L’armée russe, sur ordre de Poutine, a envahi l’Ukraine, pays voisin, pays frère par l’histoire, la culture, la population. Naturellement, les habitants du pays envahi veulent chasser l’envahisseur et se battent dans ce but, avec, semble-t-il, un certain succès jusqu’à présent et une aide « occidentale » en armement et renseignements. L’armée envahisseuse se heurte à cette résistance et bombarde des objectifs pas toujours bien définis et des dégâts collatéraux tels que des hôpitaux, des immeubles, dont sont victimes les civils. Le risque d’enlisement est réel. Les objectifs de Poutine n’apparaissent pas très clairement et les discussions (peut-on parler de négociations ?) entre les deux gouvernements ukrainien et russe piétinent, malgré les ouvertures ukrainiennes.
Il est aussi évident que de ce conflit parfaitement prévisible sortira un nouvel équilibre géopolitique, au plan européen comme au plan mondial. La Chine, puissance montante, prend part à cette nouvelle donne, comme d’autres puissances émergentes. Ce conflit n’est pas qu’une question d’affrontement à deux, Russie contre « Occident » ou « Occident » contre Russie selon les interprétations, mais un problème mondial qui accouchera d’un nouvel équilibre géopolitique, dans lequel les Européens, l’Union européenne, le continent européen dans son ensemble, donc Russie comprise, doivent trouver toute leur place en toute indépendance compte tenu de leurs intérêts. ReSPUBLICA s’est déjà exprimé sur ce conflit. Le but de cet article n’est pas tant de donner une position que d’essayer de démêler et comprendre une situation forcément compliquée que la guerre ne résoudra pas.
Il nous est très difficile ici avec les éléments dont nous disposons de nous faire une idée précise de la situation militaire, nous sommes soumis à un tel matraquage médiatique et à un manque réel de connaissance de la réalité de la situation militairement. Poutine veut-il détruire Kiev ? Cela ne semble pas être le cas. Par contre il a détruit Marioupol et d’autres villes et villages. A-t-il intérêt à détruire l’Ukraine, alors qu’il professe que les Ukrainiens font partie du même peuple russe ? Aucune des images que nous pouvons voir à la télévision, aussi bien sur les chaînes du service public que les chaînes en continu, ne sont convaincantes quant aux positions respectives des forces armées. Les seules qu’elles donnent à voir ce sont les destructions des immeubles ou de quartiers de villes. Le tropisme de ces chaînes est de mettre en avant le spectaculaire qui suscite des émotions au détriment de la connaissance.
La question posée en particulier aux Européens est donc triple :
1) Comment arrêter l’offensive russe, aboutir à un accord russo-ukrainien et obtenir le retrait des troupes russes du territoire ukrainien ? Ce n’est pas jeter de l’huile sur le feu, comme le fait Biden dans ses déclarations, qui favorisera l’émergence et la poursuite de négociations déjà engagées. Les USA (l’impérialisme USA) ont intérêt à la guerre. Cela ne correspond pas à l’intérêt de l’Europe (nous y reviendrons plus loin dans cet article).
2) Si les négociations échouent, le risque d’enlisement de l’armée russe en Ukraine et sa dérive vers une armée d’occupation sont réels. Cela serait catastrophique pour tous.
3) Comment assurer la sécurité dans la paix sur le continent européen qui souffre depuis 2000 ans de guerres civiles (ce qui entre nous est le cas en Ukraine, car c’est bien d’une guerre qu’il s‘agit) ? Les USA ne sont peut-être pas les meilleurs acteurs pour cela. C’est aux Européens, Russes compris, de régler cette question. Si, nous Européens ne le faisons pas, personne ne le fera à notre place et, en tout cas, pas dans l’intérêt des peuples.
Ce conflit met en exergue des enjeux géopolitiques qui rendent indispensables des choix clairs pour l’Union européenne.
