Comme nous l’avons souvent écrit dans ReSPUBLICA, c’est le réel et ses événements qui permettent les bifurcations de l’histoire, et ensuite, c’est la théorie explicite ou implicite de l’histoire que nous véhiculons qui permet à une gauche de gauche, si elle existe, d’améliorer l’homme et la société, d’assurer le perfectionnement intellectuel et social de l’humanité. Puis, il faut une action idoine et indispensable pour y parvenir.
Première conséquence de notre position matérialiste sur le plan philosophique, ce ne sont pas les idées qui sont au point de départ de la compréhension du monde et donc des transformations sociales et politiques. Mais les idées doivent servir à la compréhension du réel et à l’élaboration de la théorie de l’histoire indispensable.
Si nous militons pour une gauche de gauche développant une pensée universaliste avec le primat de la question sociale, c’est que ce qui s’appelle aujourd’hui « gauche », n’est pas, et de loin, à la hauteur des enjeux. Et ce n’est pas le fait d’être modéré ou pas, radical ou pas, extrême ou pas, sensible ou pas à tel événement plutôt qu’à un autre, qui change quoi que ce soit.
Et toute tentative d’explication monocausale, ou uniquement essentialiste et identitaire nous empêche de comprendre le réel qui est la plupart du temps pluricausal, dialectique et historique. Et si on souhaite un changement paradigmatique du réel pour construire des droits nouveaux pour les citoyens qui s’opposent aux fondements du système en vigueur, on se doit alors de penser non seulement de façon holistique, mais aussi de façon autonome au système dominant.
Toutes les pensées majoritairement identitaires, essentialistes, wokistes, islamo-gauchistes, sont en tout point tout à fait compatibles avec le capitalisme. Ce que le capitalisme ne supporte pas, c’est quand le peuple travailleur conteste le niveau de lutte de classe exercé par la classe dominante, grand patronat et grande bourgeoisie réunis. Alors, cette classe dominante déclenche le virage de la démocrature contre la démocratie, la détermination austéritaire contre la satisfaction des besoins, des dispositifs sécuritaires contre la justice sociale et le contrôle social et médiatique contre l’émancipation. Ne pas intégrer ce que nous venons de dire, comme la plupart des dirigeants des gauches syndicales, politiques et associatives, explique, aujourd’hui, le niveau zéro du débat politique médiatique.
D’où le séparatisme social organisé par la classe dominante contre les classes populaires qui deviennent invisibles pour la partie de la bourgeoisie intellectuelle qui a envahi les directions syndicales et politiques de gauche, et qui préfère que tout bouge pour que rien ne bouge. Entendons-nous, ce que la bourgeoisie intellectuelle ne voit plus, c’est le prolétariat (ouvrier ou employé) et ce qu’elle voit, c’est le lumpenprolétariat ou sous-prolétariat qu’elle instrumentalise.
Ce qui explique l’incroyable réaction des directions politiques et syndicales lors de la séquence des gilets jaunes, voire dans la façon de subir la séquence du coronavirus, ou la façon qu’elle a pour empêcher toute mobilisation par exemple dans la sphère de constitution et des libertés (école, services publics et sécurité sociale), sphère centrale pour « émanciper » la classe populaire ouvrière et employée et les couches moyennes intermédiaires.
Voilà pourquoi il ne faut pas s’étonner du développement programmé par la classe dominante de l’extrême centre (qui survivra à Macron), de la droite installée et des extrêmes droites et de la future union des droites. Et oui, c’est la politique d’Obama qui produit la politique de Trump, c’est bien la politique des partis socialiste, communiste et écologiste français de 1983 à 2017 qui a permis la croissance des extrêmes droites aujourd’hui. Et cela est vrai sur toute la planète.
