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Tout peut exploser

Notamment en raison des risques potentiels d’explosion dus au stockage de nitrate d’ammonium à usage d’engrais à Ottmarsheim, une rencontre a été organisée, par le « Collectif 26 septembre Sud Alsace » ou C26S,  avec Paul Poulain comme conférencier. Ce dernier est un scientifique qui travaille dans un bureau d’études spécialisé en sécurité incendie et dans la maîtrise des risques industriels en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. Cet article rend compte de cette conférence et du livre qu’il publie chez Fayard, consacré à cette question essentielle des risques, Tout peut exploser.

Informer et éduquer pour soutenir l’indispensable intervention des travailleurs et du peuple

Dans le cadre de ses activités, il a pu constater que trop souvent c’est la stratégie de l’autruche qui prédomine. « On avance sans savoir. » Dans les faits, certains savent mais se taisent et surtout ne transmettent pas leurs connaissances au grand public. Il ne se veut pas pessimiste, malgré le titre de son livre, mais considère que pour rassurer il faut dire la vérité afin de trouver collectivement des solutions pour éviter le pire. Connaître la réalité des risques et la faire connaître est le meilleur moyen de tranquilliser de par la lucidité et la maîtrise du sujet que cela permet pour le plus grand nombre.

La transmission du savoir accumulé est le but essentiel de l’auteur dans l’esprit émancipateur de l’éducation populaire qui est chère à ReSPUBLICA. Il s’est rendu compte du défaut de culture technique et technologique, même s’il demeure en France d’excellents techniciens, chercheurs et ouvriers. Il rend responsable de cette inculture, en partie, les délocalisations qui exportent et réduisent le savoir-faire du fait de la disparition de nombreux pans de notre industrie et de la sous-traitance pour les questions de sécurité. En effet, la très grande majorité des personnes dans ces sociétés de sous-traitance ne sont pas formées ou insuffisamment. C’est le cas notamment pour nos centrales nucléaires.

Les contrôles sont désorganisés par manque de moyens. En dix ans, on a supprimé 10 000 contrôles sur des sites dangereux. On réduit les budgets des pompiers. Les industriels, eux, remplacent, pour faire des économies sordides, des salariés formés par des intérimaires ou des sous-traitants qui ne le sont pas. 92 % de ce personnel travaillant sur des sites à risques d’incendie ne savent pas utiliser un extincteur. Nous pourrions ajouter la réforme du code du travail qui fragilise le rôle des « Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail », réforme qui est emblématique et diminue d’autant les capacités de formation des travailleurs(1)Dans le cadre de la réforme du Code du travail, il été décidé, contre l’avis des syndicats de fusionner le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avec les autres instances représentant le personnel d’une entreprise à savoir les délégués du personnel (DP), le comité d’entreprise (CE) au sein d’un Comité social et territorial ayant les mêmes compétences. Seules les entreprises de plus de 300 salariés peuvent conserver une commission « hygiène, sécurité et conditions de travail », de type CHSCT. « En-deçà, de 50 à 300 salariés, il y en aurait une uniquement dans les entreprises classées Seveso (sites industriels à risque) ou dans le domaine nucléaire », Fabrice Angéi de la CGT..

Malgré des tentatives d’intimidation…

Il est inquiétant pour notre liberté et pour l’efficacité dans la lutte pour maîtriser tous les risques présentés dans son livre de constater les tentatives d’intimidation dont il a fait l’objet : « On m’a dit de me taire si je voulais continuer à travailler ». La tenue de cette conférence publique montre son abnégation et son courage. Il fait ainsi sienne, sans le dire, un droit naturel imprescriptible, parmi d’autres, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « le droit à la résistance à l’oppression » droit qui serait même un devoir.

