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Pour la police nationale, il faut aussi « partir du réel pour aller vers l’idéal »

Nous vivons une séquence dans laquelle la polémique s’est déchaînée sur les violences policières. Récemment, un témoignage accablant de plus d’un journaliste infiltré dans la police a fait le buzz : https://www.lemediatv.fr/emissions/2020/le-temoignage-accablant-dun-journaliste-infiltre-2-ans-dans-la-police-6ZuUKBmyTwmRbO8ukd_78g

Mais la plupart des intervenants dans cette polémique instruisent uniquement soit totalement à charge soit totalement à décharge ou alors se focalisent sur un seul événement alors que la police a le monopole légal de la force sur tout le territoire national.

Il faut donc mettre la police nationale en état d’être exemplaire partout et tout le temps. Mais peu d’intervenants ont pointé les causes premières de ces violences et donc peu ont produit des propositions efficientes pour que la police devienne enfin républicaine ! Mais avant d’en arriver là, nous pensons qu’il faut connaître l’histoire de la police nationale et les quelques actions qui dans son histoire ont été exemplaires. Car on ne peut préparer l’avenir qu’en connaissant son histoire.

Nous avons donc décidé de faire un numéro spécial avec un seul article pour lancer le débat. Bien évidemment, nous reviendrons sur ce sujet le cas échéant pour avancer dans les propositions.

LE LONG COMBAT DES POLICIERS RÉPUBLICAINS DANS LA POLICE NATIONALE

Dans sa courte histoire, moins de 80 ans, la police nationale a compté dans ses rangs des fonctionnaires attachés à la République, à ses valeurs et à ses principes, et prêts à les défendre. Ce constat est-il suffisant pour utiliser le concept de « Police Républicaine » ? La réponse est loin d’être évidente car l’histoire démontre que l’engagement républicain dans cette institution a toujours été le fait de nombreux militants certes courageux… mais minoritaires.

Cette institution régalienne a suivi classiquement les vicissitudes de la situation politique et sociale de la France de la fin du XXe siècle et du début du XXIe. Or, cette histoire a été très violente, aussi bien lors de la Seconde guerre mondiale, des guerres de décolonisation et des luttes sociales, avant et après Mai 68. Lors de ce déroulement historique, se sont produits des « moments républicains » intenses, liés à un rapport de force favorable. Ces « moments républicains » ont été possibles aussi grâce au courage, même parfois à l’intrépidité, des militants républicains dans l’institution. Toutefois, en analysant la continuité, force est de constater la réalité d’une police aux ordres de gouvernements souvent antipopulaires, dont le dernier exemple en date est la répression du mouvement des « gilets jaunes ».

Naissance de la police française sous Vichy

La police nationale est née par le décret du 14 août 1941 de « l’État français » dirigé par Philippe Pétain. Auparavant, seules existaient les polices municipales. Les trois premières années de son existence ont été corrompues par la collaboration organique avec les occupants allemands et les services nazis tels que la Gestapo ou le SD, le service de renseignement de la SS. René Bousquet puis Joseph Darnand, chef milicien, la dirigèrent successivement. Les dignitaires nazis, en particulier Reinhard Heydrich, approuvèrent la création de cette institution policière pour deux raisons principales : d’une part pour renforcer la répression contre la Résistance six semaines après l’invasion de l’URSS et le basculement du PCF dans l’action armée ; d’autre part pour limiter et superviser les « polices municipales » peu sûres et, dans certains cas, encadrées par des fonctionnaires républicains parfois francs-maçons. Par exemple, 50 % des commissaires furent écartés de l’intégration dans la police nationale. La Gestapo et le SD, dont les effectifs ne comptaient que quelques centaines de personnes dans toute la France, purent s’appuyer sur la police française pour combattre la Résistance et mettre en œuvre la Shoah. Les conséquences pour les opposants à l’Occupation furent redoutables, en particulier dans la région parisienne. En effet, la Préfecture de police de Paris était un instrument de répression unique au monde et particulièrement efficace en raison de son organisation et ses méthodes anti-subversives, et cela depuis la fin de la Commune de Paris de 1871.

