Jusqu’à la fin du 20e siècle, la priorité était de maîtriser les crues, parfois violentes. Il a fallu construire des digues, des barrages, des retenues d’eau. Les centrales nucléaires ont été installées près des cours d’eau. À présent, la priorité semble s’inverser : il faut user avec plus de parcimonie de l’eau disponible et employer des ressources hydriques qui jusque-là étaient délaissées. Encore, ces phénomènes accentués par le changement climatique sont différents d’un endroit à l’autre de la planète. Pour notre pays, la gestion ne peut qu’être différenciée selon que l’on se trouve dans des départements au climat méditerranéen, avec une tendance à la sécheresse très accentuée ou plutôt océanique avec une tendance aux précipitations plus fortes. Cela n’empêche pas que même les régions sans gros soucis risquent de voir tarir leurs ressources en eau. De ce fait, une universalité des solutions semble devoir se dessiner.
Projections de Météo-France
Il apparaît selon les projections du service public élaborées dans le cadre du projet « Explore2 » sur l’avenir hydrique de la France que le nombre de jours de sol sec va en s’amplifiant. La comparaison est établie entre la période 1976-2005 et la période future 2041-2070. Ces projections qui ne poussent pas à l’optimisme indiquent des augmentations selon les zones de +6 jours à +199 jours de sol sec. Certaines villes verront le nombre de jours de sécheresse passer en 2050 à 222 pour Arles (Bouches-du-Rhône) et à 135 pour Vigneux-sur-Seine (Essonne)(1)Sources : palmarès exclusif de Marianne n° 1365.. L’impact sur la production agricole, sur l’activité industrielle, sur notre vie quotidienne sera fort. Cela exige, dès maintenant, de définir des mesures et de les appliquer pour une efficacité sur le long terme. Ces mesures impacteront, si elles veulent avoir des conséquences positives socialement et économiquement, le système économique néolibéral dominant, les règles qui poussent à une dérégulation toujours plus grande du marché, les échanges commerciaux internationaux.
Situations d’urgence : éviter les mesures cosmétiques de pure communication
Il est évident que se justifient des mesures drastiques dans des départements déjà en déficit d’approvisionnement en eau comme le sud-est de la France et tout particulièrement celui des Pyrénées orientales médiatisé dans la presse et les informations télévisées. L’interdiction de remplir les piscines se comprend dans ce cas, mais est-elle une mesure à généraliser et surtout, est-elle à la hauteur des enjeux quand on sait que ces bassins de loisir privés ne représentent qu’une goutte d’eau et surtout quand on sait que, bien entretenue, l’eau n’a besoin d’être renouvelée que tous les 10 à 15 ans ? Que le gouvernement mette en exergue ce genre de mesure ne relève-t-il pas de la communication pour faire croire qu’il agit pour mieux détourner les regards de son impéritie en la matière ? De plus, de telles mesures, localement indispensables certes, ne risquent-elles pas de creuser encore plus le fossé entre les habitants des métropoles disposants de bassins de natation à proximité et les habitants des périphéries ne disposant pas de services publics suffisants et à proximité dont des centres nautiques ? Certains commentateurs n’hésitent pas à affirmer, en partie à raison, que de telles mesures prises de manière comminatoire feraient le jeu de l’extrême-droite. Les Français et les Françaises sont très sensibles à la notion d’égalité depuis la Révolution française. Cela est dû au fait que la République est avant tout une promesse d’égalité et de justice sociale. Lorsque cette dernière est remise en cause, on le voit avec la réforme des retraites, la France se mobilise.
Des actions à long terme à mettre en œuvre et révision de nos usages
Il apparaît évident que des mesures pérennes et à long terme doivent être mises en œuvre rapidement. Prendre le temps d’organiser une délibération collective et démocratique peut sembler une perte de temps. C’est tout le contraire, car prendre des mesures contraignantes sans consentement éclairé relève du principe délétère « faire seul, on va plus vite », mais « faire ensemble peut paraître plus long, mais on va plus loin » et dans le long terme est plus efficace. L’exemple du fiasco du passage en force concernant la contre-réforme des retraites en est et en sera de plus en plus la démonstration.
