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Le peuple en marche
par ReSPUBLICA
Nous sommes face aux événements qui secouent le monde arabe comme Emmanuel Kant face à la Révolution française. En voyant la jeunesse tunisienne défiler avenue Bourguiba pour défendre la laïcité, mais aussi les cairotes fêter, place Tahrir, la chute du régime de Moubarak, nous ne pouvons pas ne pas éprouver cette « sympathie d’inspiration qui frise l’enthousiasme » que Kant disait ressentir au spectacle de « la révolution d’un peuple plein d’esprit ». Le spectacle d’un peuple faisant démonstration de sa force est une chose rare. On ne saurait le confondre avec celui d’une foule en délire. Ce sont les affects qui cimente la foule. Elle est, comme l’a montré Freud, gouvernée par la psychologie. En cela, la foule est passive, quand bien même serait-elle remuante et agitée. Le peuple, lui, n’a pas de psychologie : il est actif, en marche, comme on le dit parfois et comme le représente. Delacroix dans le fameux tableau qui célèbre les Trois Glorieuses de 1830, La liberté guidant le peuple. Jeunes tunisiens défilant pour faire barrage à l’intégrisme religieux, Egyptiens occupant la place principale du Caire, manifestants battant le pavé pour défendre le régime des retraites, mais aussi flamands et wallons dénonçant d’une même voix l’incurie des gouvernants : un peuple en marche a quelque chose de sublime. Ce spectacle n’est pas seulement émouvant, il est aussi édifiant : il élève le spectateur, en le laissant entrapercevoir, l’espace d’un bref moment, le sujet de l’histoire. Il lui donne un supplément de force. N’en déplaise à tous ceux qui ont intérêt à maintenir les citoyens dans la passivité, il y a des moments où ceux-ci se souviennent que la force est de leur côté. C’est alors qu’ils descendent dans la rue et défilent en scandant des slogans. Car, à la différence de la horde de casseurs, le peuple a un non seulement un visage mais il a aussi une voix : il parle. N’empêche. La démocratie n’est pas réductible à un ensemble d’institutions, à un régime, autrement dit à une machinerie politique. Le 20 juin 1789 est un moment démocratique, et pourtant, la Constitution qui marquera la rupture avec l’Ancien Régime est encore loin d’être rédigée. Les grèves de 1936, qui échappèrent aux grandes organisations politiques, furent un moment démocratique. Mai 68 également. Rendons le mot démocratie à son étymologie : il y a démocratie lorsque le peuple sort de la passivité et devient actif1. En manifestant sa force, il fait acte d’autorité. La démocratie exige par conséquent davantage que des institutions. Elle requiert, de la part des citoyens, une certaine position grâce à laquelle ils se rendent actifs, à savoir la position critique. Emile Chartier, le dit en d’autres termes : instaurer la République en lieu et place de l’Ancien Régime ne suffit pas à se garantir contre le retour de « l’âme monarchique ». Dès lors que les individus se laissent aller à la passivité, dès lors qu’ils abandonnent le pouvoir aux gouvernants (parce qu’ils leur font une confiance aveugle, parce qu’ils deviennent indifférents à la chose politique, parce qu’ils ne sont pas suffisamment armés pour entrer dans le libre jeu des opinions), la démocratie n’existe plus que de nom. De là découle qu’il existe plusieurs façons de confisquer la démocratie. Brutalement, par un coup d’Etat : interdire la liberté d’expression et de grève, concentrer dans ses mains tous les pouvoirs, devenir président à vie alors qu’on n’a été élu que pour la durée d’un mandat, on reconnaitra là les façons de faire des dictateurs qui sont en ce moment contestés dans le monde arabe. Rien à voir, dira-t-on, avec ce qui se passe chez nous. Reste qu’on peut aussi confisquer la démocratie de façon douce et insidieuse : il suffit de condamner le peuple à la passivité. Inutile, pour cela, d’interdire la liberté d’expression : il suffit de ne laisser filtrer, dans l’espace médiatique, que ce qui est conforme au discours de l’idéologie dominante. Inutile d’interdire les grèves : il suffit d’instaurer un service minimum et de traiter par un mépris tout versaillais les voix qui s’élèvent aux portes du château. Inutile de concentrer dans ses mains tous les pouvoirs : il suffit de faire croire à tout le monde que ceux qui gouvernent n’ont aucun pouvoir puisque le capitalisme mondialisé est inéluctable. Inutile, enfin, de