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En ce début 2019, dans quelle situation sommes-nous et quelle est notre ligne stratégique ?

Nous avançons petit à petit d’une part vers des inégalités de plus en plus monstrueuses (1) et d’autre part vers une crise paroxystique (2). C’est d’abord un constat mais aussi un espoir !

Vers la crise paroxystique

Constat car nous ne sommes pas du tout sortis de la crise économique et financière de 2007-2008 car les causes sont toujours là et donc produiront les mêmes effets. Et si la date du prochain krach n’est pas connue, son inéluctabilité l’est pour tous ceux qui sont sortis des pensées magiques (tant du néo ou du post-keynésianisme que du marxisme vulgaire et dogmatique déjà réfuté par Marx de son vivant !).

Espoir car en plus de la future crise économique et financière, d’autres crises se surajoutent à celle-ci (crise laïque, crise démocratique, crise sociale, crise écologique). Et c’est la conjonction de ces crises qui va nous engager dans une crise paroxystique. Et comme l’histoire nous le montre – et comme nous l’expliquons dans les conférences du Réseau Education Populaire -, les grandes transformations sociales et politiques ne peuvent intervenir que dans une crise paroxystique.
Or, lors d’une crise paroxystique, ce ne sont jamais les organisations et leurs chefs qui déclenchent le processus révolutionnaire mais une partie du peuple mobilisé et auto-organisé. Mais une fois le processus engagé, il faut une organisation politique pour effectuer la bifurcation au bon moment et de la meilleure façon, conformément à une ligne stratégique démocratiquement constituée. Tout cela pour dire que la bifurcation révolutionnaire n’est jamais inéluctable et qu’elle est le produit d’une action humaine adéquate et demande donc de construire préalablement une théorie, une ligne, une stratégie et d’avoir conquis une nouvelle hégémonie culturelle par des campagnes massives d’éducation populaire refondée, campagnes massives souchées sur les luttes sociales de la période.

On voit donc bien tout le travail à réaliser pour être prêt au bon moment.

Bien sûr, nous n’en sommes pas encore là car de multiples conditions de la révolution citoyenne ne sont pas encore réalisées. Mais là est l’enjeu. Là sont les tâches de l’heure.

Prendre la mesure du mouvement des gilets jaunes

L’irruption du mouvement des gilets jaunes dans notre pays nous fait avancer dans cette voie car ses exigences d’égalité, de démocratie et de justice sociale et fiscale contrecarrent radicalement la marche du mouvement réformateur néolibéral tout en ringardisant toutes les organisations associatives, sociales et culturelles, syndicales de lutte et politiques de transformation sociale et politique, sans exception aucune.

Devant la criminalisation de l’action des gilets jaunes organisée par Macron, Philippe et Castaner (plus de 2 000 blessés graves chez les gilets jaunes à cause de directives scandaleuses de la place Beauvau et du manque de formation des policiers ! (3)

L’irruption des gilets jaunes a pour conséquence d’aggraver la crise de ces organisations elles-mêmes, qui devront donc se refonder si elles ne veulent pas vivoter dans l’entre soi et disparaître du cercle des organisations efficaces. Prenons un seul exemple parmi tant d’autres. Est-il crédible de vouloir l’extension de la démocratie dans la société pour une organisation politique ou syndicale dont les procédures internes sont plus proches de la démocrature que de la démocratie ?

Car telle est bien la situation. Les raisons de la colère sont là. On les présente régulièrement dans les différentes initiatives où nous sommes invités à le faire.
Mais les organisations politiques et syndicales ne sont pas, loin s’en faut, à la hauteur des enjeux soit parce qu’elles sont peu influentes dans le mouvement, soit qu’elles sont bureaucratisées à l’extrême, soit les deux à la fois. Même si des parties importantes des syndicats CGT et Sud se joignent au mouvement des gilets jaunes – ce qui explique d’ailleurs le renforcement du mouvement -, cela se fait ici mais pas là.

La CFDT est devenu le premier syndicat. La CGT, Solidaires, les enseignants de la FSU, FO reculent et comme les causes du recul ne sont pas traitées, les mêmes causes produiront les mêmes effets jusqu’à une période de refondation syndicale inéluctable mais toujours pas à l’ordre du jour.

