La COP 24 qui s’est tenue à Katowice en décembre 2018 marque une profonde rupture entre le monde politique des négociations internationales et la société civile ancrée dans le réel. Un petit effort de mémoire des COP des années précédentes permet de mettre en perspective cette dérive. Les premières COP faisaient débat, des décisions et actions concrètes étaient attendues au Nord comme au Sud, les ONG publiaient chaque jour un bulletin quotidien faisant état de l’état des négociations. La COP 3 à Kyoto en 1997 adoptait un Protocole juridiquement contraignant mais très modeste de diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES), et depuis abandonné ; la COP 15 à Copenhague en 2017 était déclarée « le sommet de la dernière chance » , mobilisait l’opinion mais finissait sur un échec cuisant ; la COP 21 à Paris en 2015 scellait un Accord international pour limiter le réchauffement climatique en-dessous de 2°C, voire si possible de 1,5°C, demandant à chaque pays, à défaut de pouvoir parvenir à une approche globale, d’apporter sa propre contribution à la réduction des émissions de GES. Les faits sont têtus et chaque année devenait l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis l’ère industrielle. Malgré la mise en garde de 15 000 scientifiques en novembre 2017, rien n’y fit, la COP 231 à Bonn fit l’effet d’une mascarade et de faillite du processus onusien en mettant en place le « dialogue de Talanoa » (parler avec son cœur en fidjien puisque les Îles Fidji présidait la conférence) et renvoyait les décisions les plus importantes l’année suivante. La COP 24 à Katowice a confirmé le processus de faillite : elle minimise le rôle des scientifiques et par conséquent les conclusions du GIEC, enterre les droits humains qui devait être la référence et servir de boussole de l’action climatique, ne concrétise pas les engagements pris en 2009 pour aider les pays les plus vulnérables (100 milliards de dollars par an2) pour l’adaptation au changement climatique à disposer d’un accès à une énergie propre, constate que les émissions de GES sont repartis à la hausse et savoure malgré tout une « victoire » en annonçant que la feuille de route de l’application de l’Accord de Paris est sauvegardé ! Pour certains, cet accord ressemble dangereusement aux accords de Munich en 1938 qui, croyant éviter la guerre, l’ont précipitée3. Les contributions volontaires des pays signataires pour réduire les émissions de GES sont insuffisantes et c’est un réchauffement global de 3,2°C d’ici la fin du siècle qui est attendu et le seuil de 1,5°C sera dépassé dès 2030 si rien n’est fait. Les trajectoires sont à présent connues. Pour ne pas dépasser le seuil de 1,5°C, selon le dernier rapport du GIEC, à l’horizon 2050, les émissions nettes mondiales de C02 doivent être nulles, c’est à dire que la quantité émise dans l’atmosphère doit être égale à la quantité éliminée par les milieux naturels (forêts, sols, océans).
La COP 24 s’est déconnectée de l’urgence climatique et un gouffre s’est creusé entre la réalité du réchauffement de la planète et l’action politique. Finalement tout le monde a l’air de s’en foutre. Emmanuel Macron tweete à la fin de la conférence « Bravo à l’ONU, aux scientifiques, aux ONG et à tous les négociateurs » alors qu’aucun ministre ou secrétaire d’État français ne participait aux derniers jours des négociations et que les émissions de GES sont reparties à la hausse en France de 3,2 % en 2017 par rapport à l’année précédente4, une première depuis 10 ans ! Pour nombre d’observateurs, il aurait fallu envoyer un signal fort aux entreprises du privé pour qu’elles fassent leur mutation vers une économie bas carbone.
A ce stade, les décisions de la COP24 et les revendications du mouvement des « gilets jaunes » illustrent parfaitement les liens entre justice sociale et lutte environnementale. Les pays du Sud attendent la contribution des pays développés promise depuis maintenant 10 ans pour s’adapter à un réchauffement dont ils ne sont en aucune manière responsables. En 1992, date de la signature de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC), le principe des « responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives » avait été adopté dans l’idée que tout le monde devait agir sur le climat mais que le niveau d’engagement dépendait du niveau de responsabilité dans les émissions de GES et des capacités économiques de chacun. La question des financements au titre de la justice climatique pour l’adaptation des pays en développement au changement climatique devait être au centre des discussions de la COP 24 ; cela n’a pas été le cas et les pays les plus riches ont opéré ont opéré un retour en arrière.
