Après le désastre des législatives de 2017 dû à une gauche éclatée, les retours du terrain montrent que l’alliance Nupes donnera probablement une forte poussée à gauche, pouvant en faire la principale opposition à l’extrême centre macroniste et à sa probable alliance avec la droite, toujours majoritaire au Sénat. Malgré ce point positif, les conditions matérielles de la lutte ne seront pas faciles dans la perspective d’un changement de séquence politique qu’il convient de bien préparer.
Voilà pourquoi nous allons revenir dans les prochaines semaines sur les caractéristiques de cette nouvelle séquence avant de définir lors de notre colloque du 25 juin nos tâches politico-culturelles avec la panoplie d’outils qui seront alors proposés.
Le tournant géopolitique engagé par la guerre d’Ukraine et la tectonique des plaques qui va bouleverser l’économie mondiale sous l’effet de la crise actuelle auront pour conséquence, d’intensifier les conflits inter-impérialistes, de modifier les priorités de la nécessaire transition énergétique, de raffermir les liens entre le mouvement réformateur néolibéral et les politiques identitaires et communautaristes, de faire reculer la démocratie réelle, et surtout d’affronter le retour de la question sociale. Voilà le programme d’analyse de ReSPUBLICA pour les semaines qui viennent.
S’agissant des contradictions de la situation, nous dégageons trois axes de contradictions :
– l’axe gauche versus droite, toujours présent malgré les fausses analyses des populistes de gauche,
– l’axe liberté et démocratie versus autoritarisme, qui monte fortement en puissance,
– l’axe laïcité- identitarisme qui se développe malgré les simplifications erronées de nombreux dirigeants de la gauche politique et syndicale.
I – L’accentuation identitaire de l’extrême centre macroniste
Nous avons vécu une forte poussée identitaire à gauche participant, avec d’autres causes multiples, à l’accroissement de la sécession électorale (+ de 40 % d’abstentions, de votes blancs et nuls et de non-inscrits sur les listes électorales dès le premier tour de l’élection présidentielle de 2022). Cette poussée identitaire à gauche divise la gauche et l’empêche dans la période de constituer le bloc historique populaire majoritaire qui lui permettrait, non seulement de prendre le pouvoir, mais surtout d’exercer le pouvoir sans trahir ses idéaux comme ce fut le cas depuis 40 ans.
La sécession abstentionniste d’une partie importante de la classe populaire ouvrière et employée (45 % de la population active) est due à l’insuffisante prise en compte de la question sociale, de la lutte des classes, d’une campagne pour une nouvelle hégémonie culturelle et bien sûr du seul ciment de cette classe dans l’histoire de France : la laïcité. Car selon nous, la laïcité n’est pas un supplément d’âme, c’est la pierre angulaire pour rassembler le bloc historique populaire majoritaire et combattre la division et l’archipellisation de la gauche de gauche.
Par ailleurs, c’est l’extrême centre (concept produit par l’historien Pierre Serna) , type de stratégie de pouvoir utilisé par Emmanuel Macron, qui a besoin du communautarisme et de l’identitarisme.
La nomination de Pap Ndiaye, boursier Fulbright(1)Pap Ndiaye est très officiellement un « boursier Fulbright ». Créées en 1946 au début de la guerre froide par le sénateur du même nom, les Bourses Fulbright préparent les élites occidentales de demain. La commission Fulbright, par un communiqué de presse, vient de se féliciter de la nomination de Pap Ndiaye : « La Commission Franco-Américaine est très fière de la nomination de son alumnus, Monsieur Pap Ndiaye au poste de ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse dans le nouveau gouvernement d’Élisabeth Borne. Monsieur Ndiaye est un ancien lauréat de la Commission Franco-Américaine…La Commission lui souhaite succès et réussites dans ses nouvelles fonctions ! » et historien macroniste complaisant avec l’identitarisme, au ministère de l’Éducation nationale en porte témoignage. (Nous vous recommandons l’article du socio-historien Gérard Noiriel intitulé « Race », sorcellerie, racisme : et son texte « Pap Ndiaye, le savant et le politique ».)
Cela marque la sortie d’une tentative de confusion perpétrée par l’extrême centre macroniste qui avait souhaité, lors du premier mandat, jouer sur deux tableaux contradictoires : approfondir la politique communautariste et identitaire de l’extrême centre (ce qu’il a fait !) et en même temps, faire croire qu’il pouvait être laïque – avec des personnages comme Blanquer et Valls, et une kyrielle d’organisations comme le Printemps républicain, le Comité Laïcité République, le comité des sages, etc. – qui nous ont fait croire à l’existence d’un « laïco-macronisme » et à son universalité abstraite.
