Pour la sixième fois de son histoire depuis sa création en 1998, l’Union syndicale Solidaires (qui regroupe notamment les fédérations et syndicats SUD) a tenu son congrès à Saint-Brieuc du 12 au 16 juin 2017. Trois résolutions majeures étaient en débat, en plus d’un débat statutaire sur les règles de fonctionnent interne. Que faut-il retenir du congrès de cette organisation syndicale qui revendique plus de 110 000 adhérents ?
Un congrès marqué par plusieurs incertitudes
Avec près de 400 délégués réunis pendant plusieurs jours, dont de nombreuses délégations étrangères, l’Union syndicale Solidaires a réussi son pari de consacrer une partie importante de ses travaux aux questions internationales. C’était d’ailleurs l’objet d’une résolution entière, aux côtés d’une autre portant sur le cahier revendicatif – avec de longs débats constructifs sur l’« ubérisation » de la société et ses réponses syndicales – et enfin une troisième plus « habituelle » abordant les questions de syndicalisation, de structuration, développement et formation syndicale. Ce fut l’occasion de tirer un premier bilan des derniers résultats liés à la représentativité mais aussi d’évoquer les règles qui ont changé en ce qui concerne le financement de la formation syndicale (et les congés de formation syndicale, désormais gérés directement par les syndicats grâce au versement d’un fonds paritaire national) et qui conduisent non pas à un contrôle collectif plus serein des structures mais à une bureaucratisation forcée. Même son de cloche lors du débat statutaire qui a cristallisé les tensions autour du futur secrétariat national – instance de coordination, avec en arrière-fond des visions pas forcément différentes mais basées sur des incompréhensions concernant le développement dans le secteur privé ét également l’ancien secrétariat qui n’a pas fait l’unanimité lors de son dernier mandat dans son fonctionnement. Il faut dire que lors de l’ouverture du congrès, deux structures, dont la fédération historique SUD-PTT, se sont abstenues sur le rapport d’activité, présageant des débats d’une nouvelle nature dans Solidaires, tant habitué au « consensus » en interne. La « crise » de croissance de Solidaires – un développement continu mais fortement entravé dans un contexte de répression sociale – doit questionner l’organisation, qui bien qu’unie autour des résolutions, s’est retrouvée bloquée sur le renouvellement d’une partie du secrétariat, suite à l’opposition de Solidaires industrie et du syndicat des eaux et forêts de Solidaires. Ainsi, en chutant sur une commission « spéciale » congrès pour le travail des statuts et une instance nationale extraordinaire pour le développement du secteur privé, Solidaires écrit une nouvelle page de son histoire et doit s’interroger sur le fonctionnement interne, puisque sa composition a grandement évolué depuis de nombreuses années. L’intelligence collective permettra-t-elle de régler ces questions et d’avancer durant les prochains mois ?
Front social : des hésitations contradictoires
La force du syndicat a toujours été de rechercher le consensus en interne, non pas comme un frein à l’action et au débat, mais plutôt comme une union des différentes tendances pour rassembler les pratiques syndicales autour d’un dénominateur commun qui est l’outil interprofessionnel. Mais le revers de la médaille, c’est qu’en cas de désaccord ou dysfonctionnement important en interne, les lignes peuvent vite devenir des fractures. Si ces dernières années l’identité commune « Solidaires » a été moins ressentie par les équipes syndicales, c’est aussi du fait du positionnement parfois pris à contre-courant des équilibres internes, ce qui a fait l’objet de débats lors du congrès notamment dans le conflit contre la loi travail et les différentes stratégies. La table ronde qui s’est déroulée à mi-congrès et qui devait permettre aux délégués présents de débattre de l’actualité post-électorale et des attaques contre le code du travail a surtout été l’occasion de questionner les difficultés entre les déclarations parfois symboliques et le travail de terrain concret – quels moyens, quelle animation, quel engagement ?