Principal syndicat de lutte, la CGT régresse depuis de nombreuses années. Malgré l’intensification des politiques anti-sociales néolibérales, la CGT s’est fait doubler comme premier syndicat par la CFDT. Et pourtant, cette dernière n’est qu’un soutien au mouvement réformateur néolibéral. Cet état de fait peut s’expliquer en grande partie parce que la CGT n’est plus à la hauteur des enjeux.
Déjà à l’entrée du congrès de Dijon, le rapport d’activité n’a été voté qu’à 70,96 % des suffrages exprimés contre 29,04 %. Mais avec 15,34 % d’abstentions. C’est le plus mauvais score jamais réalisé pour un secrétaire général sortant.
À noter que les abstentions ne sont pas comptabilisées dans les suffrages exprimés ; pourtant ces votes expriment une position. Et aussi que les votes sont réalisés par un système de votation étonnant : quand un amendement est présenté, il est soumis au vote de la position de la commission des amendements qui est souvent hostile aux amendements. Puis quand l’amendement est présenté, on commence par voter sur le texte initial. Il est donc compliqué de proposer un amendement face au texte d’orientation de la direction !
Contrairement à ce que pensent des citoyens éclairés et même de nombreux adhérents de la CGT, ce n’est pas le congrès qui désigne le secrétaire général de la confédération mais le comité confédéral national (CEN formé par les fédérations, les UD et la commission exécutive). Et pour avoir un votre à 90,65 %, il a fallu que le CEN refuse le vote par mandants des organisations de la CGT car ce sont de grandes organisations qui sont critiques de la direction confédérale. Alors que des micro-fédérations sont souvent pro-direction confédérale (comme parfois dans d’autres confédérations ou union syndicales d’ailleurs !). Il est clair qu’avec un vote par mandat, ce chiffre aurait été nettement plus bas et que même la composition de la commission exécutive aurait été différente. Le bureau confédéral n’est donc formé que de proches du secrétaire général, dont un camarade de la même fédération que Philippe Martinez.
L’opposition à la direction confédérale, socialement plus combative, a joué l’intérêt à moyen terme de la CGT, suite aux épisodes rocambolesques de la sortie de Bernard Thibaut et de son prédécesseur Le Paon, en ménageant la direction. Pourtant, la direction a dû reculer sur deux aspects qui ont focalisé les débats. D’abord la direction n’a pas pu empêcher le vote d’un amendement par 469 voix contre 294 stipulant que la CGT souhaitait l’unité avec tous les syndicats internationaux. Donc aussi avec la FSM que la CGT a quittée il y a plus de 20 ans pour rejoindre la Confédération syndicale internationale (CSI), confédération d’accompagnement du néolibéralisme et la Confédération européenne des syndicats (CES) qui est l’opposition de sa majesté au sein de l’Union européenne et qui s’apprête à élire son président en la personne de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT.
Puis, la direction confédérale a eu peur de présenter au vote du congrès son projet de renforcement des comités régionaux en leur donnant du pouvoir face aux autres organisations internes. A noter que dans ce cas, la CGT aurait eu des statuts comme ceux de la CFDT avant l’éviction de son aile gauche qui avait alors formé les SUD.
Dernier point, la direction confédérale n’a pas invité au repas fraternel de fin de congrès, comme c’est la tradition, les exposants qui financent le congrès et même les structures de la CGT comme le journal NVO ou Indecosa CGT ! Les mauvaises langues disent que la direction avait peur des remous qu’auraient pu provoquer l’opposition. Mais ce ne sont que des rumeurs…
Le document d’orientation avant le congrès
D’abord ce rapport, réalisé par l’équipe sortante, n’analyse en rien son environnement social, politique et culturel. L’important mouvement social qu’est le mouvement des gilets jaunes, n’est même pas cité ! Alors que c’est le plus important mouvement social depuis le 17 novembre 2017. Malgré le fait qu’une partie importante des militants de la CGT ait participé au mouvement des gilets jaunes, la direction confédérale a tout fait pour se tenir à distance de ce mouvement. Dans plus de 550 paragraphes, les deux premières parties consistent à parler des reculs sociaux que tous les travailleurs connaissent bien. Et quand viennent les propositions comme le « Nouveau statut du travailleur salarié » (NSTS) ou la « Sécurité sociale professionnelle » (SSP), le texte ressasse les généralités que nous connaissons depuis au moins deux décennies sans clarifier le contenu concret de ces avancées. Nous défions n’importe quel militant de la CGT d’expliquer concrètement aux travailleurs son contenu concret ! Suffit-il de dire que la Sécurité sociale professionnelle garantira « le maintien du contrat de travail et du salaire jusqu’à reclassement effectif au même niveau d’emploi avec transférabilité de tous ses droits (qualification, salaire, ancienneté, formation, protection sociale, etc.) ?
Quel lien avec la Sécurité sociale ? Est-ce compatible avec le mouvement réformateur néolibéral ? Sinon, où est la « deuxième besogne » de la Charte d’Amiens ?
