Des mouvements sociaux de grande ampleur ont lieu dans divers lieux du globe : Liban, Chili, Algérie, Mexique, etc. Cela va dans le même sens que le mouvement social des gilets jaunes récemment en France et que les « soulèvements arabes » du début de la décennie. Conséquence de l’intensification du mouvement réformateur néolibéral, partout la révolte gronde contre les élites économiques et politiques et pour l’accès à tous et toutes aux réseaux collectifs et de communication. Partout, le peuple globalise alors la raison du déclenchement de l’action avec l’ensemble de ses revendications. Partout, l’action collective est sociale et politique (lutte contre les inégalités sociales, pour la justice, pour la démocratie, etc.). Mais très souvent, elle se lie avec d’autres revendications notamment laïques (Liban, Algérie) ou féministes ou encore écologiques. Partout l’appel à ce qui est commun se confronte à l’égoïsme des couches dominantes qui ont intérêt au maintien au pouvoir du mouvement réformateur néolibéral.
Notre rôle internationaliste est de soutenir ces mouvements sociaux de grande ampleur car là est notre camp, celui du peuple mobilisé avec ses couches populaires. D’autant que partout, le mouvement réformateur néolibéral augmente, contre le peuple mobilisé, l’intensité et le niveau de violence, de ceux qui sont dépositaires d’une violence légale qui n’est plus légitime. Il s’agit davantage de museler le peuple que d’empêcher un islamiste djihadiste d’infiltrer le saint des saints du renseignement policier. Sans compter ici et là l’instrumentalisation de la justice au seul profit de l’élite économique et politique contre les oppositions. Sans compter l’appareil médiatique qui joue au perroquet dans la concurrence des médias pour savoir qui est le plus servile. La dernière palme est à attribuer à CNews avec des plateaux tous néolibéraux, indigénistes racialistes ou d’extrême droite (avec Eric Zemmour) ! Quand on vous dit qu’il y a une alliance entre le néolibéralisme et le communautarisme !
Toute contestation de masse n’est pas une révolution citoyenne
Mais pour autant, ces mouvements ne sont pas des révolutions citoyennes contrairement à ce qui est dit ici et là. Elles peuvent devenir des révolutions citoyennes mais pour le devenir, et donc être dans une perspective de « renversement de la table », encore faut-il créer ou hâter les conditions de cette révolution citoyenne. Toute contestation de masse n’est pas par sa mobilisation même en état ne serait-ce que de « prendre le pouvoir » et encore moins d’engager un processus de transition alternatif vers autre chose ! L’exemple de l’Espagne des indignés jusqu’à l’amenuisement de l’influence de Podemos en est l’illustration. En France, la tendance à la marginalisation de la gauche de transformation sociale et politique (en pourcentage des inscrits lors des consultations électorales et en efficacité sociale sur les revendications) en est une autre. Pour passer des contestations de masse à une révolution citoyenne, encore faut-il penser puis favoriser l’émergence des conditions de la révolution citoyenne souhaitée. On y reviendra plus loin dans notre chronique.
Partout, en France et dans le monde, la misère, la pauvreté et la précarité progressent fortement. Avec ou sans croissance économique d’ailleurs ! Et les « bourges » qui ne vivent que dans les beaux quartiers ne le voient pas car nous vivons de plus en plus en ségrégation spatiale. Avec ou sans croissance du chômage de catégorie A de notre Dares nationale – qui ne prend pas en compte le travail partiel et ou précaire (catégories B et C), les salariés en formation bidon, en stage ou malade (catégorie D), les contrats aidés qui n’ont pas comme objectif de trouver un emploi en CDI (catégories E). Partout et donc y compris en France, les inégalités augmentent et de plus en plus vite. Une récente étude du journal Alternatives économiques montre que la politique de Macron ne favorise que les plus riches des catégories aisées. Tout cela accentué d’ailleurs par la politique de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes des anciens services publics, de l’école, et de la sécurité sociale. Tout cela accentué par la politique anti-sociale et anti-transition énergétique du mouvement réformateur néolibéral dans la grande majorité des communes et des quartiers pour cause de diminution des budgets sociaux et écologiques des structures (du logement social par exemple) de gestion de proximité.
Engager le débat sur les conditions de la révolution citoyenne
S’en tenir à considérer que toute contestation de masse est déjà une révolution citoyenne et que, dans ce cas-là, le rôle des militants est de renforcer la caisse de résonance de la lutte pour voir advenir la révolution citoyenne souhaitée, quelle erreur !
