Retraites : triple critique des propositions de RIP, du Conseil constitutionnel et de la Constitution

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L’épisode du Conseil constitutionnel dans la séquence du mouvement des retraites nous permet de préparer l’avenir en mettant en lumière trois critiques centrales :

  1. La confirmation du caractère anti-démocratique de la Constitution ;
  2. La confirmation que le Conseil constitutionnel est un organe de soutien réactionnaire aux agents du capital actuellement au pouvoir ;
  3. La confirmation que la Nupes n’est pas à la hauteur des enjeux.

La confirmation du caractère anti-démocratique de la Constitution

La démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. La Constitution de la Vème République procède bien d’un gouvernement du peuple. Mais elle permet à un gouvernement représentatif anti-démocratique d’être contre le peuple et pour le capital. Elle est bien l’héritière des propositions de Mounier et de Sieyès du temps de la Révolution française contre la démocratie prônée par Condorcet(1)Voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/une-fois-de-plus-les-principes-de-la-republique-sociale-sont-bafoues/7433414.. Les artifices anti-démocratiques de cette Constitution ont presque tous été utilisés. Il ne manquait plus que l’article 16. Nous avons eu droit aux articles 44-2, 47-1, 49-3, à la criminalisation d’un mouvement social, au fait que c’est la police qui juge la police et non les magistrats et au fait que cette Constitution a permis au Sénat d’utiliser un règlement intérieur de restrictions anti-démocratique.

Nous sommes bien dans le cadre d’un gouvernement représentatif anti-démocratique dans lequel le peuple élit ses représentants, mais n’a plus de pouvoirs citoyens une fois les représentants élus. C’est la conséquence d’une philosophie impliquant que les citoyens peuvent élire des représentants, mais doivent perdre leur citoyenneté durant le mandat des représentants qui peuvent donc faire le contraire de ce pour quoi ils sont élus.

Rajoutons que cette Constitution fait semblant de permettre des contre-pouvoirs alors que ce sont des artifices qui sont quasiment inapplicables. Le cas du pseudo-RIP (référendum d’initiative partagée) en porte-témoignage. Tout est fait pour que rien ne puisse changer démocratiquement. Rappelons que la démocratie est définie par 4 items : la possibilité que toute proposition puisse être émise par les citoyens au peuple via tous les canaux médiatiques possibles, que toutes ces propositions puissent passer dans des débats argumentés et raisonnés à une heure de grande écoute, que le suffrage soit réellement universel ce qu’il n’est pas réellement aujourd’hui(2)La croissance des quatre formes d’abstention (ne participant pas au vote, vote blanc, vote nul et non-inscription sur les listes électorales) est un cancer pour la République. Par exemple, elle a touché, au premier tour des législatives de 2022, 70 % des jeunes de moins de 35 ans, des ouvriers et des employés, ces trois catégories représentant ensemble la majorité du peuple ! et que les citoyens restent maîtres du pouvoir durant le mandat de leurs représentants grâce à des procédures de référendum abrogatoire, d’initiative citoyenne et révocatoire.

La confirmation que le Conseil constitutionnel est un organe de soutien réactionnaire aux agents du capital actuellement au pouvoir

D’abord, rappelons que le Conseil constitutionnel n’est pas une cour constitutionnelle, il n’a actuellement qu’un seul juriste en son sein. C’est plutôt un EHPAD de luxe (15 000 euros par mois en plus du reste) pour recycler d’anciens hommes et femmes politiques ayant bien servi le néolibéralisme contre le peuple.

Un organe composé d’anciens dirigeants politiques nommés par d’actuels dirigeants politiques, dont la nomination est contrôlée par le Parlement est un organe partisan lié idéologiquement à ceux qui les ont nommés.

Ensuite, un organe composé d’anciens dirigeants politiques nommés par d’actuels dirigeants politiques, dont la nomination est contrôlée par le Parlement (réforme du 23 juillet 2008) est un organe partisan lié idéologiquement à ceux qui les ont nommés. Dans son ouvrage La Constitution maltraitée : anatomie du Conseil constitutionnel, la professeure de droit Lauréline Fontaine souligne ainsi que « les membres du Conseil constitutionnel en France se recrutent par un procédé assimilable à de la cooptation, voire à un simple système de récompense de la carrière politique ». Pire est le cas de la décision du 21 janvier 2022 relative à l’état d’urgence sanitaire dans laquelle le Conseil constitutionnel a refusé de « remettre en cause l’appréciation du législateur […] ni de rechercher si l’objectif de protection de la santé aurait pu être atteint par d’autres voies » ; un postulat qui contraste nettement avec la Cour suprême des États-Unis, où le contrôle de constitutionnalité nécessite d’apprécier, lorsqu’il y a atteinte aux droits fondamentaux, si la loi emploie le moyen le moins restrictif possible. Sans cela, le Conseil constitutionnel ne statue plus selon l’intérêt général, mais selon l’intérêt particulier de l’exécutif et du législatif qui l’a nommé. On peut alors comprendre que le combat contre les conflits d’intérêts n’est pas une priorité. Dernier point, les avis du Conseil constitutionnel manquent d’argumentation et de justification interprétative pour apparaître comme des décisions péremptoires de nature jupitérienne. Tout cela est la base de la crise de légitimité du Conseil constitutionnel.

