Témoignages sur la situation sanitaire en Grèce aujourd’hui

NDLR – Extraits d’un rapport à lire en version intégrale dans le Journal REsistance SOciale n° 137, mai 2015, pp. 2 à 6, sur www.resistancesociale.fr. Certains commentaires de cet article demandé par Résistance Sociale à Jean-Claude Chailley, qui y représentait la Coordination nationale des Hôpitaux et maternités de proximité, sont en dehors du champ de la Coordination, ils n’engagent donc que lui. Les citations sont reproduites en italiques.

La délégation Solidarité France-Grèce pour la santé s’est rendue en Grèce du 11 au 16 mai (1)Délégation : ATTAC, Coordination des comités de défense des maternités et hôpitaux de proximité, CODEGAS, CGT Sanofi, SNESUP-FSU, SUD Santé Sociaux, SMG, USMC/SNCDCS, Ensemble, NPA, PCF, PG.Elle a eu des rencontres dans des dispensaires sociaux solidaires (DSS), avec le ministre délégué et le ministre de la santé, des député(e)s du groupe parlementaire santé de Syriza, avec l’association Solidarité pour tous, la Coordination des dispensaires sociaux, des personnels et syndicalistes des hôpitaux, les responsables syndicaux E.K.A. / GSEE de la région d’Athènes et de META (syndicat lié à Syriza).)

La Grèce est bien le laboratoire de l’austérité de la troïka

Partout le même constat quant à la situation sociale, l’explosion de la pauvreté, un secteur de la santé au bord de l’effondrement.

  • 7 ans après la crise dite des subprimes il y a un recul généralisé en Europe, aggravé dans la zone euro. Mais l’ampleur de la régression en Grèce est unique : depuis 2008 chute de 25 % du PIB (OCDE) et de 25,5 % du budget santé par personne (Eurostat en parité de pouvoir d’achat)
  • Le fait que le respect des mémorandums continue à être exigé par la Commission européenne et tous les gouvernements européens prouve que la Grèce est cobaye d’une austérité destinée à se généraliser
  • Les chiffres sont abstraits, mais ils traduisent une réalité humaine dramatique

Les entreprises veulent pouvoir licencier comme elles veulent. Chômage passé de 9 % en 2009 à 26 % en 2014 (50 % chez les jeunes.

C’est la 1ère priorité: aucun système de santé ne peut tenir avec un tel taux de chômage.
Baisse des salaires, des retraites, suppression des conventions collectives…
Allocations chômage (concernent 7 % des chômeurs)passées de 460 € à 360 €.
En Grèce lorsqu’on perd son travail on perd aussi l’assurance sociale soit immédiatement, soit dans un délai d’environ 10 mois.
2,5 millions de personnes sont sans couverture sociale (population grecque :11 millions)

Le système de santé et la majorité des hôpitaux sont au bord de l’effondrement.
Alors que la demande a augmenté de 30%, l’offre s’est réduite de 40 % et le personnel de 30 %. L’offre publique en dentaire est quasi inexistante, même pour les assurés
Ces mesures ont entraîné pauvreté sanitaire et développement de la privatisation.

Le gouvernement signe un arrêté qui garantit un accès aux soins pour tous, assurés ou non, à un suivi médical de base, aux examens en laboratoire, aux vaccins, aux médicaments nécessaires, à l’hospitalisation en hôpital public. Développer l’offre en dentaire. Le forfait de 5 € est supprimé.

Il faut un renforcement des personnels soignants et para médicaux et leur financement

Des économies sont possibles car la désorganisation provoquée et favorisant le privé a un coût. Il faut réorganiser le système de santé avec au centre le 1er recours et la prévention, un fonctionnement plus démocratique et participatif.

Renforcer la production locale de médicaments, surtout génériques, fixer de nouveaux critères pour leur mise sur le marché. Il faut mettre fin en Europe au diktat des entreprises pharmaceutiques, créer une agence européenne du médicament …
L’idée fondamentale de Syriza est d’organiser la société à partir des besoins, en particulier pour la santé. Elaborer une carte sanitaire… rôle des collectifs

Remarque : même position de la Coordination nationale des hôpitaux et maternités et de Notre Santé En Danger

