Pourquoi l’écologie va de défaite en défaite

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Trois événements, deux livres, le traitement médiatique de l’écologie et une expérience locale m’ont poussé à écrire cet article. Le spectacle des COP Climat, la comédie de la COP 16 Biodiversité, le travail sérieux du GIEC de l’eau, la façon bouffonne de traiter ces événements par les médias dominants, la lecture des travaux du philosophe japonais Koheï Saïto, le dernier ouvrage de Clément Sénechal et l’expérience locale du lac de Créteil m’ont persuadé qu’il fallait sortir de l’hypocrisie dans laquelle beaucoup trop d’acteurs se complaisent.

Vers la COP 29 en Azerbaïdjan ?

L’élite mondiale participe aux COP Climat en arrivant en jets privés pour faire la leçon à l’humanité tout entière des méfaits des énergies carbonés. Cette écologie punitive vis-à-vis des pauvres de la planète va de pair avec le développement de l’énergie carbonée par les donneurs de leçons. La France ose même dire qu’elle a diminué ses émissions de gaz à effets de serre en oubliant avec une légèreté coupable de comptabiliser les émissions de toutes ses importations et de ses transports afférents. Même l’inefficace secrétaire général de l’ONU l’a développé(1)« Selon António Guterres, la communauté internationale n’a pas la « volonté » de faire face aux grandes menaces »..

Non seulement les guerres européennes (Chypre, ex-Yougoslavie, Russie-Ukraine-Otan) sont responsable de près de 1 000 000 de morts et blessés, mais elle a permis aux puissances occidentales de justifier le double discours qu’elles professent dans les réunions hypocrites des dernières COP Climat. Les centrales à charbon sont maintenues par la Grande-Bretagne, l’Allemagne. Les importations de charbon de l’Union européenne ont augmenté de 33 %(2)« Charbon: l’Europe augmente ses importations ».. Un nouveau gazoduc transsaharien permettra d’accéder directement au gaz du Niger, de l’Algérie et du Nigeria. L’agence internationale de l’énergie prévoit une augmentation de 5 % de la production de charbon d’ici 2040. Sans parler du gaz de schiste étasunien. Et pendant ce temps-là, les puissances occidentales, habituées depuis des décennies à gaver leur grande bourgeoisie avec des dividendes, investissent de façon ridicule dans la recherche et le développement, nécessité pour diminuer réellement les émissions de gaz à effet de serre. Tout en ne développant pas de contre-plan pour développer l’impérieuse sobriété énergétique.

La COP 16 Biodiversité

Vient de se terminer la COP 16 Biodiversité par manque de quorum (méthode classique pour enterrer un problème et éviter le vote important toujours renvoyé en fin de séance !). Après la création des droits à polluer, voilà la création d’un marché de « crédits biodiversité », qui permettent de détruire ici la biodiversité que l’on développe là-bas. Une supercherie. Alors que seuls 17,6 % des terres et des eaux intérieures et 8,4 % des océans et zones côtières se trouvent aujourd’hui dans des zones protégées(3)Source : Protected Planet Report 2024., ailleurs la prédation contre la biodiversité bat son plein. A étécréé un organe représentatif des peuples autochtones… mais sans budget ! A été décidé un partage des bénéfices issus des « données génétiques » de la nature… mais qui sera abondé de façon volontaire !

L’ancien fonds biodiversité a été crédité de 369 millions d’euros pour l’ensemble de la planète, ce qui représente une pitrerie ! Donc, comme tout cela n’est rien, le grand débat attendu concernait la création du nouveau fonds de financement, mais il n’a pas pu être adressé faute de quorum. Avouez que ce n’est pas de chance !!!!!

La Commission mondiale sur l’eau

Après deux ans de travail, la Commission mondiale sur l’économie de l’eau, véritable « Giec de l’eau »(4)The Economics of Water: Valuing the Hydrological Cycle as a Global Common Good., vient de nous alerter sur la « catastrophe en cours » : « Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le cycle de l’eau est déséquilibré, ce qui compromet un avenir équitable et durable pour tous », écrivent les auteurs du rapport. Ce rapport étudie les deux faces du même problème, à savoir les inondations et les sécheresses.