L’extrême centre, dans toute l’histoire (Directoire, Consulat, Ier Empire, Louis Philippe, Second Empire et maintenant le macronisme) a toujours développé une politique anti-laïque, identitaire, concordataire ou néo-concordataire. Aujourd’hui donc, face à la laïcité usurpée présente à droite et à l’extrême droite, à la laïcité d’imposture présente à gauche, à la fausse laïcité néo-concordataire de l’extrême centre, il ne reste de crédible que le projet d’une gauche démocratique, laïque, sociale et écologique qui pourra tenir le drapeau de la laïcité et de l’universalité concrète, lié au primat de la lutte des classes et de la question sociale et écologique. A condition qu’elle s’autonomise des trois dérives précitées, c’est la voie que nous traçons.
II – La question sociale redevient centrale
Le mouvement réformateur néolibéral (existant à l’extrême droite, dans la droite et dans la gauche) qui a tenté de masquer sur longue période la centralité de la question sociale, va être obligé d’assumer cette question sans fard. Car beaucoup des subterfuges utilisés y compris à gauche ne marcheront plus. Ce sera comme Capri, c’est fini.
Le premier subterfuge est celui de l’argent facile du « quoi qu’il en coûte » où il suffisait de faire tourner la planche à billets dans un monde sans inflation, pour le profit des oligarques du monde entier et secondairement de la plus grande partie du patronat. Il ne restera donc que la lutte des classes que les économistes appellent par euphémisme « déformation du partage de la valeur ajoutée » (ou plus simplement des richesses produites) au profit du profit, et le virage de plus en plus autoritaire de l’appareil d’Etat.
Une inflation à près de 10 % n’est plus une chimère. A un moment où le mouvement réformateur néolibéral a supprimé la plupart des indexations des salaires et des retraites par rapport aux salaires et même au coût de la vie. Pire, une indexation négative a eu lieu sur les complémentaires retraites Arrco et Agirc du privé, signée par trois syndicats complaisants. Finis les taux négatifs pour la dette, nous pouvons nous préparer à la croissance des taux positifs. Contraction du PIB étasunien au premier trimestre 2022. Risque d’hyperinflation en Turquie. Augmentation record des prix de l’énergie qui ne pourra pas être combattue par les « petits chèques » macronistes. La récession guette. La désindustrialisation française organisée par le mouvement réformateur néolibéral accentue le déficit commercial de la France qui atteint aujourd’hui 100 milliards d’euros.
La chute du bitcoin de 50 %(2)Chute sans fin du bitcoin à 34 656 dollars le 29 mai, soit environ la moitié de son record absolu de 67 802 dollars en novembre 2021. est un autre signe d’instabilité indiquant que rien, bientôt, ne va plus aller pour Macron. La BCE souhaite réguler et réglementer ce marché purement spéculatif de 1 300 milliards de dollars avec un actif dont on ignore toujours la valeur intrinsèque .
Avec un surendettement public et privé de plus de 300 % du PIB, notre pays risque un choc financier puisque les taux d’intérêt vont bientôt dépasser d’une façon structurelle la croissance nominale du PIB. Le surendettement menace et la divergence des taux d’intérêt des pays membres progresse.
L’euro est au plus bas depuis 2017 face au dollar. La monnaie unique se dirige vers la parité un euro pour un dollar. En un an le dollar a bondi de 13% et en avril il a même gagné 6% face à un panier de grandes devises. En restant trop accommodante (taux d’intérêt trop faible et diminution insuffisante des achats de titres) pour empêcher la récession), la BCE risque de faire baisser l’euro face au dollar, ce qui aura pour conséquence l’accélération de l’inflation, suite au renchérissement des importations pour les pays largement déficitaires comme la France.
La faillite et l’effondrement brutal guettent donc une France en proie au chômage (si on additionne les catégories A, B, C, D, E) et à la désindustrialisation (Intel et Tesla ont choisi l’Allemagne pour créer leurs usines). Et ce n’est pas le record mondial de la consommation de médicaments, de psychotropes, d’antibiotiques, d’antimigraineux, de césariennes, etc. qui va résoudre nos problèmes…
Cette chronique va se poursuivre dans les livraisons de ReSPUBLICA du mois qui vient. Y seront abordées la question internationale, la question démocratique et bien sûr la question sociale, sans oublier la stratégie.
Notes de bas de page
↑1 | Pap Ndiaye est très officiellement un « boursier Fulbright ». Créées en 1946 au début de la guerre froide par le sénateur du même nom, les Bourses Fulbright préparent les élites occidentales de demain. La commission Fulbright, par un communiqué de presse, vient de se féliciter de la nomination de Pap Ndiaye : « La Commission Franco-Américaine est très fière de la nomination de son alumnus, Monsieur Pap Ndiaye au poste de ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse dans le nouveau gouvernement d’Élisabeth Borne. Monsieur Ndiaye est un ancien lauréat de la Commission Franco-Américaine…La Commission lui souhaite succès et réussites dans ses nouvelles fonctions ! » |
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↑2 | Chute sans fin du bitcoin à 34 656 dollars le 29 mai, soit environ la moitié de son record absolu de 67 802 dollars en novembre 2021. |