fomenter un putsch pour devenir président à vie : il suffit que les gouvernants qui se succèdent mettent en oeuvre des politiques qui puisent au même fond d’évidences et qui ne se distinguent que par des divisions imaginaires. Pierre Mendès-France a été particulièrement clairvoyant : il a été le premier à voir que l’Europe allait être l’instrument de cette confiscation douce. « Le projet du marché commun, tel qu’il nous est présenté, déclara-t-il à l’Assemblée nationale le 18 janvier 1957, est basé sur le libéralisme classique du XXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme “providentiel”, soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique, au sens le plus large du mot, nationale et internationale ». Alors, c’est avec enthousiasme mais aussi avec un peu d’envie que nous regardons le spectacle des cortèges de manifestants qui se mobilisent de l’autre côté de la Méditerranée. Malgré plusieurs tentatives, force est de constater que, depuis mai 68, le peuple français n’a pas réussi à en imposer aux gouvernants. Ce qui a manqué, ce n’est ni la lucidité ni le courage. C’est l’absence de débouché politique. Mais le peuple n’est pas pour autant à genoux. Il faut maintenant que la colère qui gronde se traduise dans les urnes. L’autre gauche, celle qui a refusé de servir de supplément d’âme à la mondialisation néolibérale, a, de ce point de vue, une responsabilité historique : celle de s’unir autour d’un programme cohérent, fondé sur les principes de la République laïque et sociale.
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Le vent de la contestation, pour le changement et la démocratie, souffle sur l’Algérie
par Hakim Arabdiou
Comme on s’y attendait, le pouvoir algérien, sourd et aveugle, mais aux abois, a répondu par la répression aux revendications d’une partie de l’opposition, organisée au sein d’une Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). Il s’agit du Rassemblement pour la Culture et la démocratie (social-démocrate), du Parti pour la laïcité et la démocratie (issu de la mouvance communiste du Parti de l’avant-garde socialiste), du Mouvement démocratique et social (issu de la même mouvance communiste) , du Parti socialiste des travailleurs (trotskiste), du Comité de citoyens pour la défense de la république (courant républicain, principalement issu ou en lien avec une partie du pouvoir), du PLG, de plusieurs syndicats autonomes, majoritairement ceux de l’enseignement, d’associations féministes, d’anciens ministres, de citoyens… Les manifestants ont été empêchés par la force de marcher le 22 janvier, ainsi que les 12 et 19 février derniers, à Alger, Oran, Constantine, Annaba, Bejaïa, Ghardaïa… Le pouvoir a mis à cet effet Alger et sa périphérie en quasi-état de siège, et fait procéder à des centaines d’interpellations, dont des dizaines de femmes et de féministes, de députés, dont certains furent sauvagement battus. Une répression, qui est très certainement loin de faire l’unanimité au sein des hautes sphères du pouvoir, qu’à ses échelons intermédiaires et de base. Cette répression a également provoqué une vive réaction des États-Unis d’Amérique, de l’Union européenne, de l’Allemagne et de la France (plutôt, prudente) qui l’ont condamné, et qui ont enjoint au pouvoir algérien de respecter le droit de manifester de ses citoyens. De leurs côtés, les Algériennes et les Algériens de Paris, Marseille, Grenoble, Nice, Toulouse, Bordeaux… Montréal ont, à l’appel de la CNCD-France ou d’associations d’Algériens, organisé des rassemblements ou des manifestations de soutien aux citoyens et aux démocrates en Algérie, qui luttent pour le changement et la démocratie. Recomposition en cours du rapport des forces au sein du pouvoirLa crainte du clan dominant au sein du pouvoir, en l’occurrence de Bouteflika, réside dans l’éventualité d’une double jonction entre l’opposition et le peuple, et entre ceux-ci et une fraction du pouvoir opposé à divers degrés et pour diverses raisons à son clan, fraction que celui-ci est loin d’avoir réussi à marginaliser. D’ores et déjà des voix, et non des moindres (généraux à la retraite, anciens ministres ou Premiers ministres, l’ancien secrétaire général du FLN…) commencent à interpeller publiquement le président Bouteflika et son clan, pour qu’il change de régime ou qu’il procède à plus d’ouverture politique. Les simples agents aussi bien que