Soit les dirigeants de l’UE, sans tomber dans le piège d’une course aux armements mortifère pour les peuples et pour la planète, décident de sortir d’un alignement sur les USA et l’OTAN et d’organiser une souveraineté économique, sociale, politique et militaire (car comme Européens, il faut répondre aux questions de sécurité que posent les pays baltes ou la Pologne compte tenu de leur histoire avec leurs voisins. Le problème semble résolu du côté de l’Allemagne dans le cadre de l’Union européenne, aussi bien pour les Baltes que pour la Pologne, il n’y a pas de raison que ce ne soit pas possible avec la Russie dans un cadre européen élargi) soit, ces mêmes dirigeants s’enfoncent dans une fuite en avant dans l’atlantisme qui ne constitue pas une solution viable à terme, ni du point de vue démocratique, ni du point de vue sécuritaire, ni du point de vue climatique et écologique, ni du point de vue humain.
Mensonges et hypocrisie : les choses les mieux partagées d’un côté et de l’autre
Nous savons que Poutine est le principal responsable de ce conflit. Nous savons, également, que les conditions qui ont conduit à cette situation délétère pour l’Ukraine et instable pour l’Europe voire le monde entier ne sont pas uniquement le fait des dirigeants russes, mais également des dirigeants occidentaux et étatsuniens qui n’ont pas tenu leurs promesses et leurs engagements lors de l’effondrement de l’Empire soviétique. Cela a conduit à un engrenage fatal pour la paix, dont les principales victimes sont en premier lieu les populations civiles d’Ukraine, le peuple russe et les peuples de l’UE à titres divers… :
- La promesse a bien été formulée, certes oralement et non par écrit, mais des documents semblent l’attester, entre James Baker(1)9 février 1990, à Gorbatchev : « Que préférez-vous ? Une Allemagne unie en dehors de l’Otan, absolument indépendante et sans troupes américaines ? Ou une Allemagne unie gardant ses liens avec l’Otan, mais avec une garantie que les institutions ou troupes de l’Otan ne s’étendront pas à l’est de la frontière actuelle ? ». Réponse de Gorbatchev : « Il va sans dire qu’un élargissement de la zone de l’Otan n’est pas acceptable. » et Bush père et Gorbatchev d’une non-extension de l’OTAN vers l’Est. Par la suite, la Pologne, la Hongrie, les pays baltes… ont été intégrés dans l’OTAN.
- L’accord de Minsk dont plus personne ne parle(2)Capitale de la Biélorussie., sous le patronage franco-allemand, signé en 2014, puis précisé en février 2015, prévoyait le cessez-le-feu dans les régions de Donetsk et de Louhansk, le retrait des armes lourdes, une grâce des prisonniers, le retrait des forces étrangères, une réforme constitutionnelle en Ukraine avec autonomie linguistique et administrative des deux régions suscitées et des élections libres. Le pouvoir à Kiev n’a jamais voulu mettre en œuvre cet accord, soutenu par les USA dans cette position.
- Mensonges conjoints de Poutine qui a avancé vers l’Ouest et écrit l’histoire en fonction de ses objectifs et des dirigeants occidentaux dont l’hypocrisie est patente : 1999 et l’attaque massive et meurtrière par l’Otan du Kosovo, 2003, armes de destruction massive en Irak pour justifier l’invasion, 2007, opération mortifère contre la Libye en violation des traités de l’ONU.
- Annexion de la Crimée par Poutine sous couvert d’un référendum local donnant 96 % des exprimés favorables au rattachement à la Russie. Un vrai référendum, libre et sous contrôle international, aurait pu éviter les inimitiés avec l’Ukraine tout en respectant le libre choix des peuples et des populations à disposer d’eux-mêmes.
