1/ Courrier reçu de Franck Ramus, Directeur de recherches au CNRS
Dans un article portant sur la sécurité sociale, M. Bernard Teper fait un argumentaire en 14 points. Je réponds ici au premier point qui concerne l’autisme.
Bernard Teper : « Alors qu’une étude suédoise montre que l’autisme est dû à plus de 50 % à l’acquis (et donc l’environnement), la ministre Marie-Arlette Carlotti, la Haute autorité de la santé (HAS, spécialiste des conflits d’intérêts), les Agences régionales de santé (ARS, bras armé du néolibéralisme contre la Sécurité sociale) jugent que la cause est entièrement génétique et donc décident d’éliminer toute intervention de caractère psychanalytique ou de psychothérapie institutionnelle, car d’après la ministre ces pratiques ne sont pas « consensuelles ». »
Passons sur la présentation outrancière de la HAS et des ARS, qui à elle seule décrédibilise le propos.
Il est faux que qui que ce soit considère que la cause de l’autisme est entièrement génétique, et je mets au défi M. Teper de trouver une quelconque affirmation de cette nature dans les rapports de la HAS sur l’autisme. L’estimation la plus récente donnait une héritabilité de l’autisme de 70% (Lundström S & et al., 2012), ce qui impliquait bien 30% de facteurs environnementaux, dont certains sont connus et prouvés depuis longtemps : infections ou expositions à des agents toxiques pendant la gestation (cytomégalovirus, thalidomide, acide valproïque…), prématurité et souffrance périnatale… En revanche aucune donnée connue ne permet de mettre en cause l’environnement psycho-social de l’enfant. Le fait qu’une nouvelle étude (Sandin et al., 2014) révise l’héritabilité de l’autisme à la baisse de 70 à 50% ne change rien de fondamental à notre connaissance des causes de l’autisme, ni aux traitements que l’on peut recommander.
Il est en effet faux qu’une causalité entièrement génétique (ou entièrement environnementale) exclurait tel type d’intervention, et justifierait tel autre. La connaissance de certains facteurs causatifs peut suggérer que certaines interventions pourraient être efficaces, mais ne peut suffire à le prouver. Bien des traitements ont une efficacité prouvée, bien qu’on ne connaisse pas bien les causes de la maladie ou que ces causes soient très diverses (par exemple les médicaments pour l’épilepsie ou la schizophrénie). D’autres traitements s’avèrent inefficaces, ou ont un rapport bénéfice/risque défavorable, bien qu’ils se basent sur une bonne connaissance des causes de la maladie. Seuls des recherches rigoureuses (en particulier les essais cliniques randomisés contrôlés) peuvent permettre de distinguer les premiers des derniers. C’est sur la base de tels essais cliniques, et sans préjuger des causes de l’autisme, que la HAS a recommandé certaines interventions pour l’autisme, et a jugé la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle non consensuelles, faute de la moindre évaluation les concernant.
BT : « Ne sont déclarées consensuelles que les interventions sur les conséquences de la maladie et non sur les causes. Soyons clair, agir seulement sur les conséquences, cela demande moins de financement ! »
Il s’agit là d’affirmations sans fondement. Personne n’est capable de guérir l’autisme, et encore moins d’en altérer les causes. Mais les interventions qui permettent aux enfants autistes de progresser intellectuellement, de développer leurs apprentissages, de gagner en autonomie, et de mieux s’intégrer socialement, dans la mesure où elles sont efficaces, agissent nécessairement sur des mécanismes cérébraux sous-jacents aux symptômes de l’autisme. Elles ont donc un effet sur les causes immédiates des symptômes de l’autisme, à défaut d’avoir un effet sur les causes ultimes de l’autisme.
Par ailleurs la prétention de la psychanalyse d’expliquer et a fortiori d’agir sur les causes de l’autisme est totalement imaginaire et ne repose sur aucune donnée factuelle. Cette prétention a d’ailleurs été abandonnée par tous les psychanalystes qui sont informés de la recherche scientifique sur les causes de l’autisme. Par exemple, le plus éminent représentant de la pédopsychiatrie psychanalytique de l’autisme, le Pr. Bernard Golse, tout en défendant bec et ongle les psychothérapies psychanalytiques pour l’autisme, admet sans détour qu’elles se font « sans perspective causale aucune ».