De multiples solutions aux potentialités importantes qui conjuguent application nationale et locale soit sont déjà mises en œuvre soit sont étudiées. La méthode doit se baser sur une interaction féconde entre l’international, le national et le local, sur une dialectique qui doit être du bas vers le haut, du haut vers le bas à la fois horizontale et verticale.
- Tarification écoresponsable de l’eau : l’exemple de Dunkerque montre qu’il est possible de conjuguer lutte contre le gaspillage de l’eau et justice sociale. Ainsi les 80 premiers m3 sont à un tarif abordable pour tous les foyers. Les deux autres tranches supérieures de consommation sont plus élevées pour inciter à la sobriété. Cela semble bien fonctionner avec une diminution de 10 % de la consommation accompagnée d’une baisse de la facture(2)Le président Macron propose d’utiliser le levier de la tarification progressive dans le cadre du plan « eau » pour parvenir à une réduction de 10 % de la consommation des ménages. Rappelons que La France insoumise, dans son programme « L’Avenir en commun », allait plus loin et préconisait au chapitre 43 intitulé « Consommer autrement » d’instaurer une tarification progressive sur l’eau et l’énergie incluant la gratuité des quantités indispensables à une vie digne et pénalisant les mésusages et gaspillages.. Faut-il aller plus loin et garantir l’accès gratuit pour les premiers m3 et pénaliser les usages excessifs ? Des exemples montrent que certaines entreprises, dont des horticulteurs, peuvent parvenir à se passer du recours à l’eau du robinet(3)Exemples cités par Marianne n° 1365 d’un pépiniériste, Jardin fleuri, à Bénesse-Maremne, dans les Landes ou encore des synergies entre usines à Dunkerque….
- Lutte contre les fuites d’eau du réseau : les pertes d’eau dues au mauvais entretien du réseau de distribution s’élèvent en moyenne à 20 % en France. Cela peut aller jusqu’à 40 % dans certaines localités. Un investissement conséquent pour rénover le réseau s’impose. Cela a un coût qui ne peut être répercuté tel quel pour l’usager, notamment modeste. Le principe selon lequel « l’eau paie l’eau » doit être assorti de mesures d’accompagnement sociales afin de garantir l’accès à ce bien commun, quelle que soit la situation de fortune des usagers. C’est le principe même du service public(4)Dans le bassin potassique (mines domaniales des potasses d’Alsace), à la fin de l’activité minière, les MDPA ont concédé à une société privée la gestion du réseau d’eau des cités minières. Cette société n’a quasiment pas entretenu le réseau d’où des fuites importantes et a engrangé les profits. À présent, le service est revenu à la Communauté d’agglomération qui doit compenser financièrement les années d’impéritie de la gestion privée. Cela montre que cette gestion devrait relever de la gestion exclusivement publique pour que l’intérêt général prime sur l’intérêt privé.
- Penser les eaux usées et l’eau de pluie comme une ressource et non un déchet : seul 1 % des eaux de nos toilettes sont utilisées pour l’arrosage des espaces verts et des surfaces agricoles(5)Israël : 85 %. Le revers de la médaille est que cette eau n’ira plus abonder les rivières et les nappes phréatiques. On peut penser que cela limitera le pompage de ces mêmes cours d’eau et nappes. Pour ce qui concerne les eaux de pluie, il est nécessaire de ne plus les raccorder au réseau afin, à la fois de ne pas saturer les stations de retraitement avec de l’eau propre et de la restituer directement aux sols et de servir à la végétation en général.