Manque de zèle des policiers lors des rafles ?

Face à cette collusion avec l’occupant nazi, de nombreux policiers, en particulier parmi les gardiens de la paix, réagirent soit en « traînant les pieds », soit plus radicalement en s’organisant au sein de réseaux de résistance. Le manque de zèle et d’engagement fut notable lors de la rafle parisienne des juifs étrangers, dite du Vel d’Hiv, en juillet 1942. Une douzaine de milliers de personnes furent arrêtées alors que le fichier rassemblait plus de vingt-trois mille noms… Ce qui démontre une faible adhésion des policiers parisiens à cette entreprise ignoble. Informations préalables, refus d’enfoncer les portes, délais d’une heure « pour faire les bagages » en laissant les interpellés sans surveillance, toutes ces actions individuelles de policiers ont réduit le nombre des futurs déportés.

La situation fut fort différente dans le cadre de la répression contre la résistance communiste des francs-tireurs et partisans (FTP). Les violences d’avant-guerre entre le service d’ordre du PCF et la police parisienne lors des manifestations de rue, avec des morts des deux côtés, n’étaient pas oubliées. La mobilisation policière contre les réseaux de résistance communiste fut importante. Par exemple, l’ensemble des membres de « l’Affiche rouge » des FTP-MOI (main-d’œuvre immigré) tombèrent du fait de l’action des policiers de la Préfecture, dont l’occupant loua « l’efficacité remarquable ».

Résistance des policiers

Durant cette période, nombreux parmi les militants antifascistes dans la police venaient du Syndicat général de la police (SGP). Dissous par les nazis dès l’été 1940, c’était le syndicat historique du corps des gardiens de la paix parisiens (Paris et sa première couronne). Tout au long des années 20 et 30, il s’était battu pour la dignité des personnels de base de la Préfecture, fort mal traités par la hiérarchie. Sa direction, autour de son secrétaire général Paul Rigail, comprenait beaucoup de républicains, souvent francs-maçons, et adhérents des organisations de gauche, parti radical, socialiste et parfois même communiste au moment du Front populaire en 1936. Ce creuset syndical a formé la base du mouvement républicain dans l’institution policière lors des années d’occupation. De manière incontestable, ce sont ces militants syndicaux d’avant-guerre qui assureront le caractère de masse de l’insurrection de la Préfecture de police de Paris en août 1944.

Insurrection de la Préfecture de police de Paris, août 1944

À la Libération, le poids des militants syndicaux et des membres des réseaux de résistance dans la police fut, bien sûr, très important. Les membres du Front national police influèrent de 1944 à 1947 bien au-delà de leur réalité numérique. Leur organisation très proche du PCF était dirigée par le cheminot Arthur Airaud, qui fut le responsable de l’épuration à la Préfecture de police à la Libération. Ce poids amena par exemple le SGP nouvellement reconstitué, qui était avant-guerre un syndicat indépendant, a adhérer à la CGT jusqu’en 1948. Les républicains dans la police participèrent évidemment à l’épuration du corps policier. Mais celle-ci fut freinée dès 1946 par les directives des gaullistes qui cherchaient à reconstruire un appareil de répression pouvant éventuellement servir à désarmer les « milices patriotiques » influencées par le PCF. Donc, l’épuration fut faible et de courte durée.

L’émergence du concept de policier républicain

C’est à cette époque que le concept de « policier républicain » commença à être systématiquement utilisé par les militants de gauche, en particulier par les antifascistes souvent proches du Parti communiste et plus généralement de la gauche politique et syndicale. Rappelons que l’opposition entre les militants républicains et ceux des milieux factieux et des ligues d’extrême-droite ne datait pas d’hier et fut une réalité structurante du combat politique dans la police dans les années 30 et sous l’occupation allemande. Avant-guerre, il est par exemple incontestable que le Préfet de police de Paris Jean Chiappe, proche des ligues factieuses, était fort populaire auprès des policiers de tous les grades. La raison ? Il avait « amélioré l’ordinaire » (salaires, conditions de travail, hôpital pour les gardiens de la paix, facilitation pour les épouses de policiers de devenir concierge d’immeuble…).