Il semble bien que l’histoire bégaie. Les somnambules du début du XXIe siècle n’ont rien à envier à ceux du début du XXe ayant conduit à la Première Guerre mondiale. Chaque impérialisme dans son couloir, aveugle au monde et aux autres puissances, ignorant des aspirations des peuples, les yeux rivés sur le guidon du seul profit immédiat « quoi qu’il en coûte » aux populations. Les dirigeants gouvernementaux montrent leur incapacité à s’extraire de leur obsession et à se hisser à la hauteur des enjeux, aujourd’hui accentués par les dérèglements climatiques et les questions de condition de vie de l’humanité sur Terre.
Des sanctions économiques antirusses à l’efficacité douteuse
Ces sanctions touchent en premier lieu les Russes de la base, peu les oligarques, et beaucoup les économies et les peuples de l’Union européenne. Seuls les USA qui poussent à la fermeté n’en subissent que peu les conséquences, tant ils sont peu dépendants des productions et des matières premières russes et ukrainiennes et loin géographiquement du conflit. Ce n’est pas sur leur territoire que l’on se bat :
- Pétrole en provenance de Russie : 15 % pour la France, 34 % pour la RFA, 14 % pour l’Italie, 28 % pour les Pays-Bas, 4 % pour le Royaume-Uni, 68% pour la Pologne soit en moyenne 28 % pour l’UE ;
- Gaz en provenance de Russie : 21 % pour la France, 65 % pour la RFA, 45 % pour l’Italie, 8 % pour les Pays-Bas, 3 % pour le Royaume-Uni, 57 % pour la Pologne soit en moyenne 30 % pour l’UE ;
- Charbon en provenance de Russie : 27 % pour la France, 23 % pour la RFA, 42 % pour l’Italie, 41 % pour les Pays-Bas, 27 % pour le Royaume-Uni, 32 % pour l’Espagne, 4 % pour la Pologne soit en moyenne 18 % pour l’UE ;
- Nickel : ce composant important des batteries des véhicules électriques provient essentiellement de Russie, qui est le premier fournisseur de l’Europe. La France devra s’appuyer encore plus sur ce minerai extrait en Nouvelle-Calédonie pour parvenir à l’autosuffisance.
- Titane : la Russie est le premier fournisseur mondial de ce minerai indispensable à l’industrie aéronautique.
- Les pays occidentaux et plus largement du monde dépendent en grande partie des productions agricoles ukrainienne et dans une moindre mesure russe. Cela démontre que les économies de ces deux pays ne sont pas si insignifiantes comme le prétendent, avec suffisance, certains. L’interdépendance des économies capitalistes le confirme. La production agricole de l’Ukraine est d’une très grande variété, dans l’ordre décroissant de volume : maïs, blé, pommes de terre, tournesol, betterave, orge, colza, tomates, choux, pommes, citrouilles, concombres, carottes, poix séchés, seigle, sarrasin, noix, soja, oignons, raisins, avoine, pastèques, cerises… L’Ukraine est le troisième fournisseur de produits avicoles de l’UE et occupe 51 % de la part du marché pour les œufs et ovoproduits en 2018. L’Ukraine est le premier exportateur de l’huile de tournesol du monde, deuxième exportateur de colza, troisième de noix et de miel, quatrième de maïs, d’orge et de sorgho, cinquième de blé. En 2019, elle est le deuxième fournisseur de produit bio du marché européen.
Les États-Unis d’Amérique peuvent observer en toute sérénité les conséquences de ces sanctions puisqu’ils ne dépendent, en tant que poids dans les exportations russes, que pour 5 % du pétrole (UE, 49 %), pour 0 % du gaz (UE, 41 %), 0 % du charbon (UE, 21 %), 4 % du fer et de l’acier (UE, 29 %), 1 % pour le nickel (UE, 93 %)(3)Source : Centre du commerce international (ITC).. Ainsi, l’embargo états-unien ne touche qu’à la marge l’économie russe et, surtout, n’ampute que de manière très marginale l’approvisionnement de l’économie nord-américaine. Les Européens risquent fort d’être les dindons de la farce au profit des USA qui en profiteront pour avancer leurs pions en livrant leur gaz de schiste hyperpolluant dans son extraction (fracturation) et son usage et en vendant leurs armes. Ils le font déjà à la Belgique, la Pologne et l’Allemagne (avions F-35), aux dépens de l’industrie militaire française. On fait mieux en matière d’indépendance européenne. La guerre ne se fait pas sur le sol américain. Les réfugiés que nous avons le devoir moral d’accueillir le seront pour la grande partie par les pays européens, car ils sont limitrophes de l’Ukraine.