Enfin, la question du coût respectif de différents traitement est pertinente, mais secondaire par rapport à celle de leur efficacité. Les recommandations de bonne pratique de la HAS n’ont pour fondement que l’efficacité des pratiques, les considérations financières n’étant pas de son ressort. Les ARS, elles, ont pour mission notamment de vérifier que l’argent public est dépensé dans des prises en charge thérapeutiques efficaces et cohérentes, ce qui est bien la moindre des choses, y compris pour les défenseurs les plus ardents du système de sécurité sociale. Comment peut-on justifier des hospitalisations de jour d’enfants autistes facturées 600€ par jour à l’assurance maladie pour des pratiques qui n’ont aucune efficacité connue, alors qu’il existe des interventions efficaces coûtant moins cher ?
BT : « Et les pouvoirs publics refusent d’admettre que le débat scientifique n’est pas tranché . »
C’est faux. La HAS a dressé un tableau fidèle de ce que l’on sait et de ce que l’on ne sait pas sur l’autisme. Simplement, au moment de rédiger des recommandations, elle est bien obligée de se baser sur ce que l’on sait, et pas sur ce que certains affirment sans preuve (dans le cas contraire ce serait la porte ouverte à tous les charlatanismes). Les pouvoirs publics, eux, n’ont pas à avoir d’avis personnel sur les bonnes pratiques. Ils doivent simplement promouvoir et financer leur mise en œuvre, et c’est ce que tente tant bien que mal le 3ème plan autisme avec des moyens et des marges de manœuvre limités. Si les pouvoirs publics ne le faisaient pas, par exemple pour protéger un lobby de professionnels, c’est là qu’il y aurait un véritable scandale à la fois sanitaire et financier.
BT : « Le CASP qui réunit le Syndicat des médecins psychiatres des organismes publics, semi-publics et privés (SMPOP), le Syndicat national des psychiatres privés (SNPP), le Syndicat des psychiatres français (SPF), le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), l’Union syndicale de la psychiatrie (USP), conteste les choix des pouvoirs publics. »
Effectivement, ces syndicats ont fait le choix corporatiste de défendre la liberté de leurs membres de faire ce qu’ils veulent sans aucune restriction et sans aucun contrôle, quoi qu’il en coûte aux patients et aux cotisants. Cette attitude a été analysée et critiquée dans divers textes, ici et là par exemple. Elle n’est pas partagée par d’autres collectifs de professionnels qui aspirent à une psychiatrie moderne fondée sur la science et la raison, notamment l’AP4D, le Collectif pour une psychiatrie de progrès, et le KOllectif du 7 janvier.
BT : « Leur détermination à ne pas chercher la cause mais à se borner à agir sur les conséquences a même entraîné l’ARS d’Ile-de-France à rejeter la dépense de formation d’un montant de 80 euros (!) de deux soignants d’un centre médico-psycho-pédagogique du Val de Marne sous prétexte qu’elle s’intitulait « Le psychanalyste et l’autiste »… »
Effectivement, chacun est libre des formations qu’il suit, y compris des formations à des approches sans aucune validité scientifique, mais n’a pas à en faire supporter le coût à la collectivité. Voir la réponse du collectif Egalited à la lettre du Dr Drapier.
Références :
Lundström S, C. Z. R. M., & et al. (2012). Autismspectrum disorders and autisticlike traits: Similar etiology in the extreme endand the normal variation. Arch GenPsychiatry, 69(1), 46-52. doi: 10.1001/archgenpsychiatry.2011.144
Sandin,S., Lichtenstein, P., Kuja-Halkola, R., Larsson, H., Hultman, C. M., & Reichenberg, A. (2014). The familial risk of autism. Jama, 311(17), 1770-1777.
2/ Réponse de Bernard Teper « Quand le scientisme autistique remplace l’esprit scientifique »
Autant, nous admettons que nous aurions du être plus précis (nous reviendrons sur ce point ci-dessous), autant les arguments d’autorité de M. Franck Ramus ne tiennent aucun compte des critiques des méthodes utilisées par la HAS tant par ceux qui ayant participé à l’étude de la HAS dont parle Monsieur Ramus et qui se sont désolidarisés de cette étude, des études non contestés à ce jour de la revue médicale Prescrire sans compter les critiques générales de Formindep sur les conflits d’intérêts au sein de la HAS ayant notamment amené à un arrêt du Conseil d’Etat annulant une recommandation de la dite HAS.
