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France-Algérie : fraternité et mémoire ne peuvent laisser de côté les droits des femmes

Texte prononcé – lors de la soirée du 18 décembre 2012, organisée par « Au Nom de la Mémoire » et Mediapart pour fêter la reconnaissance en 2012 par la France de la sanglante répression de la manifestation du 17 – par Soad BABA AISSA, militante féministe laïque (Parti pour la laïcité et la démocratie en Algérie)
Demain, Monsieur le Président, vous foulerez le sol algérien. Le pays de mes ancêtres, de la Kahina (1)Kahena (signifiant « prêtresse » , « devineresse » en arabe), de son vrai nom Dihya ou Damya (en tifinagh), est une reine guerrière berbère zénète des Aurès qui combattit les Omeyyades lors de l’expansion islamique en Afrique du Nord au VIIe siècle., de Fadhma N’Soumer (2)Lalla Fadhma N’Soumer (1830 – 1863), est une personnalité algérienne de la résistance des Kabyles (Igawawens : dénomination historique des Kabyles du Djurdjura) contre la conquête de la Kabylie par la France dans les années 1850. , Mamia Chentouf (3)Décédée ces derniers jours, elle fut la première sage-femme algérienne, militante nationaliste féministe au sein de l’Association des femmes musulmanes algériennes (AFMA), au côté de nombreuses autres femmes-courages à l’instar de Nefissa Hafiz, Malika Mefti, Baya Larab, Nassima Hablal, Meriem Benouniche, Zohra Tobiche, Izza Bouzekri, Zoreida Safir, Baya Nouari, Zoubida et Farida Saker, Manouba Khaked et tant d’autres « fidaiyates ». , Nefissa Hafiz, Hassiba Ben Bouali, Djemila Boupacha, Djemila Bouhired, Djemila Amrane et de ces milliers d’Algériennes anonymes. Ce pays où pendant 132 ans le joug du colonialisme a laissé des traces indélébiles. Les relations entre nos deux pays, demeurent douloureuses car le sang et les larmes ne sont pas encore taris. Ce XXIe siècle doit être celui où se construiront des relations entre pays basées sur le respect de la dignité et des intérêts réciproques des peuples. Nous venez de franchir un pas important en reconnaissant pour la première fois la responsabilité de la France dans la répression féroce des manifestations pacifiques d’Octobre 1961. La politique française doit être décolonisée. Plus que cela, elle ne doit pas, elle ne saurait se faire au détriment des droits humains et en particulier en ignorant le principe d’égalité des femmes et des hommes.

Ayant été les victimes du statut personnel musulman organisé par le colonisateur, les Algériennes ont toujours souhaité promouvoir une législation civile. En Europe comme dans les pays du Maghreb, les premiers mouvements féministes des années 1970 ont construit leurs revendications pour des droits égalitaires exemptés de toute référence au religieux. Pour les féministes algériennes le principe de laïcité n’a jamais été une valeur occidentale, c’est en se basant sur ce principe qu’elles combattent pour la reconnaissance de leur pleine citoyenneté et pour l’émergence d’une société démocratique.
Depuis 50 ans, nos autocrates refusent l’universalité des droits et la combattent au motif qu’il s’agit d’une valeur importée qui doit s’effacer devant les sacro-saintes spécificités culturelles.
Notre spécificité culturelle, s’illustre par les stigmates que nous portons depuis plus d’un quart de siècle, ceux précisément du code de la famille algérien, fort justement rebaptisé, « code de l’infamie », outil d’oppression des femmes, d’idéologisation et d’instrumentalisation de la foi à travers lequel les dictateurs et les islamistes exercent leur domination contre les revendications de laïcité, d’égalité et de pleine citoyenneté. Ils imposent un carcan de souffrance et d’humiliation aux Algériennes en en faisant des mineures à vie, des sous-citoyennes.
La malédiction des femmes algériennes et bi-nationales continue jusqu’en France où soumises aux accords bilatéraux signés entre l’Algérie et la France discriminent les femmes françaises d’origine musulmane et les condamnent à vivre les injustices inspirées de la charia. Nous, citoyennes françaises d’origine musulmane ne sommes pas des citoyennes à part. Nous sommes des citoyennes à part entière et aspirons à vivre les valeurs de la République de liberté et d’égalité. Hélas, nous restons confrontées aux inégalités et à l’injustice sociale, au sexisme, à la xénophobie, et à la pression communautaire liée à la montée des intégrismes religieux.