Une situation potentiellement et extrêmement dangereuse pour l’équilibre européen et mondial
L’Allemagne et la Suède ont décidé de poursuivre et d’accentuer les livraisons à l’Ukraine de missiles sol-sol et sol-air en prélevant sur leurs stocks militaires… L’OTAN joue la chute de Poutine à terme. Il faut se méfier de ce genre de prédiction, souvenons-nous de celle-ci : « Assad va tomber dans les mois qui viennent ! » en 2013.
La résilience russe est une donnée historique et l’armée russe peut détruire l’Ukraine lentement et systématiquement. De tout temps, sous l’autocratie des tsars, le totalitarisme stalinien et, aujourd’hui, sous le régime dictatorial de Poutine, les pertes humaines russes n’ont jamais été un problème pour le Kremlin. Le régime de Poutine joue sa peau. Avec l’alignement sur l’Occident sous le gouvernement de Boris Eltsine, à bien des égards la marionnette des USA et des multinationales, les Russes ont subi une récession sur le plan humain avec 6 ans de recul de l’espérance de vie dans les années 1990. Le régime poutinien semble stable. Il faut, cependant, se méfier des apparences. Dans les années 1980, qui aurait prédit la chute de l’Empire soviétique ? Dans ce conflit, OTAN-Russie, l’UE a tout intérêt à jouer la carte de l’apaisement pour éviter élargissement de la guerre aux pays limitrophes, afin d’éviter l’emploi d’armes nucléaires tactiques (petites bombes A et bombes à neutrons). Dans les siècles derniers, la Russie tsariste ou soviétique a souvent essuyé des pertes au début des conflits face à Napoléon 1er, face au Reich allemand (1914-1918), face à Hitler et s’est ressaisie par la suite. Ce scénario se reproduira-t-il aujourd’hui ?
Quelle porte de sortie ?
Les Européens doivent prendre conscience que leurs intérêts ne sont pas les mêmes que ceux des USA et rompre avec l’atlantisme issu de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide. Ils doivent le faire en toute lucidité, en tenant compte de l’histoire longue du continent(4)invasions russe et allemande des pays baltes, de la Pologne, de ses découpages/reconstitutions, mais aussi des découpages/reconstitutions de l’Ukraine. Ce doit être l’occasion de traiter aussi de minorités dans divers pays (les russophones en Lituanie, les Hongrois en Roumanie, etc.) pour éviter leur instrumentalisation, comme le fait V. Orban. Il serait également pertinent d’avancer sur « l’architecture » des Balkans. Le travail est immense et seuls les Européens sont en capacité de le résoudre, ou au moins d’initier un processus pour cela. Ici, l’Union européenne détachée de l’OTAN est le seul cadre possible avec l’OSCE (qui doit être aussi européenne comme le dit le E). Évidemment cela implique que l’UE se détache de l’OTAN et que les déclarations d’autonomie, de puissance européenne, de défense européenne s’appuient sur une volonté politique concrète, qui engage un réel processus en ce sens. Or, depuis des années c’est plutôt, avec l’élargissement de l’UE à l’Est européen, l’inverse qui s’est produit. Alors que les traités des Communautés européennes(5)Ancienne dénomination de l’Union européenne. étaient mués sur les rapports UE/OTAN, le traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009 y fait référence dans l’article 42 du Traité pour l’Union européenne (TUE). Le non-alignement sur l’OTAN n’interdit pas des accords de coopération si ces derniers ne se fondent pas sur des rapports de subordination aux intérêts des USA.