Pour répondre à ces défis, la Commission donne cinq « missions » à la communauté internationale : lancer une révolution dans les systèmes alimentaires, afin de mieux utiliser l’eau, conserver et restaurer les écosystèmes, mettre en place une économie circulaire de l’eau, avec un focus sur les processus industriels, développer les énergies propres et l’intelligence artificielle, de manière à réduire la consommation en eau, veiller à ce qu’aucun enfant ne meure à cause d’une eau insalubre d’ici à 2030, en garantissant l’approvisionnement fiable en eau potable et l’assainissement pour les communautés mal desservies. Quelques jours après la fourniture du rapport, les inondations en Espagne ont eu pour conséquence, dans la région de Valence, plus de 200 morts et 1900 personnes disparues sans que les médias dominants en recherchent les causes. « La violence des inondations dans le sud-est de l’Espagne est un reflet du changement climatique, mais également la conséquence d’un étalement urbain qui n’a pas pris l’eau en compte », explique l’urbaniste Clément Gaillard(5)Voir : « Inondations en Espagne : « Nous payons 150 années d’urbanisation brutale » »..

Les médias dominants complices

Inutile de dire que les médias dominants n’ont pas le temps de traiter ces affaires, qu’ils jugent secondaires pour l’humanité. C’est tellement plus « drôle » de psychologiser les grands dirigeants du monde, de n’informer que par leurs « punchlines » ou de désinformer dès que l’on parle de narcotrafic en faisant l’impasse sur les véritables causes. Et plus grave encore, quand ce sont des leaders dits de gauche qui utilisent les mêmes ressorts contre la raison raisonnante, là on touche au sublime de l’hypocrisie.

Une expérience locale entre autres

Rien de mieux qu’une expérience locale pour voir concrètement la façon dont est traitée la biodiversité en milieu urbain dans notre pays. Il s’agit du lac de Créteil(6)LACCRETEIL.FR, Projet d’installation d’une activité de surf et d’une vague artificielle par une entreprise du secteur privé, sur le lac de Créteil – LACCRETEIL.FR, État du lac de Créteil en période estivale 2024. – LACCRETEIL.FR, Le Collectif du lac de Créteil – LACCRETEIL.FR, L’eau est précieuse => Le lac de Créteil est-il mis en danger par les rejets qui y sont déversés ? – LACCRETEIL.FR., qui n’est pas inclus dans un schéma d’aménagement de la gestion de l’eau (SAGE), alors que la loi sur l’eau date de 1992 !

La parole à Koheï Saïto

Il fallait bien nous poser la question du pourquoi et du comment de cette société du spectacle concernant l’écologie, le cadre de vie, l’environnement et la biodiversité. La lecture des travaux du philosophe japonais Koheï Saïto, professeur associé à l’Université de Tokyo, nous apporte quelques réponses à nos questions dans La nature contre le capital : l’écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital édité en allemand. À partir de sources largement inédites(7)Marx-Engels-Gesamtausgabe (The Complete Works of Marx and Engels) – Berlin-Brandenburg Academy of Sciences and Humanities., ce livre montre que Marx a développé sur la fin de sa vie une analyse écologique du capitalisme. La traduction française de Hitoshinsei no Shihonron (Le capital dans l’anthropocène), best-seller du philosophe japonais Koheî Saïto, spécialiste de Marx, vient de paraître sous le titre Moins ! (Seuil, 368 p. 23 euros). Marx a été marqué en 1865-66 par les travaux de Justus Von Liebig sur la chimie agricole et la dégradation de la fertilité des sols.

Koheï Saïto estime qu’on « discute par exemple de taxer davantage les riches, mais pas du tout de limiter la propriété privée des voitures et la consommation de viande, d’interdire les vols sur courte distance et les jets privés, d’interdire la publicité pour des biens non durables » ce qui va dans le sens du capitalisme. Il dit également que nous « ne réglerons pas la crise climatique par la technologie. C’est évident s’agissant des technologies qui viendront trop tard – à supposer qu’on les maîtrise un jour, comme la fusion nucléaire. Mais c’est évident aussi s’agissant des technologies d’aujourd’hui, comme la voiture électrique, dont l’empreinte écologique pourrait devenir tout aussi insoutenable que la voiture thermique. Cependant, pour décarboner notre économie, il est tout aussi évident que nous avons besoin de voitures électriques, d’éoliennes, de panneaux solaires, de batteries ». Koheï Saïto dit clairement que ce qu’il propose « n’est pas le mode de vie Amish, ce n’est pas le refus du progrès technologique, et les marxistes reconnaissent au contraire l’importance des sciences et des techniques. Mais c’est à l’opposé de la logique d’accumulation du capitalisme, qui cherche à vendre toujours plus de plus grosses voitures parce que c’est profitable, et qui ce faisant détruit la planète ».

