À lire les journaux, à regarder les chaînes de télévision ou à discuter avec ses collègues et amis, les sujets d’indignation ne manquent pas : inégalités entre hommes et femmes, loi travail XXL, sélection accrue à l’université, politique du logement, budget de la Sécurité sociale, etc. Mais pourquoi avons-nous l’impression de ne pas arriver à additionner tous les mécontentements pour construire un mouvement large ?
Des contre-réformes en pagaille
Pas un jour ne se passe sans qu’une attaque antisociale ne soit annoncée : la loi travail XXL et sa casse du Code du travail est dans toutes les têtes, avec notamment la fin du Comité d’entreprise et du CHSCT tels qu’ils l’étaient ou la réforme de la procédure de licenciement, ainsi que la baisse et le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif. La contre-réforme sur le Code du travail est pourtant à l’image de ce qui se fait actuellement : une contre-réforme qui s’inscrit dans une continuité idéologique, bien préparée depuis le début de l’inversion de la hiérarchie des normes, marquée par le modèle réformateur néolibéral et une technicité faussement juridique qui plonge les salariés dans le brouillard quant à sa compréhension, et un chantage à l’emploi qui continue. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la contre-réforme, elle aussi, de l’Assurance chômage va dans le même sens, à savoir réduire les droits des assurés sociaux. On pourrait donner le même exemple avec la contre-réforme de la sélection accrue à l’université ou bien le budget 2018. Tous ont en commun la volonté de privilégier les plus riches, en accentuant la concurrence entre salariés et plus globalement de casser des conquis sociaux, qui bien qu’imparfaits, tendaient à rétablir une égalité sur des bases de solidarité et de redistribution de richesse. Devant l’intensité et la multiplicité des attaques, il est difficile de réagir, et les réflexes de repli – à savoir des luttes défensives ou corporatistes – ainsi que la hiérarchisation des priorités pour chacun conduit à briser toute unité du mouvement ouvrier. Il ne suffit pas d’additionner pour obtenir une colère à la hauteur des attaques.
Une mobilisation syndicale étiolée
S’il faut reconnaître au gouvernement une certaine habilité pour mettre dans sa poche certains syndicats, il faut aussi voir que la stratégie portée par les responsables nationaux des syndicats revendicatifs laisse pantois. Avant la prochaine date de manifestation, le 16 novembre 2017, il est nécessaire de prendre le temps de regarder ce qu’il s’est passé dans cette séquence. Après la loi travail ou loi El Khomri de 2016, les militants et sympathisants qui s’étaient mobilisés de manière importante à l’époque, se sont retrouvés éprouvés dans une nouvelle séquence qui s’ouvrait avec le gouvernement Macron. Tout le monde savait que la réforme allait être d’ampleur, toucher de nombreux pans du Code du travail et la période estivale a été une caricature du dialogue social : des organisations syndicales plongées dans la torpeur des cabinets ministériels, déconnectées de la base, qui discutaient de ce qui était la ligne rouge infranchissable dans une réforme, en se disputant la place d’interlocuteur privilégié du gouvernement. Si la CGT a adopté une position offensive dès le début et que Solidaires n’a pas participé à ces « réunions de travail », la première journée d’appel en septembre a déçu très vite, militants compris. Les journées saute-mouton, les appels sectoriels – comme pour la fonction publique -, les manifestations folkloriques… étaient toutes les conditions d’une stratégie perdue d’avance. Aucune manifestation nationale unitaire du mouvement revendicatif syndical et soutenue par les organisations politiques ne s’est tenue : au lieu de cela, les organisations ont défendu un pré carré et refusé de mener une vraie campagne nationale unitaire, qui dépassait de sombres communiqués de presse qui ne respireraient ni la combativité ni l’espoir. La prochaine journée de mobilisation – le 16 novembre – n’a que peu de chances d’être couronnée de succès à partir du moment où la même recette que les précédentes est utilisée : pour gagner, il faut des revendications claires, des organisations structurées et en ordre de bataille, une campagne d’éducation populaire refondée et l’envie populaire.