Toutes les transformations sociales et politiques dans l’histoire (exemple la Révolution française ou la révolution russe ou d’autres) sont d’abord rendues possibles par la situation sociale, économique et politique qui crée une crise de nature paroxystique ; celle-ci doit s’assortir d’une nouvelle hégémonie culturelle et une action collective consciente des organisations dites de transformation sociale et politique. Si on n’est pas prêt lors de la crise paroxystique, si on n’a pas obtenu la victoire préalable d’une nouvelle hégémonie culturelle, c’est l’union des droites incorporant sa tendance fasciste qui sort de la crise comme le dit la célèbre phrase de Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». D’où l’intérêt de ne pas confondre une contestation de masse avec une révolution.
ReSPUBLICA a à de nombreuses reprises listé ces conditions nécessaires : l’application des principes républicains (liberté , égalité, fraternité , laïcité, etc.) ; les ruptures nécessaires : démocratiques (y compris dans les organisations !), laïques, sociales et écologiques ; les exigences indispensables : la stratégie de l’évolution révolutionnaire, la constitution d’un bloc historique de classes autour des couches populaires ouvrières et employées, la pratique de masse de la formation des militants et de l’éducation populaire refondée pour toutes les citoyennes et citoyens dans le cadre des luttes sociales et politiques, la fédération du peuple par la liaison du combat laïque et du combat social, etc.
Fédérer le peuple exige de lier le combat laïque et le combat social
Répétons-le : les avancées ou les reculs de ces deux combats sont concomitants. Vouloir les dissocier revient à se tirer une balle dans le pied en ne comprenant pas que le mouvement réformateur néolibéral a besoin du développement du communautarisme pour se perpétrer. Voilà pourquoi nous avons lancé l’appel « Combat laïque-combat social, fédérer le peuple » (voir sur le site www.combatlaiquecombatsocial.net ) où nous avons développé les trois dérives anti-laïques à combattre de façon concomitante :
– celle de la laïcité usurpée de l’extrême droite qui utilise le mot laïcité contre une seule religion (hier le judaïsme, aujourd’hui l’islam)
– celle de la laïcité d’imposture qui se développe malheureusement à gauche qui adjective le mot laïcité pour en faire un cache-sexe du communautarisme voire de l’intégrisme
– celle de la dérive néo-concordataire du mouvement réformateur néolibéral qui organise, finance le communautarisme pour remplacer les services publics qu’il détruit et pour servir le supplément d’âme que le néolibéralisme ne peut pas fournir au plus grand nombre.
D’autant que, si nous revenons à notre propos de départ de cette chronique, à savoir, le développement des contestations de masse dans le monde, nous nous apercevons que ce développement est concomitant au développement de la laïcité.
Pour s’en convaincre, voici un sondage réalisé entre fin 2018 et le printemps 2019 à la demande de la BBC par un organisme indépendant, Arab Barometer, auprès de 25.000 personnes de 10 pays arabo-musulmans (1)Algérie, Égypte, Irak, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Soudan, Tunisie, Yémen, plus les territoires palestiniens; voir https://www.bbc.com/news/world-middle-east-48703377 qui montre le recul de la religion dans les pays arabo-musulmans – alors que les élites politiques françaises et les directions des organisations de gauche en France reculent sur la laïcité (2)Ainsi les directions des organisations de gauche préfèrent la tribune des « 90 musulmans contre l’islamophobie » de Mediapart écrite par indigénistes identitaires à celle des « 100 musulmans » écrite par des laïques..
Il montre un large éventail d’opinions sur divers sujets. Sur ces 10 pays, seul le Yémen voit la religiosité progresser, conséquence du conflit entre le pouvoir soutenu par l’Arabie saoudite (sunnite) et les Houthis soutenus par l’Iran (chiite) ? Sans doute est-ce difficile dans cette guerre impitoyable de se déclarer autre chose que sunnite ou chiite.
Partout ailleurs, c’est la non-religiosité qui progresse. Avec des chiffres étonnants en Afrique du Nord et notamment en Tunisie et en Libye par exemple. Dans le premier pays, 31% se définissent comme non-religieux contre 16% cinq ans auparavant. Et chez les moins de 30 ans, ce chiffre atteint 46%. En Libye, ce chiffre est passé de 11% il y a cinq ans à 25% pour aujourd’hui ! Avec un chiffre de 36% chez les moins de 30 ans.
L’homosexualité devient acceptable en Algérie pour 26% de la population. 21% pour les Marocains, 17% pour les Soudanais, mais seulement 7% pour les Tunisiens.
