Vers la liquidation de Fret SNCF ?
De nombreuses protestations s’élèvent contre la proposition de liquidation de Fret SNCF par le gouvernement français visant à privatiser les profits et socialiser les pertes. Comme d’habitude pour les néolibéraux, ce projet répond à une injonction de la Commission européenne via une enquête pour « distorsion à la concurrence ». Celle-ci dénonce l’annulation d’une partie de la dette de cette filiale de la SNCF. Ces 5,3 milliards d’euros constitueraient une « aide d’État » que l’entreprise devrait rembourser puisqu’elle est inadmissible aux yeux des néolibéraux. Fret SNCF serait une nouvelle victime, sacrifiée sur l’autel de la « concurrence libre et non faussée ».
Remarquons au passage que les néolibéraux ne trouvent rien à redire aux quelque 200 milliards d’aides aux entreprises accordées chaque année, sans évaluation sérieuse et sans contrepartie, aux entreprises en France.
La filiale privée de la SNCF devrait, selon le projet de « compromis » concocté par le gouvernement, céder une large part de ses activités et de ses emplois à ses concurrents, au premier rang desquels Europorte (Getlink, ex-Eurotunnel) et Euro Cargo Rail, filiale de la Deutsche Bahn. Fret SNCF devrait en fait disparaître : elle ne serait même plus autorisée à utiliser le mot Fret. Les « trains dédiés », qui représentent la partie rentable (20 % du chiffre d’affaires, 30 % du trafic) car chargés par un seul client seraient privatisés. Les autres trains chargés par les « petits clients » qu’il faut rassembler sur un même train resteraient dans le giron de la SNCF alors que, sans les « trains dédiés », l’activité autour des « wagons isolés » n’est pas rentable. Cette solution est proposée par le gouvernement français à la Commission européenne qui a ouvert ladite enquête, en janvier 2023, pour « déterminer si certaines mesures de soutien françaises en faveur de Fret SNCF sont conformes aux règles de l’UE en matière d’aides d’État ». Elles pourraient, au regard de la Commission, constituer une distorsion de la concurrence.
Parallèlement, l’aide aux opérateurs du fret augmenterait ; et, dans le cadre des plans État-régions, 4 milliards seraient investis dans les structures du fret ferroviaire, largement utilisées par de grands organismes privés.
Faut-il rappeler que le fret ferroviaire est un acteur très important de la transition écologique ? Il a notamment vocation, par le « report modal », à assurer une part croissante du transport de marchandises, largement dominé aujourd’hui en France par le trafic routier. En Suisse, le ferroutage (où les camions sont transportés sur longue distance par des trains) représente plus de 70 % du transport de marchandises contre 12 % en France.
Répondre ainsi aux injonctions de « Bruxelles » serait encore une conséquence dommageable, à la fois pour l’emploi et l’environnement, de cette concurrence « libre » et… donc faussée, destructrice de l’industrie et des services publics.
Un gouvernement responsable ne se plierait pas à de telles exigences en provenance d’instances non élues directement par les citoyens (Commission et Cour dite de justice) qui prétendent incarner une légitimité très contestable.
Retour sur l’histoire de la destruction du fret ferroviaire français
Il était une fois, une entreprise nationale, la SNCF qui transportait 75 % du transport des marchandises. Puis, la succession des gouvernements s’occupant de tout sauf des intérêts de la France et des Français ont décidé la désindustrialisation massive, y compris une partie de son haut de gamme technologique, de ne pas investir dans le développement des ports français, de préférer le profit de court terme au développement à long terme et enfin de ne pas s’embarrasser de la transition énergétique et écologique. L’ouverture ordolibérale à la concurrence libre et donc faussée en 2006 a accentué la rentabilité du transport routier. Résultat, en 2016, le transport routier représentait 88 % du transport de marchandises.
Et le fret ferroviaire est devenu déficitaire. Sur le tard, le gouvernement français décide que la SNCF fasse des avances de trésorerie à Fret SNCF puis procède à une annulation de la dette de Fret SNCF en 2019 et à une injection de capital en 2020. Rappelons que le fret ferroviaire est neuf fois moins polluant qu’un poids lourd routier et que l’hexagone est l’un des plus mauvais élèves de l’Union européenne (moyenne du fret ferroviaire de l’UE 16 %, l’Allemagne 18 %). Les traités de l’Union européenne empêchent le primat de la transition énergétique et écologique sur la concurrence libre et donc faussée. À quand la République sociale, démocratique, laïque et écologique ?