M. Ramus déclare que notre critique de la HAS sur les conflits d’intérêts invaliderait notre propos. Nous le renvoyons aux articles suivants: http://www.gerardbapt.info/2011/05/05/le-conseil-detat-abroge-la-recommandation-de-la-has-sur-le-diabete/
http://www.formindep.org/Le-Conseil-d-Etat-abroge-la.html
http://www.formindep.org/-RECOURS-CONTRE-LES-RECOMMANDATIONS-.html
D’une façon générale, les suspicions de conflits d’intérêts ne se régleront pas par des déclarations d’autorité de quiconque, qu’il soit directeur de recherches au CNRS ou pas, mais par de nouvelles règles appliquées dans toutes ces instances.
Nous sommes obligés de relativiser les méthodes de la HAS. Car, malheureusement, la méthode que suit habituellement la’HAS a été cette fois prise en défaut. Le groupe de travail composé de professionnels qu’avait réuni la HAS a produit un argumentaire de 471 pages, dont la HAS a tiré des recommandations (60 pages), et enfin une synthèse des recommandations (8 pages). De nombreux membres du groupe de travail ont désavoué les recommandations et la synthèse qui caricaturaient la complexité du rapport initial. Au point que les professionnels de la revue PPrescrirerescrire déconseillent la lecture du guide : « Il n’est pas recevable qu’un guide labellisé par l’HAS ne retienne qu’une seule approche thérapeutique, sans mention d’une ou plusieurs autres, et présente comme solides des propositions qui ne le sont pas.» (Prescrire, n°362, p.954-955).
Ou encore que de nombreux professionnels participant à l’étude « ont refusé d’endosser tout ou partie des recommandations ». En effet les données d’évaluation données dans l’argumentaire « ne permettent pas de mettre en avant un type de prise en charge plus qu’un autre » (Prescrire, n°362 p.954-955 déjà cité, mais aussi n°354 p.305).
Tout notre propos est de défendre l’idée que tant qu’il n’y a pas consensus réalisé par l’ensemble de ses pairs, aucune décision politique ne doit invalider par une déclaration d’autorité scientiste une pratique thérapeutique. Les critiques des professionnels existent pourtant: http://www.uspsy.fr/IMG/pdf/HAS_haute_autorite_des_salades.pdf et http://www.uspsy.fr/Non-a-une-pensee-formee-et.html.
Cela dit, nous estimons que la question de l’autisme est complexe et ne peut être tranchée dans l’état actuel des connaissances. Il nous paraît donc illégitime de ne pas rembourser la prise en charge de 80 euros d’une formation organisée par l’un des courants de la psychiatrie.
Les syndicats de psychiatres cités dans notre premier article (1)Le CASP qui réunit le Syndicat des médecins psychiatres des organismes publics, semi-publics et privés (SMPOP), le Syndicat national des psychiatres privés (SNPP), le Syndicat des psychiatres français (SPF), le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), l’Union syndicale de la psychiatrie (USP). contestent le scientisme et le réductionnisme des pouvoirs publics et craignent un désinvestissement du champ de l’autisme par l’autorité sanitaire.
M. Ramus semble s’appuyer sur le Collectif pour une psychiatrie de progrès. Mais même ce collectif a dit « on peut regretter que le plan réduise les nécessaires réponses de soins à la portion congrue ». Un scénario redouté par les professionnels qui ferait sortir l’autisme du champ des maladies pour ne le considérer que comme un handicap. La présentation du plan par la secrétaire d’Etat aux handicapés alimente cette crainte.
L’affirmation « sans aucune validité scientifique » utilisée par M. Ramus est très imprudente en psychiatrie et en particulier dans le domaine de l’autisme, qui bien que le progrès des connaissances soit continu, reste une énigme. Il n’est en particuliers pas justes de nier les progrès cliniques, psychopathologiques, et psychothérapiques qui ont été faits depuis une trentaine d’années grâce aux psychanalystes. La seule position scientifique réaliste consiste à financer en parallèle des recherches d’inspirations différentes et à encourager les chercheurs à ne pas s’ignorer et à ne pas se mépriser mutuellement.