L’influence de Chiappe instilla, et pour très longtemps, une militance d’extrême-droite dans le corps policier parisien. Pour faire simple, de la Libération aux années de la guerre d’Algérie, être « policier républicain » voulait dire être « policier antifasciste ». Cette opposition entre la gauche républicaine et l’extrême-droite dans le corps policier était largement admise, y compris par l’exécutif du gouvernement provisoire juste après la Libération.
C’est ainsi qu’il faut comprendre le terme CRS. Créées le 8 décembre 1944, les Compagnies républicaines de sécurité formèrent un corps spécialisé de la police nationale. Leur domaine d’intervention fut et est encore aujourd’hui le maintien ou le rétablissement de l’ordre public et la sécurité générale. Il s’agissait bien de nommer ces compagnies « républicaines » pour affirmer leur nature antifasciste, alors même que le territoire national n’était pas complétement libéré et que la victoire définitive n’était pas encore à l’ordre du jour. D’ailleurs, ces CRS intégrèrent jusqu’en 1947 un nombre très important d’anciens maquisards et d’anciens résistants FTP.

Violence policière ciblée

Toutefois, le rapport de force favorable au courant républicain et antifasciste ne perdura pas longtemps. Dès 1947, la guerre froide et le ralliement de la France au camp occidental pro-américain eurent pour conséquence un revirement complet dans la police nationale. Beaucoup d’anciens policiers collaborateurs… et donc anticommunistes acharnés, furent réintégrés. Par contre, de nombreux policiers suspectés de sympathie communisante furent « placardisés », voire carrément suspendus à la fin des années 40 et tout au long des années 50. Le temps de la Libération était loin et les éléments réactionnaires et d’extrême droite reprenaient le haut du pavé. Cette présence de sympathisants néo-fascistes et racistes dans la police fut un élément qui explique la violence contre les « Nord-Africains », en particulier à Paris, tout au long des années 50 et bien sûr pendant la guerre d’Algérie.

Lors des manifestations parisiennes, les militants d’origine arabe étaient particulièrement visés. Ce fut le cas en 1952 au cours de la protestation contre la venue du général américain Ridgway, lorsque l’ouvrier communiste Hocine Bélaïd fut tué par balle. Plus meurtrier encore l’année suivante, 7 militants nationalistes algériens furent abattus par la police parisienne sur la place de la Nation, le 14 juillet 1953, lors du défilé du Parti communiste, qui se rassemblait comme chaque année depuis 1936 pour célébrer les « Valeurs républicaines ». Il est encore plus révélateur de noter que lors de cette sanglante manifestation une cinquantaine de militants du MTLD de Messali Hadj furent également blessés par balles. Des centaines de coups de feu furent donc tirés ce jour-là à la Nation. Il semble bien que la hiérarchie n’avait donné aucun ordre : la fusillade aurait été totalement spontanée. Ces faits prouvent le climat délétère qui règne dans les rangs policiers à cette époque.

Le paroxysme de la guerre d’Algérie

Bien sûr à partir de novembre 1954, la guerre d’Algérie porta l’opposition entre policiers et militants du FLN à son paroxysme. La répression fut d’une rare violence, en particulier dans les communes de la petite couronne parisienne. Tabassages systématiques par des « comités d’accueil » dans les commissariats, disparition d’interpellés retrouvés morts dans des terrains vagues, la violence fut permanente dans les quartiers populaires à forte population d’origine algérienne. C’est ce qui explique l’enchaînement tragique lors de la fin des années 50 et du début des années 60. En riposte aux violences et aux crimes policiers, la fédération de France du FLN décida d’organiser une campagne terroriste contre la police. Près de 70 gardiens de la paix furent tués en région parisienne de 1956 à 1961. La haine et la vengeance devinrent les seules règles, bien loin des procédures légales et républicaines. Ce climat explique en partie la tuerie de masse du 17 octobre 1961 où des centaines de manifestants du FLN furent noyés, pendus ou battus à mort, y compris dans la cour même de la Préfecture de police de Paris (lire « Un groupe de policiers républicains déclare… »). Il s’agit du plus grand massacre dans la capitale depuis la Saint-Barthélémy.

