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... Car un nouveau monde émerge sous nos yeux.
Après avoir nié l’existence même d’une crise économique entre l’été 2007 et septembre 2008, après avoir prétendu à l’automne 2008 qu’il ne s’agissait que d’une crise d’ajustement, la « pensée » économique dominante reconnaît enfin sa réalité et la compare à celle de 1929.
Le vieux Keynes et ses recettes miracles est LE penseur économique à la mode, et chaque gouvernement rivalise en proposant des plans de relance dotés de centaines de milliards de dollars ou d’euros. Rassurez-vous citoyennes et citoyens car l’inquiétude n’est plus de mise : la situation est sous contrôle. Au lieu d’attendre trois ans comme nos aïeux un peu demeurés, nos géniaux gouvernants réussiront, eux, à relancer la machine économique immédiatement en nous propulsant à nouveau dans le monde merveilleux de la croissance infinie. Tout cela grâce au génial Britannique qui sauva les Etats-Unis, j’ai nommé le grand Keynes !
Tout serait parfait… sauf que Keynes n’a pas sauvé l’Amérique dans les années trente et que la crise actuelle n’a rien à voir, ou si peu, avec celle de 1929 !
Reprenons quelques faits historiques. Après trois ans d’une crise terrible, Roosevelt est élu en novembre 1932 sur un programme de droite, prévoyant surtout des baisses d’impôts et des exonérations de toutes sortes pour les trusts. Constatant au début de 1933 que ces mesures étaient inadaptées à redresser la situation, il change de programme en faisant adopter des mesures de relance surtout axées sur la mise en chantier de grands travaux, ainsi que des mesures de contrôle et d’encadrement du système financier et bancaire.
Intervenant sur une économie totalement effondrée, cette nouvelle politique connue sous le nom de « New Deal » connaît un certain succès car on partait de très bas. Il suffit de lire Les raisins de la colère ou de voir le film pour s’en convaincre. Plus qu’une relance, le « New Deal » est plutôt une stabilisation, la hausse du PIB du pays en 1933, 1934 et 1935 n’étant que de quelques % alors que la baisse précédente se comptait en dizaine de %.
Dès 1936 et 1937, les choses se gâtent et les Etats-Unis sombrent dans une sorte de léthargie que l’on qualifierait aujourd’hui de récession molle. Puis, en 1938, c’est à nouveau la crise totale : le système craque, laissant au tapis des dizaines de millions de chômeurs affamés. En fait, la fin des années trente marque l’échec des mesures de relance du plan Keynes. Les véritables raisons de la sortie de crise des Etats-Unis à la fin des années quarante s’expliquent par la Seconde Guerre Mondiale et le fait d’être la seule zone économique non dévastée en 1945. Par ailleurs, la volonté d’éviter que les aristocraties ouvrières et les classes moyennes des pays du bloc atlantique passent au communisme pousse pendant trente ans à une meilleure répartition entre capital et travail en faveur de ce dernier.
Donc, Keynes n’est pas la panacée universelle, surtout dans sa version la plus extrémiste c’est-à-dire la politique nazie. En effet, à partir de 1933 également, Hitler applique une politique de capitalisme d’état à base de grands travaux tels que la construction d’autoroutes et le réarmement, en contrôlant d’une main de fer l’économie et la finance allemande. En Allemagne comme au Etats-Unis, c’est un échec. En 1938 et 1939, l’Allemagne se retrouve en quasi banqueroute, et la Seconde Guerre Mondiale est aussi une fuite en avant devant une situation macro économique et financière ingérable en temps de paix.
Voilà pour la démystification de l’idole du dirigisme d’état.
Si la recette n’a pas fonctionné voilà 75 ans, elle ne fonctionnera pas davantage aujourd’hui car, second paradoxe, la crise dite des « subprimes » n’est pas de même nature que celle de 29.
Tout d’abord, l’état économique des années vingt est pour l’essentiel celui d’une société de production, en particulier en Europe. En grande partie encore rural, le système productif est orienté vers les biens d’équipements agricoles et industriels, la machine-outil, les transports et l’armement. Les biens de consommation individuels tels que l’automobile n’en sont qu’à leurs balbutiements, excepté aux Etats-Unis avec le début du fordisme.
De nos jours, il s’agit d’une économie de consommation de masse où l’essentiel de la production est orienté vers la production de biens et de services individuels.
Cette constatation a des conséquences sur le système financier des époques respectives. Au cours des années vingt, la masse monétaire est suffisante pour une économie de production… alors même que commence à émerger progressivement une autre économie, celle du fordisme justement et de la consommation. Donc, en 1929, le système financier est en fait rudimentaire et inadapté aux nouveaux temps qui s’annonçaient et qui verront le jour entre les années cinquante et soixante-dix. Si le déclenchement de la crise est lié comme aujourd’hui à un manque de confiance dans la solvabilité des créanciers, le système financier et bancaire manque cruellement de liquidités monétaires, et cela de manière récurrente, tout au long des années vingt. Ainsi, le krach du jeudi noir est d’abord une crise de manque de liquidités. En effet, le rapport entre PIB et la masse monétaire globale aux Etats-Unis avait tendance à se tendre : la monnaie « courait » après la production, par manque d’émission de crédit aux entreprises et aux particuliers.
La crise actuelle est quasiment l’exact contraire de cette référence historique, car il s’agit d’une crise d’hyper expansion monétaire : le monde est littéralement inondé de liquidités pour permettre justement l’existence de cette société de consommation de masse compatible avec une baisse relative des revenus du travail. Nous vivons totalement dans une économie de la dette. Les particuliers, les entreprises et les états sont en cessation de paiement virtuel par exemple aux Etats Unis, en Grande-Bretagne ou en Espagne. Ainsi, l’injection massive de milliers de milliards de dollars de liquidités ne peut résoudre la crise, bien au contraire. C’est comme combattre une inondation à la lance à incendie ! L’effet à terme de cette aberration est connu par avance : d’ici peu, viendra naturellement une période d’hyper inflation monétaire.
Ainsi, nos dirigeants veulent-ils sauver « l’économie de la dette » en procédant à un endettement supplémentaire. Sur le plan idéologique, ils se servent du vieux Keynes pour donner une pseudo base scientifique et rationnelle à cette aberration.
Pour sortir du cercle vicieux (plus de dette pour sauver l’économie de la dette !), il faut d’abord admettre qu’un monde nouveau est en passe de naître de manière inéluctable : l’Economie Global en Réseau. C’est une révolution d’égale ampleur à celle du 16ème siècle au moment de « La Renaissance ». Toutes les forces passéistes sont à l’œuvre pour nier cette révolution et faire croire que les règles du passé perdureront dans un présent permanent. A droite comme à gauche d’ailleurs, ces forces du passé cherchent à sauver une histoire économique obsolète en lambeaux. Cette attitude est vaine et dérisoire. Tel un enfant qui croit arrêter le ruisseau d’un barrage de sa main, les Keynésiens ne sauveront pas le turbo capitalisme contre lui-même. De nouveaux rapports de production sont en train d’émerger sous nos yeux et nous devons l’accepter sans nous raccrocher à un turbo capitalisme moribond. Nous, partisans de la République sociale, nous ne serons pas des Keynésiens de gauche… ou d’extrême gauche. Nous laisserons cela au Parti Socialiste, toujours en retard d’une crise, comme d’autres sont en retard d’une guerre.
Notre combat politique vise essentiellement de rendre humaine et juste cette future, et de plus en plus présente, « Economie Globale en Réseau ». Pour cela, la République sociale doit être le garant politique, en dernière instance, de ce nouvel ordre économique. Pour éviter que cette « Economie Globale en Réseau » ne soit en fait qu’une nouvelle jungle où liberté, égalité et fraternité soient des simples vues de l’esprit, le combat politique s’impose. La condition essentielle de sa réussite réside dans l’acceptation du nouveau monde et non dans le rafistolage de l’ancien.
Dans les semaines et les mois prochains, Respublica explicitera ce nouveau combat pour une « Economie Globale en Réseau » humaine et juste.
Évariste
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PEUT-ON REFORMER LE CAPITALISME FINANCIARISE ?
La question, jusque là confinée dans de petits cercles, est à présent sur la place publique. L’ampleur de la crise oblige tous les responsables, et jusqu’à des économistes libéraux, à multiplier les propositions de réforme, et plusieurs en viennent même à se demander si ce régime de croissance est viable, s’il ne faut pas remettre en cause ses fondements même. Mon propos va consister à montrer que seule une réforme radicale pourrait sauver le capitalisme de lui-même, mais aussi que la crise ouvre la perspective d’un nouveau socialisme.
Les grands traits du capitalisme financiarisé
Je vais commencer par rappeler les grands traits du capitalisme financiarisé, c’est-à-dire dominé par des acteurs financiers.
L’inflation du crédit et de la spéculation pure
Ce nouveau régime de propriété et la mondialisation qui l’accompagne et le soutient ont été renforcés par l’explosion du crédit, qui permettait, avec peu de capital, de faire de grandes affaires. C’est là quelque chose de paradoxal, car on nous avait expliqué que le grand atout de ce modèle de développement était de pouvoir faire appel directement à l’épargne, par le biais de la Bourse ou de gré à gré, sans passer par le détour du crédit bancaire, autrement dit qu’une économie de marchés financiers serait plus efficace qu’une économie d’endettement. Or jamais les acteurs économiques ne se sont autant endettés, des banques d’investissement aux fonds alternatifs, et des grandes entreprises aux ménages les plus modestes, sans oublier les Etats. Et l’on s’aperçoit que la Bourse ne sert que très peu au financement des entreprises : elle le fait uniquement lors des introductions et des augmentations de capital, et les rachats massifs de leurs actions par les grandes entreprises font que le financement net est égal à zéro (l’immensité des transactions boursières ne concerne que des titres déjà émis, un marché de l’occasion donc).
Favorisé par des taux d’intérêt relativement bas, surtout aux Etats-Unis pour y relancer la machine économique, le crédit est devenu une potion magique. On a vu ainsi des fonds spéculatifs emprunter jusqu’à 100 fois leur mise. Et, de prêteur en emprunteur, c’est un véritable système de cavalerie qui s’est installé, jusqu’à ce que les emprunteurs finaux, les ménages ou les entreprises se trouvent dans l’incapacité de rembourser (c’est ainsi qu’a démarré la crise, dans le secteur des prêts hypothécaires américains).
Dans cette économie dérégulée, où les taux de change, les taux d’intérêt, le prix des actions variaient constamment, les acteurs ont cherché à se couvrir, ce qui a engendré la montagne des transactions sur les produits dérivés, qui représentent de la spéculation pure (on spécule non plus sur les profits des entreprises, mais sur les risques des échanges), spécialité de départements entiers des banques universelles, des banques dites d’investissement (qui, en réalité, font surtout du trading), et des hedge funds, et source des gains les plus élevés. Ajoutons à cela quelques innovations financières, telles que la titrisation, les ventes à découvert, ou les normes comptables fondées sur la valeur de marché des actifs, et les assurances contre le risque de crédit lui-même, et la sphère financière est devenue hypertrophiée, immense bulle financière qui a fini logiquement par crever. Le capitalisme financiarisé, et son appendice, la spéculation pure gonflée par le crédit, semble donc bien être arrivé aux limites. On peut s’attendre à une récession sévère, qui risque de durer plusieurs années, et qui atteint par contagion, quoique à des degrés divers, tous les pays.