Il relève une contradiction. En France nous sommes très bien informés, si bien, que nous sommes perdus car abreuvés de trop d’informations présentant une multitude de règles peu compréhensibles. C’est la raison qui a poussé l’auteur œuvrer pour créer une école des risques fondée, entre autres, sur l’histoire et la sociologie dans ce domaine sensible. La mission de cette école est de diffuser au sein de la population une authentique éducation populaire. Il insiste sur le fait que tout un chacun peut s’informer afin d’agir en connaissance de cause sur le site www.georisques.gouv.fr

Notons que Paul Poulain élargit la problématique au développement industriel qui contribue à la destruction de la biodiversité, destruction qui, elle-même, est une des sources des pandémies actuelles et à venir. Il avance, philosophiquement parlant, que les innovations technologiques avant d’être mises en œuvre doivent faire l’objet d’une délibération collective afin de déterminer ce qu’elles nous apportent réellement de mieux sur le plan humain.

Risques majeurs et mineurs

Dans la classification de l’auteur, les risques majeurs concernent :

Le stockage de produits potentiellement à risque

Ce point important est à l’origine de l’initiative de cette conférence :

Au passage, l’auteur fustige le glissement sémantique qui nous a fait passer sous Napoléon Ier du « code des nuisances » qui était très parlant et pertinent au « code de l’environnement » qui sent, par l’emploi d’un vocabulaire positif, l’entourloupe pour minimiser les situations à risques.

Impact négatif des assurances privées

Le conférencier évoque également le rôle négatif et l’intrusion des assurances privées pour lesquelles l’essentiel des recommandations visent à éviter les pertes d’argent. Elles influencent plus que les administrations le contenu des lois pour protéger les biens et bâtiments plus que l’environnement, la vie ou encore la santé des personnes. Il fait le parallèle avec ce qui devrait être un exemple à suivre la Sécurité sociale sous une forme intégrale. Une même organisation sur la sécurité en matière de risques industriels devrait être étudiée.

Economie-monde : litiges commerciaux et concurrence dérégulée

Paul Poulain dénonce également le fait que dans les litiges commerciaux internationaux les États ne soient plus maîtres chez eux. Il cite l’exemple du traité sur l’énergie dans lequel Nicolas Hulot, ministre, voulait inscrire l’interdiction de forages pétroliers(9)2017, l’information émane du journal Le Monde et n’a, pour l’instant, fait l’objet d’aucun commentaire du côté des services de Nicolas Hulot. Le ministre avait déjà évoqué cette perspective au mois de juin mais sans entrer dans les détails du texte envisagé. Concrètement, il est question d’hydrocarbures non-conventionnels comme le pétrole et gaz de schiste ou certains gaz enfouis sous les mers.. Un consortium canadien a gagné contre l’État français qui a dû revoir sa copie dans le sens des intérêts privés des industries des hydrocarbures.

Interrogé sur l’économie-monde qui pousse les industries à délocaliser vers des pays moins regardant pour contourner les règles et normes de sécurité, il propose la mise en œuvre d’un protectionnisme qui permettrait de refuser l’importation de produits fabriqués sans respecter la santé, la sécurité des travailleurs, sans se soucier de l’impact négatif sur l’environnement. Il ajoute être favorable à une réquisition des installations des entreprises dont les responsables envisagent de délocaliser pour éviter des « surcoûts » dus aux normes sociales et environnementales.

Pour l’émergence d’un vaste mouvement populaire fondé sur l’intérêt général

En conclusion, le conférencier dénonce le défaut d’investissement dans la sécurité sanitaire et environnementale. Il faudrait intégrer au-delà des coûts financiers, le coût humain(10)197 accidents industriels par jour en France, 320 000 morts par an dans le monde soit 1 000 morts par jour ou l’équivalent d’un Beyrouth par jour. Il estime qu’au-delà des actions individuelles utiles il faut mettre en œuvre des actions collectives, un vaste mouvement populaire ayant le souci de l’intérêt général. La mise en œuvre de ces innovations technologiques (5G, médicaments…) doit résulter d’une approbation de la population en mesure d’analyser ce qu’elles apportent de mieux sur le plan humain et non d’une prise de décision d’un homme seul tel que le Président de la République. Des investissements pour trouver des produits de substitution doivent être réalisés. Par exemple, il existe des possibilités de se passer du nitrate d’ammonium d’ici 2050 et nourrir tout le monde. Il faudrait changer de modèle agricole.

