La guerre a saisi les Français fatigués et déjà anxieux après deux ans de crise sanitaire due au Sars-Cov-2. La stupeur a couvert toute forme d’analyse de fond. L’émotion et la morale ont remplacé l’analyse froide et globale du réel. « Nul n’est plus esclave que celui qui se croit libre sans l’être » disait Goethe. Les médias s’en donnent à cœur joie.(1)De ce point de vue, Facebook donne le la. Voir a contrario « La censure de Russia Today doit nous alerter ». Les gens sont submergés de propagande et d’émotion et « la vérité est la première victime des guerres ». L’historien français Pierre Serna, en écrivant en 2019 L’extrême centre ou le poison français, caractérisait bien la séquence. Les médias français dominants continuent l’inoculation du poison français de l’extrême centre macroniste en instrumentalisant à fond la guerre à des fins de réélection. La poussée immédiate dans les sondages en porte témoignage.
Conséquences prévisibles dans le monde et en France
Politiquement, le « retour des guerres inter-impérialistes » du type 1914 est une nouveauté pour beaucoup de générations qui se réfèrent encore à l’époque de la bipolarité en Europe… et même après la chute du mur de Berlin. La scandaleuse agression russe de l’Ukraine en porte témoignage. Mais la provocation de l’OTAN installant des missiles tournés vers la Russie toujours plus à l’est de l’Europe – reprise inversée de l’installation scandaleuse des missiles soviétiques à Cuba en 1962 tournée vers les Etats-Unis – augmentait fortement le risque de conflagration.
Cette guerre aura des conséquences mondiales. D’abord parce qu’à court terme, il est quasiment impossible pour l’impérialisme étasunien et ses alliés de bloquer en même temps les ventes de pétrole et de gaz du Venezuela, de l’Iran et de la Russie sans se remettre sous la coupe des producteurs sunnites qui ne sont pas pour rien dans l’extension du djihadisme. Déjà, les divergences du camp occidental se développent. De plus, à court et moyen terme, sur le plan commercial du moins, la Chine apparaît comme le premier bénéficiaire de la situation.
En dernier lieu, derrière le discours de victoire des pays occidentaux à l’assemblée générale de l’ONU à propos du vote sur la guerre d’Ukraine, vote qui donna 141 voix sur 193 membres de l’ONU pour la résolution des États-Unis, se cache pour tous ceux qui s’intéressent à la géopolitique, une autre réalité : à savoir que si on ajoute les abstentions, les contre et ceux qui n’ont pas pris part au vote, on a une bonne moitié des habitants de notre Terre. Les mouvements tectoniques ne font donc que commencer !
En France par ailleurs, l’arc politique se recompose difficilement autour de la question de la guerre, car il y a belle lurette que les débats démocratiques sur les questions essentielles du monde, y compris dans les pays dits démocratiques(2)C’est-à-dire de gouvernement représentatif anti-démocratique pensé, lors de la Révolution française par Sieyès contre le régime démocratique pensé par Condorcet, ne sont pas portés à la hauteur des enjeux (géostratégiques, climatiques, sociaux, laïques, etc.). Il est donc normal qu’une partie de l’électorat de gauche soit également déboussolé.
Pour contribuer à se repérer dans le brouillard, rappelons que notre journal est indépendant de toute organisation politique ou syndicale et donc ne reproduit pas les argumentaires des candidats à la présidentielle. Ils sont assez grands pour le faire eux-mêmes. C’est justement grâce à notre esprit critique que les demandes d’interventions, sur les sujets traités dans le journal, dans des réunions d’information, de formation, d’éducation populaire, s’accroissent. Et en période de guerre, cette position difficile est absolument indispensable à tenir.
Ce que pensent les lecteurs de ReSPUBLICA
De nombreux courriers de lecteurs, que nous remercions pour leurs avis, nous sont parvenus, soit pour approuver les éditoriaux des 28 février et 7 mars, soit pour exprimer des désaccords. La ligne de notre publication est de présenter, proposer des analyses que nous pourrions qualifier, pour faire simple, de républicains sociaux œuvrant pour l’avènement d’une République sociale, démocratique, laïque et écologique. Si plusieurs candidats de gauche se situent proches de cette ligne, nous souhaitons garder notre esprit critique sur notre vision globale de la société.
Un correspondant de la première tendance nous accuse « d’abandon en rase campagne, de capitulation pure et simple ». Prenant Poutine au pied de la lettre, il nous reproche de croire à une possible négociation puisque, selon le chef d’Etat russe il ne sera possible de négocier qu’après avoir accepté ses quatre « conditions préalables »(3)La « dénazification » du pouvoir ukrainien, la « neutralisation » du pays, la reconnaissance de la Crimée russe, la reconnaissance de l’indépendance du Donbass.. C’est là une vision bien peu dialectique des rapports de force dans le cours d’un conflit ! Il ne s’agit pas bien entendu de les reconnaître, mais le cas échéant de commencer à discuter avec un adversaire revenu à de moins excessives prétentions.
Un autre lecteur en revanche qualifie bien « l’hystérie collective qui sévit dans ce pays, attisée par les guerriers germanopratins en charentaises » si bien que « faire état explicitement de la chaîne causale qui débouche sur le beau résultat d’aujourd’hui, reste inaudible ».
Une lectrice s’interroge sur les conséquences du non-alignement : si le survol du territoire ukrainien signe clairement une participation aux combats, faut-il ou non accepter la livraison d’armes au pays attaqué par les Russes ? Il y a en effet un écart entre ce que le droit international considère comme être partie à un conflit et ce que Poutine pourrait en penser.