les plus hauts gradés ne manqueront pas de réfléchir à la basse besogne que Bouteflika est en train de leur faire faire contre leur peuple. Ceci d’autant plus qu’ils ont vu en direct sur leurs écrans de télévision, comment ont fini des régimes, réputés bien plus puissants que celui d’un Bouteflika. Sans oublier les bataillons de courtisans et autres opportunistes, dans les appareils de l’État, qui se tiennent prêts à passer au camp adverse, dès que le vent commencera à changer de direction. Une chose est sûre : le séisme des départs des présidents voyous, tunisien et égyptien, et surtout la manière avec laquelle ils ont été chassés, ne resteront pas sans conséquences sur les autres régimes arabes ou musulmans, tels que l’Iran. Il y favorisera une avancée substantielle de la modernité politique, en dépit du risque réel d’une récupération, au moins partielle, par la droite conservatrice et l’extrême droite musulmane représentées par l’islamisme. Le devoir d’exemplarité de l’oppositionLes partis d’opposition en Algérie et dans le monde arabe sont loin d’être exempts de certains graves reproches qu’ils adressent aux chefs d’États arabes tels que celui de squatter le pouvoir pendant des décennies, alors que leurs propres chefs sont inamovibles. C’est ainsi qu’en Algérie, Hocine Aït-Ahmed est à la tête de son parti, le Front des forces socialistes, depuis sa création en 1963, soit depuis plus d’un demi-siècle ; Saïd Sadi, leader du RCD, Louisa Hanoune, leader du PT, et Chawki Salhi, leader du PST, sont à la tête de leurs partis, depuis leurs créations, il y a plus de vingt ans. Il en a été de même de Hachemi Chérif, qui a été pendant 13 ans et jusqu’à son décès, en 2005, à la tête de Ettahadi, depuis sa création en décembre 1992, devenu MDS. |
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Tunisie et Egypte: La Religion comme cache-social
par Christian Berthier
La tentation et les pressions sont grandes de suivre les grands médias et le “monde politique” dans une interprétation religieuses des événements de Tunisie et d’Egypte. Et quel peuple?En Tunisie, où y-a-t-il eu des centaines de morts, fin 2010 au moment ou Alliot-Marie survolait ces zones faussement “désertiques”? A Tunis? Que nenni! |
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La révolution sexuelle en marche dans les sociétés musulmanes
par Hakim Arabdiou
Malgré le regain de l’islamisme, les sociétés musulmanes les plus avancées, Iran, Turquie, Indonésie, Syrie, Tunisie, Maroc, Liban, Algérie, Bosnie et Républiques d’Asie ex-soviétiques, sont en voie d’achever la première phase de leurs révolutions sexuelles, enclenchées ces trois ou quatre dernières décennies. Elles viennent aussi d’entamer parallèlement la seconde et ultime phase de cette révolution, qui est la déculpabilisation des rapports sexuels en dehors du cadre du mariage. Une déculpabilisation qui est également en train de faire tomber en désuétude le tabou de la virginité sexuelle des femmes. Cette révolution trouve son origine dans les bouleversements socio-économiques considérables que connaissent ces sociétés et dans l’influence culturelle grandissante, qu’elles subissent de la part de l’Occident. Y ont concouru également, les feuilletons « égyptiens » (genre, Feux de l’amour, européens), diffusés tout au long des années 1980, par les chaînes publiques arabes. Ces films étaient très suivis par toutes les jeunes filles et les femmes, de tous âges et conditions sociales. Ils avaient introduit dans des dizaines de millions de foyers arabes, des grandes villes jusqu’aux fin fond des hameaux dans l’arrière-pays, des notions jusque-là tabous telles que « je t’aime », « mon fiancé » et « l’amour » (platonique), ainsi que les intrigues amoureuses. Ces films ont été relayés, dans les années 1990 et 2000, par une nouvelle génération bien plus audacieuse de films d’amour, « égyptiens », turcs et brésiliens qui font eux aussi un tabac, parmi les centaines de millions de femmes arabes, y compris dans l’immigration. Ces films sont produits et diffusés, par des chaînes satellitaires privées, notamment arabes (à capitaux, principalement des monarchies du golfe). Les musulmanes font prévaloir leur épanouissement sexuel
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Les femmes ont un sexe, mais pas toujours
par Linda Weil-Curiel
Avocate
Commission pour l’abolition des mutilations sexuelles.