Face à ce déchaînement continu de violence, les policiers républicains gardaient dans les années 50 un point fort, le syndicat SGP, dirigé par François Rouve. Mais le syndicat était sur la défensive. En fait, il subissait l’offensive des éléments d’extrême-droite dans les services. En restant timoré dans la dénonciation des exactions des fascistes dans la police, le poids des partisans des droits de l’Homme dans l’institution a été fort affaibli. Le fait de n’intervenir que sur le « catégoriel », en particulier sur les primes liées aux conditions de travail par rapport à la guerre d’Algérie, et pas sur la réalité de la violence policière, explique le dérapage de la manifestation syndicale du 13 mars 1958… deux mois avant le célèbre 13 mai de la même année !

Revenons un instant sur l’enchaînement des événements en ce début 1958. Depuis deux mois, le SGP organisait un mouvement catégoriel pour les primes évoquées plus haut. Un premier meeting à la salle Wagram rassembla le 7 mars trois mille policiers. Il fut décidé de réunir le maximum de policiers parisiens le 3, dans la cour d’honneur de la Préfecture. Le jour dit, la maîtrise des événements échappa totalement au syndicat. Une manifestation de plusieurs milliers de gardiens de la paix sortit de la Préfecture, des « gros bras » fascistes propulsèrent Rouve, le secrétaire général du SGP, à la tête du cortège qui se dirigea vers la Chambre des députés. Devant les grilles de l’assemblée, les gardes mobiles de la gendarmerie refusant de les disperser, les slogans antiparlementaires et antisémites fusèrent de la manifestation. Partie d’une mobilisation syndicale, cette action tourna à un coup de force anti-républicain… qui annonça la mort de la IVe République. Mais surtout, ces événements démontrèrent la fragilité du courant républicain dans la police à ce moment, à force de compromission et de non-dit sur les violences policières.

Le renversement gaulliste

Paradoxalement, l’arrivée du général de Gaulle à la tête du pays et la création de la Ve République provoquèrent une modification progressive du rapport de force dans la police et, d’ailleurs, dans tous les organes de sécurité publics. Dès 1959, une opposition, d’abord sourde puis éclatante en 1960, apparut sur le dossier de « l’Algérie française » entre le pouvoir présidentiel et l’extrême-droite. L’alliance objective entre fascistes et gaullistes nouée lors du coup de force du 13 mai 1958 n’était plus d’actualité. La ligne politique progressivement décolonisatrice de l’exécutif impliquait que l’ennemi du moment devenait « les ultras de l’Algérie française » puis l’OAS. La violence du combat provoqua donc une épuration dans la police et un renforcement des républicains dans l’institution. La réémergence de ces derniers fut lente et compliqué. Le SGP, par exemple, ne dénonça pas le massacre du 17 octobre 61… certainement en raison d’une trop grande implication de la base policière dans cette tragédie. Seule une « tribune anonyme » de policiers républicains, pour l’essentiel d’anciens policiers résistants communistes, sauva l’honneur. En revanche, le syndicat policier fut très clair sur la tuerie du métro Charonne quelques mois plus tard, ce qui valut à son secrétaire général d’être suspendu plusieurs années. Ce positionnement républicain ainsi que le combat contre l’OAS renforcèrent le syndicat. Cette clarification permit également de « faire le ménage » à l’intérieur de l’organisation syndicale et d’éliminer politiquement les éléments douteux proche de « l’Algérie française ».