Antiracisme : des repères brouillés
L’espoir que représentait et représente toujours La France insoumise se fragilise. L’après manifestation contre le coup d’État social n’a pas été suivie de grandes initiatives et la stratégie très médiatisée autour de Mélenchon trouve ainsi ses limites, malgré la présentation d’un contre-budget qui a remis au centre des débats l’investissement, la redistribution des richesses et la lutte contre les paradis fiscaux. Les synthèses de la consultation des membres des groupes d’appui de la France insoumise, construites autour de 4 axes et allant même jusqu’à appeler à l’auto-organisation doivent-elles rester lettre morte face à l’activisme désordonné des parlementaires du mouvement ? Elles ont en tout cas été totalement parasitées par l’action néfaste de la députée Danièle Obono. Ses dernières déclarations, qui ne sont pas une surprise (elle fut signataire de l’Appel des Indigènes de la République), viennent de franchir toutes les limites acceptables, y compris pour une partie d’indécis : son soutien affiché à sa « camarade » Houria Bouteldja du Parti des Indigènes de la République – organisation politique réactionnaire raciste et antisémite -, dans un dérapage somme toute contrôlé. Le communautarisme, qui a depuis longtemps caractérisé les pratiques des partis de gauche dans la gestion des collectivités locales n’a pas épargné le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, qu’on a jadis connu plus ferme comme défenseur de la laïcité. La campagne des législatives donnait des indices de ce clientélisme. Le communautarisme affiché de la députée Danièle Obono débouche sur un soutien, lors de son interview à Radio J, à la porte-parole des Indigènes de la République. Considérer Houria Bouteldja comme une « camarade » est une insulte à l’ensemble du mouvement antiraciste, qui doit se ressaisir : il n’est pas possible de continuer à fricoter avec les indigènes de la république, qui n’ont rien à envier à l’extrême droite traditionnelle. Il suffit de lire livre d’Houria Bouteldja « Les blancs, les Juifs et nous ». Nous le disons clairement : il n’y aura de victoire du peuple qu’à la condition d’une clarification, et grâce à la défense des positions universalistes, alliant combat laïque, combat social et liés à un antiracisme radical de manière globale. Les marqueurs politiques ont leur importance et il ne faut faire preuve ni de naïveté ni de laxisme face aux dérives racistes, y compris de « camarades » qui se revendiqueraient de la « gauche de la gauche ». Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs réagi sur cette affaire, notamment dans une lettre adressée au président de la Licra datée du 6 novembre 2017 :
« Monsieur le Président,
Une dépêche m’apprend que vous m’interpellez. Je vous réponds aussitôt. Permettez-moi en premier lieu de vous féliciter pour votre élection à la tête de la Licra. Soyez assuré que vous me trouverez toujours à vos côtés dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Dans l’exercice de votre mandat, ne manquez jamais d’en appeler à ma mobilisation sur cette cause centrale de l’humanisme dont je me réclame. Au cas précis, je vous confirme que je suis en totale opposition politique avec le PIR depuis son origine, et sachez que celui-ci me le rend bien. Je ne crois pas que l’action de cette organisation et de sa principale porte-parole participe à la lutte contre le racisme et pour l’égalité entre les êtres humains. A preuve, la phrase que vous citez qui est une déclaration antisémite avérée. Je condamne une telle déclaration comme je condamnerai tout ce qui attribue à un groupe humain un choix politique du seul fait de son appartenance religieuse ou ethnique supposée. Cette sorte d’assignation est à mes yeux caractéristique du racisme. Dans le cas particulier du racisme antisémite, elle renvoie à une longue tradition meurtrière dont il faut toujours craindre les résurgences et tout faire contre ce qui y concourt. Dans l’espoir que ma réponse conforte votre détermination et vous assure de la mienne, je vous prie de croire, monsieur le Président, à ma parfaite considération et à ma fraternité d’engagement contre le racisme et l’antisémitisme.
Jean-Luc Mélenchon »
Nous devons aussi ne plus accepter de certaines municipalités à direction communiste (une minorité heureusement !) mais aussi de structures communistes (là encore peu nombreuses mais bien réelles), des complaisances avec le communautarisme et l’islam politique. Notre détermination sans failles, qui est première, à combattre l’extrême droite et l’ensemble du mouvement réformateur néolibéral ne doit pas se concrétiser par des « yeux fermés » dans notre propre camp. Car c’est une des conditions d’une transformation sociale et politique. Sinon, nous laissons libre champ au mouvement réformateur néolibéral et à la peste d’extrême droite, malgré le rejet du peuple des politiques d’austérité.
Former les militants : une urgence !
Qu’il s’agisse d’expliquer une réforme et les conséquences concrètes et pratiques ou qu’il s’agisse d’organiser un débat, en somme de convaincre mais aussi de structurer, organiser et agir, les bonnes volontés individuelles ne remplacent pas une vision globale. Pour convaincre il faut savoir utiliser les bons outils : réseaux sociaux, prises de parole, rédactions de tracts ou d’écrits… mais aussi connaitre les contre-réformes patronales et gouvernementales, savoir les décrypter pour mettre en avant les points importants. Il faut aussi refonder l’éducation populaire comme moyen d’action et « instruire pour révolter », comme l’écrivait Fernand Pelloutier. Les lieux de débats, d’idées, de rencontres, qui permettent de se former et de construire des alternatives sont essentiels. Réfléchir à ce qui se fait dans chacune de nos organisations, ce qui se fait de manière transversale – comme le fait le Réseau Éducation Populaire – et impulser des stratégies de formation est une priorité pour également structurer les mouvements et savoir mener une campagne. Pour gagner, il faut de l’énergie, de la volonté, mais aussi des structures et des membres qui sont conscients des enjeux pour réagir et préparer les luttes – en les animant, impulsant, en étant dedans, et en sachant répondre à la demande sociale du peuple. Mais la campagne de formation et d’éducation populaire refondée doit être massive et considérée comme une des grandes priorités de la période.
Travaillons tous ensemble au changement de logiciel de l’action militante
Comment réagir pour sortir de l’isolement des actions ? Les organisations, syndicales et politiques, doivent clarifier leur stratégie et donner davantage de pistes, en sortant des habitudes du quotidien. Pas facile de déconstruire pour réfléchir à ce qui marche ou ce qui ne marche pas, entre fonctionnement des organisations et nouvelles formes de luttes, mais aussi pour revenir parfois aux fondamentaux : l’exemple de la grève, qui est minoritaire à certains endroits, doit nous replonger dans un effort de conscientisation profonde des collègues pour sortir de l’agitation et l’indignation militante pour construire une contestation commune. Les organisations doivent pouvoir proposer des perspectives dans lesquelles nous pouvons nous retrouver ; à l’inverse, nous devons donc faire en sorte dans les organisations d’être les premiers acteurs de ce changement, entre pragmatisme et utopie.