Des propositions de réforme qui ne sont qu’un ravaudage du système
Je ne vais pas entrer ici dans le détail de toutes ces propositions, qui se sont multipliées avec l’aggravation de la crise. J’en prendrai seulement quelques unes, et je dirai qu’elles ne sont que des demi-mesures, qui conservent toutes les pièces du système. Par exemple, s’agissant des abus du crédit, il n’est pas question d’interdire la titrisation, mais seulement de l’aménager. De même en ce qui concerne le volet les plus spéculatif du capitalisme financiarisé, il n’est pas question d’interdire les hedge funds ou de limiter leur champ d’action, mais seulement d’exiger d’eux plus de transparence. Et, à ce sujet, il n’est pas question d’interdire les transactions avec les paradis fiscaux et réglementaires (où la plupart des hedge funds sont logés), mais seulement de demander à ces derniers plus de coopération.
Qui plus est, ces propositions, pour pouvoir être mises en œuvre, supposent des accords internationaux, car ceux qui ne les appliqueraient pas attireraient les capitaux au détriment des autres. Or il est probable que, lors des futurs sommets mondiaux, comme celui du G20 qui va se tenir incessamment, elles seront toutes revues à la baisse. En outre on peut faire confiance aux acteurs financiers pour les contourner de toutes les façons. Il y a donc, malheureusement, fort à parier que, une fois le sauvetage des grandes banques opéré par des refinancements, et, en désespoir de cause, par des nationalisations partielles, mais provisoires, le système repartira de plus belle, et que cela débouchera sur une crise financière et économique d’une gravité encore plus grande.
Toutes les propositions ne touchent en effet qu’aux symptômes, et non à la racine du mal.
Les causes profondes de la crise de ce capitalisme
La première cause tient, selon moi, au fonctionnement des marchés financiers eux-mêmes. L’évaluation de la valeur des actifs des entreprises par la Bourse repose sur les analystes financiers : or qu’en savent-ils sinon lors des road shows que les dirigeants organisent à leur intention, et qui ne consistent qu’en chiffres, plus quelques informations supplémentaires ? En réalité ils sont nécessairement victimes de ce qu’on appelle une asymétrie d’information. Ceci explique leur foncière incompétence, bien supérieure à celle des cabinets d’audit, eux-mêmes fort loin de pratiquer une enquête objective, notamment auprès des salariés, puisqu’ils sont payés par ces directions. Ajoutons que celles-ci ont montré, notamment à l’occasion de scandales fameux, qu’ils n’hésitaient pas à maquiller la réalité.
Ensuite le système d’information est vicié par ce qu’on appelle pudiquement les conflits d’intérêt, et qui mériterait mieux le nom de corruption. L’ensemble des marchés financiers se prête à ce qu’on pourrait appeler un vaste délit d’initiés, parce que toutes les instances de conseil et d’évaluation sont financées par les entreprises elles-mêmes. Croit-on vraiment qu’on arrivera à séparer dans une banque l’activité de conseil aux entreprises de l’activité de placement auprès des épargnants ? Prenons encore l’exemple des agences de notation : croit-on vraiment que, même en remplaçant leur financement par des fondations privées par une taxe, elles fourniront des évaluations plus sûres ? La raison voudrait qu’on les remplace par des agences publiques, puisqu’elles fournissent un bien public, mais cela n’est nullement envisagé, auto-régulation des marchés oblige.
Troisièmement, les marchés financiers sont structurellement instables, comme on le sait depuis longtemps, et comme Keynes l’avait lumineusement montré : comportements mimétiques ou moutonniers, prophéties auto-réalisatrices sont inhérents à leur fonctionnement, et la crise actuelle, avec ses journées de panique, ses petits regains de confiance, et ses rechutes le lendemain, le prouve abondamment. Il est absurde que des entreprises saines et profitables aient perdu jusqu’à 70 ou 90 % de leur valorisation, même si les perspectives de l’économie sont plutôt sombres.
Enfin, last but not least, ces marchés, par leur fonctionnement en continu, par leur multiplication (dès qu’il y a un problème on crée un marché censé le résoudre : ainsi pour le récent marché du carbone), par l’immensité des opérations de couverture liées au flottement généralisé, représentent un énorme prélèvement sur la richesse produite (la finance par exemple est à l’origine de 14 % du PIB de la Grande Bretagne). Tout cela est exorbitant par rapport aux services rendus. Dès lors c’est tout le système du capitalisme financiarisé qu’il faudrait remettre en cause.
Une réforme radicale du capitalisme
Diverses propositions ont été faites, mais jusqu’à présent repoussées d’un revers de main. J’en énoncerai seulement quelques unes, qui me paraissent hautement souhaitables, si l’on pense que le capitalisme n’est pas près de sa fin, et qu’un secteur capitaliste dans l’économie devrait continuer à servir de challenger pour tout autre système économique.
Au niveau des rapports de propriété, il conviendrait que les actionnaires, qui resteraient sans doute de grosses institutions, soient tenus de s’engager durablement dans les entreprises (les actionnaires flottants perdant leur droit de vote) – résultat qui peut être obtenu par des mesures législatives et fiscales relativement simples. Ayant des objectifs de long terme, ces actionnaires, mieux informés, pourraient accompagner les entreprises dans leurs plans d’investissement et dans leur recherche d’innovations. Ceci milite d’ailleurs pour la présence de l’Etat, ou d’organismes publics, même minoritaire, dans le capital et dans les conseils d’administration. De même de tels actionnaires stables (on rappellera qu’aujourd’hui la durée de détention d’une action est en moyenne de 6 mois) pourraient s’assurer que les opérations de concentration du capital, via des OPA et des OPE non hostiles, seraient source de véritables économies d’échelle, et non le résultat du délire de grandeur de dirigeants se livrant d’homériques batailles de communication. On peut penser que le mode de gestion des entreprises en serait quelque peu changé : ces actionnaires seraient plus attentifs aux autres parties prenantes de l’entreprise, à commencer par les salariés, qui sont le ressort profond de la réussite d’une entreprise. La stabilité de l’actionnariat capitaliste priverait la Bourse des actions d’une grande partie de son carburant, et pas suite les marchés qui en dérivent. Le marché obligataire secondaire se rétrécirait également, puisque l’évaluation des risques serait moins soumise aux aléas. Dans le même ordre d’idées, il semblerait judicieux de séparer à nouveau les banques de dépôts des banques d’investissement, ou, pour le moins, de réintégrer les activités sur les marchés financiers dans les bilans des banques.
En ce qui concerne les marchés des changes, on pourrait également réduire leurs fluctuations en rétablissant un système de changes fixes, mais ajustables, entre des monnaies regroupées autour d’une monnaie de référence dans des cadres régionaux. Enfin un protectionnisme non pas purement défensif, mais ciblé et négocié éviterait les mouvements spéculatifs constants et réduirait les opérations de couverture qui en sont le corollaire. Voici donc quelques propositions qui pourraient rendre le capitalisme plus rationnel et moins brutal, en même temps qu’elles permettraient de dégonfler la sphère financière. Mais elles impliquent une révision tellement déchirante des dogmes néo-libéraux et porteraient une telle atteinte aux intérêts d’une partie de la finance qu’elles se heurteront à une résistance farouche de celle-ci, tant politique qu’idéologique. C’est pourquoi l’heure me semble venue d’ouvrir une autre perspective, bien plus favorable au salariat et bien plus susceptible de susciter une mobilisation populaire.
Recréer un espace économique socialiste
Les services publics doivent réintégrer la sphère publique, puisqu’il doivent être conçus comme des piliers de la citoyenneté, et donc être de la responsabilité de l’Etat. La nationalisation, qui devrait être à 100 %, se ferait cependant sous une forme nouvelle, comportant notamment une participation à la gestion des fonctionnaires, ou des agents (dans le cas de services publics marchands) et des usagers. Ce qu’on a pu désigner sous le nom d’appropriation sociale. Ils ne sauraient être soumis à la rentabilité financière, mais seulement à une rentabilité économique (dans le deuxième cas).
Ici se pose en particulier la question des banques. Comme elles sont essentielles au fonctionnement de l’économie et fournissent un quasi-service public, un pôle public bancaire serait institué, qui fonctionnerait en liaison avec les pouvoirs publics locaux et national (voire nationaux, si par exemple plusieurs pays européens se mettaient d’accord), pour distribuer des crédits bonifiés ou garantis par ces derniers afin de soutenir des politiques publiques.
Quant à la Banque centrale, elle cesserait d’être indépendante, puisque sa politique monétaire serait soumise aux objectifs décidés par le gouvernement, tout en gardant l’autonomie nécessaire. Mais le nouveau socialisme s’étendrait au-delà des services publics : il y aurait des entreprises publiques, ou semi-publiques, produisant des biens marchands ordinaires, qui se différencieraient des entreprises privées en ce qu’elles ne seraient pas soumises à des normes de rentabilité financière aussi élevées et en ce qu’elles comporteraient une large participation des salariés à la gestion. Il s’agit ici d’éviter un double écueil : celui d’un concubinage avec l’exécutif, celui de l’alignement sur le mode de gestion capitaliste. A cet égard on pourrait penser que les propriétaires (majoritaires) de ces entreprises seraient des fonds publics d’investissement, faisant appel à l’épargne populaire, et n’intervenant pas en Bourse, mais sur un marché spécial, de gré à gré.
Enfin le nouveau socialisme comporterait un secteur socialisé, de type coopératif, reposant en partie sur l’autogestion et restant totalement extérieur aux marchés financiers.
Dans cette perspective alternative, les règles du libre-échange seraient profondément modifiées : les Etats doivent pouvoir se protéger socialement, économiquement, et sur le plan environnemental, en fixant leurs conditions (ce qui suppose le retour à un contrôle partiel des changes, et une taxation des mouvements de capitaux). Mais il ne s’agirait pas d’un protectionnisme de combat, comme celui qui va probablement refaire son apparition dans les économies capitalistes. Ce nouveau protectionnisme s’inspirerait de la Charte de La Havane de 1948 : il serait négocié pour qu’il joue à l’avantage de tous les partenaires. En outre le produit des taxes (ciblées) serait reversé aux pays en développement pour qu’ils puissent élever leurs standards sociaux.
Se poserait enfin la question d’un nouvel ordre financier et monétaire international, en retrouvant les propositions de Keynes d’une monnaie mondiale (le bancor) et d’une Banque centrale internationale. Mais il s’agit là d’une perspective bien lointaine, qui ne verra sans doute le jour que sous l’emprise de la nécessité. Dans un horizon plus proche, on ira sans doute vers des monnaies régionales, plus ou moins coordonnées entre elles.
On voit que l’horizon n’est pas bouché, que nous ne sommes par condamnés à attendre une nouvelle crise du capitalisme financiarisé, qui serait encore plus grave que la crise actuelle. Des alternatives sont d’ores et déjà possibles, du national au mondial. C’est maintenant, à la faveur de la grande crise qui menace toutes les économies de la planète, d’une sévère recession et des plus grands reculs démocratique, qu’il faut commencer à réfléchir vite et à agir.
Tony Andréani Professeur émérite de sciences politiques à l'Université de Paris 8
Jean-Michel Muglioni reprend ici l’idée antique selon laquelle l’économie devient folle à partir du moment où, la richesse dépendant non pas de la valeur d’usage des biens mais de leur valeur d’échange, elle consiste en un amoncellement de signes : gravés sur l’or ou imprimés sur du papier, mieux, métamorphosés en signaux informatiques, ils nourrissent fétichisme et idéologie.