Après la Tunisie, l’Egypte et le Yémen sont en ébullition, faisant naître l’espoir de l’instauration de sociétés démocratiques enfin respectueuse des droits des citoyens. Tout a été dit sur les abus commis par des dirigeants enrichis, la souffrance des peuples appauvris et sans réelles perspectives de progrès, leur frustration devant l’opulence de l’Occident s’étalant sur les écrans de télévision. La participation des femmes au soulèvement populaire, leur vaillance, ont été maintes fois soulignées par la presse.. Mais il ne s’est trouvé personne pour rappeler qu’en Egypte, au Yémen, les femmes sont encore mutilées sexuellement (97% en Egypte… où il n’y a pas si longtemps cela se faisait encore à l’hôpital) et que le combat pour leur intégrité physique est loin d’être gagné. L’excision et l’infibulation (ablation du clitoris et des petites lèvres, barbarie à laquelle s’ajoute celle de la section des grandes lèvres puis leur suture pour l’infibulation) ne sont pas réservées aux 28 pays africains où la pratique est bien documentée. Ajoutons que l’Europe et les pays d’immigration en général sont loin d’être épargnés mais la réprobation et les instruments juridiques y permettent plus facilement de prévenir et de combattre cette tradition remontant aux temps les plus anciens. Tout cela pour dire que non seulement le droit des femmes devrait être au premier plan de nos préoccupations, mais qu’il faut en exiger avec force l’inscription dans les futures constitutions et se montrer vigilants quant à leur respect. Il en va de l’avenir de ces sociétés. A cet égard et même si c’est à contre courant de la tendance actuelle, il faut rendre hommage à la courageuse initiative de Madame Moubarak et de la ministre Moushira Kattab qui ont fait depuis des années leur priorité de la lutte contre les mutilations sexuelles des filles, contre les mariages précoces et pour la limitation des naissances, au risque de froisser leur opinion publique. Espérons que cette volonté ne sera pas abandonnée au profit de ce qui bien sûr est plus sérieux : je veux parler des droits que les hommes revendiquent pour eux-mêmes sans avoir à l’esprit d’en faire bénéficier les femmes à égalité, car chacun sait que leur place est à la cuisine. |
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Communiqué suite à la journée du 19 février
par la Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie en Algérie - Coordination France
Plusieurs centaines d’Algériennes et d’Algériens ont répondu à l’appel de la Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie (CNCD) - Coordination France - ce samedi 19 février à 14 heures, place de la République, à Paris. Ils ont tenu à exprimer leur soutien, dans l’unité et la sérénité, aux manifestants qui, ce matin même à Alger, ont bravé l’interdiction de la marche et l’arsenal répressif en se mobilisant à l’appel de la CNCD en Algérie. Encore une fois, la réponse du régime, toujours aussi sourd aux aspirations du peuple, a été la répression. Plus de 40 000 policiers ont quadrillé la capitale pour empêcher les manifestants d’y accéder, de se regrouper place du 1er Mai et de marcher. Plusieurs citoyens ont été blessés par les forces de police, dont la brutalité n’a plus de limite. Nous rendons hommage à toutes les victimes de cette répression, parmi lesquelles Ali Yahia Abdenour, de la LADDH, âgé de 84 ans, a été sérieusement molesté, Rachid Malaoui, secrétaire général du SPNAPAP, hospitalisé suite aux coups qu’il a reçus, Tahar Besbes, député et représentant du RCD à la CNCD, est toujours hospitalisé, victime de traumatismes crâniens et de multiples fractures. A l’écoute des citoyennes et des citoyens demandant la poursuite des actions de soutien et de solidarité, la CNCD - Coordination France - appelle les Algériennes et les Algériens à se rassembler devant l’Ambassade d’Algérie à Paris, le samedi 26 février à 14 heures. Vive l’Algérie démocratique et sociale. |
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L’écologie : un refus des Lumières ?
par Stéphane François
Historien des idées et politologue français qui travaille sur les droites radicales et les subcultures « jeunes ». Chargé de recherche au Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe (Chaire Gutenberg) de l’Université de Strasbourg.
