Rappelons quelques phrases de Jean Jaurès : « Le socialisme, c’est la république poussée jusqu’au bout » et « La vérité de la république, c’est la République sociale » ou encore « le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale, c’est parce qu’il veut que la République soit affirmée dans l’atelier comme elle est affirmée ici (il parle à la Chambre des députés, NDLR) ; c’est parce qu’il veut que la nation soit souveraine dans l’ordre économique pour briser les privilèges du capitalisme oisif, comme elle est souveraine dans l’ordre politique, c’est pour cela que le socialisme sort du mouvement républicain. »
Rappelons également que le mouvement réformateur néolibéral tue la république à petit feu depuis de nombreuses décennies. Aujourd’hui, la 5e République est tout sauf républicaine. C’est donc à la République sociale de la refonder pour promouvoir la seule alternative explicite au modèle politique néolibéral actuel. Nous avons présenté pour le débat citoyen ce modèle dans un ouvrage avec ses dix principes constitutifs, ses quatre ruptures nécessaires, ses 6 exigences indispensables et sa stratégie de l’évolution révolutionnaire.
Mais pour réussir cela, on n’a pas le droit de faire croire que la seule volonté suffit à transformer le monde (il suffit de vouloir que l’euro devienne social pour qu’il le devienne, il suffit de vouloir sortir de l’euro pour en sortir, il suffit de donner un revenu à chacun pour supprimer le chômage, etc.), on doit partir du réel pour aller vers l’idéal. La construction d’un idéal sans partir du réel est une impasse politique pour les marginaux et les idéalistes. Dit autrement, on ne peut pas ne pas tenir compte du fait, y compris dans tout processus de transition, que les lois tendancielles du capitalisme continueront à agir sur la monnaie, sur le système, etc. Par exemple, si on considère à juste titre que l’euro est un carcan, la connaissance des lois tendancielles doit nous inciter à penser que la sortie de l’euro ne pourra se faire que dans des situations de crises paroxystiques.
Doit-on alors attendre sans rien faire ? Que nenni ! Car si nous ne savons pas quelle sera la forme de la prochaine crise paroxystique, nous savons qu’elle va arriver, car les mêmes causes produiront les mêmes effets, même si c’est sous des formes différentes. Nous devons nous y préparer méthodiquement, et cette préparation est un travail besogneux et méthodique. Former les militants, développer l’éducation populaire (avec ses formes ascendantes et descendantes) pour que le peuple puisse s’éclairer, lier cela aux luttes populaires, dégager la ligne stratégique claire à chaque phase, voilà un impératif catégorique !
Il ne s’agit évidemment pas d’attendre que « les contradictions s’aiguisent », comme on disait, jusqu’à ce que le système implose, car l’implosion résultera justement des luttes menées. Mais ces luttes, politiques et syndicales, ne conduiront pas directement à la conquête du pouvoir à exercer dès le lendemain matin du Grand soir. Elles doivent s’inscrire dans la réalité des interactions entre la base économique de la société et la dynamique sociale et politique. C’est en accompagnant ces luttes que l’éducation populaire peut contribuer à développer la conscience de classe des couches exploitées.
Deux considérations doivent cependant nous guider dans nos comportements si nous voulons partir sérieusement du réel. La première est qu’il faut sortir de la confusion de la période précédente en affichant clairement la nécessité de la double rupture (voir l’article dans ce même numéro intitulé « La laïcité, enjeu central pour la bataille pour l’hégémonie culturelle ») anti-capitaliste et anti-communautariste et intégriste. La deuxième, est que, suite aux attentats de l’année 2015, on doit prendre conscience que ces attentats ne sont pas de simples parenthèses dans nos vies de téléspectateurs et que nous devons changer de discours, mais réellement, pas en surface comme ce fut le cas à chaque fois jusque là.
La grande majorité du peuple français est très affectée pour un long moment par cette irruption du total-terrorisme et se pose des questions sur les moyens de se défendre ici et maintenant sans attendre la fin des impérialismes prédateurs. Tout en restant attachés aux principes de liberté, de démocratie et de sûreté, nous devons prendre en compte cette réalité, et apporter des réponses. Nous ne les trouverons pas dans l’angélisme, qui ajouté à sa pratique peu populaire, a précipité la gauche de la gauche dans un processus de décomposition dont atteste la perte en pourcentage de plus de la moitié des voix qui se sont portées sur le Front de gauche à la présidentielle de 2012.
Oui, il faut changer les pratiques sociales et réapprendre à parler dans le peuple, avec le peuple et pour le peuple. Les campagnes électorales traditionnelles, l’utilisation quasi unique de la communication électronique, les anathèmes proférés par chaque groupe militant à l’encontre de tous les autres, tout cela affaiblit la relation avec le peuple. Sectarisme, solipsisme, marginalisation, gauchisme sont autant de maux qui conduisent à des controverses totalement improductives.
Cependant, le débat ne peut pas davantage se mener dans le champ des « valeurs de la république », qui n’ont pas de contenu réel en regard de ce qu’est la République sociale. Ces valeurs sont tout au plus un préalable, la fraternité des militants favorise la confrontation des points de vue, mais le vrai débat porte sur les principes d’organisation de ladite République et sur la stratégie à suivre pour mener le combat. Entre le fatalisme défaitiste de la loi du marché et le volontarisme impuissant des « valeurs », seule une analyse concrète de la situation concrète sur la base du matérialisme historique peut dire où est le sens de l’histoire.
Oui, nous avons besoin d’une pédagogie efficace du débat conflictuel. Alors ? Est-on prêt à en discuter hors communication internet ? Chiche !