S’il y a des inégalités entre les pays, raison pour laquelle une aide a été prévue, il ne faut pas oublier pour autant les inégalités nationales. On retrouve à ce titre la même logique avec le mouvement des « gilets jaunes » , le gouvernement impose une fiscalité écologique sans justice sociale. La citation a fait florès « Vous me parlez de la fin du monde, je vous parle de la fin du mois », ce qui n’empêche pas que les revendications des « gilets jaunes » ignorent l’importance de l’aménagement du territoire et les préoccupations écologiques, en mettant en avant la nécessité de favoriser les petits commerces, de cesser la construction de grandes zones commerciales aux périphéries urbaines, d’arrêter la fermetures des dessertes locales ferroviaires, des bureaux de poste, écoles, maternités, de prioriser le transport des marchandises par voie ferrée, de mettre en place un plan réel d’isolation des logements, de taxer le fuel maritime et le kérosène de l’aviation5. Les « gilets jaunes » refusent d’être les sacrifiés d’une transition écologique qui se décide sans tenir compte de leur situation. Leur colère est juste car, sous couvert de lutte contre le réchauffement climatique, la politique gouvernementale est une tromperie écologique et une arnaque sociale6.
Une démonstration convaincante est apportée par Sophie Chapelle7qui rappelle que la hausse des taxes sur la carburants était justifiée par le gouvernement par l’argument climatique. Sur les 3,9 milliards d’euros de recettes supplémentaires prévues initialement en 2019, seuls 80 millions (2%) devaient être reversés au compte d’une affectation spéciale « transition énergétique », et quasiment tout le reste allait au budget général de l’État, manière de combler le manque à gagner fiscal lié à la suppression de l’Impôt sur la fortune (ISF). A cette première arnaque s’en ajoutait une seconde, à savoir que si les automobilistes devaient payer la taxe carbone, il n’était aucunement question de taxer le kérosène (manque à gagner fiscal de 1,3 milliard d’euros par an) pour un mode transport 14 à 40 fois plus polluant en CO2 que le train par km et personne transportée, ni le fuel lourd du transport maritime. Les dispositions fiscales pour aligner la fiscalité du gazole non routier sur celle des particuliers étaient finalement annulées par le gouvernement ; divers secteurs d’activités continuent de bénéficier de cette exonération : les agriculteurs, les industries extractives (carrières, sables et gravier), les entreprises de travaux publics et les activités forestières et fluviales. Mais plus encore, Attac France montre que quelques 1 400 sites industriels et polluants du pays (secteurs de la sidérurgie, raffinage, ciment, aviation) sont complètement exonérés de la fiscalité carbone, bénéficiant pour se faire de quotas gratuits d’émissions polluantes, correspondant à un manque à gagner pour les finances publiques évalué par l’association à 10 milliards d’euros entre 2008 et 2014.
Que ce soit donc au niveau de la COP 24 ou de la politique nationale, l’industrie ne paie pas de taxe carbone et aucune décision politique forte n’est envoyée aux entreprises du privé pour une mutation vers une économie bas carbone. La colère des « gilets jaunes » est partie sur l’injustice sociale sous couvert d’une transition écologique. Cette tromperie explique la levée populaire à l’encontre d’une nouvelle classe aristocratie hautaine et méprisante incarnée Emmanuel Macron. Il n’est donc pas étonnant que les revendications du mouvement dépasse la seule taxation des carburants mais englobe à présent tous les aspects de la société : politique sociale, protection sociale, système fiscal, économie et politiques européennes, question migratoire, institutions de la République.
1Michel Marchand (2017) La COP 23 ou comment le pire risque fort d’être devant soi. RESPUBLICA, 30 novembre 2017.
2La somme du financement de 100 milliards de dollars par an prévu en 2020 est loin d’être atteinte, elle est évaluée entre 48 et 56 milliards et il est estimé que le financement net de l’action climatique censé revenir aux pays en développement sera moindre.
3Yvan du Roy (2018) Climat et effondrement : « seule une insurrection des sociétés civiles peut nous permettre d’éviter le pire. Bastamag, 16 octobre 2018
4la moyenne de l’ensemble des pays de l’Union européenne est de + 1,8 % selon les données Eurostat
5Philippe Hervé & Michel Marchand (2018) Les revendications des gilets jaunes : un vrai « cahier de doléances ». RESPUBLICA, 8 décembre 2018
6Sergio Coronado (2018) L’écologie, le 17 novembre et les « gilets jaunes ». RESPUBLICA, le 28 novembre 2018.
7Sophie Chapelle (2018) Quand les ménages financent la transitin écologique alors que les gros pollueurs en sont exonérés. Basta, 17 décembre 2018