L’objectif de cet article n’est pas de créer une polémique inutile et stérile mais simplement de soulever une ambiguïté intellectuelle présente au sein de l’écologie politique. En effet, une très grande majorité des écologistes militants, et non pas seulement ceux engagés en politique, refusent le libéralisme non seulement économique mais aussi philosophique, comme l’a montré la tribune de Noël Mamère, d’Eva Joly, et d’Esther Benbassa, publié dans le journal Libération du 27 janvier. Nous tenterons de mettre à jour, dans cet article, la généalogie d’un tel refus. L’écologie est entrée dans la vie politique il y a près de trente ans lorsque quelques écologistes allemands sont devenus députés. Les années soixante-dix ont en effet vu le rassemblement de libertaires post-soixante-huitards, d’écologistes, de scientifiques et de défenseurs de la nature autour de la question du nucléaire et des premières réflexions sur la croissance. Globalement donc, les écologistes se positionnent idéologiquement, et de leur propre chef, à gauche. Pourtant, nous verrons que certains thèmes écologiques analysés ici sont plutôt de droite. D’ailleurs, certains au sein du mouvement écologiste, notamment allemand, ont pu parler à ce propos de « conservatisme des valeurs », une expression qui a le mérite d’être explicite sur le contenu intellectuel du mouvement écologiste. De fait, nous réfléchirons principalement dans cet article sur les rapports entre l’écologie et certaines valeurs que nous pouvons considérer comme conservatrices, comme la technophobie et l’antimodernité. Origine de l’écologie politiqueUne partie des origines du mouvement écologiste contemporain est à chercher au sein de mouvements issus du romantisme politique, tels certains courants de la « Révolution Conservatrice » allemande, comme les völkisch, les mouvements de réforme de la vie, le Lebensreform, ou comme les premiers alternatifs allemands de la fin du XIXe siècle, voire chez des auteurs comme l’Américain Henry David Thoreau, le « Rousseau américain »3. Celui-ci a en effet posé les bases d’une forme d’écologie dans un roman publié en 1854, Walden ou la vie dans les bois. Ces auteurs ou ces courants ont été influencés par le romantisme en général, né en réaction aux valeurs des Lumières, plus que par Rousseau, souvent présenté comme le précurseur de ce courant. Contrairement à ce qui est souvent écrit, Rousseau ne croyait pas en la possibilité d’un retour à un état originel ou à un hypothétique âge d’or. Il affirmait que « La nature humaine ne rétrograde pas ». Cependant, sa pensée, au travers de l’interprétation romantique, a influencé certains théoriciens d’un retour à la nature. Ces « pré-écologistes » idéalisèrent la nature, faisant de l’« état de nature » une nostalgie d’un Éden dans lequel les hommes et la nature vivaient harmonieusement. En effet, le XIXe siècle voit apparaître des discours, politique, religieux ou culturel, nettement « urbanophobes », la ville devenant dans ceux-ci le lieu de tous les vices et de tous les périls4. Cette vision passéiste eut pour conséquence de voir le développement d’un discours antimoderne. Ces premiers mouvements se sont aussitôt présentés comme un refus du monde moderne et industriel qui émergeait alors : la pensée de Thoreau est en effet marquée par le refus de l’urbanisation et de l’industrialisation. Ce refus était aussi déjà présent dans les discours des premiers groupes alternatifs allemands du début du XXe siècle. Le germaniste Louis Dupeux a pu constater qu’il a existé dans l’Allemagne wilhelminienne des expériences alternatives, écologistes, de nature « néo-romantique », les Lebenreformer, qui furent à l’origine des premières plaintes contre la pollution de l’eau et de l’air. Ces mouvements néo-romantiques de la fin du XIXe siècle s’opposaient à l’urbanisation et à l’industrialisation de l’Allemagne au motif que cela entraînerait la décadence spirituelle et la destruction de la nature. Ils proposaient, comme solution, un retour à la nature, à travers la création de communautés paysannes, du naturisme (les « bains de lumière »), du végétarisme et des médecines douces5. Positionnement des thèmes écologistesLa plupart des thèmes écologistes ont appartenu ou appartiennent encore à un univers de référence plus conservateur que libéral. En effet, l’écologie est l’héritière du romantisme plutôt que celle des Lumières. « Que l’on songe, par exemple, écrit assez justement le néo-droitier Charles Champetier, aux vertus de la vie naturelle célébrées face aux vices de la vie urbaine, à l’idée de nature conçue comme un ordre harmonieux, au refus du progrès, à la réaction esthétique contre la laideur de la société industrielle, à la métaphore de l’“organique” opposé au “mécanique” ou du “vivant” face à l’abstrait, à l’éloge de l’enracinement et des petites communautés… » Par conséquent, « […] la terre apparaît ici comme donatrice primordiale de l’élément nourricier et ordonnatrice d’un mode de civilisation traditionnelle que la révolution industrielle n’aura de cesse de transformer en un “monde perdu” dont le romantisme eut, le premier, la nostalgie »6. Il faut aussi garder à l’esprit qu’un grand nombre de valeurs prônées par les écologistes, ou par les décroissants, comme la parcimonie, la modestie, le sens du sacrifice, etc. relève plutôt de cet imaginaire conservateur. Une futurologie pessimisteL’écologie est devenue, au