De 1962 à 1968, la déroute politique de l’extrême-droite et la sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN par de Gaulle firent évoluer les rapports de force dans la police. Par exemple, l’implication de policiers véreux dans l’affaire Ben Barka en 1965 – l’enlèvement et le meurtre de l’opposant marocain – provoqua de nouvelles épurations, en particulier à la DST et dans les Renseignements généraux parisiens (RGPP). Bref, pour faire carrière dans l’institution dans les années 60, il fallait être gaulliste mais certainement pas fasciste, ni pro-américain. Et finalement, le pouvoir gaulliste se satisfaisait également d’un syndicat, certes de gauche avec des communistes nombreux en son sein, mais au moins républicain ! Cette situation particulière est importante à comprendre pour analyser la phase suivante, celle de 1968 et de la décennie suivante. Ainsi, contrairement à l’Italie, il n’y aura pas en France de « stratégie de la tension » déstabilisante pour la démocratie et organisée par la police et les services secrets de ce pays : les fascistes dans l’institution étaient « sous contrôle » et n’obéissaient pas à des services étrangers tels que la CIA.

Les événements de 68 côté Préfecture

Mai-68 justement marqua le début d’une période positive pour les républicains dans la police. Un heureux et pur hasard fit que le préfet Papon quitta son poste de Préfet de police de Paris fin 1966. Il fut le donneur d’ordre du massacre du 17 octobre 1961 et sera plus tard condamné pour complicité de crime contre l’humanité pour son action pendant l’Occupation. Le triste personnage fut remplacé, par chance, par un fonctionnaire, Maurice Grimaud, issu de la gauche et profondément républicain. Avec le secrétaire général du SGP, Gérard Monate, ils formèrent un tandem qui permit d’éviter le pire, en tout cas à Paris, lors des manifestations de mai et juin. Ce ne fut pas une tâche facile car le personnel policier était globalement le même que lors de la guerre d’Algérie, conservant ses pratiques brutales de maintien de l’ordre. Il faut dire pour la petite histoire qu’un des propres fils du préfet était lui-même de « l’autre côté de la barricade » ! Pour les syndicats, le bénéfice politique fut important car le comportement policier, pour une fois « modéré », dans la répression du mouvement améliora l’image de marque de la police et permit de l’intégrer au débat républicain. Le fait que le SGP ait diffusé un tract où il regrettait l’opposition entre policiers et manifestants eut une grande importance politique. C’était la première fois qu’une organisation syndicale policière s’était montrée pratiquement aux côtés d’un mouvement social. Bref, la police était enfin « civilisée ». Poussé par ce renouveau, en 1969, Gérard Monate créa autour du SGP historique la Fédération Autonome des Syndicats de Police (FASP). Celle-ci regroupait au sein d’une fédération syndicale unique de la profession l’ensemble des corps policiers de toute la France. Le poids de cette organisation fut énorme au cours des années suivantes et pendant près d’un quart de siècle : on parla même de « cogestion » de l’institution entre l’État et la puissance syndicale.

Un autre élément est à prendre en considération : pour chercher à entamer le pouvoir de la FASP, les différents gouvernements de droite sous Pompidou et Giscard vont, jusqu’en 1981, favoriser l’émergence d’un syndicalisme « catégoriel », proche des idées réactionnaires. Paradoxalement, la conséquence fut positive pour le courant républicain dans la police. En effet, d’un syndicat unique, forcément très catégoriel et prudent sur les questions politiques et sociales, on passait à un syndicalisme « engagé » en phase avec le renouveau du combat social des années de l’après Mai 68. De plus, un vaste recrutement de fonctionnaires à partir de 1970 fit monter une nouvelle génération de jeunes policiers, qui n’étaient pas indifférents aux mouvements de la jeunesse alors en pleine effervescence. Une nouvelle génération syndicale républicaine était en train de naître.

La crise de la FASP

Progressivement, la FASP fut intégrée au mouvement social au cours des années 70 et ses interventions sur le sujet des droits de l’Homme et du citoyen se firent de plus en plus régulières. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, après 23 ans d’opposition, engendra une politisation partisane du syndicat. Progressivement, il devint une sorte de succursale du Parti socialiste au pouvoir. Cela n’empêcha pas de réelles avancées républicaines sous les ministères de Gaston Defferre puis de Pierre Joxe.