Deux pages célèbres de La Politique et de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote, saluées par Marx, proposent une analyse de la monnaie, convention passée entre des hommes pour échanger des biens, c’est-à-dire ce dont ils ont besoin pour vivre. A l’usage propre d’un bien - par exemple celui des chaussures est de protéger les pieds - s’ajoute un usage étranger à la nature de ce bien, celui de servir d’objet d’échange. Je peux fabriquer des chaussures non plus seulement pour mon usage, mais pour obtenir en échange du pain. Ainsi les artisans peuvent exercer chacun un métier qui suppose une spécialisation. Ces échanges, dans la mesure où ils sont déterminés par le besoin, sont naturels. Or dès qu’ils se développent, et principalement lorsqu’ils ont lieu non plus seulement entre familles mais entre cités, la monnaie devient nécessaire : elle peut se transmettre de la main à la main, contrairement aux biens qu’elle représente. Et le métal, quand il sert de monnaie, prend une valeur d’échange qui devient indépendante de sa valeur d’usage : elle est définie par l’empreinte qu’on grave sur lui. Les hommes découvrent alors que le seul échange permet de s’enrichir, non plus de ces biens qu’on acquiert pour satisfaire ses besoins, mais de plus de monnaie, de plus d’argent, et c’est la raison pour laquelle on appelle « richesses » la possession de numéraires qui pourtant ne peuvent nourrir personne. Dès que l’argent devient un moyen d’amasser de l’argent, l’économie est transformée en « chrématistique », sorte d’art d’accumuler des richesses non parce qu’elles nous permettraient de satisfaire nos besoins mais pour elles-mêmes. Chrémata, en grec, veut dire richesses.
L’acquisition fondée sur le seul besoin, ou l’échange qui n’oublie pas la valeur d’usage des biens sont par nature mesurés ; mais, s’il est possible d’accroître sa richesse en monnaie par le seul échange, il n’y a plus ni mesure ni limite. On n’a jamais assez d’or. On peut accumuler indéfiniment de l’or ou des pièces de monnaie, non des chaussures – et beaucoup de biens nécessaires sont périssables. On s’enrichit alors moins en biens réels qu’en signes : en chiffres inscrits sur des pièces de métal, des bouts de papier ou des livres de compte d’une banque, ou mieux, en ébranlements électriques dans un réseau. Nous n’avons plus besoin de risquer un voyage en trirème pour déplacer notre or : ces signaux se déplacent à la vitesse de la lumière. Et comme la valeur d’échange des objets eux-mêmes prévaut sur leur valeur d’usage, consommer n’est plus la fin de la production et devient le moyen d’enrichir les détenteurs des richesses[1] qui financent la production et dont la production accroit la richesse. Un tel processus fait inévitablement prévaloir l’argent sur les biens réels, le représentant sur ce qu’il représente, ou la finance sur ce qu’on appelle parfois, ironiquement, l’économie réelle. Il est donc dans la nature des choses que le fétichisme (la confusion entre le signe et ce qu’il signifie) et la démesure poussent les hommes à vouloir toujours saisir plus de fantômes, et que le travail ne produisant des biens de consommation (de valeur d’usage) que pour permettre l’accumulation de signes, l’économie se réduise à la spéculation financière. Alors faire baisser le coût du travail est la priorité des spéculateurs plus encore que celle des employeurs (chacun en effet cherche à payer le moins possible son employé, et dans ses moments de sincérité, regrette l’esclavage).
Sans même s’interroger sur la nature du capitalisme que Braudel voyait naître dans la Florence des Médicis, on voit que la réussite de l’invention de la monnaie suffit à faire du dérèglement et de l’illusion les principes de l’économie. Aristote lui-même ne faisait que commenter la fable du roi Midas qui, ayant obtenu des dieux le pouvoir de transformer en or tout ce qu’il touchait, mourut de faim. On trouvera chez Marx quelques pages célèbres qui sont une sorte d’ethnologie du fétichisme capitaliste. Ainsi, quand on n’entasse plus de l’or ni même du papier, mais qu’on manipule des signes sur un écran d’ordinateur, la différence de l’imaginaire et du réel est oubliée. L’économie n’est plus qu’un monde onirique coupé du réel, gouverné par des représentations folles : chrématistique, elle est par nature idéologique.
Rappelons que les philosophes qui faisaient l’étude des idées et de leur origine et qui s’étaient donné le nom d’idéologues, à la fin du XVIII° siècle, étaient dans l’opposition sous l’Empire : la propagande de Napoléon parvint à donner à ce terme le sens péjoratif de spécialiste en idées creuses, « d’irréaliste ». Dans un esprit polémique, Marx utilisa cette injure pour désigner les pensées qui se présentent comme des théories mais qui ne sont que le reflet et la justification de conditions sociales : ainsi le libéralisme économique prétend être une vraie théorie de la liberté alors qu’il est en réalité la justification du libre échange et de la libre entreprise. Et en effet les hommes pensent non selon la vérité mais selon leur condition sociale ou leur intérêt. Souvent même ils ont les croyances de leurs revenus. Eriger le fait en norme et considérer comme naturelle l’organisation du monde où l’on vit est chose commune.
Or voilà qu’après soixante-douze ans de règne, le totalitarisme qui se réclamait de Marx s’effondre : c’est, on l’enseigne alors dans les écoles et les universités, la fin des idéologies, c’est-à-dire de toutes les tentatives pour concevoir une autre forme de société que celle dont les Etats Unis d’Amérique sont le modèle. Nous vivrions donc depuis la fin du XX° siècle dans une société extraordinaire où les consciences sont délivrées de toute idéologie ; nul n’y pense plus selon ses intérêts ; pour la première fois dans l’histoire humaine, les hommes, et d’abord les riches et les puissants, n’ont plus les croyances de leur condition. La liberté d’esprit règne enfin sur la planète. La croyance en la fin des idéologies est, on le voit, aussi messianique que les idéologies prétendument mortes. Et, vingt ans après, lors d’une crise économique, ou du moins de ce qu’on appelle ainsi, et avant même qu’elle s’achève ou qu’on puisse en voir clairement toutes les conséquences sociales et politiques, on entend dire partout que c’est la fin de l’idéologie néolibérale. Faut-il se réjouir que le libéralisme économique retrouve ainsi son rang d’idéologie ? Ou bien ce renversement signifie-t-il que les observateurs les plus sérieux, comme les politiques, ne peuvent pas ne pas croire toujours d’une manière ou d’une autre au Père Noël ? La bourse subit d’assez forts contrecoups, et brusquement les hommes devraient devenir intelligents ou même vertueux. Mieux, ils devraient maintenant savoir organiser une nouvelle croissance, délivrée des illusions de la précédente : bref, continuer à s’enrichir sans que la richesse appelle la démesure et le fétichisme dont elle procède.
Adam Smith est d’abord un psychologue et un moraliste : on l’oublie généralement, sans doute parce qu’on s’insurgerait aujourd’hui contre quiconque jugerait aussi sévèrement les hommes qui consacrent leur vie à amasser des fortunes qu’ils ne peuvent pas dépenser pour leurs besoins : l’estomac du riche n’est pas plus grand que celui du plus humble paysan[2]. On peut vouloir et réaliser le bien commun pour lui-même, ou chercher la vérité pour elle-même et y consacrer sa vie : les passions les plus égoïstes peuvent seules sacraliser l’argent et pousser un homme à accumuler de richesses. Adam Smith voit clairement que la production et l’accumulation des richesses ont pour ressort les désirs qu’il condamne comme moraliste. Comment en vient-il donc à croire que la Providence divine[3] utilise l’égoïsme des riches au profit du bien-être général, ce que l’expérience contredit régulièrement ? Pourquoi justifie-t-il ainsi un monde qui ne le réjouit guère ? Sa noirceur est trop visible et seule la croyance en une main invisible permet de la supporter. Il n’est pas facile d’admettre que la richesse des nations ne dépend pas des meilleurs et qu’il faut laisser des hommes sans scrupules s’enrichir comme ils l’entendent, puisque s’ils ont littéralement les yeux plus gros que le ventre[4], l’appauvrissement général serait certain si la loi imposait des limites à leurs désirs.
Croirons-nous que le développement interne d’un tel monde doit déboucher sur des lendemains meilleurs ? Invoquer le sens de l’histoire, c’est encore espérer en la Providence. Invoquerons-nous Epicure ou Lucrèce pour dire qu’il n’y a de vie sensée possible qu’hors du monde, loin des folles activités auxquelles les hommes s’y livrent ? Du moins pour celui qui sait construire une citadelle imprenable - le matérialisme - et en resserrer les murs pour n’y admettre que quelques amis choisis, afin d’y connaître un vrai plaisir et d’y jouir du spectacle des folies du monde[5]. Il est vrai que Platon ne se contentait pas d’une sagesse qui l’aurait coupé du monde. Il était en cela plus fidèle à Socrate, qui vécut plus dangereusement que les épicuriens.
© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2008
[1] C’est pourquoi il est essentiel que la publicité et le crédit poussent les plus pauvres à la consommation.
[2] Théorie des sentiments moraux, PUF 1999 p.256 sq.
[3] Cette doctrine et sa pratique sont évidemment contraires au principe de la laïcité qui signifie qu’une société doit être organisée de telle façon que tout citoyen puisse en admettre les règles de fonctionnement quelles que soient ses croyances religieuses.
[4] Ajoutons que si telle est la nature des choses, il ne faut pas s’étonner que la délinquance financière n’obsède pas les pouvoirs publics.
[5] Lucrèce, De la nature, II début : « Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents, de contempler du rivage la détresse d’autrui ; non qu’on trouve un grand plaisir à regarder souffrir ; mais il est doux de voir à quels maux on échappe soi-même. Il est doux aussi d'assister à la guerre et de voir dans les plaines les batailles rangées, sans prendre sa part du danger. Mais rien n’est plus doux que d'occuper les hauts lieux fortifiés par la science des sages, ces régions sereines d’où l’on peut abaisser ses regards sur les autres hommes et les voir errer ça et là, chercher au hasard le chemin de la vie, rivaliser d’invention, se disputer la gloire de la naissance, et nuit et jour s'épuiser par un labeur sans égal pour s’élever au faîte des richesses ou s'emparer du pouvoir. »
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Jean-Michel Muglioni
Des idées reçues sur la dette, ou pourquoi la réappropriation de la création monétaire par la puissance publique peut tout changer.
Il est des livres comme des rencontres humaines : certains sont déterminants et bouleversent à jamais votre grille de lecture du monde. La Dette publique, une Affaire rentable ?[1] appartient à cette catégorie. Ses deux auteurs, André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder, « économistes citoyens » comme ils se surnomment, en remettant en cause l’analyse communément admise de la dette publique, révèlent une aberration responsable en grande partie du mal-être de notre société. Cet ouvrage énonce à mon sens des idées aussi structurantes que méconnues, pour qui veut tourner la page du néolibéralisme banco-financiarisé.