Les conditions de la mise en œuvre de cette politique

Avec des dépenses de santé de 4,5 % du PIB quand la moyenne européenne est au-dessus de 7 %, on ne peut y arriver.
Pour qu’il y ait un système de soins il faut arrêter l’austérité.
La question d’un accord avec la troïka est brûlante. Il y a une vraie angoisse de la société quant à savoir si on va arriver à un accord qui permette de rester un membre de l’euro à part égale mais sur d’autres bases, les besoins, et en donnant tout son sens à la protection sociale.
Les hospitaliers ont fait observer que voter une loi d’accès à la santé pour tous est positif à condition de donner les moyens nécessaires, sinon faute de pouvoir les accueillir, ça renforcera la désorganisation des hôpitaux.
A la question « qu’est-ce qui vous permet de penser qu’un accord acceptable avec la troïka est possible ? » la réponse fut la suivante : les rapports de force au sein de l’UE sont défavorables. Le problème n’est pas l’accord sur les comptes, on a un projet extrêmement bien pensé et financé. Le problème est politique. Ou l’Europe va changer avec les peuples, avec les luttes syndicales et politiques, les choix démocratiques, ou cette Europe n’a pas d’avenir.
C’est pourquoi ce sujet est très important, est-ce que l’Europe des bourses peut tolérer la démocratie ou non ? Il faut un front social européen, une Europe de la cohésion sociale, des libertés, de la démocratie, voilà notre message.

Assemblée nationale : groupe santé de Syriza

Les député(e)s de différentes régions, professionnels de différentes spécialités, confirment le caractère dramatique et général de la situation sanitaire. Extraits : augmentation des décès à la naissance, 20 % des bébés naissent avec un poids inférieur à la normale, augmentation / retour de maladies infectieuses, beaucoup ne peuvent se faire vacciner faute de 6 euros, sérieux problèmes de santé des personnes âgées, la grippe tue plus que partout ailleurs, augmentation des dépressions…

Aujourd’hui les hôpitaux sont transformés en asiles avec des lits dans les couloirs, la promiscuité, alors que des salles sont vides faute de lits alors que les 2 hôpitaux psychiatriques sont menacés de fermeture.
Les gens ne pouvant s’adresser aux structures de quartier vont à l’hôpital alors qu’on a réduit le personnel, ce qui renforce leur saturation et leur désorganisation alors que les mémorandums interdisent de recruter des médecins qui vont vers le privé ou à l’étranger.
Il arrive quotidiennement que des médecins meurent de burn out…
Le secteur privé s’est développé de manière gigantesque après la crise alors qu’il est plus cher et non universel. Il fait pression sur le gouvernement
Des malades du cancer ne peuvent se faire soigner ou tardivement… La marchandisation de la santé conduit à la mort.
Les mémorandums ont fixé un plafond pour la santé que le gouvernement doit inverser.

Au grand hôpital Sotiria d’Athènes

Les hospitaliers font le même témoignage :sous financement, manque de personnel, les personnels partant à la retraite ne sont pas remplacés, parfois des gardes de 112 patients en 24 heures, pas moyen d’avoir un CHSCT, manque de matériel, plusieurs services déjà fermés, les petits hôpitaux ferment, le plus dur c’est pour les patients, les femmes enceintes, les populations défavorisées. La troïka avait obligé les femmes à déclarer leur accouchement et à verser 1000 € . Si elles ne peuvent pas le fisc se retourne vers la famille et si la famille ne peut pas ils procède à des saisies. Chute des naissances depuis 2010. La tuberculose se développe de façon vertigineuse, retour de la malaria…
Le programme de Thessalonique de Syriza n’est pourtant d’une gauche « radicale ».
Avant la contre-révolution libérale des années 80, dans laquelle s’inscrit la construction européenne actuelle, les programmes des partis socialistes allaient bien au-delà de ce programme corrigeant une partie des dégâts pour les « plus démunis ».
Extraits du programme sur lequel Syriza  a remporté la victoire :