Au-delà de l’Europe et du Maghreb, les droits des femmes sont un véritable enjeu planétaire :  il requiert toute notre détermination à combattre les politiques qui hypothèquent leur évolution, voire favorisent leur régression. Si la question de la laïcité et de l’égalité des droits ne sont pas posées comme une priorité politique, pour la garantie des libertés et des droits égalitaires, nous risquons de voir s’accélérer le processus de la montée des intégrismes qui menacent nos libertés. La solidarité internationale féministe a montré sa force dans le respect des droits humains universels donc indivisibles et non associables à telle ou telle culture.

Dans le monde arabe, les peuples, hommes et femmes, côte à côte, ont montré leur soif de liberté et de dignité. Hier, vous leur demandiez d’accepter des autocrates pour éviter les islamistes. Aujourd’hui, vous leur demandez de se faire bouffer à la sauce « light » de l’islamisme « modéré », la nouvelle sémantique des prestidigitateurs du verbe !
Qu’ils nous disent alors ce qu’est le tutorat « modéré » ? Serait-ce le fait que les femmes puissent désormais choisir celui, obligatoirement un homme, par lequel elles deviennent légalement des « incapables majeures » ? Qu’ils nous définissent ce qu’est la polygamie « modérée » ! La répudiation « modérée » ! La lapidation « modérée » ! Le crime d’honneur « modéré » ! Aucune politique ne pourra prétendre défendre l’humanité entière si elle ignore les droits des femmes.
La polygamie, la répudiation, la lapidation ne sont pas de l’ordre de l’humain. Elles sont une injure à l’humanité entière ! Non ! il n’y a pas et il ne peut y avoir d’alchimie heureuse entre la religion et la politique, entre l’islam et la politique.

Dans un pays démocratique, la coopération entre gouvernements doit être fondée, sur des rapports d’égalité, elle doit s’affranchir de tout soutien aveugle à des régimes autocratiques ou théocratiques régi par des calculs à court terme qui font fi du respect des droits humains pour les hommes et les femmes.
En Tunisie, en Egypte, en Syrie, au Maroc, en Algérie, les femmes se battent contre toute intrusion de la religion dans les législations et ses effets néfastes sur les droits des femmes. Elles veulent conquérir leur place dans l’espace public et dans l’espace privé. Par le contenu politique de leurs revendications pour la rédaction de nouvelles constitutions : inscription du principe d’égalité, séparation des sphères politique et religieuse, élimination de toutes les lois inégalitaires à l’égard des femmes, égalité des droits politiques, économiques, sociaux et culturels démontre à l’envie l’attachement des femmes des pays arabes aux valeurs universelles, à la démocratie égalitaire.

Le gisement des ressources pétrolifères et gazières ne pourront pas éternellement étouffer les ressources des forces démocratiques, des féministes.
« Ecoutez-le, entendez-le, le vent de la révolte gronde. Ce ne sont pas les gémissements de femmes battues, c’est le bruissement des femmes battantes. »

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Notes de bas de page
1 Kahena (signifiant « prêtresse » , « devineresse » en arabe), de son vrai nom Dihya ou Damya (en tifinagh), est une reine guerrière berbère zénète des Aurès qui combattit les Omeyyades lors de l’expansion islamique en Afrique du Nord au VIIe siècle.
2 Lalla Fadhma N’Soumer (1830 – 1863), est une personnalité algérienne de la résistance des Kabyles (Igawawens : dénomination historique des Kabyles du Djurdjura) contre la conquête de la Kabylie par la France dans les années 1850.
3 Décédée ces derniers jours, elle fut la première sage-femme algérienne, militante nationaliste féministe au sein de l’Association des femmes musulmanes algériennes (AFMA), au côté de nombreuses autres femmes-courages à l’instar de Nefissa Hafiz, Malika Mefti, Baya Larab, Nassima Hablal, Meriem Benouniche, Zohra Tobiche, Izza Bouzekri, Zoreida Safir, Baya Nouari, Zoubida et Farida Saker, Manouba Khaked et tant d’autres « fidaiyates ».
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