- et la contre-réforme d’ampleur de destruction du code du travail et des acquis. Comme chacun le sait, la période est à la préparation d’une lutte d’ampleur dans les rangs syndicaux – la CGT vient unilatéralement d’annoncer une journée de grève le 12 septembre – et l’Union syndicale Solidaires s’est longuement cherchée. D’après le témoignage de plusieurs délégués présents, si l’unanimité des syndicats sur l’opposition aux futures lois était de mise, il n’en a pas été de même quant aux stratégies syndicales à rechercher. Quid de l’unité syndicale, du rapport aux médias, mais aussi de la grève générale ? Dans une ambiance combative, plusieurs interventions se sont succédé pour aboutir à de nombreux échanges autour de la participation du collectif « front social », co-construit initialement avec des équipes CGT combatives en opposition avec leur confédération (Info-Com, Goodyear, etc.), des équipes SUD (PTT 92, Commerces) et des militants du NPA. Lors de la journée de clôture, trois lignes se sont dessinées dans Solidaires : la première, fortement opposée au front social du fait de son caractère très radical, une seconde favorable mais à la recherche du consensus dans Solidaires et opposée à la mainmise d’une organisation politique sur le syndicat et enfin une troisième, conglomérat de structures favorables au front social pour des raisons avant tout de combattivité. Si la résolution numéro 2 est favorable au front social sans y appeler à y participer, la motion d’actualité votée en fin de congrès ne fait pas état stricto sensu du « front social », mais de tous les collectifs. La campagne menée dans la période par Solidaires – nos droits contre nos privilèges -, récupérée par Attac, laisse un goût amer à plusieurs militants sur le modèle syndical que Solidaires devra choisir : est-ce une courroie de transmission d’organisations et d’associations antilibérales (et non anticapitalistes), un syndicat parmi d’autres dans des collectifs comme le front social ou le choix de la construction d’une vraie organisation avec le renforcement de ses équipes à travers une campagne forte menée sur ses propres bases, qui serait prometteuse pour Solidaires ?
Laïcité, un chantier ouvert pour les prochaines années
Le débat aurait pu passer presque inaperçu tant il avait été effacé par certains en amont du congrès. En effet, plusieurs tentatives répétées, qui ont fini par fonctionner, ont eu raison de l’organisation éventuelle d’une table-ronde sur la laïcité lors du congrès, réclamée par de nombreuses organisations. Mais sous couvert du consensus, certains – minoritaires dans Solidaires mais très actifs – ont cru bon d’effacer le débat tout en le réintroduisant de manière totalement indue dans la résolution consacrée aux questions internationales, en faisant mine de défendre la loi de 1905… pour mieux attaquer toutes les lois ou précisions depuis, qui d’après les auteurs du passage, seraient stigmatisantes pour tous les porteurs de signes religieux à l’école, au travail et dans l’espace public. Malgré plusieurs amendements avant le congrès demandant la suppression de ce passage litigieux – à la demande de structures différentes et pour plusieurs raisons (il n’est pas possible de prendre une position aussi tranchée avant le débat, défense de la laïcité dans le projet de Solidaires, etc.), la commission d’écriture des résolutions avait refusé. La « prime » à l’écriture des textes de congrès, dans Solidaires, existe, puisque en cas de désaccord lors des commissions au congrès, il faut réussir à recueillir plus de 66 % des votes des structures à la fois professionnelles et des unions départementales – dans chaque collège donc. Lors du débat en plénière, et lors du passage litigieux, plusieurs structures se sont opposées à ce passage en défendant clairement la liberté de conscience et la laïcité et en demandant un vrai débat sur le positionnement de Solidaires (Finances Publiques, Chimie, etc.). Lors du vote, plus de 70 % des structures professionnelles et 60 % des unions départementales ont soutenu la position « laïcité » dans Solidaires, ce qui n’était pas assez pour supprimer le passage malheureusement, mais a envoyé un signal fort en interne. De même, une motion un temps proposé par SUD-PTT sur l’antiracisme – mais qui voulait surtout aller sur le terrain de « l’islamophobie » – a été retirée par le syndicat le dernier jour suite à le demande de nombreux syndicats qui ne s’y retrouvaient pas, dans le texte et sur le fond. Que pouvons-nous donc en conclure ? Que la majorité des délégués et des structures se retrouvent sur une ligne de combat social et de combat laïque, qu’il ne manque plus qu’elles s’organisent davantage pour défendre cette position commune et qu’un débat de clarification aura lieu d’ici le deuxième trimestre 2018 dans Solidaires. Un sacré changement pour une organisation qui a longtemps été le terrain de jeux de militants en petit nombre mais très actifs sur le terrain du relativisme culturel !