Une forte baisse de la confiance dans les chefs religieux passant de 42% il y a cinq ans à 12% aujourd’hui en Irak. Pour le Soudan, où le dirigeant islamiste Omar El Béchir a été renversé, la confiance a baissé de 49% à 24%. Dans les territoires palestiniens, la baisse est de 48 à 22%.
Quant au souhait d’émigrer, la crise économique et sociale est telle que ce souhait est passé sur l’ensemble des 10 territoires de 25% il y a 5 ans à 33% aujourd’hui. Mais avec un taux de 52% pour les moins de 30 ans ce qui est catastrophique pour ces pays. Par contre, le sentiment anti-immigrés en Europe est de plus en plus perçu et les destinations souhaitées sont de moins en moins européennes.
Le chômage massif entraîne pour un tiers des sondés stress ou dépression : respectivement 52% et 40% pour la Tunisie, 49 et 43% pour l’Irak.
Enfin 42% des Egyptiennes déclarent avoir été victimes de harcèlement physique. Et l’Irak est le seul pays où les hommes sont plus nombreux que les femmes à se déclarer victimes de harcèlement sexuel physique (20% contre 17%).
Les sorties scolaires : histoire d’un recul laïque et social
er juillet et 31 décembre 1936 et celle du 15 mai 1937. Dans la foulée, ministre de l’instruction publique du Front populaire avait réglé le problème de la surveillance de toutes les activités scolaires. Le décret du 11 mai 1937 créait les maîtres d’internat et surveillants d’externat (MI-SE) comme fonctionnaires stagiaires. Ce sont les surveillants d’externat qui devaient accompagner les sorties scolaires sous la responsabilité des enseignants, car les sorties scolaires hors les murs sont une activité scolaire de l’école et non un loisir.
Mais pour des raisons budgétaires, le mouvement réformateur néolibéral qui prend le pouvoir en France en 1983 vise à remplacer des fonctionnaires par des bénévoles dans les administrations. Le tour de passe-passe arrive avec la circulaire 99/136 du 21 septembre 1999 qui officialise le remplacement définitif des fonctionnaires par des bénévoles. Petit à petit, les MI-SE ne sont plus renouvelés.
Le syndicat Sud-Education admettait que 5 600 MI-SE ne seraient pas remplacés fin 2002. Et pour terminer le travail de « dérépublicanisation » de l’école sur ce sujet, la loi du 30 avril 2003 du scandaleux ministre de l’Education Luc Ferry remplace les MI-SE par des assistants d’éducation (sans lien avec les effectifs des élèves ce qui permet d’en nommer de moins en moins !).Avec alors le soutien de la « classe politique » et du mouvement syndical.
Au nom d’une communauté enseignante harmonieuse associant parents et enseignants. Alors que le principal scandale est la suppression des postes de fonctionnaires de surveillance dans les écoles. La polémique au sujet des femmes voilées accompagnant les sorties scolaires est bien sûr une question de laïcité (voir dans ce numéro le texte du président des DDEN) mais nous y ajoutons le scandaleux et anti-républicain remplacement de fonctionnaires par des bénévoles.
Ceux qui ont créé RESPUBLICA ont mené la campagne pour revenir aux trois circulaires de Jean Zay qui avaient interdit les signes politiques et religieux à l’école. Circulaires abolies en vertu de la hiérarchie des normes par l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989 du sinistre (plutôt que ministre) Lionel Jospin. Pour in fine aboutir après 14 ans de lutte à la loi du 15 mars 2004. Eh bien, nous voilà repartis pour une nouvelle bataille (que nous espérons plus courte…) pour revenir à l’esprit du décret du 11 mai 1937, dû au meilleur des ministres de l’éducation !
Nous proposons en plus d’augmenter le nombre d’heures rémunérées des professeurs des écoles pour rencontrer dans de bonnes conditions les parents des élèves et d’augmenter également le taux horaire de ces heures-là. Ainsi, nous pourrons revenir à une école républicaine, où toutes les fonctions scolaires doivent être réalisées par des fonctionnaires du ministère de l’Education soumis aux règles laïques et où le dialogue entre parents et enseignants soit mis à sa juste place. La bataille va être longue mais passionnante !
Notes de bas de page
↑1 | Algérie, Égypte, Irak, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Soudan, Tunisie, Yémen, plus les territoires palestiniens; voir https://www.bbc.com/news/world-middle-east-48703377 |
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↑2 | Ainsi les directions des organisations de gauche préfèrent la tribune des « 90 musulmans contre l’islamophobie » de Mediapart écrite par indigénistes identitaires à celle des « 100 musulmans » écrite par des laïques. |