sortir de la Seconde guerre mondiale, une branche d’une « futurologie » au discours catastrophiste et très largement technophobe : « Ce qui s’est produit depuis 1945, écrit Pierre-André Taguieff, c’est l’effondrement de l’optimisme technologique hérité du XIXe siècle qui a “succombé à une série de chocs provoqués, depuis les années 1940, par le développement concret de la technologie”, ainsi que l’a établi le philosophe Peter Kemp dans un livre important. Le premier choc fut provoqué par l’emploi de la bombe atomique contre les villes d’Hiroshima et de Nagasaki, montrant que la science et la technique n’étaient pas nécessairement vouées à permettre la construction d’une société meilleure.8 » Un nouveau projet sociétalCette futurologie pessimiste et/ou catastrophiste implique aussi une ré-élaboration des projets sociaux, qui ne résultent plus d’une attente optimiste d’hypothétiques « lendemains qui chantent » progressistes et/ou communistes, mais d’une réflexion sur les enseignements du passé et du présent. En effet, les écologistes ont pris acte de la fin des « grands récits ». Cette idée a été notamment développée en 1980 dans un livre d’André Gorz, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme15. Gorz y appelait la gauche à se défaire du « fétichisme ouvrier », et de tout déterminisme matérialiste… Cet antilibéralisme, tant économique que politique, est d’ailleurs revendiqué par des militants écologiques. Ainsi, certains d’entre eux considèrent que le libéralisme et l’écologie sont inconciliables16. En effet, selon ceux-ci, le libéralisme, tant politique que philosophique, étant à l’origine de la mondialisation et prônant l’universalisme, détruit à la fois les identités nationales, l’ethnocide cher à Robert Jaulin, et la nature par son éloge du marché sans entrave et son consumérisme productiviste. Le libéralisme y est donc vu comme une idéologie reposant exclusivement sur la liberté, qu’elle soit économique ou politique, une liberté qui met en péril les modèles holistes des sociétés traditionnelles. De fait, en condamnant le libéralisme, à l’origine de nos sociétés modernes contemporaines, les écologistes radicaux peuvent être vus comme des nostalgiques d’un âge d’or holiste. Dans un tel système, l’individu n’existe pas en tant que tel mais s’insère dans un nœud de relations sociales. Le holisme écologique étend ces nœuds de relations au-delà de la sphère humaine pour englober l’environnement. L’une des conséquences d’un raisonnement est de fondre les sociétés dans des écosystèmes dont il devient indispensable de défendre l’intégrité, voire d’essentialiser les immigrés vivant dans les sociétés occidentales. Pour défendre une telle vision du monde, il devient nécessaire de s’émanciper de l’idéologie du progrès, ce que font d’ailleurs les partisans de la décroissance. Serge Champeau souligne avec justesse qu’il existe, dans l’éloge de ces communautés autosubsistantes, la persistance d’un « imaginaire du romantisme réactionnaire du début du XIXe siècle »17 dont nous avons déjà parlé. Il existe au sein des Verts une exception notable : Daniel Cohn-Bendit, qui peut être vu comme « un vrai libéral camouflé en libertaire », pour reprendre l’expression du journaliste Éric Conan18. En effet, il est favorable à la privatisation de certains services comme les télécoms, la poste, l’électricité, etc. En outre, Daniel Cohn-Bendit n’hésite à critiquer en Allemagne un positionnement à gauche. Si ces propos sont rares en France, ils ne le sont pas en Allemagne. En effet, selon Eric Conan, dans un article paru dans Marianne, Daniel Cohn-Bendit aurait affirmé aux Verts allemands : « J’entends dire mes camarades verts qu’ils ont des valeurs de gauche. Mais qu’est-ce que c’est, la gauche ? Le communisme ?, Le Stalinisme ?, Le colonialisme de Jules Ferry ? » En ce sens, il est cohérent : il se définit depuis les années quatre-vingts comme un « libéral-Libertaire »19. Ses positions ne font pas l’unanimité au sein des écologistes. Il est d’ailleurs assez courant qu’il soit considéré comme un imposteur, voire comme un dangereux mondialiste, un homme du « Système »20. L’écologie radicaleNos écologistes sont attirées par une forme radicale de l’écologie : l’« écologie profonde ». Cette « écologie profonde » (deep ecology) s’oppose à l’« écologie superficielle » (shallow ecology) qui se ramène à une simple gestion de l’environnement et qui vise à concilier préoccupation écologique et production industrielle sans remettre en cause les fondements des sociétés occidentales. Ces adeptes de l’écologie profonde développent un discours largement utopique rêvant soit d’un monde révolu, pour les réactionnaires ou les nostalgiques, soit d’un monde à venir, postmoderne, inspiré de Lyotard, pour les moins marqués à droite. Malgré un positionnement souvent ouvertement de gauche, la pensée écologiste la plus radicale, par les valeurs qu’elle promeut, reste donc assez largement une pensée conservatrice, très largement pessimiste et foncièrement antilibérale. En effet, les écologistes refusent de faire confiance aux hommes et à l’idée de progrès. Cette position tranchée soulève des interrogations. Malgré tout, la prise de conscience écologique est plutôt positive tant qu’elle ne se transforme pas en un terrorisme écologiquement correct, en un anti-monothéisme, en un naturalisme radical antihumaniste ou en un antimodernisme technophobe.