L’éducation aux risques, la connaissance des dangers et de leurs causes sont à même de favoriser la montée en puissance d’un mouvement populaire.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Dans le cadre de la réforme du Code du travail, il été décidé, contre l’avis des syndicats de fusionner le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avec les autres instances représentant le personnel d’une entreprise à savoir les délégués du personnel (DP), le comité d’entreprise (CE) au sein d’un Comité social et territorial ayant les mêmes compétences. Seules les entreprises de plus de 300 salariés peuvent conserver une commission « hygiène, sécurité et conditions de travail », de type CHSCT. « En-deçà, de 50 à 300 salariés, il y en aurait une uniquement dans les entreprises classées Seveso (sites industriels à risque) ou dans le domaine nucléaire », Fabrice Angéi de la CGT.
2 Source judiciaire : 14 septembre 2021, Rouen, la société Lubrizol, deux ans après l’incendie de son usine, est de nouveau ciblée par la justice, cette fois pour déversement de substances nuisibles dans les eaux et rejet en eau douce de substances nuisibles aux poissons
3 L’explosion de l’usine AZF de Toulouse est un accident industriel survenu le 21 septembre 2001 à Toulouse. Dans l’usine de production d’engrais azotés située en zone urbanisée, un stock de 300 à 400 tonnes de nitrate d’ammonium explose à 10 h 17, entraînant la mort de trente-et-une personnes, faisant deux mille cinq cents blessés et de lourds dégâts matériels.
4 La catastrophe de Bhopal est un accident chimique qui survient dans la nuit du 3 décembre 1984 à Bhopal, une ville du centre de l’Inde. Elle est la conséquence de l’explosion d’une usine d’une filiale de la firme américaine Union Carbide produisant des pesticides et qui a dégagé quarante tonnes d’isocyanate de méthyle dans l’atmosphère de la ville.
5 Les juges ont suspendu l’autorisation des travaux de confinement définitif des déchets industriels de Stocamine, en Alsace. Les opposants au projet parlent de victoire. Ils réclament le déstockage des 42 000 tonnes de déchets toxiques, afin de préserver l’une des plus grandes nappes phréatiques d’Europe. Par son jugement, la cour d’appel a suspendu l’arrêté du 23 mars 2017, qui autorisait le confinement pour une durée illimitée de ces déchets toxiques.
6 Source Le Monde du 16 septembre 2021 : « Stockage des déchets nucléaires à Bure. Une enquête publique contestée. » Cigéo vise à enfouir, sous 500 mètres de roches argileuses, les déchets nucléaires dits « de moyenne et haute activité à vie longue » – soit les plus dangereux – sur un terrain situé à cheval sur les départements de la Meuse et de la Haute-Marne.
7 Des ports comme Marseille ou Saint Malo en stockent jusqu’à 60 000 tonnes -10 fois plus qu’au Liban
8 Une valeur toxicologique de référence (VTR) est un indice toxicologique qui permet, par comparaison avec l’exposition, de qualifier ou de quantifier un risque pour la santé humaine. Le mode d’élaboration des VTR dépend des données disponibles sur les mécanismes d’action toxicologique des substances et d’hypothèses communément admises : on distingue ainsi des « VTR sans seuil de dose » et des « VTR à seuil de dose » Elles sont largement utilisées dans la démarche d’évaluation quantitative des risques sanitaires, processus décisionnel visant à fournir les éléments scientifiques essentiels à la proposition d’actions correctives par les gestionnaires de risque.
9 2017, l’information émane du journal Le Monde et n’a, pour l’instant, fait l’objet d’aucun commentaire du côté des services de Nicolas Hulot. Le ministre avait déjà évoqué cette perspective au mois de juin mais sans entrer dans les détails du texte envisagé. Concrètement, il est question d’hydrocarbures non-conventionnels comme le pétrole et gaz de schiste ou certains gaz enfouis sous les mers.
10 197 accidents industriels par jour en France, 320 000 morts par an dans le monde soit 1 000 morts par jour ou l’équivalent d’un Beyrouth par jour
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