Il était donc une fois la dette publique. Vous la connaissez bien. François Bayrou s’était targué de l’avoir mise au centre du débat lors de la campagne présidentielle. Aujourd’hui, son ombre pèse sur bien des choix politiques : « l’Etat est en faillite », « On est contraints et forcés de réduire les dépenses publiques ». En chiffres, la dette de la France atteint près de 1300 milliards d’euros[2]. Comme une dette classique, celle d’un particulier qui emprunte pour acheter une voiture ou une maison, elle comprend les sommes réellement empruntées par l’Etat mais aussi les intérêts qu’il doit rembourser. Ces intérêts, bizarrement appelés « services de la dette », constituent aujourd’hui le deuxième budget de dépense de l’Etat, après l’Education nationale et avant la Défense, soit 40 milliards d’euros en 2006. A qui revient cette rondelette somme ? A ceux qui ont prêté, c’est-à-dire aux détenteurs de bons du Trésor français, des banques commerciales et d’affaires dont les clients sont des épargnants déjà bien lotis. Ce sont, depuis le début des années 1980, près de 1300 milliards d’euros d’intérêts qui ont été ainsi transférés des recettes de l’Etat, c’est-à-dire des impôts directs et indirects, vers ces banques privées. A l’heure de la crise financière, on a perdu la mesure des chiffres, mais 1300 milliards d’euros injectés dans l’économie française par le biais de la dépense publique, si l’on calcule ce que cela représente en termes de crèches, d’hôpitaux, d’emplois, de modes de transports et d’habitations écolos, de production agricole respectueuse de la nature, de MJC et de postes pour les magistrats, ce n’est pas négligeable…
Là où les deux auteurs commencent à vraiment nous intriguer, c’est avec leur calcul de ce que serait la dette de l’Etat aujourd’hui si l’on avait remboursé simplement la somme empruntée, sans les intérêts. Attention, premier choc, accrochez-vous bien : la dette serait… nulle. Les dépenses égales aux recettes. L’Etat, tant décrié pour ses dépenses outrancières, s’il n’avait pas eu à reverser tous ces intérêts, sur les trente dernières années[3], aurait un budget à l’équilibre. On est loin, très loin de l’idée de « faillite » énoncée par François Fillon et tant d’autres[4].
Mais, me direz-vous, nous n’avions pas le choix. Si l’Etat a décidé de dépenser plus que ses recettes – à moins d’augmenter les impôts – il était bien obligé d’emprunter à ces banques commerciales. C’est là où vous risquez – vous et ceux que vous tenterez de convaincre par la suite – de subir un refus de l’information, de voir des personnes nier tellement cela paraît stupéfiant (mais ne vous inquiétez pas, ça m’a fait pareil au début) : je pense que c’est une réaction psychologique naturelle ! Ce système d’emprunt à des banques privées est illégitime et n’a objectivement aucune raison d’être. Il est le fait d’une loi votée en 1973[5], complétée depuis par d’autres textes, nationaux et européens : elle stipule que les banques centrales, reflet de la puissance publique, n’ont plus le droit de créer de la monnaie pour la prêter à l’Etat. Ce rôle fondamental a été donc dévolu aux banques commerciales.
Mais, me rétorquerez-vous, les banques centrales sont pourtant bien des « instituts d’émission ». Oui, cela signifie qu’elles fabriquent des pièces et des billets[6], mais la quasi-totalité de la création monétaire est aujourd’hui dématérialisée : c’est une histoire de chiffres qui s’affichent sur l’écran d’un ordinateur (s’il y a 10000 euros sur votre compte, cela ne signifie nullement que la même somme se trouve en pièces et en billets dans le coffre-fort de la banque). Ce droit d’accorder un crédit par une simple ligne d’écriture - à l’Etat, aux entreprises et aux ménages – est le privilège des banques commerciales. Les banques centrales sont censées être de simples « gendarmes » surveillant les agissements des banques commerciales (je perçois d’ici votre sourire moqueur), et ont donc perdu ce droit de faire tourner la planche à billets, autrement dit de créer de la monnaie. C’est fou, mais aujourd’hui, la quasi-totalité de l’argent en circulation a été créée par les banques commerciales, sous forme de crédit[7].
La grande différence est que si l’Etat empruntait aux banques centrales, il ne serait pas obligé de rembourser les intérêts, et cela ferait autant d’argent en plus pour la sphère publique et la société (1300 milliards, rappelez-vous). C’est ce mécanisme d’avant 1973 auquel il faudrait revenir, et cela est juste une question de volonté politique, insistent nos deux auteurs.
Il faut savoir que lorsque vous tenterez de convaincre vos ennemis politiques et même vos amis, surtout s’ils sont banquiers, de l’iniquité du mécanisme de création monétaire actuel, ils vous répondront : « Et l’inflation galopante, alors ? Si l’on fait tourner la planche à billets, la monnaie perdra toute sa valeur ! » Ils vous rappelleront même peut-être cette photo, vue dans leur livre d’histoire de seconde, d’un gamin tenant un cerf-volant fait de billets de banques en marks dans l’Allemagne des années 1920. Ils auront raison, car si vous créez de la monnaie sans qu’il y ait une contrepartie de travail, de production, d’investissements, la monnaie perd logiquement de sa valeur, puisqu’elle ne correspond à aucune richesse réelle. Mais ils auront tort, car l’équation « planche à billets = inflation systématique » est fausse. Créer de la monnaie et accroître ainsi les moyens financiers de la puissance publique, si cela est bien encadré, si cela permet d’orienter et de lancer l’activité, cela ne fait pas perdre de valeur à la monnaie, puisque cette même valeur n’est que la contrepartie de la richesse créée. Dans ce cas, l’argent est un déclencheur, un simple outil : il est l’huile qui permet aux rouages de bien fonctionner[8].
Redonner cette prérogative de la création monétaire à la puissance publique, plutôt que de dépendre du bon-vouloir d’entreprises commerciales privées qui font du profit en nous vendant leur argent, cela pourrait être un formidable instrument pour passer à une économie et une production écolos par exemple, ou encore résoudre tous les problèmes de sous-effectifs dans la santé, la justice, l’éducation. Une image résume bien l’enjeu : la monnaie est pour la société comme le sang pour le corps, il transporte l’oxygène qui permet de faire fonctionner l’ensemble, il faut qu’il soit bien réparti et fluide, ni trop abondant ni trop raréfié. Aujourd’hui, le peuple soi-disant souverain doit acheter son propre sang, sa monnaie, auprès des banques commerciales, et ce, à un prix exorbitant. D’où sa raréfaction.
Je pense que toutes les forces politiques qui veulent tourner la page du néolibéralisme financier devraient travailler et assimiler ces thèses. Cette privatisation du crédit et de la création monétaire est une des raisons qui explique le déséquilibre dans la répartition de l’argent mondial : sous-monétisation d’un côté (des milliards d’humains vivant dans le dénuement), surmonétisation de l’autre (une petite minorité de superriches). Pour reprendre une image du livre, c’est un peu comme dans un système naturel, la désertification d’un côté, l’inondation de l’autre.
Je n’ai donné ici qu’un résumé très incomplet de l’ouvrage, mais sachez que ça vaut vraiment la peine de s’y plonger : nos deux auteurs sont allés très loin dans leurs analyses et propositions, et ont pensé à tous les scénarios : Comment sortir du système de ce mécanisme en douceur ? Comment rembourser ces 1300 milliards ? Comment passer outre les contraintes européennes (car l’euro complique tout, bien entendu) ?
Il faut que la question du droit de création monétaire s’impose dans le débat public. Le discours sur la dette est actuellement vendu sur le thème moral du « poids insupportable légué à nos enfants ». Les forces politiques de changement doivent imposer une autre grille de lecture et reprendre la maîtrise du discours sur la dette, sur le fond comme sur la forme. C’est sûrement le bon moment, car les banques privées ont perdu leur crédibilité avec la crise. Et une large partie de la société est prête à accepter l’idée nouvelle qu’elle ne doit plus dépendre de ces banques pour son développement. Elle peut, et doit s’autofinancer !
[1] La Dette publique, une Affaire rentable. André-Jacques Holbecq, Philippe Derudder. Editions Yves Michel. Mai 2008. 12 euros.
[2] La dette publique est le total des déficits annuels. Elle a été évaluée pour le premier trimestre 2008 à 1 270,6 milliards d'euros, soit 65,3 % du PIB de la France.
[3] Plus précisément, le calcul des auteurs porte sur la période 1980-2006.
[4] De plus, parler de la dette sans parler de l’autre versant, tout ce que possède la France, son patrimoine, est un raisonnement tronqué. Pour faire un parallèle avec un particulier, ce n’est pas pareil d’être endetté parce que vous avez joué aux courses alors que n’avez aucun patrimoine, et de s’endetter pour construire une maison alors que vous êtes déjà propriétaire d’un appartement.
[5] Loi du 3 janvier 1973, Valery Giscard d’Estaing était alors ministre des Finances. Le traité de Maastricht et le traité de Lisbonne actuel, inspiré du TCE, rédigé sous l’égide du même VGE, vont dans le même sens.
[6] C’est la différence entre la monnaie fiduciaire (billets et pièces) et la monnaie scripturale (dépôts à vue et négociables titres d’OPCVM, etc…)
[7] L’argent vient du crédit, ce n’est pas le dépôt qui fait crée le crédit, mais bien le crédit qui fait le dépôt. La quasi-totalité de la monnaie mondiale vient de la dette émise par les banques commerciales. Pour la rembourser avec les intérêts, il faut émettre encore plus de crédit : la spirale de l’endettement est donc infinie. La logique est un peu difficile à comprendre mais elle est fondamentale.
[8] Sur la question de l’inflation, nos deux auteurs montrent d’ailleurs les contradictions de la Banque centrale européenne, qui a laissé filer l’augmentation de la masse monétaire pour les produits financiers. Des produits qui ne créent rien, aucune richesse, juste du pouvoir d’achat pour les plus nantis. C’est une des causes du transfert des revenus du travail vers le capital opéré ces trente dernières années.
Fabien Lacaze
Pour commencer un texte de Jacques Sapir sur la crise au format PDF.
Deuxième document, une vidéo à voir d'une conférence de Bernard Teper intitulée : « Crise du capitalisme : régulation ou transformation ? »
ReSPUBLICA
Martine Aubry vient de voter et signer au nom du Parti socialiste français le Manifeste pour les élections européennes adopté par le PSE à Madrid. Ce manifeste déclare : « l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne rendrait l’Europe mieux à même de relever les défis communs de façon démocratique, transparente et efficace.'' »
Alors que l'Union européenne est aujourd'hui une construction anti-démocratique (elle s'oppose aux décisions démocratiques des peuples), anti-transparente (ce sont les lobbies qui influencent les nominations du personnel politique de la Commission et non les citoyens par l'élection) et anti-efficace (le traité de Lisbonne empêche une réponse européenne contre le libre-échange), voilà un manifeste qui semble ne pas gêner beaucoup de monde au PS.
Alors posons-nous la question : ou les camarades socialistes ne l'ont pas encore lu, ou ils sont pris par la méthode Coué sur la ligne de gauche issue du dernier congrès de leur parti. Le problème est que cet écart discours pratique risque de les entrainer vers un néo-molletisme. Cela nous rappellera la période du tournant néolibéral du PS en 1983 et de l'abandon d'une partie des couches populaires par le gouvernement Jospin.
Jérôme Manouchian
Le Collectif national pour les droits des femmes a organisé, le 22 novembre 2008, dans les locaux de l’Assemblée nationale, un débat autour de sa proposition d’une loi-cadre relative à la lutte contre les violences des hommes à l’encontre des femmes. Cette proposition de loi est conforme à l’esprit des résolutions des Nations unies, et s’inspire fortement de la belle conquête des féministes espagnoles, la « loi intégrale contre la violence de genre », votée à l’unanimité par le Parlement espagnol, en 2004.
