Le mouvement réformateur néolibéral a pris le pouvoir dans le capitalisme mondialisé dès 1979 et en France en 1983. Ce mouvement fut une réponse à la crise du profit et donc du capital, à la fin des années 60 et durant la décennie 70. Ce début de prise de pouvoir s’est réalisé au prix d’une relance de la lutte des classes organisée par l’oligarchie capitaliste pour restaurer ses profits hors de la sphère de l’économie réelle, mais qui a eu pour conséquence la nécessité de supprimer progressivement tous les conquis sociaux, la croissance vertigineuse des inégalités sociales, la destruction de tous les principes républicains sociaux et une modification totale de la gouvernance du capital sur les travailleurs et les citoyens.
La difficulté d’analyse de la séquence actuelle provient du fait que la crise évolutive mais non paroxystique que nous connaissions jusqu’ici va se transformer en crise paroxystique multidimensionnelle à cause de la pandémie du virus Sars-Cov-2.
En tant que matérialistes sur le plan philosophique, nous sommes attentifs aux modifications de la réalité matérielle du monde qui nous entoure. Nous avons été sensibles par exemple aux dommages causés par le capitalocène (et non par l’anthropocène, car la cause de la prédation n’est pas l’homme mais le système capitaliste !) et nous avons intégré dans notre corpus la nécessité de la rupture écologique et énergétique. Nous sommes donc aujourd’hui sensibles à cette « goutte d’eau (l’attaque du virus Sars Cov-2) qui a fait déborder le vase » pour nous faire entrer dans une nouvelle séquence, cette fois sans doute paroxystique. Multidimensionnelle, elle le sera car la crise sanitaire va durer sous des formes diverses mais aussi avoir un effet exponentiel sur la crise économique et financière à venir, sur la crise sociale concomitante et sans doute sur une crise politique qu’on a encore du mal à prévoir. Difficulté que Friedrich Engels traduisait par : « on ne peut pas faire bouillir les marmites de l’avenir ». Nous devons donc vivre avec le principe d’incertitude politique comme les physiciens de la mécanique quantique vivent avec le principe d’indétermination d’Heisenberg. Mais comme ces physiciens, nous développerons une analyse probabiliste, et donc non déterministe, pour conduire nos discours et nos actions.
L’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe
Alors, pourquoi donner dans ce numéro de ReSPUBLICA de l’importance à l’arrêt du 5 mai des juges constitutionnels allemands en mettant l’article de Jean-Louis Bothurel intitulé « L’Allemagne et la BCE : le fantôme de Lisbonne hante l’Europe » comme article central de ce numéro ? Pourquoi ne pas faire comme les médias dominants, la quasi-totalité des dirigeants politiques de gauche et beaucoup de militants, et donc ne plus parler sérieusement de l’Union européenne, de la zone euro ? Pourquoi ne pas en rester au plan de relance idyllique de 500 milliards proposé par Macron-Merkel, le couple idéal de la mondialisation heureuse européiste ?
Pour répondre conjoncturellement à cette question, disons qu’Angela Merkel gagne du temps pour ne pas être rendue responsable – avant de tirer sa révérence – d’une nouvelle crise de l’UE, mais que cela ne fait que retarder sans plus le paroxysme à venir.
Plus fondamentalement, les travailleurs ne peuvent jouer un rôle citoyen actif, agissant et efficace que si le discours et les actions de leurs pratiques collectives tiennent compte du réel avant de vouloir aller vers l’idéal (comme nous l’enseigne Jean Jaurès) ! Négliger la compréhension matérialiste du monde peut créer de l’enthousiasme amoureux mais qui se transforme très majoritairement vite en déception voire en fatalisme ! Et comme l’Union européenne et la zone euro ont été créées pour empêcher toute politique progressiste, l’étude des contradictions en leur sein est un impératif catégorique pour ceux qui veulent aller plus loin qu’une simple envie de « renverser la table ».
Pour aller plus loin ?
Voilà pourquoi nous vous proposons de la lecture : d’abord l’analyse singulière de l’Union européenne et de la zone euro faite par ReSPUBLICA puis comme bouquet final (pour aujourd’hui), l’article de Jean-Louis Bothurel.
Vous pourrez ainsi reécouter l’interview de feu Michel Zerbato sur la monnaie et les lois tendancielles du capitalisme (http://www.reseaueducationpopulaire.info/videos/), lire deux articles du même auteur sur l’impossibilité d’une sortie de crise dans le cadre de l’euro de Maastricht (http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/lallemagne-ne-paiera-pas-meme-si-on-lui-donne-les-cles-du-camion/4734 et http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/lallemagne-ne-paiera-pas-2-limpossible-sortie-de-crise-dans-le-cadre-de-leuro-de-maastricht/4784), enfin suivre la formation sur l’UE et la zone euro de Bernard Teper lors d’un cycle « Education populaire et citoyenne » (http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/lunion-europeenne-et-la-zone-euro-comprendre-pour-agir/7403138).
Sans oublier les chroniques d’Évariste critiquant les idéalistes qui pensent pouvoir changer l’UE de l’intérieur, ou ceux qui pensent que l’on peut par un plan B rompre avec l’UE et la zone euro demain matin à 8h 30 par la simple volonté collective, et rappelant que la seule possibilité qui en soit ouverte est une crise paroxystique multidimensionnelle poussée à l’incandescence (<http://www.gaucherepublicaine.org/chronique-devariste/zone-euro-le-plan-c-entre-dans-le-debat/7396901 et <http://www.gaucherepublicaine.org/chronique-devariste/la-gauche-doit-reviser-sa-strategie-vis-a-vis-de-lunion-europeenne/7407020).
Voilà pourquoi nous vous appelons à fêter le 29 mai prochain le « non » au traité constitutionnel européen (TCE) comme acte lucide d’un peuple majoritairement mobilisé par une campagne active d’éducation populaire refondée de près d’un millier de réunions – dont la plupart furent l’œuvre d’une planification rigoureuse d’Attac (avec alors 31 000 adhérents, des comités locaux ouverts aux combats globaux et des intervenants dédiés à cette bataille culturelle intense)
Bonne lecture !