Chaque fois que la gauche n’est pas à la hauteur des enjeux contre le capital, elle permet le durcissement de la politique de ce dernier. Sans compter l’aide du capital dans les nominations et les aides financières données aux idéologies qui peuvent corrompre la résistance à la lutte des classes organisée par le capital. Les idéologies majoritairement identitaires et essentialistes sont de ce fait, par exemple, soutenus par le capital dans l’université, dans les médias et en forte progression dans certaines organisations politiques et syndicales de gauche.
Et la France dans tout cela
Nous avons récemment publié deux articles avec des éléments d’analyse politico-économique sur la situation de la France : « Pourquoi autant de 49/3 ? pour enrichir la grande bourgeoisie aux dépens du peuple ! » et « Pour sortir la France du déclin, nous devons bifurquer vers la justice sociale, la réindustrialisation et assumer la guerre économique ».
Nous continuons avec cet article. Dans le débat médiatique, dans les discussions populaires, on focalise souvent le propos sur tel ou tel aspect. Nos dirigeants explicitent rarement les raisons de leurs choix. Souvent, parce que pour le faire, il faudrait dévoiler soit les erreurs soit les vraies raisons cachées de leur choix.
Et pendant ce temps-là, la situation économique de la France dégringole dans la hiérarchie des nations. 2e pays du monde en PIB nominal dans les années 60, elle est aujourd’hui en 7e position. Mais en PIB nominal par habitant, elle est en 23e position (selon le FMI 2021) avec avant elle 14 pays européens, les États-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande et Israël. En PIB (en parité de pouvoir d’achat), elle est en 26e position (selon la Banque mondiale 2022) ; de plus avec une inégalité grandissante du partage de la valeur ajoutée, une désindustrialisation qui n’a pas pu être compensée et une fiscalité qui favorise la grande bourgeoisie rentière française.
Malgré le fait que nous ayons la bombe atomique et un siège dans les postes permanents au Conseil de sécurité, nous perdons année après année, nos marges de manœuvre possibles, économiques et donc sociales. Et pour établir un budget, la France rogne sur beaucoup de choses et prépare un avenir sombre à la majorité des Français.
Pêle-mêle, voyons le problème des incendies de forêt. Alors que la moyenne des incendies a fait perdre en moyenne sur la période 2006-2022 plus de 13 000 hectares par an et qu’au 26 août 2023, il y avait déjà 22 000 hectares de forêts disparus pour environ 8 mois (selon le Système européen d’information sur les incendies de forêt), Eurostat et la Confédération européenne des syndicats nous apprennent que le nombre de pompiers a diminué en France de 12 % de 2022 à 2023.
Autre indicateur : le taux de fécondité des femmes est passé de 2,04 par femmes en âge de procréer à 1,7 aujourd’hui. La France est l’un des pays les plus mauvais en Europe en termes de mortalité infantile. (3,6 décès pour 1000 naissances vivantes). Chiffre supérieur à la moyenne européenne et loin derrière les pays nordiques (Finlande 1,8). Pourquoi ? La diminution des efforts nationaux dans les budgets de la petite enfance, la fermeture des maternités de proximité en zones rurales et périphériques ont été à contre-courant de la marche de l’émancipation des femmes.
Avec la désindustrialisation et surtout les inégalités croissantes dans le partage de la valeur ajoutée, il n’est plus possible aujourd’hui de maintenir en même temps notre grande bourgeoisie dans la stratosphère des revenus et des patrimoines et, par exemple, notre rang dans notre système de santé et de sécurité sociale ni de payer nos enseignants comme d’autres pays développés en expansion.
D’après l’OCDE, le salaire brut annuel moyen d’un enseignant de collège en 2021 en France était de 30 400 euros en début de carrière et 36 600 après 15 ans d’expérience. Au Luxembourg et en Allemagne, les chiffres sont de 69 000 et 95 100 euros pour le premier et 65 600 et 78 500 pour le second. L’Espagne, la Belgique et les Pays-Bas ont des chiffres nettement plus élevés que la France. Malgré une dégradation continue de notre déficit du commerce extérieur, le pire est évité grâce au tourisme, et à la balance positive des ventes d’armes dans le top 5 de nos ventes militaires (Émirats arabes unis, Égypte, Qatar, Inde et Arabie saoudite). Inutile de vous dire que cela a des contreparties autres que financières.
