« Partir du réel pour aller vers l’idéal » ne veut pas dire aller directement vers l’idéal sans analyser correctement et comprendre le réel. Voilà la principale idée à développer aujourd’hui. Et comme « l’histoire n’est que l’histoire de la lutte des classes », sans oublier la relation de l’homme et de la nature, il convient d’y revenir.
Sur le plan économique international, la période est marquée par un niveau jamais atteint de la dette publique et de la dette privée, niveau bien supérieur à celui qui préexistait au krach de 2007-2008. Les nouvelles réglementations bancaires et financières adoptées après le krach autorisent cette croissance des dettes pour former des bulles financières bien plus importantes que les dernières fois.
Comparer le prochain krach par rapport au précédent sera comparer un tsunami à une simple tempête… C’est d’ailleurs pour cela que la Réserve fédérale étasunienne engage le relèvement des taux bancaires, diminuant d’autant les capacités de remboursement des crédits et augmentant de fait la probabilité de crise économique et financière. C’est aussi pour cela que le dispositif macroniste accélère le mouvement réformateur néolibéral, pour sauver le capitalisme. Gérant du capital, Emmanuel Macron ne peut pas faire une autre politique que celle qu’il entreprend pour tenter d’augmenter les taux de profit dans l’économie réelle avant la prochaine crise économique et financière. Il lui faut diminuer fortement la masse des salaires directs et socialisés avec toutes les conséquences sur les anciens conquis sociaux. D’où la loi Travail, les réformes de l’assurance-chômage, de la formation professionnelle, de la SNCF, d’où CAP 2022 dont les annonces arriveront dès mai 2018, la réforme des retraites qui vient de démarrer sans que les grandes organisations en prennent la mesure (après le – 20 % sur les retraites actuelles de la loi Balladur de 1993, voilà le – 20 % sur les retraites de 2040 dans la loi prévue par M. Macron pour 2019) .
L’attaque frontale, massive et touts azimuts du dispositif macroniste permet de rendre totalement désuètes les pratiques, les fausses alternatives, des idéalistes européistes de la gauche de la gauche, radicale ou pas. Du revenu universel à la croyance dans une possible modification de l’Union européenne de l’intérieur (plan A) en passant par les manifestations syndicales saute-mouton qui mobilisent de moins en moins dans la même séquence (même avec l’unité syndicale !) ou encore tous les ersatz du capitalisme vert, tout cela est à remiser sur l’étagère des pensées d’hier qui ne correspondent plus à la période que nous vivons. Et ce que nous vivons est le réel.
Mais croire un instant que ce sont les idéalistes des pensées magiques qui sont la solution, c’est tomber de Charybde en Scylla ! Croire en la sortie de l’UE et de la zone euro demain matin à 8h 30 (plan B) ou penser possible le paradis grâce à une création monétaire massive pour financer des revenus ou des salaires dans le cadre du capitalisme sans penser les transitions réelles, les politiques économiques et industrielles ainsi que les réalités anthropologiques, ce sont des impasses sympathiques mais des impasses tout de même.
Qu’observe-t-on des formations sociales au cours des 2 500 dernières années ? aucun changement historique, aucune transformation sociale et politique, aucune grande avancée culturelle, sociale et politique n’a eu lieu en dehors des conditions de possibilité de ces changements. Ces conditions sont connues:
– pas changement en dehors d’une crise paroxystique chaude de quelque nature qu’elle soit -économique, sociale, écologique ou politique (notamment les sorties de l’euro et de l’UE, comme tous les autres changements majeurs) ;
– pas de changement sans une victoire préalable d’une nouvelle hégémonie culturelle via une éducation populaire refondée sous différentes formes ;
– pas de changement sans un projet global incluant une globalisation des combats. Aujourd’hui, cela veut dire pas de changement sans liaison des combats démocratiques, laïques, antiracistes, féministes, sociaux et écologiques sans en oublier un seul. Tous ne doivent pas se contenter de slogans invocatoires mais s’incarner dans des lieux concrets : organisations associatives, syndicales, politiques ;
– pas de changement sans rassemblement du peuple : alors que la situation actuelle, qui voit s’affronter les tenants du syndicalo-syndicalisme, refusant de mettre la marche du 5 mai 2018 dans l’agenda des luttes, et ceux (syndicalistes, citoyens éclairés et militants politiques) qui pensent que la convergence des luttes syndicales et politiques est nécessaire, est une aide précieuse pour le dispositif macroniste !