Le fait pour nous de mettre en lumière la dernière étude suédoise qui augmente la part causale de l’environnement (50 %) admise jusqu’ici mais qui précise qu’il reste des causes génétiques pour 50% est uniquement pour nous la preuve que le travail scientifique n’est pas terminé car cette étude en appelle d’autres. Contrairement à la position de M. Ramus, nous pensons que plus la part génétique est relativisée, plus l’apport des neurosciences à la connaissance d’un trouble psy doit s’inscrire dans un champ plus général des connaissances. Comme les débats scientifiques continuent, nous pensons aujourd’hui, dans ces conditions, qu’une décision d’éradication d’une pratique thérapeutique nous paraît illégitime.
Nous sommes par contre d’accord avec M. Ramus sur le fait que l’on ne connaît pas encore tous les liens entre les causes d’une maladie et l’efficacité d’un traitement.
Quant à la citation du Pr Golse qu’il utilise, elle est trop brève et sortie de son contexte. Son caractère absolu est aussi lié à l’hypersensibilité actuelle des parents d’autistes à tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à une « mise en cause » des parents. Le texte cité n’est d’ailleurs pas un article mais le résumé, forcément schématique, d’une conférence. Le Pr Golse est cependant favorable au diagnostic précoce et aux interventions psychothérapiques précoces, Impossible d’affirmer que ces interventions n’agiraient absolument pas sur des « causes immédiates ».
Quant à l’hospitalisation de jour, notre éminent directeur commet une erreur en déclarant que les hospitalisations de jour n’ont pas d’efficacité connue. Avant que celles-ci existent, une forte proportion des autistes n’accédaient pas au langage et ne développait pas de discours. Leur avenir une fois adultes était nettement plus sombre.
M. Ramus dit aussi « qu’aucune donnée connue ne permet de mettre en cause l’environnement psychosocial de l’enfant. » Nous sommes tous en tant qu’humains soumis à l’environnement psychosocial, l’autiste, étant aussi une personne, ce qu’il semble parfois oublier, est façonné en bonne partie par son environnement, par tout ce qu’il reçoit de l’extérieur via ses voie cognitives mais aussi par son appareillage affectif. La pédopsychiatrie publique reçoit par ailleurs, sans aucune polémique toute sorte d’enfant atteint de trouble génétique pour les aider face à leur angoisse, à leur difficulté pour se faire entendre, à leur moment de déprime, à leur égarement, à leurs difficultés de comportement. Ce qui pose problème avec les approches éducatives exclusives est que l’enfant est en risque de se voir dépossédées de leurs qualités humaines singulières, non directement cataloguées comme relevant de la symptomatologie autistique.
Surtout, sur le fond, l’autisme, même s’il n’apparaît plus comme une maladie, telle les psychoses, est désormais considéré comme un trouble (du développement); de la même manière qu’on ne peut cautionner l’abord « totalitaire » que certaines écoles psychanalytiques ont voulu, jadis imposer pour la prise en charge des troubles mentaux, on ne peut ici réduire l’abord de l’autisme à une dimension strictement comportementale ou éducative.
Ainsi l’autisme, ou plus correctement les personnes présentant – et souffrant – de troubles autistiques doivent s’appréhender selon une approche polyvalente , qui ne méconnaisse ni la dimension organique, biologique ou génétique, ni la dimension psycho-dynamique qui procède au développement de chaque individu dans son milieu propre (familial, affectif, environnemental, etc.), et très précocement dans sa relation au monde dés sa naissance (les pathologies d’attachement liées à la carence de relations précoces avec la mère sont désormais acceptées comme concept universel) , sans occulter non plus la prise en compte du sujet en souffrance dont l’approche ne peut pas être qu’éducative ou « rééducative » , au risque alors de tomber dans le même totalitarisme que celui qui a pu être reproché à la psychanalyse.
Nous pensons qu’il faut se garder d’un scientisme dénué de toute réflexion critique en philosophie des sciences, qui prend son idéologie pour de la science, et en étant convaincu que la science des autres est de l’idéologie !
Notes de bas de page
↑1 | Le CASP qui réunit le Syndicat des médecins psychiatres des organismes publics, semi-publics et privés (SMPOP), le Syndicat national des psychiatres privés (SNPP), le Syndicat des psychiatres français (SPF), le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), l’Union syndicale de la psychiatrie (USP). |
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