Pourquoi n’arrivons-nous pas à constituer une gauche de gauche sur les débris de la gauche de la gauche ? Parce que la constitution d’une gauche de gauche demande une série impérative de conditions politiques, stratégiques, organisationnelles et idéologiques à réaliser de façon concomitante. Nous devons développer ces conditions et en débattre dans des initiatives d’éducation populaire (1)Le Réseau Education Populaire -REP, centre de ressources du mouvement social intervient près de 400 fois par an.. Nous en avons développé plusieurs dans nos colonnes. Nous en développerons une nouvelle qui est l’objet de cet article. C’est celle de la nécessité de l’implication populaire pour tout processus de transformation sociale et politique.
De façon liminaire, disons que nous ne critiquons pas de façon uniforme tout ce qui se fait aujourd’hui. Nous avons déjà noté dans nos colonnes l’intérêt de la dynamique de la France insoumise qui sauve à court terme l’honneur de l’ex-gauche de la gauche qui se décompose autour d’elle. Cela dit, nous en avons aussi déterminé ses insuffisances qu’il faudra bien un jour traiter si nous voulons être à la hauteur des enjeux dans la confrontation avec la droite radicalisée, l’extrême droite et l’oligarchie patronale et institutionnelle qui va durer de nombreux mois et de nombreuses années.
Qu’appelle-t-on « implication populaire » ? Cela veut dire un ensemble de choses ; D’abord la capacité de mobilisation dans les réunions publiques,, manifestations et meetings. Mais aussi de nombreuses têtes de réseaux locales capables d’insuffler le développement de la mobilisation non seulement dans des grands rassemblements mais aussi et surtout dans des initiatives locales. Car pour militer, il ne suffit pas de participer aux grands meetings et manifestations mais aussi être capable de mobiliser de façon conséquente sur le plan local. Mais ce n’est pas tout. C’est aussi une implication du potentiel créatif des salariés et des citoyens par leur intelligence, leur savoir-faire, pour construire non pas l’intérêt général qui n’existe pas mais la volonté générale à un moment donné de l’histoire.
D’abord, disons que les peuples n’ont jamais fait de révolution pour des raisons idéologiques. A chaque fois, ce fut pour des problèmes concrets que la direction politique du pays ne pouvait plus réaliser dans le cadre du vieux système. Ainsi fut-ce le cas pour la Révolution française, et les grandes révolutions du 20e siècle.
Ensuite, le processus de grande avancée sociale ou le processus révolutionnaire n’ont jamais été la conséquence de mots d’ordre du mouvement d’en haut (la prise de la Bastille, les 40 heures et les 15 jours de congés payés qui ne sont même pas dans le programme du Front populaire, etc.), mais bien d’une succession d’actions du mouvement d’en bas. Voilà pourquoi le mouvement d’en bas doit être organisé. Voilà pourquoi l’implication populaire est importante.
Le mouvement d’en haut n’est efficace que pour coordonner, généraliser, porter les revendications et les volontés du mouvement d’en bas. Mais jamais pour les déclenchements. Voilà pourquoi il y a une nécessité de concevoir un lien dialectique entre le mouvement d’en bas et le mouvement d’en haut. Mais comme les peuples ont de la mémoire et que nous avons vu de nombreuses prises de pouvoir du mouvement d’en haut muselant le mouvement d’en bas et tuant le lien dialectique avec lui, aujourd’hui, on peut comprendre que le mouvement d’en bas est réticent à se donner corps et âme à toute organisation pas ou peu démocratique en son sein. On entend souvent l’idée qu’il est peu crédible de vouloir la démocratie dans la société et dans l’Etat quand elle n’existe pas dans sa propre organisation (2)Nous appelons démocratie un système où c’est le peuple qui a le pouvoir, ce qui implique pour nous les 4 conditions de Condorcet. Nous récusons l’usage du mot démocratie pour les gouvernement représentatifs théorisés par Siéyès qui ne sont qu’un mode de gouvernement anti-démocratique. Voir Penser la République sociale au XXIème siècle, de Pierre Nicolas et Bernard Teper, dans http//www.gaucherepublicaine.org/librairie.. Nous disons donc que l’implication populaire a besoin de propagande par l’exemple de ce qui est proposé pour demain dès aujourd’hui dans ce qui existe !
Oui, le déni démocratique dans les organisations pratiquant le refus du débat sur ce qui n’est pas consensuel et la politique de cartel donnant le pouvoir aux chefs des organisations, peut à certains moments pousser les citoyens à préférer le regroupement autour d’un homme dans ce qui est appelé le populisme de gauche. Mais des exemples récents dans différents pays du monde montrent les limites ultérieures de ce type d’organisations.
Si nous avançons dans la réflexion, nous pouvons dire que nous avons besoin de 6 axes : l’éducation populaire refondée et son organisation autonome pour mener la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle, une activité syndicale autonome, des médias autonomes d’expression, un programme, une stratégie et un parti autonome. Ces 6 axes doivent entrer en cohérence politique d’ensemble sans aucune subordination d’une organisation sur une autre, les différents types d’organisation devant être autonomes les uns des autres, et non se juxtaposer de façon incohérente. Ces 6 axes doivent être en cohérence avec les principes du modèle politique alternatif que nous souhaitons pour l’avenir. Si ce modèle est le modèle laïque de la République sociale,alors chaque axe doit être en conformité avec les principes constitutifs,les ruptures nécessaires, les exigences indispensables et la stratégie de l’évolution révolutionnaire (Marx, Jaurès).
Mais il y a plus.
Revenons sur la dialectique du mouvement d’en bas et du mouvement d’en haut. Elle demande de pratiquer ce que Jean Jaurès concentre dans la formule « Partir du réel pour aller à l’idéal ». Encore faut-il comprendre le réel. Et donc ne pas faire comme les gauchistes qui veulent aller à l’idéal sans passer par le réel et le comprendre Quiconque veut comprendre le réel ne peut y arriver sans se mettre en contact avec lui, vivre avec lui, pratiquer le réel vécu par les couches populaires ouvrières et employées et les couches moyennes intermédiaires en voie de prolétarisation. Si l’on veut acquérir la connaissance du réel vécu il faut prendre part à une pratique qui vise à transformer le réel aux fins que chaque citoyen chaque salarié devienne l’auteur et l’acteur de sa propre vie. Si l’on veut connaître le goût d’une pomme, il faut croquer dedans ce qui la transforme en la goûtant. Si l’on veut connaître la théorie du changement social et politique, la théorie de la révolution, il faut prendre part au processus y conduisant. Toutes les connaissances authentiques sont le fruit d’une dialectique entre l’expérience immédiate et la théorie elle-même, qu’il faut donc constituer aussi de façon intellectuelle.
Notes de bas de page
↑1 | Le Réseau Education Populaire -REP, centre de ressources du mouvement social intervient près de 400 fois par an. |
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↑2 | Nous appelons démocratie un système où c’est le peuple qui a le pouvoir, ce qui implique pour nous les 4 conditions de Condorcet. Nous récusons l’usage du mot démocratie pour les gouvernement représentatifs théorisés par Siéyès qui ne sont qu’un mode de gouvernement anti-démocratique. Voir Penser la République sociale au XXIème siècle, de Pierre Nicolas et Bernard Teper, dans http//www.gaucherepublicaine.org/librairie. |