Depuis la révolution qu’a représentée le mouvement #MeToo qui a donné un nouvel élan au féminisme, en particulier auprès des jeunes générations, de nouveaux sujets, plus intimes, sont désormais passés au crible de la réflexion féministe. Les relations amoureuses en font évidemment partie et plusieurs publications françaises récentes proposent de réfléchir à ce sujet… afin de bâtir à l’avenir des relations plus égalitaires.
L’amour, un fardeau pour les femmes ?
Dans sa bande dessinée Les sentiments du prince Charles sortie en 2010, la Suédoise Liv Strömquist décrivait déjà avec beaucoup d’humour et à l’aide de nombreuses références d’études sociologiques de quelle manière les relations amoureuses hétérosexuelles étaient formatées par le patriarcat en Occident. Alors que l’amour serait devenu une nouvelle « religion », il s’avère que cette foi en l’amour tourne à l’avantage des hommes. En témoignent de nombreux exemples célèbres, notamment Albert Einstein, dont la première femme, Mileva Marić, était une brillante physicienne qui a aidé à l’élaboration de la théorie de la relativité. Mais abandonnée par son mari, elle s’est consacrée après leur divorce à l’éducation de leurs deux enfants et n’a plus jamais publié. Dans l’Histoire, on trouve ainsi de nombreux exemples de minimisation de la contribution des femmes à des découvertes scientifiques ou théoriques (ce phénomène a même un nom : l’effet Matilda(1)Voir à ce sujet l’article de Pierre Robert jQuery('#footnote_plugin_tooltip_7430437_1_1').tooltip({ tip: '#footnote_plugin_tooltip_text_7430437_1_1', tipClass: 'footnote_tooltip', effect: 'fade', predelay: 0, fadeInSpeed: 200, delay: 400, fadeOutSpeed: 200, position: 'top right', relative: true, offset: [10, 10], });.)">« L’effet Matilda, ou les découvertes oubliées des femmes scientifiques », 14/08/2018, France Culture)).)
Contrairement aux hommes, pour les femmes l’amour relèverait du don de soi, ce qui les conduit souvent à faire des sacrifices, au détriment de leurs propres talent ou aspiration. En fait, le patriarcat se nourrit aussi des relations amoureuses inégalitaires au sein desquelles les hommes s’approprient la force des femmes. Notre culture populaire valorise les modèles de femmes qui se vouent corps et âme au bien-être et à la réussite de leur compagnon, l’amour justifiant cette disproportion. Cet excès d’investissement affectif dans le couple de la part des femmes a notamment été mis en lumière dans l’essai de Peggy Sastre publié en 2018 Comment l’amour empoisonne les femmes : du surinvestissement des femmes et des moyens d’y remédier.
Mona Chollet dans son dernier essai récemment paru Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles développe des idées similaires : l’amour romantiserait l’infériorité des femmes et pour se faire aimer, celles-ci devraient se « faire petites » (au propre, avec l’idéal de la minceur, comme au figuré, les femmes qui connaissent un succès professionnel important risquant le divorce…(2)Voir à ce sujet les conclusions d’une étude sur les récipiendaires des Oscars : le mariage des femmes récompensées dure deux fois moins longtemps que celui des perdantes. À l’inverse, le modèle de virilité répandu dans notre société met en avant des hommes forts, prédateurs, ce qui est la source du harcèlement et des violences que subissent les femmes.
Des rôles figés
Nos relations amoureuses se déroulent donc dans des cadres établis qui enferment les femmes comme les hommes dans des rôles genrés et ne nous permettent pas d’être libres. Avec son podcast, Le Cœur sur la table (à écouter gratuitement en ligne à l’adresse suivante : https://www.binge.audio/podcast/le-coeur-sur-la-table), la journaliste Victoire Tuaillon décrypte à l’aide de références et de témoignages recueillis dans des cercles de paroles cette mécanique bien huilée de l’amour. Les dix épisodes de ce podcast sont un formidable outil de réflexion pour comprendre le fonctionnement de nos choix amoureux en France et pour prendre du recul sur le conditionnement que nous subissons en matière romantique. Par exemple, l’épisode « L’ingénieur et l’infirmière » s’attache à décrire le concept de « travail émotionnel ». Ce travail émotionnel est un autre avatar du care invisibilisé dans nos sociétés : les femmes remplissent dans les relations le rôle d’une infirmière, réceptacle des émotions des hommes, médiatrice, conseillères et psychologues gratuites. Ce travail est énergivore et encore une fois, il soufre du manque de réciprocité. Allant au-delà du constat et de la dénonciation, Victoire Tuaillon s’efforce dans son podcast de faire des propositions pour combattre les stéréotypes et rééquilibrer les relations afin de parvenir à nouer des liens authentiques.
La nécessité de nouvelles représentations
Toutes ces réflexions sur l’amour et le couple s’accordent sur un constat : il nous faut de nouveaux objets culturels pour donner à voir des modèles de relations plus saines, sortant des schémas de domination. C’est sans doute l’un des enjeux les plus importants en matière de féminisme aujourd’hui – si on peut combattre un certain nombre d’inégalités avec des lois et des politiques publiques, il faut aussi s’attaquer à ce qui concourt à la fabrique des stéréotypes de genre qui se nichent très tôt et profondément en chacun de nous. Ces dernières années, de nombreuses productions culturelles ont bousculé les représentations. Par exemple la série Normal People, adaptation du roman éponyme de Sally Rooney, sortie en 2020 proposait une histoire d’amour entre deux jeunes irlandais, avec un personnage masculin que l’on avait rarement vu auparavant : très sensible, toujours attentif au consentement de sa partenaire. Récemment, le film de Jacques Audiard Les Olympiades, dont le scénario a été co-écrit par Céline Sciamma, décrivait aussi de manière très rafraîchissante des relations amoureuses avec des femmes séductrices, assumant leurs désirs et leurs envies.
Pour terminer, après ces invitations à se nourrir de toute cette nouvelle matière très enthousiasmante pour inventer un couple et des relations libérées du patriarcat, il convient de rappeler que ce combat est indissociable des autres combats sociaux défendus par ReSPUBLICA. En effet, pour que nos relations puissent s’épanouir correctement, il faut des conditions matérielles qui le permettent !
Notes de bas de page
↑1 | Voir à ce sujet l’article de Pierre Robert | ↑2 | Voir à ce sujet les conclusions d’une étude sur les récipiendaires des Oscars : le mariage des femmes récompensées dure deux fois moins longtemps que celui des perdantes |
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