Après 35 ans de mutation néolibérale et 15 mois de guerre sociale, la France a vu surgir la pandémie due au virus SARS-CoV-2 dans les pires conditions à cause d’une imprévision criminelle de ses dirigeants qui les a empêchés de choisir la meilleure stratégie de lutte : tester, tracer et confiner les testés positifs comme en Corée du Sud, à Taïwan ou en Allemagne par exemple. L’absence de tests, de masques et la faiblesse du nombre de lits de réanimation (5000 lits soit trois fois moins que l’Allemagne rapporté au nombre d’habitants) les a obligés d’utiliser la plus mauvaise des stratégies de lutte à savoir le confinement total d’une majorité de la population comme au Moyen Âge ! Voilà pourquoi la France est dans le peloton de tête mondial de la surmortalité par habitant.
Mais il y a une suite, c’est que ce confinement total moyenâgeux va amplifier la crise sociale à la sortie du confinement. C’est la double peine ! Car le chômage partiel n’est qu’un moyen de retarder de quelques mois le démarrage de la crise sociale. L’OFCE chiffre à 620 000 le nombre de chômeurs en plus à la sortie du confinement. Les annonces de certaines grandes entreprises laissent présager que le million de chômeurs supplémentaires sera dépassé avant la fin de l’année. Et sans doute beaucoup plus si on additionnait les chômeurs des 5 catégories A, B, C, D, E ! Les mois qui viennent vont donc nous faire vivre soit la possibilité d’une bifurcation historique, soit le monde d’avant en pire ! Mieux ou pire, voilà le choix mais sûrement pas revenir au jour d’avant.
Car au chômage s’ajoutera une augmentation forte de la misère et de la pauvreté. Et si on rajoute le mécontentement des personnels « essentiels » : soignants, enseignants, éboueurs, caissières, etc., qui ne voient toujours pas de concrétisation des discours de leur président de la République, mais aussi la volonté néolibérale de faire payer la plus grande partie des centaines de milliards de dette nouvelle aux travailleurs, on a là un cocktail explosif qui peut nous surprendre autant que la crise du coronavirus dont nous avons passé le premier épisode.
Mais pour l’instant, ce n’est pas morose pour tout le monde. Du 30 mars au 1er mai 2020, 30 millions d’Américains se sont inscrits au chômage mais Wall Street a bondi de 13 %, sa meilleure croissance depuis 1987. L’Euro Stoxx 50, indice boursier de la zone euro a gagné 5 %, le Dax allemand 9 %, le Cac 40 4 % ! C’est l’intensification de la lutte des classes, réalité qu’essayent de masquer les médias dominants qui tentent de nous amuser avec des faits picrocholins (naissance du 9ème groupe ou du 10ème groupe à l’Assemblée nationale, changement ou pas de Premier ministre, interview de l’ex-président Hollande, etc.).
Rajoutons à ce tableau que l’hypothèse d’une baisse de croissance de 8 % retenue dans la loi de finances rectificative du 25 avril dernier n’est pas crédible pour tout économiste qui utilise sa raison raisonnante. Alors que sans désépargne, la baisse de croissance du PIB pourrait être de 11 % et la dette dépasserait 120 % du PIB. Car, nous pensons que devant la peur de l’avenir, les citoyens français ne vont pas se mettre à surconsommer leur épargne pour ceux qui en ont !
Sans compter la vulnérabilité de l’Italie, 3ème pays en importance économique de la zone euro. Son dérapage financier aurait un effet domino autrement plus fracassant que la Grèce en 2015…
Nous voilà donc dans une crise paroxystique multidimensionnelle. Et dans ce cas, comme nous l’avons dit plus haut, c’est le moment de la bifurcation historique : mieux ou pire ?
Pour le pire, tout est prévu, la nouvelle doctrine anti-républicaine du maintien de l’ordre, la restriction des libertés publiques par la perpétuation des états d’urgence, l’actuelle perméabilité des forces de l’ordre aux idées de l’extrême droite permise par la hiérarchie policière, les médias dominants prêts à l’union des droites (extrême droite comprise), les conquis sociaux désagrégés dans la séquence politique précédente.
Pour le mieux, malheureusement peu de chose est prévu. Seul un nouveau rapport de forces social de grande ampleur pourrait engager la bifurcation historique du côté du progrès social. Mais là, il ne faudra pas continuer l’archipelisation des forces sociales et politiques, chacun restant dans son couloir en disant du mal surtout de celui qui est dans le couloir voisin. Donc ne pas refaire la sérénade – très appréciée par le patronat et les néolibéraux de droite et de gauche – qui opposa le mouvement des gilets jaunes au mouvement syndical. Donc de préférer la tentative du blocage de l’économie du type du mouvement du 5 décembre prônée dès la première quinzaine de septembre par le mouvement à la RATP suivi des cheminots, plutôt que la succession des manifestations « saute-mouton » qui épuisent les travailleurs. On nous rétorquera que cela ne se décrète pas. Nous répondrons que c’est très juste mais c’est le rôle des directions politiques et syndicales de préparer le mouvement pour tenter de réussir. Car si on ne tente pas cela, on a déjà perdu avant de commencer ! Mais il faudra bien sûr rompre avec les lignes stratégiques qui font perdre la gauche populaire depuis le tournant néolibéral.