La droite néolibérale (En marche, LR et l’extrême droite) conserve, malgré le développement des crises noté ci-dessus, plus de 70 % des suffrages exprimés. La « révolution par les urnes » semble donc aujourd’hui un mirage. Raison de plus pour comprendre le mouvement des gilets jaunes.

UE-Zone euro : sortir des pensées magiques et de la confusion

Sur l’Union européenne (UE) et la zone euro, la grande majorité du syndicalisme de lutte, des organisations politiques de la gauche de transformation sociale et politique, est sur la ligne du plan A, c’est-à-dire qu’ils sont sur la croyance que l’UE et la zone euro sont réformables de l’intérieur. Alors qu’il suffit d’analyser le fonctionnement et les traités de l’UE pour voir que tout cela a été construit pour empêcher toute politique progressiste même la plus modérée, comme nous le montrons dans les conférences du Réseau Education Populaire

Même Manon Aubry, nouvelle tête de liste de la FI, qui définit les candidats FI comme de futurs parlementaires de combat pour nous « libérer des traités » et pour « protéger nos libertés », présente le plan A comme une période de négociation et l’éventuel plan B comme un moment de désobéissance. On est loin du plan A/B initial dans lequel le plan A était un moment de désobéissance et de négociation concomitante et le plan B, la sortie si la négociation échoue. Quand on sait avec le Brexit qu’une négociation dure deux ans, qu’il faut près de 18 mois pour alimenter une nouvelle monnaie, on voit bien qu’en réalité, la FI fera campagne sur le plan A.

Restent de petites organisations aujourd’hui peu influentes qui sont directement pour un plan B de sortie immédiate à froid sans lien avec les conditions matérielles qui le permettent. C’est une vue idéaliste.

Nous avons déjà dit que nous n’étions ni favorable au plan A qui est une impasse puisque cela empêche toute politique progressiste, ni au plan B réalisé à froid, estimant qu’il ne peut pas y avoir de politique progressiste dans l’UE et la zone euro.

Nous estimons une sortie possible (le plan C) uniquement à chaud, au moment d’une crise paroxystique, crise paroxystique qui semble en formation (voir ci-dessus). Mais même si la crise paroxystique arrive, ce qui est probable, encore faut-il partir du « réel pour aller à l’idéal » (position matérialiste) et non vouloir aller vers l’idéal sans se préoccuper du réel (position idéaliste), qu’un bloc historique soit en mouvement et enfin qu’une organisation ou plusieurs soient alors à la hauteur des enjeux sur le plan de la ligne et de la stratégie. Que de chemin à parcourir pour s’y préparer ! Mais il n’y a pas d’exit heureux (voir l’article publié dans cette même lettre …)

Éviter les impasses et les pensées magiques

Encore faut-il surmonter les impasses directes (de type « républicain des deux rives » par exemple) et les pensées magiques (de type revenu universel par exemple).

Nous avons déjà exprimé dans de nombreuses conférences publiques que l’idéalisme du revenu universel ne peut se concrétiser que dans un rêve sans réalité ou dans la suppression de la sécurité sociale et de toutes les prestations sociales (position de Milton Friedmann dans « Capitalisme et liberté » en 1962).

Quant aux stratégies des « républicains des deux rives » qui utilisent l’idée du CNR, ils oublient que le CNR historique s’est constitué à chaud entre des républicains réunis sur une même rive dans le cas d’une crise paroxystique avec un projet commun (qui s’appellera moins d’un an après « Les Jours heureux »). Rien à voir avec ceux qui clament un CNR à froid, avec une souveraineté nationale qui s’opposerait à la souveraineté populaire, dans une situation qui n’est pas encore paroxystique, qui ne rassemble pas dans l’action laïque, démocratique, sociale, écologique, les éventuels partisans du CNR à froid, qui n’a pas de projet global commun (impliquant toutes les grandes questions à l’ordre du jour) ; leur seul point d’accord serait alors la souveraineté, ce qui deviendrait une surplombance sans effet, ne répondant en rien à la question « la souveraineté pour quoi faire ? ».