  • Electricité nécessaire gratuite à 300.000 foyers sous le seuil de pauvreté.
  • Subvention alimentaire à 300.000 foyers sous le seuil de pauvreté
  • Soins médicaux et pharmaceutiques accessibles à l’ensemble de la population par l’augmentation du remboursement et la gratuité pour les plus défavorisés.
  • Garantie du logement pour environ 30.000 familles
  • Paiement d’un 13e mois aux retraités et pensionnés dont la retraite ou la pension est inférieure à 700 €
  • Gratuité des transports publics pour les personnes sous le seuil de pauvreté.
  • Baisse de la TVA sur le fuel de chauffage au niveau antérieur au mémorandum.
  • Rétablissement du salaire minimum au niveau d’avant les memoranda sans critère d’âge, c’est à dire l’augmentation du minimum actuel des 586 € (même 427 € pour des jeunes) vers les 751 € pour tout salarié. (Relèvement étalé dans le temps depuis)
  • Volonté de rétablir la législation du travail (abrogée par les memoranda)….
  • Grand projet pour la création de 300.000 emplois dans le pays dans les secteurs public, privé et dans l’économie solidaire
  • Nous envisageons d’étendre le nombre de bénéficiaires de l’allocation chômage, ainsi que la durée du droit à celle-ci. (seulement 10% des chômeurs en bénéficient).
  • Arrêt de la privatisation du port du Pirée (rétablie depuis) et de la compagnie nationale d’électricité, réouverture de la télévision publique (faite)

Il n’y a pas de demande de nationalisation. Par exemple sur la politique du médicament le ministre de la santé a confirmé qu’il ne demandait pas la nationalisation de Sanofi.

Les dispensaires sociaux solidaires (DSS)

Il y en a en tout près de 50 en Grèce (2)Faut-il importer en France les dispensaires sociaux bénévoles ? Le projet de loi sur la santé et le projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement font la promotion du bénévolat, moyen de couper les budgets des services publics et de la protection sociale. En France il faut les défendre, les reconquérir, les développer. La Coordination des hôpitaux et maternités de proximité– qui participera à Guéret – demande entre autres de développer les centres de santé (avec rémunération correcte du personnel..

  • Le 1erdispensaire a été fondé en Crète par l’actuel ministre délégué à la santé, Andéas Xanthos pour des immigrés qui avaient fait naufrage. Depuis, avec la politique menée en Grèce les grecs sont devenus les 1ers usagers.>
  • Les dispensaires sont des organisations de bénévoles. Les locaux peuvent être fournis par la mairie, l’aménagement par des chômeurs…Ils assurent la médecine de premier recours. Si la gravité du diagnostic le justifie les patients sont envoyés à l’hôpital
  • Les médicaments qui arrivent tous les jours de multiples sources ne sont donnés que sur ordonnance. Les pharmacies sont toutes reliées.
  • Ils récusent le terme d’ONG, car au-delà de leur mission sanitaire ils mobilisent les patients pour mettre fin à cette politique, participent aux manifestations devant les hôpitaux….
  • Les décisions sont prises en assemblée générale.
  • L’avenir des dispensaires sociaux est en réflexion, en lien avec la réussite ou non du gouvernement d’Alexis Tsipras
  • Les dispensaires sociaux ne peuvent se substituer à un service public de santé digne de ce nom. Si le gouvernement Syriza réussit, s’il y a un service public de santé universel, la nécessité de ces dispensaires paraît moins évidente.
  • Si ce n’était pas le cas est-ce tenable dans la durée ? Pas évident, la charge pour les bénévoles étant énorme

Association « Solidarité pour tous »

  • Issue de la crise, notamment des mobilisations en 2011 : Les gens retournent dans les quartiers et créent des structures auto organisées, surtout à l’initiative de gens de gauche, pour survivre
  • Les 1ères structures ont concerné la collecte et la distribution de nourriture, puis la santé avec des médecins, un secrétariat… Elles évoluent vers tous les services : vêtements, meubles, préparation d’examen pour que les étudiants issus de milieux modestes puissent réussir, logement …
  • Les collectifs trouvent eux-mêmes à 92 % leurs ressources en faisant participer le maximum de personnes : ils demandent aux clients de super marchés de faire un don de nourriture, ils établissent des relations directes producteur – consommateur…
  • Différence avec par exemple les Restos du cœur : démarche militante. Par exemple les femmes de ménage ont été soutenues et ont gagné, obtenant même un temps complet
  • Les relations avec le clergé sont bonnes : si besoin ils guident vers les religieux
  • Solidarité pour tous est un facilitateur mais l’entité centrale est parfois perçue comme « l’œil de Moscou » alors que ce n’est pas le cas, on essaie de mettre en place des structures type grands frères. On en a parlé à la réunion panhéllénique avec des participants de 30 villes

Rencontre avec le syndicat E.K.A. (GSEE) de la région d’Athènes

Remarque – En Grèce il y a 2 syndicats : GSEE (confédération générale des travailleurs grecs du privé) et ADEDY (confédération des syndicats des fonctionnaires publics). Ces syndicats sont composés de courants liés aux partis politiques. Le CA est composé de 9 PAME (PC), 5 PASKE (PASOK), 5 META (SYRIZA), 4 NP (Nouvelle voie, libéral), 3 ENI, 3 DAK (Nouvelle Démocratie, droite), 2 trotskistes.

