Le 18 janvier 1957, Pierre Mendès-France déclarait à l’Assemblée nationale : « L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement »une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale. » Sa critique cinglante des traités de Rome montre le caractère prémonitoire de son analyse de ce qui fut la première pierre de l’ordolibéralisme dans la construction européenne.
Quant à ceux qui allaient constituer plus tard « les alters », ils n’ont vu la menace qu’en 1986, lors de la signature de l’Acte unique européen. D’autres membres de l’Autre gauche française actuelle ont même voté oui à Maastricht en 1992. Il a fallu le célèbre édito d’Ignacio Ramonet dans le Monde diplomatique de décembre 1997, intitulé « Désarmer les marchés », la création d’Attac et, plus tard, la bataille pour le non au traité constitutionnel européen (TCE) pour coaguler le non de gauche du 29 mai 2005 : 31,3% des voix exprimées. Ce non de gauche était plus important que le non de droite et d’extrême droite, mais aussi plus important que le oui de gauche. L’Autre gauche a donc fantasmé sur la possibilité d’un débouché politique de ces 31,3 % des voix. Errare humanum est, perseverare diabolicum ! Ce non de gauche au TCE ne correspondait à aucun oui pour une ligne et une stratégie cohérentes. Ces 31,3 % se sont déchirés autour de « mots magiques » qui structurent la multitude des organisations existantes. Les nostalgiques des impasses révolutionnaires d’hier ont développé un néo-gauchisme, les porteurs de solutions simplistes totalement idéalistes se sont comportés comme les messies d’une nouvelle alliance, les escrocs promoteurs du communautarisme anglo-saxon comme nouveau paradis de la révolution ont fait florès dans l’Autre gauche, tandis que d’autres se transformaient en syndics comptables pour protéger leur volume d’élus par des alliances à géométrie variable. Conséquence : le vote populaire des ouvriers et des employés pour le non de gauche se réfugie alors dans l’abstention et les responsables de l’Autre gauche française perdent totalement le lien avec les couches populaires qui avaient constitué la majorité des 31,3 % des voix.
Puis, en 2012, l’espoir suscité par les 11 % de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle a été de courte durée. D’aucuns ont cru que ce rassemblement « à deux chiffres » pouvaient être un nouveau point de départ vers la reconstitution de la coagulation des 31,3% du non de gauche de 2005.
Près de 70 % des ouvriers et des employés (qui représentent 53 % de la population française) se sont abstenus lors des élections de 2014 et 2015. Le débat s’est alors rétréci à l’intérieur des couches moyennes supérieures radicalisées (2 à 3 % maximum de la population) et des couches moyennes intermédiaires (24 % de la population). A partir de là, la messe était dite.
Dans ce monde étroit, le débat sur la zone euro fait florès entre les adeptes du plan A et ceux du plan B. Dans un premier temps, au sein de l’Autre gauche française, les adeptes du plan A étaient hégémoniques. On peut résumer leur position de la façon suivante : par une mobilisation massive du peuple, véritable tsunami européen, il est possible de construire un avenir progressiste au sein de l’Union européenne et de la zone euro. L’accord grec sur le mémorandum austéritaire du 13 juillet 2015 en Grèce a fait voler en éclat cette hégémonie fondée sur l’idée d’un « euro social » dans une « autre Europe ». Seule la direction du PCF est restée sur le plan A (avec néanmoins le soutien des principaux partis de l’Autre gauche européenne, comme Syriza, Podemos, le Bloc de gauche au Portugal, Die Linke en Allemagne).
En effet, la plupart des autres organisations françaises optaient pour l’adoption d’un plan B de sortie de l’euro à froid. Ou plutôt de l’un des plans B possibles : par retour à la monnaie nationale, par transformation de l’euro en monnaie commune, par adjonction de monnaies nationales parallèles.
Mais là où cela se complique, c’est que pour certains, ce plan B pourrait n’être qu’une menace pour négocier le plan A tout en étant prêt à ladite sortie. Pour les autres, il s’agit d’abandonner le plan A et de passer directement à un plan B.