D’abord constituer un bloc historique autour de la classe populaire ouvrière et employée qui vivent les mêmes conditions matérielles d’existence et qui représentent plus de 53 % de la population française et que les directions de la gauche politique et syndicale ont abandonné. D’autant que de nombreux artisans et très petits commerçants, des travailleurs précaires issus des couches moyennes vivent des conditions pire encore que la classe populaire ouvrière et employée. À ceux-là doivent s’allier les couches moyennes intermédiaires (24 % de la population française), une partie des couches moyennes intellectuelles voire une partie des cadres. Et tout cela dans un esprit de convergence pour en finir avec l’archipellisation souhaitée par les néolibéraux.
Mais pour converger, il faut préférer l’universalité des principes républicains sociaux plutôt que de se référer au différentialisme, à l’indigénisme, au racialisme, aux positions identitaires qui divisent le camp du travail pour le plus grand bien de l’oligarchie capitaliste. Plutôt la liberté que la police de la pensée, plutôt l’égalité que l’équité, plutôt la fraternité et la solidarité que la charité et l’aumône, plutôt la laïcité comme organisation de la vie sociale que le communautarisme et le repli identitaire, plutôt la lutte des classes que la lutte des races, plutôt la souveraineté populaire que la remise des pouvoirs aux experts autoproclamés, plutôt le développement écologique et social que le productivisme, plutôt le féminisme global, républicain et social que la division sur l’écriture inclusive, plutôt l’internationalisme que le mondialisme ou le nationalisme, plutôt les quatre conditions de Condorcet de la démocratie que l’homme providentiel et le renforcement de la bureaucratie, plutôt la propriété d’usage ou la propriété collective que la propriété lucrative, etc.
Puis, développer la nécessité de se former et de pratiquer une refondation de l’éducation populaire indispensable aux luttes sociales et politiques. C’est d’autant plus important que les directions des grandes organisations syndicales associatives et politiques ont abandonné cette tâche prioritaire.
Et enfin, il n’y aura pas bifurcation sans la créativité de l’auto-organisation des travailleurs. Car comme un mouvement social ne se décrète pas, mais comme toutes les bifurcations de l’histoire ont été démarrées par l’auto-organisation des travailleurs, l’auto-organisation doit être la base de la mobilisation. Mais il n’y a pas d’auto-organisation sans une pratique renouvelée de la démocratie souvent abandonnée par les grandes organisations à commencer par les structures étatiques et locales. Mais souvent la démocratie fut confisquée par les thuriféraires du gouvernement représentatif à la Sieyès. Il faut donc penser la pratique du processus de démocratie au début du chemin mais aussi au bout du chemin. Alors cette démocratie doit entrer partout et y compris dans l’entreprise.
Oui, pour avoir le mieux, il faut, de notre point de vue, penser la socialisation progressive des entreprises.
Oui il faut que les nationalisations nécessaires aient une contrepartie à l’aide des deniers publics dans la crise économique et financière qui s’annonce. Ces nationalisations ne doivent pas devenir des structures de plus en plus bureaucratiques au point d’être dirigées in fine par une nomenklatura, future grande bourgeoisie d’État. Pour cela, une solution : la démocratie, la démocratie, la démocratie ! De 1946 à 1967, la Sécurité sociale fut dirigée ni par le privé, ni par l’État mais par les représentants élus à tous les niveaux des assurés sociaux. Avec des résultats exceptionnels de santé publique ! Pourquoi les usagers des services publics ne désigneraient-il pas leurs représentants élus à tous les niveaux des services publics existants ou à construire ? Comme les personnels d’ailleurs qui pourraient siéger de façon significative dans les directions des services publics au prorata des élections professionnelles syndicales ? Le tout organisé par une planification démocratique à repenser !
Ou dit autrement, construire une République sociale dotée d’une planification authentiquement démocratique sur des critères sociaux et écologiques avec :
– des processus démocratiques dans les services publics et la Sécurité sociale refondée, adossés sur des filières de production socialisées et sécurisées ;
– des entreprises engagées dans un processus de socialisation progressive ;
– des aides de l’État avec des contreparties sociales et écologiques proportionnées ;
– des nationalisations et des développements de communs ;
– la Sécurité sociale financée entièrement par des cotisations sociales à la hauteur des enjeux ;
– une refondation de l’impôt qui doit être de plus en plus progressif.
Voilà ce que nous proposons au débat général des acteurs du monde de demain !