- Renouveler les pratiques agricoles : c’est urgent du fait que l’agriculture utilise 57 % de la consommation d’eau, eau indispensable à la production de notre alimentation. Le docteur en agroclimatologie Serge Zaka(6)Cité par Marianne n° 1365. ne récuse pas les potentialités que recèlent les technologies numériques, mais affirme dans le même temps qu’elles sont loin de nous permettre de passer outre des solutions pérennes et à long terme. Il préconise la fin de la monoculture, la préservation ou le retour de la biodiversité des sols. Il faut recourir de plus en plus au choix de cultures plus frugales en eau comme des légumineuses ou les racines selon Carina Furusho-Percot(7)Citée par Marianne n° 1365.. Vous pouvez également vous référer au n° 1049 du 23 mars 2023 de ReSPUBLICA, « Alimentation : quelles pratiques agricoles pour retrouver notre souveraineté alimentaire ? » : « Ces changements de paradigmes agricoles prennent du temps. Il faut assumer de prendre maintenant des décisions qui n’auront d’effets bénéfiques que dans une vingtaine d’années. »(8)Serge Zaka toujours. Nos politiques qui ont la tête dans le guidon de leurs prochaines réélections sont-ils capables de laisser de côté leurs biais cognitifs pro-ultralibéraux et de s’attacher en priorité à l’intérêt général, ce que Montesquieu appelait la vertu indispensable à toute république ? Le syndicalisme agricole type FNSEA, lobby de l’agro-industrie mortifère et attaché aux pratiques délétères, ne semble pas prendre la mesure de l’enjeu pour les paysans et l’humanité. Seul le syndicalisme paysan de la Confédération paysanne paraît en prendre conscience. Malheureusement, il est à la fois minoritaire et écarté par les pouvoirs publics français et peu soutenu par l’Union européenne qui navigue au gré de la puissance des lobbies les plus riches.
Quelle société, quel système économique ? Et les services publics ?
En guise de conclusion provisoire et discutable, le système économique néoconservateur ultralibéral qui fait de la recherche dans le plus court laps de temps du profit maximum quitte à ce que l’humanité fonce droit dans le mur de l’argent-roi, est-il le plus approprié pour mettre en œuvre des mesures de justice sociale et écoresponsables ? Reprenons les fondamentaux d’une politique de gauche conséquente comme nous y invite l’appel « Combat laïque, combat social, fédérer le peuple. » Rappelons que l’un des principes universels sur lequel doit se fonder une société laïque est que la puissance publique doit accorder la priorité de ses dépenses de fonctionnement et d’investissements au bien commun. Parmi d’autres, l’eau en fait partie. Pour cela, rien ne vaut le service public à condition de lui donner les moyens de remplir ses missions au bénéfice de tous les usagers et de la totalité de la société.
D’ailleurs, la Fondation Concorde, au tropisme néolibéral affirmé et revendiqué, a fait réaliser un sondage aux conclusions que ne lui plaisent pas. En effet, les Françaises et les Français se déclarent favorables aux services publics à 83 % pour la santé, 78 % pour la production d’énergie, 76 % pour les transports, 75 % pour la sécurité, 71 % pour le ramassage des ordures. Ce sont autant de biens communs. Bref, les Français et les Françaises ne souscrivent donc pas, malgré des politiques qui réduisent les moyens des services publics pour mieux les discréditer, à l’antienne néolibérale selon laquelle le public serait « ringard » et le privé plus « moderne et adapté ». En revanche, légitimement, ils exigent une plus grande efficacité des services publics. Mais l’État maastrichtien le veut-il ?
Notes de bas de page
↑1 | Sources : palmarès exclusif de Marianne n° 1365. |
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↑2 | Le président Macron propose d’utiliser le levier de la tarification progressive dans le cadre du plan « eau » pour parvenir à une réduction de 10 % de la consommation des ménages. Rappelons que La France insoumise, dans son programme « L’Avenir en commun », allait plus loin et préconisait au chapitre 43 intitulé « Consommer autrement » d’instaurer une tarification progressive sur l’eau et l’énergie incluant la gratuité des quantités indispensables à une vie digne et pénalisant les mésusages et gaspillages. |
↑3 | Exemples cités par Marianne n° 1365 d’un pépiniériste, Jardin fleuri, à Bénesse-Maremne, dans les Landes ou encore des synergies entre usines à Dunkerque… |
↑4 | Dans le bassin potassique (mines domaniales des potasses d’Alsace), à la fin de l’activité minière, les MDPA ont concédé à une société privée la gestion du réseau d’eau des cités minières. Cette société n’a quasiment pas entretenu le réseau d’où des fuites importantes et a engrangé les profits. À présent, le service est revenu à la Communauté d’agglomération qui doit compenser financièrement les années d’impéritie de la gestion privée. Cela montre que cette gestion devrait relever de la gestion exclusivement publique pour que l’intérêt général prime sur l’intérêt privé. |
↑5 | Israël : 85 % |
↑6 | Cité par Marianne n° 1365. |
↑7 | Citée par Marianne n° 1365. |
↑8 | Serge Zaka toujours |