On peut résumer la position des premiers (dont le PG dans sa position du congrès de Villejuif du début juillet dernier) de la façon sivante : dans la négociation avec la direction ordolibérale européenne, il faut avoir deux fers au feu, ces deux fers étant préparés : le plan A (on reste dans l’euro) et le plan B (on sort de l’euro). On choisit la solution en fonction des négociations, tout en annonçant clairement qu’il ne peut être question de rester dans la zone euro avec des politiques d’austérité.
Pour les autres, il faut tout de suite aller convaincre « les masses » de sortir de l’euro demain matin à 8h 30 avec l’une des trois variantes notées ci-dessus (retour à la monnaie nationale, remplacement de l’euro par la monnaie commune, monnaies nationales parallèles). Pour ceux-là, seul le plan B doit être proposé au peuple.
Une autre variante B déclare que ce problème est tellement important qu’il faut abandonner tous les autres combats pour faire l’alliance souverainiste gauche-droite ou gauche-droite + extrême droite. Cette dernière variante est une variante de soumission à la droite, voire à l’extrême droite, et on n’a jamais vu dans l’histoire une sortie progressiste à froid dans ce type d’alliance. Le Conseil national de la Résistance a certes eu une sortie progressiste, mais ce fut grâce au rapport des forces favorable créé par la Résistance et l’axe PC-CGT durant la 2e Guerre mondiale. Excusez du peu !
Pour l’instant, nul n’est prolixe pour dire ce qu’il y a dans son plan B au-delà des généralités ci-dessus.
Les partisans de la transformation de la monnaie unique en monnaie commune (Lafontaine, Lordon, etc.) utilisent le mot « monnaie commune » comme un magique « Sésame, ouvre-toi ! », alors que la monnaie commune, c’est simplement le SME du début des années 80, qui a eu le succès que l’on sait ! Les autres donnent à la décimale près la hauteur de la dévaluation nécessaire pour ensuite entrer au paradis, mais ensuite ? Et bien sûr, chacun prépare son sommet européen du plan B. Sommet européen pour s’éloigner du débat au sein du peuple, sans doute. Un sommet européen du plan B a déjà eu lieu en Grèce cet été, un autre a eu lieu les 10 et 11 octobre dernier à Barcelone, un autre est prévu en novembre (avec cette fois-ci Oskar Lafontaine, le PG, etc.). En fait, chaque groupe européen fait son propre sommet européen du plan B.
Voilà pourquoi nous ne participerons pas à l’hallali contre Tsipras et Syriza, même si nous estimons que la signature de l’accord du 13 juillet ouvre la voie à une politique austéritaire encore plus forte. D’abord, parce que les 25 députés sortants qui ont fait en Grèce la campagne gauchiste d’Unité populaire ont été laminés car ils étaient coupés du peuple. Il ne sert jamais à rien d’avoir raison contre le peuple. Il est toujours préférable d’être « dans le peuple comme le poisson est dans l’eau » et faire alors son travail d’éducation populaire. Puis, parce le soutien populaire dont bénéficiait Tsipras, et qui a été clair le 5 juillet 2015 lors du référendum, se basait sur une contradiction insurmontable : refuser l’austérité dans le cadre de la zone euro. Et ce n’est pas au dernier moment, sans préparation, que l’on peut infliger au peuple grec la double peine de politiques d’austérité doublées d’un effondrement économique et social supplémentaire provoqué par une sortie de la zone euro dans les pires conditions. (1)Nous avons résumé notre position dans une chronique d’Evariste : http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/grece-syriza-garde-le-pouvoir-avec-un-electorat-modifie/7396787 . Pour voir les autres chroniques d’Evariste : http://www.gaucherepublicaine.org/author/evariste-9.
Présentation du plan C
Résumons notre position :
1) nous pensons qu’avoir le lien avec le peuple est une nécessité. Mais avoir le lien avec le peuple, c’est d’abord avoir le lien avec les couches populaires ouvrières et employées ! Et le lien avec les couches populaires, ce n’est pas un supplément d’âme, c’est le cœur du problème ! Et donc ce devrait être le cœur des actions militantes !