L’initiative de ce Collectif vise plus concrètement à compléter, et surtout à donner plus de cohérence à la législation actuelle de lutte contre ce fléau. Il s’agit également de bien montrer que cette future loi s’inscrit au cœur même du combat féministe contre les rapports séculaires de domination des femmes par les hommes.
Une délégation de ce Collectif, accompagnée des députées, Marie-Georges Buffet (PCF) et Martine Billard (Vert) a, le 25 novembre dernier (journée mondiale contre la violence faite aux femmes), remis au président de l’Assemblée nationale les 15 653 signatures de sa pétition demandant à inscrire cette proposition de loi-cadre à l’ordre du jour des élus de la nation. Cette dernière a en effet été déposée au Sénat le 4 décembre 2007 par le Groupe communiste républicain et citoyen, et à l’Assemblée nationale le 20 décembre suivant par le Groupe de la gauche démocratique et républicaine.
Le président de l’Assemblée nationale s’est engagé devant elle à mettre en place, début décembre 2008, une mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes et à veiller personnellement aux suites qui seront données par les pouvoirs publics aux recommandations formulées à partir de cette mission.
Les dispositions phares de cette loi-cadre consistent d’abord à nommer une réalité intolérable par la création d’un délit spécifique désignant et châtiant les violences des hommes à l’égard des femmes. Cette violence, qui tue en France une femme tous les deux jours et demi, n’est pas une « violence ordinaire », comme le renversement d’un passant par un chauffard. Tout comme le racisme n’est pas une violence « ordinaire ». Ce délit spécifique doit aussi être jugé par l’institution d’un tribunal spécifique, jouissant d’une double compétence, pénale et civile, afin de rendre plus efficace l’action de la justice dans ce domaine. Soit selon le même principe que le tribunal pour enfants, qui est lui aussi une juridiction spécifique.
Il s’agit également de promulguer une ordonnance de protection immédiate de la victime. Cette ordonnance devant lui apporter une aide multiforme face aux nombreux problèmes auxquels celle-ci se trouve brusquement confrontée : qu’ils soient social, financier, sanitaire, affectif, judiciaire, en rapport au sentiment de peur (voire de terreur, suscité chez elle par les menaces de mort du conjoint ou de l’ex-conjoint), ou d’audition immédiate du coupable, de lui interdire de s’approcher de la victime, etc.
Les femmes immigrées, victimes de violences, doivent pouvoir bénéficier d’un premier titre de séjour ou de son renouvellement, car leurs bourreaux leur font le chantage à la carte de séjour pour leur faire subir des supplices. Cette future législation vise également à combattre cette autre forme de violence que sont les mariages forcés.
Elle comporte également un volet « prévention ». Il s’agit d’exercer une action plus en amont sur les causes de cette violence : en sensibilisant l’opinion publique sur les conséquences, parfois tragiques, du machisme ambiant et de l’horreur subie par des milliers de femmes en France ; en formant sur ces questions des policiers, magistrats et enseignants ; en prodiguant un enseignement et une éducation non sexiste, en interdisant la publicité et autres supports audio-visuels véhiculant des messages sexistes, pornographiques ou pratiquant ou encourageant la prostitution et le proxénétisme.
Elle réclame également la mise en place d’un Secrétariat d’État contre la violence faites aux femmes et d’un Observatoire de même genre, d’une unité de police spécialisée dans la prévention, la répression et le contrôle de l’application des décisions judiciaires ayant trait aux violences faites aux femmes...
Rappelons enfin que les 350 participantes à la rencontre du 22 novembre n’ont pas manqué de déplorer vivement la minute de silence observée par les députés en hommage à leur collègue de l’U.M.P, Jean-Marie Demange, 65 ans, élu de Thionville, alors qu’ils n’ont rien fait pour la victime de celui-ci, en l’occurrence sa maîtresse, Mme Karine Albert, 43 ans, mère de deux enfants, qu’il avait tuée quelques instants auparavant, parce qu’elle voulait le quitter. Le président de cette Assemblée a cependant décidé d’annuler le second hommage qui devait être rendu au même député, après la lettre[1] qu’il a reçu de la part de Mme Martine Billard, du Groupe de la gauche démocratique et républicaine où elle s’est dite : « profondément choquée » par un tel hommage.
[1] J’aurais voulu donner de plus larges extraits de cette lettre, si madame Billard avait répondu à mon courriel à ce sujet.
Hakim Arabdiou
Les hasards du calendrier sont aussi insondables que les voies du Seigneur!
Le procès en diffamation intenté par l’Opus Dei à Catherine Fradier, auteure du roman CAMINO 999, et Jean-Jacques Reboux, directeur des éditions Après la Lune, a été jugé devant la 11e Chambre B de la Cour d’appel de Paris, le jeudi 4 décembre 2008 à 13h30, c’est-à-dire deux jours après la proclamation de MM. Sarkozy, Fillon et Copé, affirmant, à la suite de la scandaleuse arrestation du journaliste de Libération Vittorio de Filippis, qu’il est grand temps de dépénaliser le délit de diffamation…
Par un second signe du destin, tout aussi insondable, cette déclaration solennelle intervient alors que le CODEDO (Collectif pour une dépénalisation du délit d’outrage), co-fondé par Jean-Jacques Reboux (l’une des 2 personnes poursuivies par l’Opus Dei…), n’ayant reçu aucune réponse aux propositions faites à Mme la garde des Sceaux, s’apprête à lancer une grande pétition demandant la dépénalisation du délit d’outrage (projet de loi à l’étude) et l’abrogation du délit d’offense au président de la République (projet de loi déposé au Sénat par Jean-Luc Mélenchon).
S’il est permis de penser que les déclarations de MM Sarkozy, Fillon et Copé obéissent à des réflexes "gesticulatoires", et à la propension du chef de l’Etat de surfer sur l’émotion de l’actualité (en l’occurence celle provoquée par le comportement outrancier d’un juge et la déontologie à géométrie variable des policiers, qui commence à insupporter la population), le CODEDO et les éditions Après la Lune ont décidé de s’engouffrer dans la brèche généreusement ouverte par le Pouvoir. Nous pensons, en effet, que la dépénalisation du délit de diffamation, si elle devait être discutée devant le Parlement, ne saurait l’être sans que soient portées à l’ordre du jour, dans le même débat, la dépénalisation du délit d’outrage, ainsi que l’abrogation du délit d’offense au président de la République.
Chiche, M. le président?
La pétition en question sera bientôt en ligne sur le site de la Ligue des droits de l’homme.
Pour en savoir plus, le site du CODEDO.
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Jean-Jacques Reboux Après la Lune
Le MRAP 40 se félicite de la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a débouté deux jeunes françaises qui se plaignaient d’avoir été exclues de leur établissement scolaire au motif qu’elles avaient porté le foulard pendant un cours de sport.
Cela met fin à un sujet de polémique qui contribuait à stigmatiser les musulmans assimilés aux minorités pro-voile et portait atteinte à la laïcité de l’école.
Seule une minorité activiste islamique entend imposer ce signe religieux à l’école assistée en cela par une mouvance tiers-mondiste de gauche pro-voile.
La cour précise que la loi avait pour finalité : voir journal le Monde du 04/12/2008 : "de préserver les impératifs de laïcité dans l’espace scolaire". "En France, comme en Turquie ou en Suisse, la laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République, auquel l’ensemble de la population adhère et dont la défense paraît primordiale, notamment à l’école", ajoute la Cour. La juridiction du Conseil de l’Europe rappelle sa jurisprudence notamment établie dans deux arrêts, l’un de 2004, l’autre de 2005. Cette année là, saisie par une jeune musulmane turque exclue de la faculté de médecine d’Istanbul, la Cour avait reconnu le droit de la Turquie d’interdire le port du voile à l’université.
Cette décision est conforme tant à la laïcité qu’à la réalité de la société française.
En effet l’écrasante majorité des musulmans de France respectent la loi de la République qui interdit les signes religieux à l’école, seule une infime minorité refuse de se soumettre.
La fédération des Landes se félicite que le président du MRAP se prononce enfin explicitement contre le voile à l’école, sachant qu’il fut sur les plateaux télévisés l’assistant des Sœurs Levy qui entendaient imposer le voile dans leurs salles de classe. (Sœur Lévy qui dans un ouvrage ultérieur justifiaient le recours à la lapidation).
Cette déclaration de principe du président du MRAP national s’accompagne malheureusement d’une pratique qui va à l’encontre de ce refus.
En effet Mouloud Aounit se prononce contre le voile à l’école, alors que la direction nationale du mouvement qu’il préside confie, dans le cadre de son secteur éducation, la réflexion sur l’identité exclusivement à des "indigènes de la république" ou "militantes islamiques" qui militent activement pour le voile à l’école.
C’est là un grand écart que ne pratique pas la fédération des Landes.
Mouloud Aounit ajoute « même si je suis contre le port du voile à l’école, il faut tout de même envisager toutes les possibilités et les voies de dialogue possibles avant d’en arriver à l’exclusion »
C’est exactement ce que font les enseignants et les chefs d’établissements qui par le dialogue entendent amener les élèves concernées à se soumettre à la loi.
C’est en cas d’échec du dialogue et du refus de la règle commune que les élèves font l’objet d’exclusions fort heureusement très marginales.
Dans une époque où les groupes fascistes et nazis profanent la mémoire des musulmans qui reposent dans les cimetières, il existe des combats autrement plus fondamentaux que les préoccupations des secteurs islamiques pro-voile.
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Le MRAP Des Landes
COMMUNIQUE de PRESSE de l’Association des Libres penseurs de France
Pour clore en beauté sa présidence de l’Union Européenne, et conformément au traité de Lisbonne qui dispose qu’un dialogue institutionnalisé doit s’établir entre les Eglises et les instances européennes, Nicolas Sarkozy a enjoint à ses ministres des Affaires Etrangères et de l’Intérieur d’organiser, le 17 décembre 2008 à Paris, un colloque intitulé « Religions et puissance publique dans l’Union Européenne ». A ce colloque participeront les représentants des 27 Etats de l’Union flanqués chacun des délégués des religions (prêtres, popes, pasteurs, rabbins et imams).
Quelle légitimité des personnages non élus, auto-désignés ou désignés par leurs seuls coreligionnaires, ont-ils pour intervenir dans une instance où s’élaborent des directives s’appliquant à tous, croyants et incroyants ?
L’an dernier, avec l’ensemble des démocrates, les Libres Penseurs de l’Association Des Libres Penseurs de France (ADLPF) avaient dû se mobiliser contre des propos inadmissibles dans la bouche d’un président d’une république laïque prononcés par Sarkozy notamment à Rome et à Ryad. Ces propos écartaient de la communauté nationale ceux des citoyens qui se réclament d’une morale purement laïque et qui récusent la nécessité d’un « dieu » pour diriger leur vie.
Avec ce colloque, le président de la République laïque française ne se contente plus de paroles. Bafouant la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, il passe aujourd’hui aux actes. Après sa visite au Dalaï Lama et après la venue en France du pape à qui il a défini sa conception d’une « laïcité positive », il fait désormais « appel aux hommes d’église pour participer au débat public » (1) car « pour fondamentale qu’elle soit, la question sociale n’est pas aussi consubstantielle à l’existence de l’humain que la question spirituelle »[1].
Les Libres Penseurs de l’Association Des Libres Penseurs de France (ADLPF), membre de l’Union Mondiale des Libres Penseurs, expriment leur totale réprobation de cette initiative. Avec l’ensemble des laïques et leurs organisations, ils s’opposent à la communautarisation des institutions de la République française et de l’Union Européenne.