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L'immigration, la « muleta » de l'arène politique !
par Nicolas Pomiès
On peut se demander ce qui justifie, toujours à l’approche de grandes échéances électorales, ce retour dans l’arène politique du débat sur l’immigration. On se trouve alors confronté à des campagnes visant à désigner les immigrés comme les responsables de nombre de problèmes rencontrés par notre pays. L’immigration ne joue t-elle pas, depuis qu’elle est a été officiellement interdite en 1974, le rôle de la muleta pendant la corrida ?On agite l’immigration aux yeux du peuple comme on agite la cape rouge devant les yeux du taureau dans un but de contournement du véritable problème : C’est dans ce pays que la première fortune gagne un SMIC et demi annuel par heure, que les 60 premières fortunes gagnent 5 300 SMIC annuels ; dans le même temps, 7 millions de nos compatriotes sont pauvres, parmi lesquelles 2 millions de travailleurs. 400 000 sont sans-toit, 200 000 dorment par terre, 200 000 sont dans les campings, voilà la situation de la France au moment où elle n’a jamais été aussi riche de son histoire. Le revenu salarial moyen a progressé en 10 ans de 3%, mais il a régressé d’1% pour les employés et dans le même temps, les actionnaires du CAC 40 ont vu leurs bénéfices augmenter de 300 % ! La place de l’immigration est-elle une question majeure ?Peut-on envisager que, dans la crise du vivre ensemble que connaît la société française, l’immigration ait une place majeure mise au grand jour lors des émeutes de banlieues en 2005 et régulièrement rabâché par les reportages sécuritaires des médias ? La République pour la LibertéLa République n’a aucun projet culturel car elle repose sur un projet politique, et non pas sur un projet ethnique ou culturel. Ce modèle d’intelligibilité demeure éclairant. Il faut donc établir les conditions de construction de l’égalité.L’Etat national doit fonctionner comme un Etat de droit et répondre de façon crédible à la demande d’espoir de ceux qui sont saisis par le sentiment de précarité économique, par l’angoisse profonde que suscite la fragilisation de l’emploi due au « turbo-capitalisme » à la fois destructeur et restructurateur, par delà tout souci du coût social de la mondialisation économique. Dénuées d’entrave, les forces du marché peuvent se déployer à travers les processus de dérégulation qui font entrer des individus « désaffiliés » dans un nouveau monde indéfiniment fluctuant, sur le modèle des flux économiques variables. D’où la montée d’un double sentiment d’instabilité et d’insécurité croissantes, accompagnant la mise en place de la « turbo-économie ». L’Etat doit intervenir pour établir partout l’égalité et imposer les lois démocratiques aux intérêts financiers. C’est l’égalité comme boussole et l’établissement d’un Etat laïque et social au service de tous qui permettront de mettre fin à la misère génératrice de délinquance.Il faut apporter des solutions conformes à ces exigences et refuser l’intrusion du fait culturel ethnique ou religieux dans la politique républicaine, comme nous pouvons le lire dans certains discours tant de l’extrême droite, de la droite, des socio-libéraux ou des gauchistes culturels et communautaristes. Il est donc indispensable de rappeler que l’accélération du processus de marchandisation et de privatisation des activités humaines démarrédans la phase précédente, dite de la mondialisation néolibérale (à partir du milieu des années 70)
Ce sont les seules solutions concrètes aux problèmes économiques et sociaux que constitue la circulation sans limites de la main-d’œuvre immigrée. Bibliographie d’éducation populaire : |
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Pays-bas : de quel antisémitisme parlons-nous ?
par Centre communautaire laïc juif de Belgique
Article extrait de la Lettre d’information du Centre communautaire laïc juif
Figure marquante du parti libéral néerlandais, Frits Bolkestein a appelé les Juifs des Pays-Bas à émigrer en raison de l’antisémitisme qu’il attribue aux jeunes Marocains. Simon Epstein, historien israélien spécialiste de l’antisémitisme, et Maurice Swirc, journaliste néerlandais, réfutent cette vision catastrophiste dans l’analyse qu’ils font de la situation néerlandaise.
