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La gauche à la dérive ?

Du jamais vu ! Plusieurs responsables du PCF, de la France insoumise, de la CGT, des Verts (même si certains ont depuis exprimé des réserves sur leur participation), signataires de l’appel pour la manifestation du 10 novembre 2019 « contre l’islamophobie » s’allient avec des prédicateurs intégristes(1)« Cet appel a été initié par Madjid Messaoudene (élu de Saint-Denis) ; Le Collectif contre l’islamophobie (CCIF) ; Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ; Le Comité Adama ; La Plateforme L.E.S Musulmans ; L’Union communiste libertaire (UCL) ; L’Union Nationale des Étudiants de France (Unef) ; Taha Bouhafs (journaliste). » Et dans les premiers signataires : Abou Anas Nader, le prédicateur salafiste qui justifie la soumission de la femme à l’homme ! ! Cette gauche-là s’unifie en se tirant une balle dans le pied…

C’est une victoire pour les indigénistes et les communautaristes que de diviser les forces de transformation sociale et politique avec un texte(2)lisible en ligne sur le site de Libération : https://www.liberation.fr/debats/2019/11/01/le-10-novembre-a-paris-nous-dirons-stop-a-l-islamophobie_1760768 qui contient des propositions inacceptables, par exemple suggérer que l’islamophobie ferait des musulmans « des terroristes potentiels ou des ennemis de l’intérieur ».

Cette tribune dénonce aussi des « projets ou des lois liberticides » vis-à-vis des musulmans (lesquelles ? Sauf à considérer les lois laïques comme le font les indigénistes !) Nous considérons qu’il y a du racisme anti-musulman en France mais pas de racisme d’État. Quels sont les signataires qui accepteraient un débat à ce sujet ? Nous considérons qu’il y a un racisme anti-musulman à combattre en France et que l’utilisation « racisme anti-musulman » est clairement à mettre en avant alors que l’utilisation du mot « islamophobie » mis dans le débat par la confrérie intégriste des Frères musulmans a comme fonction d’empêcher la liberté de conscience, celle de penser ce que l’on veut de toute idée, toute philosophie, toute religion et de l’exprimer. Pour résumer, nous étions d’accord avec Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il disait le 21 novembre 2015, après les attentats du Bataclan : « Je conteste le terme d’islamophobie quoique je le comprenne… Moi, je défends l’idée qu’on a le droit de ne pas aimer l’islam, on a le droit de ne pas aimer la religion catholique et que cela fait partie de nos libertés… ». Nous étions d’accord avec Eric Coquerel quand il disait en 2015 que la FI ne pouvait pas apparaître avec des signatures de l’islam politique antiféministe et antilaïque. Sur ces deux sujets, comme sur d’autres, ils prennent la position contraire en 2019…

Pour comprendre comment le courant indigéniste et communautariste comprend la séquence, il faut voir comment Houria Bouteldja justifie que le PIR n’apparaisse pas dans les signataires de l’appel à manifester : https://www.facebook.com/houria.bouteldja.9/posts/2939345492747082

Vous noterez que ceux qui seront là le 10 novembre mais pas le 8 décembre (une marche d’un collectif de mamans de Mantes-la-Jolie) seront considérés comme ceux qui « sabotent le mouvement ». Quand les responsables syndicaux et politiques qui se sont mis à leur remorque comprendront-ils la stratégie des indigénistes ?

Que des éléments représentatifs d’une partie de la gauche de transformation sociale, pour la première fois, se rangent derrière ce centre politique ouvertement antilaïque et antirépublicain pourrait avoir comme conséquence, vu l’attachement des Français à la laïcité, une « italianisation » de la vie politique française» (un processus d’élimination de la gauche institutionnelle par des directions coupées des aspirations du peuple et surtout de ses couches populaires. Ne pas oublier que l’Italie a eu le plus important PC de l’Europe de l’Ouest et que du temps de Berlinguer, le PCI avait dépassé lors d’une élection la démocratie chrétienne). Et là, la révolution citoyenne serait renvoyée aux calendes grecques !

Alors que laïcité progresse dans les pays arabo-musulmans et recule en France

Et pourtant, nous avons montré dans notre dernière chronique (voir ici), en nous appuyant sur un large sondage de la BBC, que toutes les contestations de masse dans les pays arabes et/ou musulmans ont une forte connotation laïque avec une globalisation des combats très importante. Au Liban et en Irak, l’énorme mouvement social suscite la formation de nouvelles organisations qui condamnent le faible niveau social de la grande masse des salariés en général et des couches populaires en particulier, la communautarisation confessionnelle de la société, la corruption des élites politiques et leurs soumissions à des puissances politiques extérieures.