Rappelant que seule la laïcité garantit le respect de la liberté de conscience et permet le vivre ensemble au sein d’institutions démocratiques, en France et en Europe, ils luttent pour que la laïcité ne soit plus une exception française, mais qu’au contraire les Etats soient tous séparés des Eglises.
[1] citations extraites de l’ouvrage de Nicolas Sarkozy La République, les religions, l’espérance (Cerf, 2004).
L'ADLPF Association des Libres penseurs de France
Le Mouvement pour la paix et contre le terrorisme, présidé par Madame Huguette Chomski Magnis, cheville ouvrière de l’Alliance internationale contre le terrorisme, a organisé, le 23 novembre 2008, à Paris, à l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, une Conférence internationale, sous le thème : « le terrorisme contre les droits humains universels. »
Les participants à cette conférence entendent par terrorisme les actes violents visant intentionnellement des civils. Et par terroriste, non seulement celui qui exécute un tel acte, mais aussi celui qui les commandite, les organise, les encourage ou les finance. Bien évidemment, le déni de terrorisme ou sa justification font partie de l’entreprise terroriste elle-même, car c’est une façon de concourir à sa réalisation ou d’absoudre son auteur d’un tel crime.
Ils ont également été unanimes à considérer que par les horreurs qu’il produit, le terrorisme constitue une violation majeure des droits humains, notamment les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de 1948, qui stipulent respectivement que « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne », et que « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »
C’est pourquoi, un État qui, sous prétexte de combattre le terrorisme ou un autre État, assassine des civils, doit s’attendre à voir la communauté internationale qualifier de tels actes de « terroristes » ou « d’État terroriste », de même qu’une organisation qui dit lutter pour libérer son pays et qui assassine femmes et enfants, sous prétexte que son ennemi fait de même avec sa population, ne doit pas non plus s’étonner de voir la même communauté internationale considérer de tels actes, non pas comme une « … résistance à l’oppression », conformément à l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais comme « acte » ou « organisation terroriste » ; a fortiori d’ « organisations islamofascistes » telles que Al-Qaïda, les Talibans ou le Front islamique du salut (FIS) algérien et ses bandes armées.
Ces participants estiment, par conséquent, que le jugement des terroristes doit entrer dans le champ de compétence de la Cour pénale internationale ; et que celui des États relèverait de la Cour internationale de justice.
Ils appellent aussi les hommes et les femmes du monde entier, par-delà leurs différences politiques, philosophiques, religieuses et autres, à unir leur combat contre l’hydre terroriste, car il constitue l’un des principaux dangers pour la sécurité des individus et des peuples.
C’est pourquoi les ONG ne doivent pas bafouer les droits de l’Homme, en essayant de justifier les actes des organisations terroristes ou en leur servant de tribunes. Ce souci est d’autant plus justifié lorsqu’on sait, par exemple, qu’Amnesty International qualifiait, dans ses rapports annuels, un parti terroriste comme le FIS, d’« organisation armée d’opposition » en Algérie, et qu’elle introduisait explicitement dans l’esprit du lecteur des doutes sur l’identité des terroristes, alors que ce sont eux-mêmes qui revendiquaient leurs propres forfaits.
Pour ce qui est des principes fondamentaux devant guider la lutte contre le terrorisme, les intéressés considèrent que le premier de ces principes est la condamnation inconditionnelle et universelle de tout acte de ce genre contre des civils quel que soit son auteur, quels que soient les victimes qu’il a faites et le pays où il a eu lieu, ainsi que la raison pour laquelle il a été commis.
Le second est de ne pas faire de différence entre les victimes, mais de leur témoigner une égale solidarité partout dans le monde, sans distinction de nationalité, de confessions, de sexe ou de convictions. Il s’agit aussi de soutenir leurs droits légitimes ou ceux de leurs ayants droit à de justes réparations matérielle, morale et judiciaire des préjudices qu’ils ont subis.
Le troisième est que les démocrates et les démocraties doivent combattre le terrorisme par les seules armes dont ils disposent : le droit et les principes démocratiques. Les abandonner, c’est abandonner la victoire aux terroristes. Il est donc inadmissible à leurs yeux que le régime états-unien, dans sa lutte contre le terrorisme, viole les droits de l’Homme, comme à Guantanamo – une enclave à Cuba – et dans la prison d’Abou Ghraïb en Irak. De plus, ces violations risquent de transformer les terroristes en victimes.
Hakim Arabdiou
Le film Entre les murs ne démontre rien. Il ne sert aucune thèse. Mais on ne saurait dire non plus que ses auteurs se sont contentés de faire un constat. Entre les murs n'est pas un film documentaire, il est bien une oeuvre de fiction. Le film déjoue par conséquent deux attentes. Dans ce qu'on présente désormais comme la querelle des « pédagogistes » et des « anti-pédagogistes » (supposée être une nouvelle version de l'éternelle querelle des anciens contre les modernes), Entre les murs ne prend pas parti. Chacun pourra donc le tirer dans le sens qui lui plaira. Mais ceux qui sont curieux de savoir ce qui se passe vraiment dans une salle de classe seront tout aussi déçus : ce film est bien une oeuvre scénarisée dans laquelle les acteurs jouent un rôle. Ni film engagé, ni documentaire, Entre les murs s'apparente plutôt à un dispositif cachemardesque. On en sort comme on se réveille d'un rêve particulièrement pénible, avec l'impression d'avoir vécu des évènements éprouvants mais aussi avec un sentiment de soulagement. En sortant du cinéma après plus de heures de projection, le spectateur respire.
Il est une situation caractéristique du cauchemar : le rêveur a l'intention d'accomplir une action, mais il en est constamment empêché. Ressort comique dans la scène des fâcheux, le motif de l'empêchement suscite chez le spectateur d'Entre les murs un profond malaise. Tout se passe comme si François, le jeune professeur de français qui enseigne dans le collège Françoise Dolto, était systématiquement détourné de son projet initial et obligé de différer sans cesse le moment où il est supposé faire ce pour quoi il est là : instruire les élèves.
Deux scènes sont particulièrement symptomatiques. Dans la première, le professeur veut faire comprendre aux élèves le sens de mot « succulent » : plutôt que d'en donner la définition et d'en faire l'analyse sémantique (ce qui serait sans doute trop simple), il écrit une phrase au tableau à partir de laquelle les élèves sont censés reconstituer le sens de l'adjectif. C'est alors qu'une élève prend le professeur à partie en lui demandant de s'expliquer sur le choix du nom « Bill », sujet de la phrase. On s'indigne, on s'invective, on évoque l'origine des noms et l'odeur du cheeseburger. Quant à la définition du mot « succulent », elle est tout simplement passée à la trappe. Un peu plus tard dans le film, le professeur cherche à expliquer la règle du subjonctif imparfait. A ce sujet, les élèves ont beaucoup de choses à dire : ils savent, eux, que ce n'est pas comme cela qu'on parle dans la vraie vie, que seuls les homosexuels s'expriment ainsi et qu'apprendre tout cela ne sert pas à grand chose.
Dans ces deux scènes, la structure est la même : les élèves font diversion en attirant l'attention du professeur sur une question parfaitement secondaire et contingente. L'objet de l'instruction se transforme alors en objet de débat. Très vite, le professeur perd la classe : il est incapable de produire la parole pleine -celle qui, par exemple, viendrait délivrer un savoir- et d'interrompre ainsi la logorrhée ambiante. Le dernier mot revient toujours à l'opinion, voire au préjugé.
Dans ce monde cauchemardesque, on en revient par conséquent toujours au même point. La structure qui domine est celle de la répétition. La fin du cours coïncide avec son point de départ : les élèves n'ont renoncé à aucune opinion, ils n'ont été délivrés d'aucune ignorance. Il n'est pas étonnant que pour certains d'entre eux, la fin de l'année scolaire coïncide strictement avec le début : ils n'ont tout bonnement rien appris. Pire : non seulement le professeur ne peut rien expliquer, mais il est sommé de s'expliquer. Car il faut bien l'avouer : ces collégiens ressemblent davantage à des khmers rouges qu'à des élèves. Quand ils ne demandent pas au professeur de faire son auto-critique, ils l'enjoignent de rendre compte publiquement de ses choix sexuels. Le spectateur est face à un monde obscène et féroce dans lequel il est devenu impossible d'instruire les élèves et où il s'agit de rééduquer ceux qui sont supposés instruire.
L'école de la diversion supplante l'école du détour. Il n'y a pas d'instruction sans un détour[1] par l'étranger. Par la confrontation aux savoirs qui opèrent en fonction de leur propre nécessité et qui doivent, pour être compris, cesser d'apparaître comme évidents. Par la confrontation aux oeuvres qui sont produites par des pensées singulières. Le seul moment où la classe est vraiment silencieuse, c'est lorsqu'une élève lit un extrait du Journal d'Anne Franck. C'est aussi le seul moment où le professeur fait aux élèves le luxe d'un détour sinon par la littérature, du moins par l'histoire. Mais la lecture du journal d'Anne Franck n'a d'autre finalité que d'inciter les élèves à faire leur auto-portrait. Outre que cette ingérence dans l'intimité des élèves est au fond tout aussi féroce que celle des élèves dans l'intimité de la vie sexuelle de François, elle les reconduit à ce qu'ils ne sont que trop. Il ne s'agissait que d'instrumentaliser une oeuvre et de tendre aux élèves un miroir. Qu'aucun élève ne se divise, qu'aucun élève ne se décentre, que personne n'oublie son Moi. Telle semble être l'affligeante devise de cette « école » qui en nie le concept puisqu'elle n'instruit pas. C'est finalement Esméralda qui infligera au professeur la leçon que son collègue d'histoire, qui s'étonnait pourtant qu'on ne lise plus en quatrième les contes de Voltaire, n'avait osé lui infliger : si elle n'a rien retenu de son année de quatrième, elle aura au moins découvert grâce à sa soeur étudiante en droit un livre dépaysant, à savoir la République de Platon.
Devant cet affligeant spectacle, on est pris d'un sentiment de nausée : d'une espèce de mal de mer, d'abord, devant ce professeur incapable de gouverner sa classe, qui est semblable au bateau ivre balloté par les flots ; d'une espèce de dégoût, aussi, devant ces enseignants que l'on traite comme des chiens, qui ont perdu toute estime d'eux-mêmes, qui finissent par parler comme ces « jeunes » et qui ont renoncé à instruire.
Mais le sentiment de nausée finit par faire place à un sentiment d'horreur. Ce qu'il y a d'horrible, c'est que, de cette « école », on ne sort jamais. Aussi l'école d'Entre les murs n'est-elle pas une école à proprement parler : elle est un espace qui prend toute le monde au piège.
On dénonçait jadis l'école comme un lieu d'enfermement. Mais le collège Françoise Dolto n'est pas une caserne, il est pire que cela : il est un lieu indiscernable de la vie, du monde réel. Le monde du collège n'est pas une prison : c'est un espace sans extériorité.
