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Se préparer à la force des choses

« Citoyens, que d’autres vous tracent des tableaux flatteurs ; je
viens vous dire des vérités utiles. Je veux étouffer, s’il est possible,
les flambeaux de la discorde par la seule force de la vérité…
La révolution française est la première qui ait été fondée sur la
théorie des droits de l’humanité, et    sur les principes de la justice.
Les autres révolutions n’exigeaient que de l’ambition : la nôtre
impose des vertus… La république, amenée insensiblement par
force des choses et par la lutte des amis de la liberté… »
Robespierre

Le dilemme de la gauche est toujours le même dans l’histoire : trouver une stratégie alternative qui corresponde à la force des choses ou se perdre dans la mortifère dictature des multiples tactiques des uns et des autres, pendant que rien ne change pour le plus grand nombre. Aujourd’hui comme hier et comme demain. Traduite en langage du XXIe siècle en France, cela veut dire qu’il faut choisir une stratégie en lien avec la force des choses ou subordonner cette stratégie à la tactique électorale de l’immédiateté du moment. Le néolibéralisme nous y pousse car il nous programme huit élections différentes par tranche de six ans. Sitôt une élection terminée, la suivante démarre.

Le chemin est défini par la stratégie et non par la tactique

La prolifération des formules « anticapitaliste », « tout changer de fond en comble », « du passé faisons table rase », « révolution », « la fin du monde », « l’extinction de l’espèce à court terme», « rupture », « résistance », etc. cache de plus en plus mal une incapacité de penser ou une non volonté de comprendre le réel complexe et de voir les éléments précurseurs de la force des choses sans laquelle aucune transformation sociale et politique ne s’est construite dans toute l’histoire de l’humanité. Tout le reste n’est qu’idéalisme philosophique et politique proposant le paradis sans en déterminer le chemin pour y conduire. Et là, disons-le, un programme ne suffit pas car le chemin est défini par la stratégie. Répétons-le, jamais dans l’histoire du monde, la cause profonde d’une transformation sociale et politique ne fut une idée ni le discours d’un leader ou d’un intellectuel. Le travail intellectuel doit simplement préparer sérieusement la capacité des acteurs professionnels et militants à être efficaces lorsque la force des choses surgit des profondeurs du peuple. Voilà pourquoi le couple « luttes sociales et politiques » et « éducation populaire refondée » est indispensable pour préparer ce moment où se construira la bifurcation politique.

Sinon, ce n’est que le capital qui peut en sortir vainqueur même s’il est obligé de recourir de plus en plus à la violence « légale » mais de plus en plus considérée comme « illégitime ». Pour éviter cela, il faut dépasser d’une part l’isolement d’un populisme de gauche (stratégie qui n’a fonctionné que dans les pays peu développés à forte économie informelle), et d’autre part des alliances partisanes dont chaque membre ne parle qu’à la même couche sociale ! La raison essentielle de la victoire de l’union de la gauche née dans les années 70 en France réside dans le fait que l’alliance PS-PC permettait l’unité de la classe populaire ouvrière et employée majoritaire dans le pays. Résultat le 10 mai 1981 : une grande majorité de cette classe a voté au deuxième tour François Mitterrand, ce qui lui a assuré le succès. Nous ne sommes plus dans ce contexte. Aujourd’hui, la classe populaire ouvrière et employée qui compte 53 % de la population française n’est représentée par aucune organisation de la gauche française. Pire, c’est elle qui produit l’abstention massive (60 % de la classe populaire ouvrière et employée s’est abstenue ces dernières années et jusqu’à 80 % aux dernières municipales de 2020). On ne dira jamais assez que les médias dominants déforment le réel en affirmant que le FN est le premier parti ouvrier alors qu’il n’est que le premier parti chez les votants. Sociologiquement et politiquement, le fait d’avoir 80 % d’une classe – classe en soi majoritaire dans le peuple – qui s’abstient en refusant l’offre politique a quand même plus d’importance que d’être le premier des 20 % qui votent (ce qui correspond à environ 8 % de la classe en soi alors que 80 % s’abstiennent) !