En se politisant sous le secrétariat général de Bernard Deleplace, la FASP subit elle aussi la profonde crise des valeurs de la social-démocratie à partir du milieu des années 80. La déconstruction de l’Union de la gauche et le soutien à une politique de plus en plus libérale sur le plan économique sous la présidence de François Mitterrand entraînèrent une dilution du combat syndical au niveau global dans la société française, mais également dans l’institution policière. Cela est une des raisons expliquant a contrario la tentative de redressement des secrétaires généraux Richard Gerbaudi et Jean-Louis Arajol sur des bases non partisanes mais essentiellement républicaines au cours des années 90. Il était problématique d’apparaître comme une courroie de transmission du gouvernement socialiste à l’ère du cabinet Bérégovoy… avec « l’entrepreneur » Bernard Tapie en numéro 2 du gouvernement ! La cause syndicale était passée de mode chez les socialistes. Il s’agissait en fait d’une crise idéologique globale à gauche : un groupe assez important de syndicalistes policiers a estimé que seul un rassemblement sur les bases des valeurs et principes républicains pouvait éviter une descente aux enfers des idéaux progressistes dans la police nationale. Ce fut à cette époque également qu’émergea au sein du SGP et de la FASP, le concept de « Service Public Police », c’est-à-dire une police au service des citoyens, et non au service de l’État… et parfois contre le citoyen.

L’enjeu sécuritaire

Or, dès le début des années 2000, le thème de la sécurité devint un enjeu électoral d’une importance énorme. La réélection de Jacques Chirac en 2002 se fit sur ce sujet. À l’issue du scrutin, Nicolas Sarkozy s’installe place Beauvau – qu’il utilise pour traverser la rue et se retrouver à l’Élysée en 2007. L’utilisation de la sécurité publique comme rampe de lancement pour la magistrature suprême fut une catastrophe pour les valeurs et principes républicains : fermeture de petits postes, fin de la police de proximité, emploi systématique de Brigades anti-criminalité (BAC) dans les quartiers populaires furent la règle pendant trois ans et aboutirent à l’explosion des banlieues en 2005.

Pendant plus d’un mois, une sorte de guerre civile de basse intensité se développa dans toute la France. Le poids encore important des syndicats républicains contribua pour partie à éviter le pire. Contrairement au mouvement des « gilets jaunes », peu de blessés graves furent à déplorer. L’utilisation des « armes non létales », comme les flash ball ou les grenades de désenclavement fut très modérée… alors même que des coups de feu étaient tirés pratiquement tous les soirs contre les escadrons de gendarmes mobiles ou les pelotons de CRS. Notons enfin que cet épisode se termina par une défaite en rase campagne : la circulaire de Claude Guéant, secrétaire général du ministère de l’Intérieur, fait évacuer les quartiers sensibles pour faire baisser la pression au plus vite et permettre l’élection de Sarkozy deux ans plus tard… malgré son fiasco total en termes de sûreté publique ! Certaines banlieues devinrent, encore plus qu’avant, des « territoires perdus de la République ».

Le recul républicain

La dernière période, celle des années 2010, fut marquée par un recul important des républicains dans la police, en particulier dans le mouvement syndical. Progressivement, les organisations syndicales se lancèrent dans une surenchère corporatiste, refusant tous « les sujets qui fâchent » dans les commissariats et les services. Notons que le positionnement des représentants syndicaux aux conseils de discipline changea fondamentalement. Ces conseils sont d’une importance extrême pour maintenir une déontologie lors des interventions policières quotidiennes et pour le comportement des fonctionnaires en maintien de l’ordre. Historiquement, les représentants du SGP ou de la FASP se montraient la plupart du temps plus sévères que l’administration pour sanctionner les « fautes lourdes ». Or, tout changea dans la dernière période. Les représentants syndicaux devinrent systématiquement les « avocats » des fonctionnaires mis en cause, en particulier sur des dossiers de violences illégitimes ou des propos racistes. D’un syndicalisme républicain, soucieux des rapports « Police-Citoyen », l’on passa à un syndicalisme corporatiste à l’américaine, pour lequel importait la seule défense du corps policier. Pourrait-on imaginer aujourd’hui une condamnation comme celle de Bernard Deleplace, secrétaire de la FASP, déplorant le comportement violent des brigades motorisées lors de l’affaire Malik Oussekine en 1986 ?