Entre les murs nous fait comprendre a contrario quelle est la condition minimale pour que l'école soit possible. L'école ne peut exister sans une dualité topique. Elle doit être constituée comme un espace soustrait de la réalité, de la société, de la vie. Loin d'être mortifère, cette soustraction rend l'instruction possible : une parole va pouvoir se détacher du bruit ; l'ordre des savoirs va pouvoir succéder au désordre des opinions ; la raison va pouvoir conjurer la violence des passions. Mais cette soustraction est aussi la seule garantie possible contre la férocité de la psychologie : la relation entre le professeur et les élèves n'est pas une relation duelle et affective. C'est une relation qui est symbolique et médiatisée par les savoirs, ce qui suppose que chacun ignore les particularismes de l'autre. Cette soustraction rend, enfin, l'extériorité possible : il y a un moment où l'école est finie, où l'on sort des murs pour retrouver la « vraie vie ».
Alain souligne que cette dualité topique n'existe qui si l'école s'autorise de la fiction. Les élèves ne doivent pas s'y comporter comme ils se comportent ailleurs. On peut s'autoriser une « pensée de jeu, qui choisit et limite ses problèmes ». L'erreur y trouve sa place, et elle compte pour rien .
Le monde d'Entre les murs ne garantit plus cette dualité topique qui ne peut exister sans la présence d'un Tiers, d'une institution forte. L'institution, dans le film de Laurent Cantet, n'est plus assez forte pour protéger l'espace scolaire. Du coup, l'école et la réalité finissent par devenir indiscernables. Les collégiens s'y comportent comme ils se comportent dans leur quartier. Les règles ne sont pas appliquées sous prétexte que la sanction pourrait avoir des conséquences réelles sur la vie de l'adolescent dont chacun reconnaît pourtant la gravité du comportement. Il ne s'agit pas de se conformer à des règles de politesse mais d'être vraiment sincère. Au lieu d'imposer aux élèves des exercices scolaires, on leur adresse une demande d'authenticité.
En sortant de la projection d'Entre les murs, on songe moins à Zéro de conduite de Jean Vigo qu'à l'Antre de la folie de John Carpenter. John Trent devient fou lorsqu'il comprend que ce qu'il vit, c'est le roman de Sutter Cane. La coupure entre fiction et réalité étant abolie, il n'existe plus aucun espace (aucune antre) dans lequel il pourrait se réfugier pour se protéger de la réalité, sinon la folie. Le film de John Carpenter comprend un moment de pure horreur lorsque l'on voit John Trent, qui veut fuir la ville où réside Sutter Cane, revenir toujours au même point. L'horreur, c'est peut-être précisément cela : ne pas pouvoir en sortir, être prisonnier d'un monde qui est sans extériorité. Pendant la séance d'Entre les murs, j'ai entendu un jeune spectateur qui était assis non loin de moi murmurer à plusieurs reprises : « mais pourquoi il ne le sort pas, cet abruti ? ». Il est vrai que l'on peut s'étonner de l'endurance de François. Mais il est vrai aussi que le système qui est montré est fait de telle sorte qu'aucun élève n'est jamais exclu. C'est d'ailleurs ce que François dit à une élève qui s'inquiète de ce que Souleymane va devenir : même s'il est exclu, il sera réintégré dans un autre collège. Décidément, on n'en sort jamais. Et personne ne s'en sort.
[1] Sur ce point, voir l'analyse que C. Kintzler fait de la question des humanités dans son ouvrage Qu'est-ce que la laïcité? Paris, Vrin, 2008 (deuxième édition)
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Marie Perret
membre du Secrétariat National de l'UFAL
et responsable de son secteur école
L’accès à l’éducation est un droit à défendre à tout prix, partent de ce postulat tous ceux qui voient clair dans les assauts permanents des politiques néo-libérales, tous ceux qui se battent contre une marchandisation des savoirs et contre un nivellement par le bas du niveau des élèves.
L’Ecole ne peut ni ne doit participer de ces grandes pelletées dans le fossé entre riches et pauvres. Il semble que non seulement cette idée soit la clé de voûte des mouvements prenant de l’ampleur en Italie, en France, mais qu’en plus elle soit largement partagée à "l’autre bout du monde"... au Mexique.
En mai 2008, le gouvernement du président mexicain Felipe Calderón (considéré par de nombreux mexicains comme illégitime depuis une victoire du Parti d’Action Nationale très contestée) lançait un grand plan de réforme du système éducatif mexicain dont on imagine bien la teneur. l’Alliance pour la Qualité de l’Education (ACE) résulte d’un accord passé entre le gouvernement et celle qui lui sert de fusible depuis la naissance du mouvement, Elba Esteger Gordillo, patronne du syndicat des enseignants que certains surnomment “la Maestra”. Elle apparaît depuis trois mois, aux yeux des acteurs directs et indirects du système éducatif, comme l’incarnation de la trahison de la base du SNTE (Sindicato Nacional de Trabajadores de la Educacion) et par extension du peuple mexicain.
Un plan d’action nationale contre la ACE a été mis en place mis en place dans 18 États du Mexique rassemblant enseignants, parents d’élèves et étudiants qui, conscients des défaillances du système, ne sont pour autant pas dupes de ce que le gouvernement propose en échange.
Au delà de l’objectif officiel de l’ACE, qui est d’en finir avec le caractère "héréditaire" du recrutement des enseignants, d’opter pour la toute nouvelle sacro-sainte « transparence » se cache en filigrane la privatisation du système éducatif et l’augmentation des inégalités.
Les opposants à cette réforme ont à se battre contre tout un appareil gouvernemental armé d’un pseudo-dialogue social avec la dirigeante de la SNTE, de policiers anti-émeutes et même de tanks de l’armée envoyés, par exemple, à Cuernavaca il y a quelques semaines de cela. Les enseignants se voient poursuivis, selon l’article 145 du Code Pénal fédéral, du délit de "disolución social", cet article permet d’envoyer l’armée et de museler toute contestation sociale par la force, il a notamment fait beaucoup parlé de lui lors des "guerres sales" livrées sous la présidences de Gustavo Diaz Ortaz (1964-1970) et de Luis Echeverria (1970-1976), L’article 145 est aujourd’hui remis au goût du jour par Felipe Calderón.
Le 10 novembre dernier, dans l’Etat de Guerrero, près de 25000 enseignants ont investi les rues et bloqué les voies d’accès à la ville de Chipalcingo au sud de Mexico, une contestation massive qui prit naissance dans l’Etat de Morelos dès la rentrée 2008:
L’avocat de l’Assemblée des représentants des enseignants, Jorge Viveros, déclarait le 24 octobre 2008 lors d’une table ronde présidée par le philosophe Orozco Garibay:
« Le gouvernement du Président Calderon prétend imposer un modèle selon lequel l’enseignant serait rétribué à hauteur de 60 % de son salaire en fonction de la réussite des élèves aux examens. Il s’agit d’évaluations standardisées qui ne tiennent compte ni de la situation multiculturelle des différentes régions du Mexique, de la problématique sociale des élèves, ni de l’avis du professeur. Il y a tout simplement du mépris pour le droit salarial et celui des travailleurs. »
De même, il dénonce la précarisation de l’enseignement, en effet dans l’état de Morelos comme dans l’ensemble du pays, il existe des enseignants qui malgré 15 années d’ancienneté ne disposent pas d’un contrat solide et peuvent être licenciés sans aucune indemnité. l’ex secrétaire à l’Education Publique, Lorenzo Gómez Morín, a calculé que la moitié des postes attribués dans le cadre de l’Alliance ne l’ont pas été par voie de concours.
María de la Luz Arriaga, spécialiste de la politique éducative et enseignante, constate dans le journal El Proceso une détérioration toujours plus grande de la qualité de l’enseignement, encore accentuée par la ACE:
"L’Alliance prétend en finir avec la formation de la pensée critique, évincer toute velléité de réflexion. On cherche à contrôler et à créer des personnes dociles au service des entreprises transnationales. L’éducation ne consiste pas seulement à mémoriser mais aussi et surtout à acquérir une capacité à la vie-même. "
La seule réponse du gouvernement au mouvement, c’est la répression armée, des incarcérations arbitraires, de nombreux citoyens (enseignants mais aussi parents d’élèves et étudiants) ont été blessées lors des rassemblements et actions qui ont eu lieu dans plusieurs régions (Morelos, Quintana Roo, Guerrero, Veracruz, Puebla, Hidalgo, Coahuila et Basse Californie) dans l’indifférence éhontée des médias européens. Ces événements ravivent le goût amer de la sanglante répression contre les étudiants sur la Place de Tlatelolco en 1968, merveilleusement racontée par Paco Ignacio Taibo II dans son livre 68.
Si, selon l’adage, comparaison n’est pas raison, il n’en est pas moins vrai qu’il faudrait considérer la diminution du nombre de postes dans l’Education Nationale, la fin des concours nationaux et la privatisation du système éducatif comme autant d’éléments symptomatiques d’une crise de la démocratie, en Europe, au Mexique, comme en n’importe quelle autre région du monde. En effet, les politiques néo-libérales, se fondant en partie sur la diminution des dépenses sociales, ébranlent les démocraties dans leurs fondements même. Elles arrachent à l’école toute valeur républicaine, elles tendent à rendre impossible la formation de l’esprit critique des élèves et partant, de leur force citoyenne.
Il est difficilement contestable que l’Alliance s’inscrit en droite ligne du socle commun votée par l’OCDE, lorsque l’on sait que l’ACE reçut, en mai dernier, le soutien du secrétaire général de l’OCDE, José Angel Gurría, l’ACE fut également soutenue par Robert Zœllick, l’actuel directeur de la Banque Mondiale. Le sarcasme de ceux qui, faute d’arguments, parleront de « conspirationnisme », sera mouché par l’évident constat d’une politique globale.
Si nous nous tenons pour dit que le hasard fait bien les choses, on peut douter du caractère fortuit de cette casse globalisée, de cette mise à bas d’un système éducatif, certes discutable et qu’il convient de réformer, mais que sous-couvert de réforme on dépouille, ici comme ailleurs, de ses effets les plus égalitaires. Combien d’hommes et de femmes devront encore lutter pour que leurs enfants ne deviennent pas de la "chaire à finance", avant que les autres ne sortent enfin de leur aveuglement ou de leur résignation?
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Guillaume Gobbi
Veuillez ouvrir le document joint pour lire cette analyse. Compte tenu de la relative longueur du texte, voici un résumé de quelques points importants qui s’y trouvent développés. Mais nous vous recommandons vivement la lecture intégrale de cette analyse, d’autant que plusieurs voies de recours possibles y sont mentionnées, qui ne sont pas indiquées dans ce résumé. Tous les passages en gras sont nos mises-en-relief.
L’auteur situe le projet de décret sur les statuts dans le cadre de la politique, que le ministère déclare vouloir promouvoir, de revalorisation des carrières, et dans celui, décisif pour la compréhension de l’applicabilité et des conséquences de ce projet, de la loi LRU : "la logique qui prévaut est celle de l’individualisation de la carrière, liée à celle d’une excellence qu’il s’agit d’encourager et de récompenser".
Deux domaines principaux d’intervention et de modification par le projet de décret, auquel l’auteur ajoute l’analyse de la carrière telle qu’elle est "pensée" par le projet de décret.
Le projet de décret accorde aux autorités locales le pouvoir décisionnaire en matière d’évaluation et de modulation de service. Il semble concerner tous les universitaires quand la loi LRU n’accorde la compétence d’aménager les services qu’aux universités s’étant placées sous le régime de l’autonomie renforcée.
Il ne prévoit aucun recours pour l’universitaire, marquant " l’effritement du caractère "national" du service dû par l’universitaire et de son statut. "
"Il serait illusoire de croire que ceux qui font de "la recherche" (NB : notion que le projet de décret ne définit nulle part comme il est dit plus haut) au sens du projet de décret échapperont forcément à l’augmentation des services dès lors que "l’intérêt du service" pourra être allégué à tout moment par les responsables" (p. 8). L’intérêt du service sera en effet largement conditionné par l’absence de recrutement et le gel des postes.