Voilà pourquoi une alliance d’organisations de gauche ne représentant principalement que des couches moyennes intermédiaires (24 % de la population) et des couches moyennes supérieures (15 % de la population) et aussi peu la classe populaire ouvrière et employée majoritaire (sauf un premier frémissement heureux de ce point de vue dans le vote Mélenchon en 2017 rapidement perdu aux élections suivantes) n’a aucune chance de prendre le pouvoir sur une base de gauche : d’une part parce que la majorité de ces couches moyennes votent depuis longtemps à droite et d’autre part qu’elles ne sont plus porteuses d’émancipation pour le plus grand nombre, qui leur est trop extérieur. Si le soutien populaire aux gilets jaunes fut massif, c’est qu’il fut soutenu par une partie significative des abstentionnistes. Aujourd’hui, la vie politique française est engluée dans le tacticisme. Alors que la tactique change souvent à chaque élection et domine la préoccupation stratégique, il est temps d’expliquer pourquoi il faut maintenir le primat de la stratégie sur les tactiques. Car c’est en maintenant le primat de la stratégie que l’on peut construire petit à petit un bloc historique autour de la classe la plus nombreuse, la classe populaire ouvrière et employée. En lui adjoignant une partie des couches moyennes intermédiaires (voire la majorité), une partie de la petite bourgeoisie intellectuelle, une partie de la paysannerie, et une partie des professions libérales.
Comme on le voit, ce n’est pas le mot d’ordre erroné des 99 % contre le 1 % oligarchique.

Le bloc historique gramscien doit d’abord être une alliance sociale…

… avant d’être une alliance d’organisations. Trois phénomènes renforcent ce que nous venons de dire.

Le premier est la gentrification qui organise une ségrégation spatiale (reconquête des villes-centre des métropoles par la bourgeoisie profiteuse de la mondialisation et rejet de plus en plus en plus loin de la classe populaire ouvrière et employée voire d’une partie des couches moyennes intermédiaires) de plus en plus forte détruisant petit à petit les communes et les quartiers naguère en mixité sociale. Dit autrement, les différentes classes et couches sociales se rencontrent de moins en moins. Ou dit autrement : « dis-moi où tu habites et cela me donnera plus d’indications qu’hier sur ta situation sociale » !

La deuxième est l’archipélisation de la société française. Et à l’intérieur du processus archipélisant du néolibéralisme, il y a le développement du communautarisme, l’allié catégorique indispensable aux néolibéraux pour se maintenir électoralement et mathématiquement au pouvoir, qui se transmute au sein de la gauche par un racialisme indigéniste dit décolonial – facteur de marginalisation du syndicalisme revendicatif et des organisations de transformation sociale et politique car il remplace la lutte des classes émancipatrice par la lutte des races et des communautarismes dont le développement est plutôt dans l’intérêt de l’oligarchie capitaliste.

La troisième est la floraison de toutes les fausses modernités et des pensées magiques avec le soutien complexe du néolibéralisme : revenu de base, européisme caché, laïcité petit à petit abandonnée au gré des compromissions successives, américanisation de la vie politique et sociale française, professionnalisation conformiste des élus dans le système devenant des opposants peu farouches de sa majesté, recul de la protection sociale populaire (sécurité sociale, services publics, droit social, abandon des travailleurs des quartiers populaires dérépublicanisés face à la dictature du commerce de la drogue par exemple), recul de la sécurité publique et du droit à la sûreté, recherche incessante du leader maximo sans penser par soi-même (comme si le choix du leader maximo pouvait remplacer le choix stratégique pensé et argumenté), école publique à plusieurs vitesses suivant les quartiers, etc.

… en vue de la République sociale

Reste la perspective indispensable pour aller vers elle. D’où l’intérêt de débattre du modèle politique souhaité. Là encore, ne pas confondre un programme avec le modèle politique. Eh oui, il faut un programme, un modèle politique, une stratégie claire et des tactiques respectant la stratégie nécessaire. Pour nous, c’est le modèle politique de la République sociale avec ses dix principes constitutifs, ses six exigences indispensables, et la stratégie de l’évolution révolutionnaire (Marx 1850 et Jaurès 1902) que nous mettons en débat argumenté. A noter que ce modèle inclut dans son architecture, dans le but du débat argumenté, la poursuite du volet émancipateur de la Sécurité sociale refondée, des nouveaux services publics du XXIe siècle et une remise en cause de la propriété privée lucrative et le dépassement du salariat vers celui de travailleur associé dans une entreprise possédant enfin la démocratie (1)Voir le livre « Penser la République sociale au 21ème siècle » dans la rubrique « Librairie militante » située dans la colonne de droite du site de Respublica. ! Pour produire une refondation laïque et républicaine avec l’aide de la lutte émancipatrice des classes.  Toutes choses qui n’ont pas été développées par nos ténors de la politique en cette rentrée sociale et politique… Bizarre, non ? Voilà donc notre chantier éducatif, populaire et citoyen !

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Voir le livre « Penser la République sociale au 21ème siècle » dans la rubrique « Librairie militante » située dans la colonne de droite du site de Respublica.
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