Un de nos fidèles lecteurs estime que nous n’allons pas assez loin dans la caractérisation de la responsabilité de l’OTAN et nous écrit : « Il aurait été judicieux de faire, même rapidement, l’historique des événements qui ont conduit Poutine à répliquer au non-respect des engagements pris par l’Otan en 1991 ». Un autre parle du « non-respect par le gouvernement ukrainien des accords de Minsk II de février 2015 pourtant animé par la France et l’Allemagne ». Il est indéniable que ce sont les dirigeants russes qui ont déclenché le conflit. Mais cela n’exonère pas les forces de l’OTAN de leurs responsabilités.
A propos de l’affirmation “la guerre actuelle en Ukraine est de nouveau un affrontement entre nations impérialistes”, il nous est reproché de ne pas avoir dit que « l’OTAN a perdu sa vocation défensive depuis bien longtemps (Kosovo, Irak…) » Nous lui en donnons acte et partageons ce fait.
Nous avons estimé que Jean-Luc Mélenchon est le seul qui tienne une position correcte et « sauve l’honneur ». Les lecteurs sont un certain nombre à nous écrire à ce sujet, soit qu’ils n’apprécient pas la personne ou ses positions par ailleurs, ce qui est leur droit, soit qu’ils nous reprochent de ne pas avoir mentionné Fabien Roussel, car « le pluralisme à gauche est une richesse à préserver ». Nous reconnaissons volontiers avoir fait simple pour ne pas rentrer dans l’énumération de toutes les positions de gauche ou d’extrême gauche. Il est cependant bien exact que le candidat du PCF a lui aussi une analyse proche de la nôtre. On peut aussi ajouter que Nathalie Arthaud est globalement sur la même ligne, alors que Philippe Poutou estime que « la neutralité n’existe pas ».
Et puis rendons à César… ce que nous fait remarquer un lecteur : le recours souhaitable à l’OSCE que nous posons était bel et bien préconisé par Mélenchon dès avant l’entrée des forces russes en Ukraine. Cette préconisation, si elle avait été écoutée et suivie, aurait pu éviter un déchaînement de haines mortifères dont les premières victimes immédiates sont les civils et les soldats des deux camps.
Enfin, le recours à Jean Jaurès nous est reproché « alors que la guerre est déjà là », car le leader socialiste se battait contre la guerre politiquement bien avant que celle de 1914 n’éclate (« Il dialoguait avec Rosa Luxembourg et pas avec Bismarck. »). S’il s’agit de dire que Jaurès n’était pas « pacifiste », nous en sommes d’accord. Il a toujours justifié la guerre défensive comme le montre son ouvrage L’Armée nouvelle (une armée républicaine faisant corps avec la société dans sa diversité, où toutes les classes sont représentées et solidaires)il faut que l’armée soit représentative de la France entière et incarne les valeurs républicaines.. S’il s’agit de dire qu’il faut se battre contre la guerre avant qu’elle n’arrive, nous en sommes bien d’accord également. Et comme Jaurès nous ne justifions que les guerres défensives. Les attitudes et analyses binaires – les méchants d’un côté et les gentils de l’autre – injurient l’avenir aux dépens des relations pacifiques des peuples.
En conclusion
Une fois le conflit déclenché, la recherche d’un cessez-le-feu afin que des négociations sérieuses s’engagent demeure la priorité. C’est le seul moyen d’éviter l’extension du conflit sur d’autres terrains, en Méditerranée, au Proche et au Moyen-Orient, en Asie… et que se dégage une somme de règles internationales pour que la diplomatie et le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et décider de leur avenir passent avant les intérêts économiques des grandes firmes et les intérêts impérialistes.
L’urgence du moment est d’adopter une stratégie qui permette une sortie « honorable » pour toutes les parties. L’utilisation de l’OSCE (4)sur l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et les États qui en font partie, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_pour_la_s%C3%A9curit%C3%A9_et_la_coop%C3%A9ration_en_Europe. est une opportunité pour obtenir un retrait des troupes russes, pour créer un statut de neutralité de l’Ukraine sans laquelle le point précédent serait un vœu pieux, pour organiser une consultation démocratique et contrôlée par des instances internationales des populations du Donbass quant au statut qu’elles désirent (toujours garder à l’esprit que l’autonomie des territoires du Donbass était actée dans les accords de Minsk II de février 2015), pour définir un cadre et un processus démocratique de résolution de tous les contentieux territoriaux intra-européens (qui sont très nombreux)…
Contribuer à mettre fin à ce conflit en analysant tout ce qui, depuis trente ou quarante ans a conduit à cette absurdité est la seule position raisonnable et cela relève des responsables gouvernementaux actuels ou à venir, mais aussi de la mobilisation populaire pour faire pression.
Notes de bas de page
↑1 | De ce point de vue, Facebook donne le la. Voir a contrario « La censure de Russia Today doit nous alerter ». |
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↑2 | C’est-à-dire de gouvernement représentatif anti-démocratique pensé, lors de la Révolution française par Sieyès contre le régime démocratique pensé par Condorcet |
↑3 | La « dénazification » du pouvoir ukrainien, la « neutralisation » du pays, la reconnaissance de la Crimée russe, la reconnaissance de l’indépendance du Donbass. |
↑4 | sur l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et les États qui en font partie, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_pour_la_s%C3%A9curit%C3%A9_et_la_coop%C3%A9ration_en_Europe. |