La faiblesse de notre économie nous fait dépendre de ce top 5 et nous oblige à des contorsions géopolitiques que nous développons par ailleurs dans ReSPUBLICA. D’après la Fédération internationale de la robotique, le nombre de robots installés pour 10 000 salariés de l’industrie est passé en France de 137 à 163 de 2017 à 2021, alors qu’en Suisse de 129 à 240, en Chine de 97 à 322, aux États-Unis de 200 à 274, au Japon de 308 à 399 et en Allemagne de 322 à 397. Rien qu’en 2022, la France a installé 7000 robots industriels, contre 8000 pour Taïwan, 12 000 pour l’Italie, 26 000 pour l’Allemagne, 32 000 pour la Corée du Sud, 40 000 pour les États-Unis, 50 000 pour le Japon et 290 000 pour la Chine ! Faites les ratios par habitant, vous verrez l’écart entre la France et ses concurrents !
Bien évidemment, pour nous, la robotisation est nécessaire à condition de la coupler à une nouvelle répartition des richesses et à une réduction du temps de travail pour tous. Ce qui pose de nouveau, la nécessité qu’une capacité « gauche de gauche » soit à la hauteur des enjeux en transformant une majorité potentielle en majorité réelle dans les urnes et dans la rue.
D’après Ember, le prix de gros mensuel moyen de l’électricité entre janvier 2020 et septembre 2023 est de 21,7 euros par mégawattheures en Suède, mais de 88,7 en France !
Et, en avant le tout électrique ! Il nous faut des terres rares. L’Institut d’études géologiques des États-Unis nous apprend que les plus grandes réserves sont celles de la Chine (44 millions de tonnes d’oxyde de terres rares), Vietnam (22), Brésil et Russie (21 chacun). En termes de part de la production mondiale de minerais en 2022, c’est encore la Chine qui caracole en tête avec 70 %, suivis des États-Unis, de l’Australie, du Myanmar et du reste du monde (respectivement de 14 %, 6 %, 4 % et 6 %). Et sur la part de la valeur ajoutée mondiale des segments de l’industrie des semi-conducteurs, la situation n’est pas brillante.
Selon les chiffres de l’Association industrielle des semi-conducteurs, nous pouvons comparer les États-Unis, la Corée du Sud, le Japon, Taïwan, la Chine avec l’Europe (la France est dans ce secteur un nain bien qu’elle ait encore des ingénieurs et cadres de haut niveau qu’elle ne peut plus payer et qui émigrent !). Les États-Unis dépassent l’Europe sur tous les cinq segments : design, équipement, matériaux, fabrication, conditionnement, assemblage et tests. Le Japon aussi.
Chacun des trois autres pays dépasse à lui seul l’Europe sur quatre segments sur cinq (il n’y a que sur la fabrication que l’Europe n’est pas battue par chacun de ses pays ! Sur l’uranium, selon l’Agence, la France et l’Europe importent dans cinq pays (Niger, Kazakhstan, Russie, Australie, Canada). Facile de voir les conséquences géopolitiques de cet état de fait.
Et en moins de 40 ans, le nombre de repas fournis par les Restos du Cœur en France est passé de 8,5 millions de repas à 142 millions. Les décès dus au narco-banditisme n’ont jamais été aussi importants à Marseille et ailleurs.
J’arrête avant de déprimer. Si ce qui précède ne porte pas à l’optimisme à court terme, l’histoire montre que la France a su au cours de son histoire rebondir, mais penser ce futur rebond nous impose de résoudre les questions que nous avons énoncées en début d’article. Alors, laissons le pessimisme pour des jours meilleurs !Et travaillons ensemble à ouvrir des perspectives constructives pour y parvenir. Rejoignez-nous pour y travailler ensemble pour un prochain article !