Le recul de la laïcité dans le pays qui a inventé ce principe d’organisation sociale qui donne le plus haut niveau de liberté pour tous, quel paradoxe ! Dernier exemple, le livret sur la laïcité que la CGT vient de produire (https://www.cgt.fr/actualites/france/legislation-discriminations/cessons-de-devoyer-la-laicite)(3)La CGT invoque l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme. En fait, elle présente l’article 9.1 et oublie l’article 9.2 qui autorise les restrictions au port de signes religieux à condition que cela soit transcrit dans une loi ou la constitution et que cela soit conforme à l’ordre public. C’est l’application de cet article 9.2 qui défend le principe de laïcité en corrigeant le principe général de l’article 9.2. Cet « oubli » central obscurcit le discours du syndicat. Ensuite, ce livret ne précise pas concrètement ce qui est séparé dans la loi de séparation de 1905 et ne dit rien sur l’école pourtant centrale dans le débat actuel, ne mentionnant pas les circulaires Jean Zay des 1er juillet et 31 décembre 1936 et du 15 mai 1937, ni la loi du 15 mars 2004. Il est vrai que le syndicat vise surtout les relations dans l’entreprise et que, dans ce domaine, il ouvre la porte avec ambiguïté à des revendications communautaires susceptibles de « présenter un risque de division du collectif de travail, [mais qui] peuvent également constituer une marque de respect et de reconnaissance pour les salariés concernés et finalement favoriser le « vivre-ensemble » »..

Les directions des organisations de la gauche veulent-elles travailler aux conditions de la révolution citoyenne ?

L’une des conditions de la révolution citoyenne et donc de l’alternative politique est la globalisation des combats. Le moyen d’y arriver est de travailler à la convergence. Trop de militants mènent un mono-combat (social seul ou laïque seul ou démocratique seul ou écologique seul ou féministe seul ou antiraciste seul, etc.) et cela conforte malheureusement l’oligarchie néolibérale qui en profite pour diviser le peuple. Notre tâche est de montrer que dans toute l’histoire de France, les avancées et les reculs ont été concomitants sur tous ces combats. Et dans la phase d’intensification néolibérale, c’est encore plus vrai. Voilà pourquoi nous sommes pour la globalisation des combats pour la République sociale.

Au moment où paraît cette chronique, comment ne pas comprendre que la date du 5 décembre 2019 doit devenir la date à partir de laquelle tous les efforts doivent concourir à créer le rapport de force décisif par la grève reconductible et par le blocage économique le plus intense ? Avec les organisations syndicales de lutte à côté des gilets jaunes : une première. Comment ne pas comprendre qu’en plus, il est nécessaire, il faut, multiplier les initiatives d’éducation populaire refondée pour faciliter la compréhension des causes de cette politique néolibérale notamment en matière de retraites et donc in fine de renforcer la lutte ? Comment ne pas comprendre que le ciment du peuple ne peut être que dans le développement concomitant de la laïcité et de l’antiracisme radical ? Car la laïcité et l’antiracisme radical permettent le plus haut niveau de liberté pour tous et assure la possibilité de fédérer le peuple ? Comment ne pas comprendre que la lutte féministe est indispensable au moment où les inégalités hommes-femmes sont de plus en plus criante (taux de féminicide élevé, élargissement des inégalités de toutes natures et notamment en matière de retraites) ?

Une autre condition de la révolution citoyenne est la nécessité de construire un bloc historique incluant les couches populaires et non comme en France aujourd’hui avec la majorité des couches populaires en dehors de la fédération du peuple. Encore faut-il que la théorie politique sur laquelle se construit les analyses et les politiques puisse intégrer cette condition. Il faudra sans doute de grandes campagnes d’éducation populaire refondée pour tourner la page de la séquence précédente où « le bébé fut jeté avec l’eau sale du bain ». Il faut retrouver le bébé…

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 « Cet appel a été initié par Madjid Messaoudene (élu de Saint-Denis) ; Le Collectif contre l’islamophobie (CCIF) ; Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ; Le Comité Adama ; La Plateforme L.E.S Musulmans ; L’Union communiste libertaire (UCL) ; L’Union Nationale des Étudiants de France (Unef) ; Taha Bouhafs (journaliste). » Et dans les premiers signataires : Abou Anas Nader, le prédicateur salafiste qui justifie la soumission de la femme à l’homme !
2 lisible en ligne sur le site de Libération : https://www.liberation.fr/debats/2019/11/01/le-10-novembre-a-paris-nous-dirons-stop-a-l-islamophobie_1760768
3 La CGT invoque l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme. En fait, elle présente l’article 9.1 et oublie l’article 9.2 qui autorise les restrictions au port de signes religieux à condition que cela soit transcrit dans une loi ou la constitution et que cela soit conforme à l’ordre public. C’est l’application de cet article 9.2 qui défend le principe de laïcité en corrigeant le principe général de l’article 9.2. Cet « oubli » central obscurcit le discours du syndicat. Ensuite, ce livret ne précise pas concrètement ce qui est séparé dans la loi de séparation de 1905 et ne dit rien sur l’école pourtant centrale dans le débat actuel, ne mentionnant pas les circulaires Jean Zay des 1er juillet et 31 décembre 1936 et du 15 mai 1937, ni la loi du 15 mars 2004. Il est vrai que le syndicat vise surtout les relations dans l’entreprise et que, dans ce domaine, il ouvre la porte avec ambiguïté à des revendications communautaires susceptibles de « présenter un risque de division du collectif de travail, [mais qui] peuvent également constituer une marque de respect et de reconnaissance pour les salariés concernés et finalement favoriser le « vivre-ensemble » ».
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