Une montée de la radicalité significative mais encore minoritaire
L’analyse du réel montre la montée d’une radicalité significative. De Notre-Dame-des Lande (dont on néglige trop les contradictions internes) jusqu’à la lutte des cheminots en passant par des initiatives de renouveau syndical (comme celle du 4 avril à la Bourse du travail de Paris lançant la marche du 5 mai à partir d’une initiative Ruffin-Lordon en phase avec cette nouvelle radicalité).
Comme le dispositif macroniste a rompu avec la méthode hollandaise de passer des accords avec des syndicats complaisants contre les syndicats revendicatifs, un nouvelle contradiction traverse le monde syndical, non plus seulement celle entre les syndicats complaisants et les syndicats revendicatifs, mais entre trois pôles : les deux précités et la tentative de renouveau syndical radical (incluant des parties de syndicats CGT et SUD principalement) critiquant les manifestations saute-mouton qui organisent la démobilisation.
Mais pour l’instant, cette nouvelle radicalité, qui ne se définit pas par organisations entières, reste minoritaire bien qu’elle soit en progression. Cela entraîne donc des augmentations de tension au sein de chaque organisation syndicale, tensions qui à court terme se règlent par un renforcement de la bureaucratisation syndicale – ce qui n’est pas le moyen de sortir de cette contradiction par le haut.
Toujours pas de travail sur la « double besogne »
Pourtant elle devient plus nécessaire que jamais pour toutes les organisations politiques, syndicales, associatives et culturelles. Dès la charte d’Amiens pour le syndicalisme, dès sa théorisation par Jean Jaurès pour le parti de transformation sociale et politique, cette nécessité est apparue dans le débat. Mais la Charte d’Amiens est méconnue par ceux-là même qui en ont plein la bouche, de même que Jean Jaurès est méconnu, largement dénaturé, trahi et malmené par ceux-là mêmes qui disent perpétuer sa mémoire sans l’avoir lu entièrement (comme pour Marx d’ailleurs).
Rappelons que le terme de « double besogne » résume à lui seul la nécessité d’une part de répondre aux revendications immédiates des travailleurs et, d’autre part, de maintenir une cohérence entre ces revendications immédiates et un projet global de transformation sociale et politique pour enfin œuvrer à la réalisation de celui-ci.
Pour nous, si le syndicalisme doit rester indépendant de tous les partis politiques (et vice-versa), ils doivent tous deux travailler à la double besogne. Alors ils pourront converger dans des actions communes pour porter l’estocade contre les néolibéraux, le patronat et l’oligarchie dans son ensemble.
Nous appelons donc les militants à prioriser cette double besogne quelle que soit leur appartenance organisationnelle. Pour l’instant, seule une contribution thématique signée par Danielle Simonnet pour le congrès du PG a vu le jour. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres.
Et pendant ce temps-là, les commentateurs commentent et interprètent sans alternative concrète
L’oligarchie capitaliste a ses commentateurs dans les médias. Ils ont leur rôle. Celui de renforcer l’hégémonie culturelle du mouvement réformateur néolibéral. Car pour l’oligarchie, la bataille pour garder l’hégémonie culturelle est une priorité. Eux savent que c’est une exigence de la lutte des classes. Alors que nous ne le savons plus !
En ce qui nous concerne, en dehors de certains responsables ou militants d’organisations encore trop peu nombreux, nous avons trop de commentateurs dans notre camp qui commentent ou interprètent sur le bien ou le mal mais sans proposer d’alternative globale et sont donc inopérants pour le mouvement social et politique. Soit ils sont en responsabilité dans des organisations, et là ils ne se maintiennent qu’au prix de l’application d’une loi tendancielle du capitalisme, à savoir la bureaucratisation toujours accrue des systèmes organisés. Soit ils sont des citoyens ou militants qui souhaitent se battre avec la peau des autres. Ils donnent des conseils sans jamais s’impliquer et « mouiller leur chemise » !
Or la 11e thèse sur Feuerbach de Marx le disait déjà : nous ne sommes plus dans un moment où il faut interpréter le monde mais bien s’engager pour sa transformation.
A bientôt si vous le voulez bien!