  • Chômage, baisse des pensions, des salaires de 45%, des droits des salariés, de la protection sociale, conditions de travail déplorables, les entreprises font ce qu’elles veulent en licenciements, en horaires de travail, difficulté d’accès des pauvres aux services publics, particulièrement la santé et l’enseignement…
  • Tout se discute avec les créanciers. avec la politique de l’Union européenne mise en œuvre sous les gouvernements de droite ou libéraux. Les coupes budgétaires dans les hôpitaux rappellent le tiers monde. La question du « cout du travail «  et la situation dans les hôpitaux sont liées
  • La difficulté c’est que presque toutes les tendances du syndicat ont été au pouvoir.
  • Le plus grave est que ces dernières années les syndicats ont subi une défaite stratégique. Ces 5 dernières années on a fait 40 grèves générales sur les salaires, les pensions, les conventions collectives. L’offensive a été si forte qu’on n’a pu organiser des luttes efficaces. On a 120 000 syndiqués alors qu’il y en avait 180 000 il y a 10 ans. Les jeunes n’adhèrent pas. Les travailleurs se sont dit pourquoi rester au syndicat s’il ne fait rien alors qu’on supprime les conventions collectives, qu’il n’y a pas de hausse des salaires, qu’on supprime les hausses passées ? Il y a eu beaucoup de grèves et manifestement un débat sur la stratégie.Les choix auraient pu être différents s’il y avait eu un autre leadership, il y avait des différences de stratégie.>
  • Aube dorée a voulu créer des syndicats mais a échoué
  • Nos priorités : rétablissement du SMIC à 751 €, des conventions collectives, protection contre les licenciements massifs, trouver des ressources pour pensions, la Sécurité sociale…
  • Crainte d’une augmentation importante de la TVA réclamée par les créanciers.
  • A la question : Faut-il mobiliser ? Il y a un engagement du gouvernement on attend qu’il tienne ses promesses. On est attentifs.
    Remarque : cette position n’est pas unanime, les militants santé de META (Syriza), des députés sont pour la mobilisation.
  • La solidarité internationale est bienvenue car la troïka ne veut ni des réformes des syndicats, ni celles du gouvernement.

Conclusion : le maintien ou non de la Grèce dans l’euro, voire dans l’UE

Avec la victoire de Syriza l’éventualité pour la Grèce de quitter l’euro et l’Union européenne est de fait posée…
Syriza veut rester dans la zone euro ce qui implique un accord avec la troïka.
La troïka et les USA souhaitent éviter que la Grèce quitte l’euro pour plusieurs raisons : 1) la situation financière mondiale est si instable que même la goutte d’eau du défaut de la dette grecque peut avoir des conséquences incalculables; 2) montrer que même un gouvernement de « gauche radicale » ne peut échapper aux cures d’austérité; 3) Eviter de mettre à l’épreuve la possibilité pour un pays de sortir de l’euro. Ils entendent faire pourrir la situation jusqu’à ce que Syriza perde son soutien populaire pour le contraindre à poursuivre pour l’essentiel les mémos.

Une urgente solidarité

La délégation Solidarité France-Grèce pour la santé a réalisé sa mission d’aide sous des formes diverses aux dispensaires sociaux solidaires. Bien entendu il faut la poursuivre.
Nos interlocuteurs de tous niveaux demandent la solidarité internationale dans leur bras de fer avec les « institutions ». L’étranglement de la troïka et des chefs d’Etat nous concerne tous, citoyens, partis, syndicats… Chaque minute compte en Grèce !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Délégation : ATTAC, Coordination des comités de défense des maternités et hôpitaux de proximité, CODEGAS, CGT Sanofi, SNESUP-FSU, SUD Santé Sociaux, SMG, USMC/SNCDCS, Ensemble, NPA, PCF, PG
2 Faut-il importer en France les dispensaires sociaux bénévoles ? Le projet de loi sur la santé et le projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement font la promotion du bénévolat, moyen de couper les budgets des services publics et de la protection sociale. En France il faut les défendre, les reconquérir, les développer. La Coordination des hôpitaux et maternités de proximité– qui participera à Guéret – demande entre autres de développer les centres de santé (avec rémunération correcte du personnel.