Il est aidé bien sûr par une Constitution qui permet de faire semblant de permettre des choix différents pour qu’in fine rien ne puisse changer. Comme dit Friedrich Engels : « La preuve du pudding, c’est qu’on le mange ! »

Donc, dans cet environnement, le Conseil constitutionnel peut à sa guise interpréter la Constitution comme il l’entend.

Dominique Rousseau, professeur de droit public a déclaré : « La décision du Conseil constitutionnel s’impose, mais, parce qu’elle est mal fondée et mal motivée en droit, elle ne peut pas clore le contentieux ». Il s’étonne que le Conseil constitutionnel, après avoir reconnu que des ministres ont délivré des « estimations erronées » lors des débats parlementaires, que plusieurs procédures ont été utilisées « cumulativement » pour accélérer l’adoption de la loi et que l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a un « caractère inhabituel », se permette de soutenir ces méfaits en ne déclarant pas l’insincérité du gouvernement en cette matière.

De plus, l’interprétation du Conseil constitutionnel tord le bras au droit quand il méconnaît l’article LO 111-3-9 du Code de la Sécurité sociale (qu’il nomme pourtant dans son communiqué !) qui montre bien qu’une loi de financement rectificative doit être réalisée dans un cadre précis à savoir qu’une loi de financement rectificative ne peut agir que sur les dépenses de l’année en cours. Sinon, on reste sur l’article 34 de la Constitution dans une loi ordinaire. La loi proposée n’avait pas seulement un objet financier pour l’unique année 2023, mais bien sur des principes du nouveau régime de retraites sur de nombreuses années.

La confirmation que la Nupes n’est pas à la hauteur des enjeux

Quand un groupe d’opposition dépose un recours, il serait nécessaire, pour être crédible, que ce groupe analyse la jurisprudence et les décisions de même nature de l’instance auprès de laquelle on fait le recours.

Le Conseil constitutionnel a déclaré que la proposition de loi ne porte pas, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une réforme relative à la politique sociale. Mais elle avait déjà refusé des recours avec cette interprétation.

Ainsi, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022, avait jugé que ne présentait pas ce caractère une proposition qui visait uniquement à abonder le budget de l’État en augmentant le niveau de l’imposition existante des bénéfices de certaines sociétés. Par sa décision n° 023-4 RIP du 14 avril 2023, il avait jugé qu’il en allait de même de la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans. Il estimait alors que puisque l’article L. 161-17-2 du Code de la sécurité sociale dispose déjà que l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite mentionné à ces mêmes dispositions est fixé à soixante-deux ans, à la date d’enregistrement de la saisine, l’interdiction de fixer l’âge légal de départ à la retraite au-delà de 62 ans n’emporte donc pas de changement de l’état du droit.

Ainsi dans le deuxième recours pour un RIP (celui qui a été refusé par un communiqué du 3 mai 2023 du Conseil constitutionnel), les députés de la Nupes n’ont pas tenu compte des décisions du Conseil constitutionnel du 25 octobre 2022 et du 14 avril 2023. Amateurisme ?

D’autant que, si au lieu de faire un recours contre le dépassement de 62 ans, la Nupes avait demandé le retour à 60 ans (!), le Conseil constitutionnel aurait été obligé d’admettre selon sa propre interprétation qu’il y avait bien changement de l’état du droit et que donc cela pourrait être considéré comme une réforme sociale !

Mais pour cela, il faudrait que la Nupes ait auprès d’elle des spécialistes de haut niveau dans les sujets traités !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/une-fois-de-plus-les-principes-de-la-republique-sociale-sont-bafoues/7433414.
2 La croissance des quatre formes d’abstention (ne participant pas au vote, vote blanc, vote nul et non-inscription sur les listes électorales) est un cancer pour la République. Par exemple, elle a touché, au premier tour des législatives de 2022, 70 % des jeunes de moins de 35 ans, des ouvriers et des employés, ces trois catégories représentant ensemble la majorité du peuple !