En quoi les intérêts européens ne sont pas de même nature que ceux des USA ?
1) Ils ne sont pas les mêmes d’abord pour des raisons géographiques (la géographie est souvent négligée même si on parle de géopolitique). Les USA se situent loin des lieux où se déroulent les combats. Ce ne sont pas leurs villes qui sont détruites et leurs ressortissants qui meurent. À noter que toutes les guerres qu’ils ont menées depuis plus d’un siècle se sont déroulées hors de leur territoire et souvent très loin.
2) Les intérêts économiques sont aussi divergents. L’Europe dépend comme c’est indiqué plus haut de la Russie pour son approvisionnement en pétrole et gaz, et sans doute encore pour des années, malgré les déclarations de Madame Von der Layen, et aussi de l’Ukraine pour des composants ou des produits agricoles. L’intérêt commercial, industriel, politique, culturel et sécuritaire est donc de développer toutes les relations avec ces deux pays sur ce même continent.
Par ailleurs ça fait longtemps que les USA veulent vendre les gaz de schiste aux Européens, qui jusqu’à présent n’en voulaient pas pour des raisons environnementales. La guerre en Ukraine est une bonne occasion, un effet d’aubaine comme on dit en économie, peu importe le dérèglement climatique et les questions écologiques.
3) Les USA ne conçoivent l’Europe que comme une entité vassalisée dans le cadre de leur stratégie hégémonique née de la Seconde Guerre mondiale. Cette hégémonie, qui repose encore beaucoup sur leur puissance militaire et encore économique, est en déclin, y compris sur leur propre continent en Amérique centrale et du Sud(6)Voir les articles de Lucho https://www.gaucherepublicaine.org/a-la-une/amerique-latine-resistances-aux-stratagemes-americains-1-3/7428786 ; https://www.gaucherepublicaine.org/a-la-une/amerique-latine-resistances-aux-stratagemes-americains-2-3-le-chili/7429058 et https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/amerique-latine-resistances-aux-stratagemes-americains-3-3/7429197. Sur le plan industriel, ils vont perdre leur première place sans doute avant la fin de la décennie. Une Europe de 500 millions d’habitants vassalisée sous conduite américaine est un quasi impératif pour pouvoir faire le poids non seulement contre la Chine, mais aussi à un peu plus long terme l’Inde et sans doute d’autres puissances (Brésil…). Par ailleurs il ne faut pas sous-estimer la puissance de la « culture de la frontière » chez les États-Uniens qui ont toujours besoin d’un ennemi pour « exister » : les Indiens d’Amérique, le communisme, la Russie (qu’ils estiment encore un peu soviétique et qu’ils haïssent encore pour cela – en tout cas l’oligarchie USA, car c’est un concurrent potentiel –), la Chine.
Il y a à ce sujet une question essentielle qu’il faudrait documenter et analyser, c’est la volonté de certains milieux culturels de boycotter les artistes russes, d’éliminer des répertoires les compositeurs et écrivains russes, comme s’il fallait éliminer à l’occasion de cette guerre la culture russe, qui fait partie de notre patrimoine commun européen, voire mondial.