Cette évolution corporatiste a affaibli les capacités de riposte des républicains dans l’institution, alors même que l’intensité de la lutte sociale s’intensifiait tout au long des années 2010 pour aboutir à l’explosion du mouvement des « gilets jaunes ».

La violence extrême contre les gilets jaunes

Contrairement à l’explosion des banlieues en 2005, le « mouvement de l’occupation des ronds-points » fut réprimé avec une violence extrême selon les normes d’un pays occidental. On releva des centaines de blessés graves, souvent estropiés. Beaucoup de femmes furent victimes de violence, ce qui est assez inexplicable car elles sont peu présentes lors des confrontations violentes. Les événements prirent une telle tournure que, pour la première fois de l’histoire, un préfet de police de Paris, Michel Delpuech, homme de droite et républicain, décida que « trop c’était trop » et démissionna de son poste en pleine crise de maintien de l’ordre. Or aucun soutien sérieux ne vint de l’intérieur de la police. Aucun syndicat important ne dénonça l’usage immodéré des flash ball ou des grenades de désenclavement. Il s’agit là d’une défaite stratégique des républicains dans la police.

Où en sommes-nous en cette rentrée de septembre 2020 ?

Malgré la « mise sous cloche » liée à la pandémie du Covid-19, l’intensité de la crise économique et sociale est considérable. Depuis le 17 novembre 2018, date du début du mouvement des « gilets jaunes », la tension est permanente et les policiers apparaissent de plus en plus comme une sorte de garde prétorienne du pouvoir. Il faut dire que les primes des personnels liés au maintien de l’ordre, qui parfois bonifient leurs revenus mensuels de 20, 30 ou même parfois 50 %, accréditent l’idée d’un « achat des consciences » ! Mais beaucoup de fonctionnaires de police déplorent cette situation qui risque de les couper définitivement du peuple dont ils sont issus. Car la crise, en s’accentuant, va durcir encore et encore les confrontations lors des manifestations dans l’année qui vient.

Soyons objectif, le courant politique républicain est à l’étiage dans l’institution. Il faut donc presque tout reconstruire en commençant par la base, c’est-à-dire par la simple expression d’une position politique. La première tâche est donc tout simplement de prendre la parole… ce qui est aujourd’hui l’exception. Les policiers républicains doivent s’exprimer haut et fort pour se rassembler demain. Ils constateront vite qu’ils ne sont pas si isolés dans les commissariats ! Certes, l’hégémonie idéologique est à droite, voire à l’extrême-droite dans certains services, mais la situation concrète est instable. En effet, beaucoup de fonctionnaires ont désapprouvé la répression « à tout va », en particulier lors du « mouvement des retraites » fin 2019. Et l’affrontement de rue avec les pompiers a fait réfléchir nombre de policiers qui n’ont pas que les primes de maintien de l’ordre comme seul horizon professionnel. Il y a des points communs entre la situation d’aujourd’hui et celle des années 50 avec la guerre d’Algérie. Il faut garder à l’esprit que, lors de situations de crise, les rapports de force peuvent également s’inverser très vite.

Rien n’est perdu à partir du moment où le courage de prendre position pour le mouvement social existerait chez les policiers. Prendre la parole pour rassembler les forces, tel est l’impératif au présent dans l’institution (voir dans ce sens les prises de position relayées dans Respublica en mai 2020 : « Enfin un appel pour une Police Républicaine au côté du peuple travailleur ! »). Car, d’un point de vue objectif, toutes les conditions sont réunies pour connaître demain un nouveau « moment républicain » dans cette institution.

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