Pas de cheminement vers l’émancipation sans clarification à gauche

Dans l’histoire de la gauche française, tous les rassemblements ont fédéré le peuple grâce à la liaison des combats laïques et sociaux – auxquels il faut ajouter plus fortement qu’hier les combats féministes, anti-racistes, démocratiques et écologiques. Jamais une avancée laïque ne s’est faite sans avancée sociale et vice et versa. Voilà pourquoi toutes les velléités des combats laïques apolitiques sont vouées à l’échec. Mais parallèlement, la gauche ne peut renverser la table si elle compose un tant soit peu avec les diviseurs de la gauche : ceux qui pratiquent les pensées dites décoloniales et indigénistes voire racistes, qui remplacent la lutte des classes par la lutte des races et des communautés entre elles.

Dans l’histoire de la gauche française, celle-ci s’est développée sur une base internationaliste et jamais sur une base mondialiste qui rejette la nation, position malheureusement assez fréquente à gauche en ce début de XXIe siècle. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui défendent en même temps la division du peuple avec le communautarisme, l’indigénisme, la pensée dite décoloniale, véritable cheval de Troie dans la gauche française du mouvement réformateur néolibéral. Car dans le mot internationalisme, il y a le mot nation. L’internationalisme de la République sociale se caractérise pour nous par trois items :

En effet, dans l’histoire, les développements économiques ont toujours démarré par une forme de protectionnisme. Une partie de la gauche et de l’extrême gauche est néanmoins favorable par principe au libre-échange, qu’elle soit socialiste, communiste, altermondialiste, corbyniste ou autre. Pour ceux qui sont favorables à des formes de protectionnisme, il y en a au moins trois formes :

– le protectionnisme de droite et d’extrême droite qui vise à défendre les intérêts de la classe dominante de son État dirigé par elle,

– le protectionnisme solidaire de droite comme de gauche qui vise à coupler le protectionnisme avec des accords bilatéraux avec d’autres États,

– le protectionnisme écologique et social qui vise à se protéger des écarts de niveau écologique et social entre pays mais qui utilise les taxes protectionnistes pour financer une montée en puissance des niveaux écologiques et sociaux des pays économiquement les moins favorisés. C’est notre projet !

Bien sûr, nous rajoutons pour mémoire l’impérieuse nécessité de la formation, du débat et de l’éducation populaire refondée, bases de la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle !

Nous voulons une alternative progressiste !

Pour nous, elle consiste à toujours développer les droits individuels et collectifs sur la base de la dizaine des principes de la République sociale : liberté, égalité, fraternité, laïcité, démocratie, solidarité, universalité, sûreté, souveraineté populaire, développement écologique et social. Pour cela, des ruptures sont nécessaires sur le plan démocratique, laïque, social et écologique. Et des exigences sont indispensables : dégager du marché la sphère de constitution des libertés (école, services publics, sécurité sociale), refonder l’Europe en déconstruisant l’Union européenne et en la reconstruisant ensuite, réindustrialiser fortement la France sous transition écologique, engager un processus visant enfin à l’égalité hommes-femmes notamment sur les salaires et les pensions, refonder le droits de l’immigration et de la nationalité selon les trois jus : sanguinis, solis, domicili, engager la socialisation progressive des entreprises (voir le livre en deux tomes sur la « République sociale au XXIe siècle » dans la librairie militante, dans la colonne de droite du site).
Avec la stratégie de l’évolution révolutionnaire (Marx 1850, Jaurès 1901) comme moyen d’avancer.

NOTES
1. Entre 2010 et 2017, les bénéfices cumulés des entreprises du CAC 40 ont augmenté de 9,3 % et les dividendes de 44 %. Sur la même période, les impôts versés par ces entreprises ont baissé de 6,4 % et leurs effectifs ont diminué de 20 %. Par ailleurs, la déconsommation affecte tous les secteurs sauf l’alimentaire et le « made in France ».
2. Eric Jamet Editeur va bientôt publier trois livres :  «  Dans quelle crise sommes-nous ? » ; une entrée dans la pensée de Marx et d’Engels aujourd’hui ; un livre qui expliquera quelles sont les différentes pistes pour sortir de l’euro, à partir d’un savoir souvent ignoré les militants sur le fonctionnement des transactions bancaires aujourd’hui. Nous lancerons alors une nouvelle campagne politique suite à la sortie de ces trois livres.
3. Nous publions dans ce même numéro de ReSPUBLICA trois textes qui font réfléchir sur l’utilisation de la violence.

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