Que pensez-vous des déclarations de Frits Bolkestein sur la nécessité pour les Juifs des Pays-Bas d’émigrer vers Israël ou les Etats-Unis ? Simon Epstein : Il exagère. Il existe toute une série de situations intermédiaires entre le beau fixe absolu, à supposer qu’il y en ait eu un pour les Juifs d’Europe, et la tourmente catastrophique dont la conséquence est le départ. Bolkestein a commis l’erreur de tomber tout de suite dans l’extrême. C’est regrettable, parce qu’il banalise complètement la rhétorique censée qualifier l’extrême s’il se produit un jour. Il aurait dû trouver d’autres mots pour qualifier l’antisémitisme qui se déploie aux Pays-Bas sans être obligé de crier « sauve qui peut, tout le monde s’en va ». Sa déclaration est incongrue, car même les Juifs, et parmi eux les sionistes les plus enthousiastes, n’osent pas tenir de tels propos. Ils savent que c’est excessif. Maurice Swirc : Je ne partage pas du tout son point de vue sur la nécessité pour les Juifs de quitter les Pays-Bas, même s’il est vrai que l’antisémitisme connaît une augmentation significative dans ce pays. Contrairement à ce que certains laissent entendre, il ne trouve pas exclusivement sa source dans la population d’origine marocaine. Il est également présent dans d’autres segments de la société néerlandaise. Selon moi, cette focalisation sur l’antisémitisme marocain de la part de certains politiciens d’extrême droite comme le président du PVV, Geert Wilders, s’inscrit plutôt dans une stratégie antimusulmane. Je doute sérieusement que leurs prises de position en faveur des Juifs et d’Israël soient le résultat d’une passion sincère et authentique. J’ai l’impression que leur hostilité à l’égard des musulmans l’emporte sur cette soi-disant sympathie pour les Juifs. Ce qui les préoccupe avant tout, c’est l’islam et non pas les Juifs qu’ils cherchent à instrumentaliser dans leur combat. C’est la raison pour laquelle j’éprouve un réel malaise par rapport à cette lutte contre l’antisémitisme que le PVV de Wilders a inscrite à son agenda. Ce phénomène n’est pas propre aux Pays-Bas. Au Danemark, en Suède, en Autriche, et même en Belgique (en Flandre), l’extrême droite se positionne de plus en plus en faveur d’Israël. Geert Wilders, même s’il pousse cette stratégie à l’extrême, n’est pas un cas unique sur la scène européenne. La rhétorique du départ et du sauvetage des Juifs de diaspora est-elle neuve pour la période d’après-guerre ?
Simon Epstein : Pour les Pays-Bas comme pour les autres pays européens, il existe un potentiel inquiétant d’antisémitisme qui trouve sa source à l’extrême droite, au sein d’une extrême gauche folle d’antisionisme et auprès des fondamentalistes musulmans. Il s’agit d’un antisémitisme qui s’exprime par monts et par vaux. Aux périodes de calme se succèderont des périodes agitées. Le phénomène est cyclique. Le 21e siècle ne sera pas de tout repos, mais cela ne signifie pas pour autant que nous allons vers une catastrophe dont la conséquence serait l’émigration des Juifs, ni qu’on se dirige vers une deuxième Shoah. Les Juifs doivent comprendre qu’ils affronteront périodiquement des vagues d’antisémitisme parfois violentes et préoccupantes quant au contenu idéologique. La vie des communautés sera marquée par des éruptions d’antisémitisme suivies d’accalmies. Ce fut le cas des Juifs tout au long de leur histoire, il n’y a rien de neuf.
Historien israélien, Simon Epstein est professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem. Spécialiste de l’antisémitisme, il a consacré de nombreux travaux aux réactions juives face à ce phénomène. Dans Les Dreyfusards sous l’occupation et dans Un paradoxe français, antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance (les deux chez Albin Michel), il s’est également intéressé aux cas de Dreyfusards et de personnalités politiques philosémites qui ont basculé dans l’antisémitisme le plus virulent et dans la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale. Propos recueillis par Nicolas Zomersztajn |
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