4) L’OTAN est devenu d’abord un marché de l’armement pour le « complexe militaro-industriel » des USA, donc pour leur oligarchie impérialiste. Il leur faut imposer ce marché aux Européens, qui ont aussi une industrie de l’armement et exportent aussi. Il y a là une contradiction majeure et l’Europe ne se plie pas aux exigences étasuniennes aussi facilement, car sa propre oligarchie a besoin de cette industrie. Les récentes décisions de l’Allemagne illustrent bien cette ambiguïté vis-à-vis de l’OTAN comme « bouclier défensif », car l’Europe n’a pas d’armée opérationnelle sur plus de quelques semaines pour la seule un peu opérationnelle, la française. C’est l’armée américaine qui assure pour la majorité des pays européens leur protection militaire. Mais les « intérêts industriels » des puissances encore un peu industrielles, Allemagne, Italie et France, dont le seul secteur industriel à avoir encore un peu de consistance est justement celui de l’armement, divergent avec le marché de l’armement de l’OTAN. L’Allemagne achète des F-35 américains dans le cadre de l’OTAN pour y assurer sa place, mais choisit des Eurofigher d’Airbus (dont elle a pris la direction de fait) comme avion pour la guerre électronique et a confirmé le projet d’avion franco-germano-espagnol SCAF. Notons que la guerre est une excellente affaire pour l’industrie de l’armement. Tous les budgets militaires européens sont en train d’augmenter.
Quel avenir pour l’Ukraine ?
Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, a déclaré que le statut des « Républiques » du Donbass pouvait se discuter et que la neutralité de l’Ukraine était envisageable. Les accords de Minsk peuvent dans ce sens permettre une négociation dans laquelle les populations verraient leur souveraineté respectée.
Les « va-t-en-guerre de salon » qui voudraient relancer la « Guerre froide » pour leurs propres intérêts et ceux des oligarques des multinationales, compliquent la situation et empêchent un règlement négocié et diplomatique mettant fin à la guerre et à l’occupation russe. Ces faucons, qu’ils soient russes ou occidentaux n’ont rien appris des conflits irakien, syrien, libyen et autres. Ils semblent aujourd’hui toujours aussi menaçants. L’Union européenne jouerait un rôle international positif si elle appuyait cette négociation pacifique pour mettre fin à ce conflit. Des petits pas diplomatiques avec l’engagement sur une Ukraine neutre pourraient amorcer une évolution qui permettrait d’éviter le pire(7)L’Ukraine a proposé, ce 29 mars 2022, d’adopter un statut neutre en échange de garanties de sécurité dans le cadre d’un accord de paix avec la Russie, ce qui constitue les propositions de sortie de crise les plus concrètes depuis le début de la guerre. Cette avancée pourrait être décisive dans la résolution du conflit. La proposition de l’Ukraine signifierait qu’elle n’adhérerait à aucune alliance militaire et qu’elle n’hébergerait pas de bases militaires étrangères sur son sol, auraient annoncé les négociateurs ukrainiens..
Utiliser cette crise pour avancer vers un monde moins instable, plus équitable
Si les peuples ne prennent pas leurs affaires en main, le monde d’après comme on nous l’avait promis avec la pandémie due au Covid, ne sera pas meilleur, mais pire. Ainsi, les enjeux sociaux et écologiques passent de plus en plus à la trappe dans les priorités affichées. Les classes moyennes et populaires seront les plus impactées en Europe. Les populations des pays émergents déjà agressés par l’ordre économique et commercial international sur fond de libre-échange des capitaux et de financiarisation extrême seront encore plus frappées par la misère. La Russie sacrifiée par son satrape sera ruinée. L’enjeu pour l’Europe est également de développer son industrie classique ou traditionnelle et en matière de nouvelles technologies face aux États-Unis et à la Chine, d’assurer son indépendance énergétique dans laquelle les économies d’énergie prioritairement et les énergies renouvelables sont indispensables, son autosuffisance alimentaire…
Les peuples européens peuvent offrir au monde une alternative ni états-unienne, ni russe, ni chinoise, à condition de ne pas se jeter, les yeux fermés, dans les bras de l’Oncle Sam. L’alternative au capitalisme prédateur de la nature et des êtres humains ne peut être, dans des formes à inventer, que l’avènement d’un socialisme démocratique, écologique et participatif, à rebours du capitalisme d’état chinois et de la malheureuse expérience du socialisme étatique et liberticide de l’empire soviétique. Cela implique la montée en puissance d’un État social fondé sur un souverainisme universel ou solidaire et non nationaliste, qui s’appuie sur des éléments propres à réduire les inégalités en promouvant des rapports de productions et de consommation libérés de la recherche exclusive du profit maximum, ce qui implique notamment :
- l’impôt progressif,
- le partage des pouvoirs dans les entreprises et une notion de propriété en phase avec l’utilité sociale,
- des relations internationales basées sur une coopération effective et mutuellement avantageuse, exemptes de dominations néocolonialistes,
- la lutte contre toutes les discriminations et pour l’égalité éducative,
- l’émancipation progressive de plus en plus de secteurs de la logique marchande d’accumulation de capitaux et de recherche de profits à court terme,
- la garantie de l’emploi,
- la limitation des inégalités de patrimoine au travers des grands héritages avec une notion d’héritage pour tous et toutes,
- la mise en œuvre de lois libérant le système électoral et médiatique des puissances d’argent qui faussent l’égalité entre les citoyens,
- la substitution aux traités commerciaux et financiers actuels de traités de codéveloppement durables et équitables,
- revoir l’organisation et les traités de l’UE, et des organisations internationales en général dans la conception internationaliste.