L’auteur relève ainsi "l’énorme contradiction de la loi LRU qui semble donner davantage d’autonomie à l’Université alors que jamais la centralisation n’a été si forte en raison de l’importance croissante des contrats d’établissements par lesquels les Universités restent totalement dépendantes, financièrement en tout cas, du ministère."
Les conclusions sur ce premier point : "telle qu’elle est prévue par le projet de décret, l’organisation de la modulation des services est donc inacceptable". Elle marque une " méconnaissance assez stupéfiante de la réalité de l’Université ", elle " accroît considérablement le risque de l’arbitraire administratif ". Elle constitue un "fantastique recul pour le statut même de l’universitaire".
Ce second point commente notamment la "tâche colossale" dévolue au CNU d’évaluer l’enseignement des universitaires, sans une vraie décharge pour ses membres (sinon, de manière discriminante, pour les présidents de section).
Il note plus généralement la survalorisation des tâches administratives, qui ne sont pourtant pas inscrites dans la définition du métier, mais qui sont payées d’avancements de carrière privilégiés et qui seront, sauf au CNU, encore accentuées. "Curieux système où celui qui abandonne sa vocation initiale est récompensé tandis que celui qui y reste fidèle, et enseigne aux étudiants l’est moins." (p. 9)
Ce point souligne le " dessaisissement relatif de la compétence des instances nationales au profit des autorités de l’Université " (p. 9). Le CNU va perdre en effet la décision de l’avancement des carrières : "le système prévu par le décret méconnaît gravement le contexte de la réalisation de cette réforme qui est le clientélisme, malheureusement renforcé par la loi LRU et par les modalités d’élection des instances de décision." (p. 10)
Le recours, autorisé par le décret, aux professeurs étrangers non soumis aux obligations françaises de qualifications promeut la constitution d’une "armée de réserve".
Ainsi, "à part pour le recrutement, l’universitaire voit l’essentiel de sa carrière échapper à une gestion par l’Etat et risque de tomber sous la coupe des instances locales". Et l’auteur de conclure : " le recours au favoritisme est-il un programme admissible à l’aune du XXIe siècle ? " (p. 11)
Bilan Le nouveau statut sera "déséquilibré", l’universitaire étant pourvu d’"obligations qui ne relèvent pas vraiment de sa mission" (p. 12). Le projet de décret confond les "obligations des universitaires avec les obligations des Universités" (p. 12), parce qu’"on peut être universitaire sans administrer ni évaluer". Il existe en effet " une tension très forte entre le statut des fonctionnaires d’Etat et l’autonomie renforcée des Universités ". Les dispositions sur la modulation des services " prêtent juridiquement à contestation ". Le projet de décret constitue "une véritable révolution institutionnelle" (p. 15) qui contribue "à réaliser cette lente mise à mort de l’Université française parce qu’il aspire à transformer les universitaires en "employés de l’Université" et en "sujets" des "administrateurs professionnels" (p. 16).
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Olivier Beaud professeur de droit à Paris 2, QSF
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La rédaction
AVANT-PROPOS
Pour certains scientifiques - qui parlent avec admiration de ses séances de travaux dirigés - Henri Audier est enseignant de chimie. Pour d’autres, c’est un chercheur spécialisé en spectrométrie de masse (il paraît même qu’il y a un phénomène expérimental qualifié « d’effet Audier » !)
Pour la plupart d’entre nous, Henri Audier est un militant totalement investi dans le combat syndical pour la qualité de la recherche française et son rajeunissement. Il est membre du Syndicat National des Chercheurs scientifiques et de Sauvons la Recherche.
De ce fait, Henri Audier a pendant un certain temps été administrateur du CNRS. C’est sans doute là qu’il a appris à lire une annonce gouvernementale et qu’il a compris que les mots « budget sincère » n’avaient pas forcément le même sens pour tout le monde.
Depuis quelques années, Henri Audier passe un temps considérable à décrypter les budgets de la recherche de l’ensemble du monde. Le texte qui suit est une analyse de la place de la France dans la recherche mondiale.
Ce texte mélange deux aspects. Il est à la fois une approche rigoureuse menée à partir des chiffres disponibles, analysés dans leur spécificité et leur contexte (on verra ainsi par exemple que la France ne compte pas le temps de travail en recherche des enseignants-chercheurs de la même façon que les autres pays, ce qui conduit à des résultats faussés quant au « rapport qualité-prix » d’une publication - pour autant que cette notion ait un sens quelconque).
C’est aussi un pamphlet. Qui connaît Henri le sait particulièrement remonté par les annonces gouvernementales, depuis un certain nombre d’années. Il les prend pour un mensonge et est scandalisé. Comme beaucoup de chercheurs (autrement dit, membres de la communauté universitaire... pour ma part, je ne fais aucune différence entre techniciens, chercheurs, enseignants, thésards, etc.), il admet pouvoir être critiqué sur la qualité du travail ! Nous ne sommes que des humains... Il est par contre inadmissible qu’on croit que nous ne savons pas compter !
J’ai retravaillé ce texte en éliminant certains passages et en changeant pas mal de tournures. Non pas qu’il y ait un manque de rigueur, bien au contraire. Mais, à mon avis, la force du document passe avant tout dans l’analyse et la comparaison des chiffres, pas dans les digressions. Le coté polémique qui reste présent me plait bien. L’analyse des chiffres qui suit montre que Henri Audier a toutes les raisons pour être agacé par les budgets de la recherche et de l’enseignement supérieur. Et par les annonces qui en sont faites du coté du gouvernement et de certains journaux, proches du gouvernement.
La principale leçon que je tire de ce texte est l’évolution de la politique gouvernementale en quelques années. Voilà 20 ans, ce qui faisait polémique était l’idée que l’on pouvait donner de l’argent des impôts pour la recherche privée. On pouvait défendre l’idée en signalant que cet argent allait à la pensée et aux salaires des jeunes formés par la recherche.
Aujourd’hui, il est clair que l’argent pris à la recherche publique ne va même plus à la recherche privée. Il va aux administrateurs des entreprises, en fonction du chiffre d’affaires. Tout simplement. Il faudrait donc enlever le mot « recherche » du groupe de mots « crédit d’impôt recherche ». On peut en déduire que l’argent pour la recherche publique baisse de façon vertigineuse en France.
C’est un scandale, qui pose un très grave problème à la jeunesse de ce pays et de ce continent. Pour son histoire immédiate, pour son futur. Evidemment, ce texte, l’édition de ce texte, sa mise à la disposition des citoyens sont actes militants.
Jean-Marc Douillard Rédacteur en chef de la VRS
Suite à l'article La galère du pigiste, par Jacques LUCCHESI de nombreux lecteurs (journalistes souvent) ont réagi, nous vous en livrons une partie, puis une rponse de l'auteur.
LA rédaction
Bonjour,
il est fort dommage que vous ne laissiez pas un espace de commentaire pour vos lecteurs. Car l'article que je viens de lire sur "la galère du pigiste" recèle un certain nombre de grosses erreurs :
Je ne sais même pas quoi répondre sur cette soi-disant marginalisation... et l'énorme investissement affectif... LE portrait que vous tracez du journaliste pigiste est proprement hallucinant!
A.T.
Bonjour,
Vous souhaitez traiter du problème des journalistes pigistes, et en tant que journaliste pigiste, je ne peux que m'en féliciter. Néanmoins, l'une des règles primordiale, me semble-t-il, lorsque l'on écrit un article est de se renseigner un minimum et de recouper ses informations. Or, l'article écrit par Jacques LUCCHESI regorge d'âneries gigantesques et de clichés éculés. Parmi les erreurs les plus fondamentales, merci de bien vouloir corriger: un pigiste EST un journaliste salarié. Payé à la tâche, certes. Avec multiples employeurs, certes. Mais la pige régulière est par définition une forme de CDI. Nous nous battons suffisamment en tant que pigiste pour faire appliquer cette législation, que beaucoup d'employeurs essayent d'oublier. Merci de ne pas nous mettre de bâtons dans les roues en propageant de fausses informations.
Il y a effectivement beaucoup à dire sur les pigistes, leur statut et leur impact sur le paysage médiatique. Mais pour avoir une analyse fine de la situation, encore faudrait-il déjà ne pas faire d'erreurs grossières sur la législation, les tarifs en vigueur, etc. La prochaine fois, peut-être devriez-vous confier le prochain article à.... un pigiste?
Cordialement,
L. M.
Journaliste pigiste, et fière de l'être.
Bonjour,
J'ai lu avec beaucoup d'attention votre papier sur les pigistes, étant moi même pigiste depuis maintenant 20 ans. Beaucoup de vérités dans votre papier mais aussi quelques erreurs ou méconnaissances. Tout d'abord, le journaliste pigiste est salarié! Sauf qu'il est salarié en fonction du volume de papiers qu'il produit. Il m'arrive d'avoir une demi douzaine de feuilles de paye dans un mois. Ce que vous écrivez laisserait entendre que le journaliste pigiste a un statut d'indépendant, ce qui est totalement faux, et c'est précisément ce que sont en train de nous concocter les grands patrons de presse. Par ailleurs, d'après la loi Cressard, qui je vous l'accorde n'est pas respecté par tous les groupes de presse, le pigiste a les mêmes droits que n'importe quel journaliste intégré.
Par ailleurs, contrairement à ce que vous laissez entendre, le choix du statut de pigiste n'est pas réservé aux petits débutants qui n'ont effectivement pas souvent le choix. Pour ma part j'ai toujours refusé les propositions d'intégration qui m'ont été faites et même au poste de rédac chef! Le statut de pigiste me permet d'hiérarchiser mes choix et de vivre relativement bien. Nous sommes effectivement des journalistes de l'ombre - et c'est sans doute le plus frustrant, cette absence de reconnaissance - mais pas mal de titres nationaux n'existeraient même pas sans l'apport des pigistes.
Bien cordialement.
Ph.P.
Réponse de l'auteur de "la galère du pigiste"
J'ai tout d'abord été surpris par ces réactions négatives après lecture de mon article "la galère du pigiste". Comme si j'avais attaqué - ou offensé - la corporation des journalistes-pigistes (dont je suis) en montrant, sur la base de mon expérience personnelle, la fragilité de cette profession. Telle n'était pas, évidemment, mon intention, tout au contraire même. Il y a néanmoins suffisamment de litiges avec les employeurs ayant fait jurisprudence (on peut en lire certains sur le site du SNJ) pour corroborer la plupart de mes affirmations. Je constate qu'il y a également des élans d'indignation qui résultent d'une lecture trop hâtive: comme cette collègue qui ne comprend pas ce que je veux dire quand j'écris que "l'écriture n'est pas une activité professionnelle comme une autre et tend à marginaliser celui qui s'y adonne pleinement". Cela, je le maintiens contre vents et marées. Mais le principal point de désaccord porte sur la notion de salariat. Pour mes contradicteurs, le pigiste est un salarié comme un autre dans le journal qui l'emploie. A cela je me sens porté à répondre "non" pour plusieurs raisons:
De tout cela se déduit qu'il ne faut pas confondre trop vite ce qui devrait être, juridiquement parlant, avec ce qui est et se qui se fait encore actuellement. Je n'ai fait que montrer cet écart.
Jacques Lucchesi
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