Car ce document refuse de s’inscrire dans la « double besogne » du syndicalisme tel qu’exprimé par la Charte d’Amiens et par Jean Jaurès lui-même. Elle en reste à la première besogne à savoir les revendications immédiates. Sans intégrer ces revendications immédiates dans un projet de changement de société (la deuxième besogne). D’où des confusions entre les causes et les conséquences.
Exemple parmi d’autres au paragraphe 21 : « Notre volonté de transformation sociale et notre ambition revendicative s’attaquent aux sources du mal, au cœur du conflit entre capital et travail fondé sur le partage inégal et injuste des richesses créées par le travail, au détriment des travailleurs eux-mêmes. » Comment l’inégal partage du travail est-il aux « sources du mal » alors qu’il n’est que la conséquence des rapports de production capitalistes qui eux sont « la source du mal » ?
Ce document n’engage aucun débat sur la question de la propriété comme si la propriété des moyens de productions était dévolue par principe au patronat de droit divin. Bien sûr, la Fédération Chimie de la CGT en a fait la critique mais elle n’a guère influencé la confédération CGT. Jean Jaurès et ses amis syndicalistes de l’époque ne disaient-ils pas : « Quand le prolétariat socialiste aura été porté au pouvoir par les événements, par une crise de l’histoire, il ne commettra pas la faute des révolutionnaires de 1848 : il réalisera d’emblée la grande réforme de la propriété. » (Socialisme et Liberté, 1898). Il est vrai que Jean Jaurès appliquait la stratégie de l’évolution révolutionnaire prônée par Karl Marx en 1850
Aucune remise en cause des journées d’action « saute-mouton » qui se transforment en randonnées pédestres d’une journée, sans suite et sans efficacité. Si le document d’orientation prend acte du recul des mobilisations, la responsabilité en est donnée aux structures de base du syndicat et non à la stratégie confédérale : injonction est faite de mieux « écouter », « débattre », « transmettre » les directives d’en haut, etc.
Pire, le document montre son attachement à la stratégie « du syndicalisme rassemblé » proposée en son temps par le couple Viannet-Thibault. On a pu vérifier depuis plusieurs décennies que cela obligeait l’ensemble des syndicats à engager la lutte sur des bases proche de celles de la CFDT. Ce qui entraîne depuis ce moment l’effritement du soutien des travailleurs à la CGT
Aucune remise en cause non plus de l’organisation du syndicat. Alors que les concentrations salariales ne sont plus les mêmes qu’il y a 50 ans et que la nécessité est de développer les structures interprofessionnelles notamment des UL, cela reste le parent pauvre du syndicat. Alors que les UL ont comme ancêtres les bourses du travail, lieu principal de l’éducation populaire (on disait alors éducation ouvrière), aujourd’hui, elles ont abandonné cette tâche centrale de préparer les grandes batailles interprofessionnelles (Sécurité sociale, droit du travail, etc.). Alors que la demande sociale des travailleurs pour une éducation populaire refondée liée aux luttes sociales est forte. En dernier lieu, au lieu d’engager la débureaucratisation de l’organisation, voilà que sont proposées des structures de contrôle régionales (comme à la CFDT ? voir ci-dessus) !
Quant au positionnement sur l’Union européenne, c’est du Bernard Thibault tout craché : critique de l’ « euroscepticisme », idée de pouvoir changer l’UE de l’intérieur par un plan de type plan A seul !
Le document se plaint de l’extension des guerres sans en déterminer les causes. Nous voilà bien loin de la « deuxième besogne » !
Sur les phénomènes migratoires, on reste pantois : on peut lire « les incidences des changements climatiques, la persistance des conflits et de la corruption », autant de fléaux « qui continueront à mettre sur les routes des millions de personnes à travers le monde ». Il faut dès lors, affirme le texte, « se préparer avec réalisme à ces évolutions comme une chance à saisir ». Le document fait comme si les migrations étaient une fatalité à laquelle il faut se préparer comme « une chance à saisir ». Comme si les travailleurs migrants n’auraient pas préféré vivre dignement et travailler dans leur pays ! Que pense la confédération CGT de la désertification des services publics entretenue par les grandes puissances impérialistes dans les pays africains, due en partie au transfert des personnels qualifiés de ces pays vers les pays du centre ?
On est enfin sauvé par la création d’un « Master négociations et relations sociales », fruit d’un partenariat de la CGT avec la faculté ultra-libérale de Paris-Dauphine. Selon le site de la confédération, il s’agit du « premier lieu paritaire de formation des acteurs du dialogue social ».
Oui, on peut commencer à penser à la nécessité d’une refondation syndicale ! Au-delà de la CGT, cela concerne toutes les équipes militantes qui luttent pour un syndicalisme qui se réfère à la double besogne : revendications immédiates et stratégie évolutionnaire/révolutionnaire.