Cette crise qui est grave et à ne pas prendre à la légère peut être l’occasion d’inventer une autre Europe de la solidarité, de l’égalité, de la fraternité dans la liberté.
Aller dans une telle direction implique nécessairement un rapport de force qui n’existe pas à l’heure actuelle. Seules de puissantes mobilisations sociales dans lesquelles les mouvements associatifs, syndicaux et politiques joueraient tout leur rôle sont susceptibles de transformer les rapports de force indispensables à l’avènement d’un monde plus humain, d’où l’usage de la force notamment militaire devra disparaître. L’histoire nous apprend que ce sont toujours les luttes et les mouvements collectifs qui ont assuré le remplacement des anciennes institutions par de nouvelles, plus justes et démocratiques.
Notes de bas de page
↑1 | 9 février 1990, à Gorbatchev : « Que préférez-vous ? Une Allemagne unie en dehors de l’Otan, absolument indépendante et sans troupes américaines ? Ou une Allemagne unie gardant ses liens avec l’Otan, mais avec une garantie que les institutions ou troupes de l’Otan ne s’étendront pas à l’est de la frontière actuelle ? ». Réponse de Gorbatchev : « Il va sans dire qu’un élargissement de la zone de l’Otan n’est pas acceptable. » |
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↑2 | Capitale de la Biélorussie. |
↑3 | Source : Centre du commerce international (ITC). |
↑4 | invasions russe et allemande des pays baltes, de la Pologne, de ses découpages/reconstitutions, mais aussi des découpages/reconstitutions de l’Ukraine. Ce doit être l’occasion de traiter aussi de minorités dans divers pays (les russophones en Lituanie, les Hongrois en Roumanie, etc. |
↑5 | Ancienne dénomination de l’Union européenne. |
↑6 | Voir les articles de Lucho https://www.gaucherepublicaine.org/a-la-une/amerique-latine-resistances-aux-stratagemes-americains-1-3/7428786 ; https://www.gaucherepublicaine.org/a-la-une/amerique-latine-resistances-aux-stratagemes-americains-2-3-le-chili/7429058 et https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/amerique-latine-resistances-aux-stratagemes-americains-3-3/7429197 |
↑7 | L’Ukraine a proposé, ce 29 mars 2022, d’adopter un statut neutre en échange de garanties de sécurité dans le cadre d’un accord de paix avec la Russie, ce qui constitue les propositions de sortie de crise les plus concrètes depuis le début de la guerre. Cette avancée pourrait être décisive dans la résolution du conflit. La proposition de l’Ukraine signifierait qu’elle n’adhérerait à aucune alliance militaire et qu’elle n’hébergerait pas de bases militaires étrangères sur son sol, auraient annoncé les négociateurs ukrainiens. |