2) La formation sociale capitaliste dans laquelle nous sommes fonctionne avec des lois tendancielles et il faut les connaître pour pouvoir agir dessus, car on ne peut pas combattre ce qu’on a pas compris. Faisons une analogie : si on veut envoyer une fusée sur la Lune ou sur Mars, il faut connaître les lois de la physique : loi de la gravitation universelle, théorie de la relativité généralisée, etc. Une fois ces lois connues, on peut étudier comment les utiliser, comment les contrer, etc. Tout cela pour dire que pour construire un monde nouveau, il faut connaître les lois de fonctionnement et de développement du monde existant, car les seules volonté et persuasion ne suffisent pas. La formation théorique culturelle, économique et politique à un marxisme dialectique du XXIe siècle est indispensable. Elle doit s’accompagner d’un travail et des débats nourris sur la République sociale comme modèle politique alternatif. On n’avance pas sans savoir vers quoi on avance ! Voir nos livres sur http://www.gaucherepublicaine.org/librairie.
3) Ensuite et ce n’est pas le moindre, il faut élaborer une ligne, une stratégie, des tactiques. C’est le rôle des partis politiques. Mais oublier les points 1 et 2 ne permet pas de passer directement au point 3. Et aujourd’hui, la plupart des organisations oublient l’un des points 1 et 2 ou les deux.
4) Le plan A qui vise à prévoir des politiques progressistes dans le cadre de l’Union européenne et de la zone euro est une impasse car les traités européens de l’UE et la zone euro sont construits comme des carcans justement pour que les politiques progressistes soient impossibles.
5) Travailler à un plan B de sortie de la zone euro uniquement avec la volonté de convaincre est une idée hors sol. Tous ceux qui prônent cette idée le font à partir de considérations uniquement techniques et solipsistes avec des supposés néo-keynésiens de relance par la demande, solution que la crise du profit rend aujourd’hui inopérante. Tout simplement parce que le carcan de la zone euro et des traités de l’UE ne permettent plus son déverrouillage à froid. C’est trop tard ! Mais aussi parce notre adversaire n’est pas l’euro, mais la dynamique du capital. L’euro n’est là que pour soutenir la dynamique du capital. Se tromper d’adversaire principal, c’est accepter les leurres promus par l’hégémonie culturelle capitaliste.
6) Ce que nous appelons avec une pointe d’humour le plan C relève, pour nous, de la nécessité de partir de l’analyse du rapport dialectique entre d’une part la dynamique du capital, qui déterminera les fenêtres à partir desquelles le basculement peut s’opérer, et d’autre part la capacité organisationnelle et populaire de produire l’alternative une fois la fenêtre ouverte. Pour le dire autrement, c’est lors d’une crise paroxystique que les possibilités de sortie de l’euro sont ouvertes, à condition que le peuple mobilisé et ses organisations soient, à ce moment-là, en situation de « renverser la table ». Il faut donc se préparer à cette éventualité et non croire que tout cela va se réaliser par une simple campagne de conviction déclenchée par les couches moyennes supérieures radicalisées.
Voilà pourquoi nous devons susciter dans l’Autre gauche le débat entre les plans A et B, qui ne permettent pas, selon nous, la transformation sociale et politique, et le plan C, qui est, pour nous, la seule perspective possible de transformation. Mais qui n’est pas un long fleuve tranquille, tout simplement parce qu’elle demande de nombreuses conditions nécessaires qui ne se réalisent pas en claquant des doigts. Et elle demande un débat global pour y parvenir. Le plus tôt sera le mieux !
Notes de bas de page
↑1 | Nous avons résumé notre position dans une chronique d’Evariste : http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/grece-syriza-garde-le-pouvoir-avec-un-electorat-modifie/7396787 . Pour voir les autres chroniques d’Evariste : http://www.gaucherepublicaine.org/author/evariste-9. |
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