Pour y parvenir, Koheï Saïto propose, pour éviter une sorte de « maoïsme climatique », des régulations concertées démocratiquement via une planification à inventer. Il estime que les pays du Sud ont besoin « de faire croître la santé, l’éducation, les transports, l’énergie, l’alimentation ». Ils ne peuvent donc pas être soumis au même processus de décroissance que les pays du Nord.

La parole à Clément Sénéchal

Clément Sénéchal a été porte-parole climat de Greenpeace. Son livre coup de poing, Pourquoi l’écologie perd toujours, publié par Le seuil, critique une écologie du spectacle tournée uniquement sur l’image largement financée par les multinationales capitalistes, et qui organise un lobbyisme poli pour que rien ne change. Il écrit :

Depuis les années 1970, une partie des élites de l’écologie officielle portent une lourde responsabilité. Elles ont fait de l’écologie un objet de lutte pour privilégiés… profitable… elles ont contribué à faire de l’écologie une caution symbolique, doublée d’une leçon de maintien.

Beaucoup y sont habillés pour l’hiver : Nicolas Hulot, Daniel Cohn-Bendit, Paul Molac, François de Rugy, Barbara Pompili, Pascal Canfin, Pascal Durand, etc.

« À ces passagers clandestins de l’écologie… il n’est jamais demandé le moindre compte. Si cette écologie fabrique de l’échec, c’est parce qu’elle se vend à tous ». Sans compter les écogestes au service du capitalisme ! Car pour l’écologie bourgeoise, « c’est la figure libérale du consommateur qui est placée en position arbitrale ».

Les ONG réconfortent donc l’orthodoxie libérale de l’homo economicus en déresponsabilisant les décideurs politiques. Pourtant les écogestes renvoient au référentiel de « l’empreinte carbone individuelle », une notion développée et popularisée par l’industrie pétrolière dans les années 2000. Exit la nécessité du changement politique.

Ensuite, elle réserve l’écologie « à une classe supérieure dotée des ressources nécessaires pour consentir et sublimer quelques sacrifices mineurs dans son mode de vie. Les écogestes renvoient à une écologie du luxe et de la volupté… innocemment teinté de mépris de classe, calibré pour les adeptes du bio et du vélo électrique ». Le WWF « vous donne les clés, astuces, écogestes et idées pour qu’au quotidien, vous puissiez faire la différence ». La FNE invite à « calculer son empreinte climat », Oxfam considère que « Les écogestes [sont] un premier pas pour le climat », la FNH affirme quant à elle qu’« aucune action individuelle n’est dérisoire », avant de nous prodiguer toute une batterie de conseils de vie quotidienne. L’écologie installée vise en définitive une économie de marché vaguement conscientisée. On comprend donc mieux pourquoi la critique du capitalisme reste tabou dans le champ environnemental professionnalisé, au point d’en faire un impensé central.

Depuis des années, les écologistes partagent en définitive le même agenda que la classe capitaliste. Conséquence d’un champ social qui s’est construit en dehors des mouvements ouvriers et des classes populaires, ils ont codé leurs revendications dans la langue du marché. Et même quand il s’agit d’interdire fermement au lieu de marchander, ce sont encore les pauvres qui sont ciblés, comme avec les fameuses « zones à faibles émissions » endossées par François Hollande et Emmanuel Macron. Demande récurrente des ONG, l’écologie bourgeoise a pour but d’éloigner les plus pauvres des centres-ville.

|…] Il y a une urgence à recoder la question écologique à partir des inégalités réelles. Il faut une écologie de la lutte des classes. L’un des principaux freins à la transformation sociale, c’est la fragmentation des classes populaires par le racisme. Or il y a toute une écologie bourgeoise qui fait basculer des parties entières des classes populaires vers l’extrême droite, parce qu’elles se sentent victimes d’une forme de violence symbolique de l’écologie officielle. Il faut ensuite consolider les alliances de classe possibles pour massifier le mouvement de contestation contre l’ordre établi.