Seuls les mouvements sociaux animés par les syndicats peuvent prendre une ampleur nationale. La Nupes avec la marche du 21 janvier 2023 a eu tort de vouloir coanimer le mouvement social. Les travailleurs ont alors réglé ce conflit au profit de l’Intersyndicale. Le rôle des partis politiques relève des élections politiques, de la stratégie de prise du pouvoir, de l’exercice du pouvoir, de la constitution du bloc historique populaire. Et les partis et les syndicats doivent, chacun de leur côté, former leurs militants, pratiquer une éducation populaire refondée pour le grand public, pratiquer la double besogne (revendications immédiates et modèle politique souhaité pour le moyen et le long terme). Et bien sûr, discuter entre partis et syndicats mais pas de front politico-syndical. Pour un mouvement social, une intersyndicale suffit.
Sur le court terme, la prochaine date importante est le 8 juin 2023, date du vote sur la loi d’abrogation de la loi Macron-Borne-Dussopt sur les retraites. Cette loi d’abrogation est déposée par le groupe centriste LIOT. Et là, c’est la majorité des présents qui décident et non forcément 289 voix. L’abrogation est difficile mais pas impossible. Tout doit être fait pour assurer le succès de cette loi d’abrogation.
Notes de bas de page
↑1 | L’interview en intégralité du président du MEDEF, Geoffroy Roux de Bézieux bfmtv.com |
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↑2 | Un débat démocratique sur la stratégie, ne doit pas se contenter d’un tour de table sur l’ambiance dans chaque entreprise puis d’une présentation d’un agenda suivi de la fixation de la date de la prochaine réunion. C’est par le débat démocratique argumenté que l’on peut aider au développement de la puissance d’agir, de la conscientisation et du désir d’émancipation. |