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SYNDICALISME : quelques pistes pour une refondation

À la suite de l’article paru dans ReSPUBLICA, certains lecteurs ont compris que j’étais contre une recomposition, unification… Tel que c’est engagé actuellement, oui, mais si cela s’appuie sur des pratiques unitaires et victorieuses, alors c’est autre chose. Le sujet est vaste et cet article ne prétend qu’ouvrir quelques pistes. Il sera nécessaire de débattre, compléter… En particulier, sur des aspects non développés ici (internationalisme, démocratie interne). Rappelons juste qu’il est toujours indispensable de pratiquer la démocratie dans le travail pour préparer l’auto-organisation. Le débat doit d’abord partir du réel pour pouvoir offrir des perspectives plus réjouissantes que les luttes défensives actuelles, nécessaires, mais insuffisantes. C’est le rapport de force local, global et en partie médiatique qui fixe le curseur des conquêtes à venir ou des reculs sociaux.

Coordonner, unifier et amplifier les luttes qui existent

Si l’on suit les infos « régionales », on s’aperçoit qu’il n’y a pas une semaine où, en France, il n’y a pas des luttes ouvrières(1)Source : https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?rubrique441, voir la rubrique insubordination salariale ou les locales de France Bleu.. Pour schématiser, il y a quatre axes qui parfois se recoupent :

Lutte pour le pouvoir d’achat

L’inflation en nette progression a rendu cette question très urgente, en particulier pour le salariat et ses composantes les plus précaires. L’explosion des demandes envers les associations humanitaires en témoigne. Sont principalement concernés les milieux populaires, y compris les retraités ou les étudiants qui ne mangent pas à leur faim. Les luttes existent : elles permettent d’arracher des augmentations et des primes non négligeables, mais souvent en dessous de l’inflation et laissent les salariés des TPE/TPA (toutes petites entreprises/ toutes petites associations), de l’intérim, de la sous-traitance sur le carreau.

Une grève, cela se prépare

Il est de la responsabilité des organisations syndicales de préparer une grève, sans doute de plusieurs jours, qui unifie les revendications des salariés, des précaires, des retraités et des étudiants(2)Comme, par exemple, dans le secteur automobile aux USA.. Il faut aller voir les salariés un par un ou en petits groupes. La distribution d’un tract est insuffisante, ainsi que les messages sur les réseaux sociaux.

La première phase concerne la bataille d’opinion et d’information pour rappeler les profits, les dividendes et les milliards de fonds publics distribués par l’État aux entreprises. Il est essentiel de revendiquer pour toutes et tous, l’indexation des salaires, des pensions, des minimas sociaux sur l’inflation. Il est tout autant important de porter des revendications uniformes (400 euros pour tous) pour redonner de l’oxygène à tout le monde. La revendication de l’égalité salariale femmes/hommes est évidemment une question centrale de cet axe de lutte, ainsi que des augmentations inversement hiérarchiques pour raccrocher les salaires les plus bas.

Ces augmentations abonderont les cotisations sociales et indirectement les impôts. Cela conduira à réduire les « déficits » publics. Elles permettront aussi aux prolétaires de consommer mieux, car alimentation de qualité ou produits durables ont un coût. Cela permet aussi de faire le lien avec les agriculteurs, entre autres.

Pendant cette préparation, il est indispensable de remplir les caisses de solidarité et de grève. 

Généralisation de la grève

Lors de la deuxième phase, à une date donnée, les syndicats appellent à la grève et à la tenue d’AG de grévistes dans les entreprises et de grévistes et de retraités/précaires/étudiants dans les villes.

Il est peu probable que toute l’activité économique soit touchée immédiatement. Cependant, il n’est pas impossible d’organiser des blocages et barrages filtrants qui concernant les lieux de logistique de la production. Si le mouvement est fort et si l’opinion publique soutient le mouvement, la répression sera plus compliquée pour l’État et le patronat. Il sera nécessaire de préparer des documents montrant la bienveillance dont la FNSEA a bénéficié encore récemment.

Rien n’interdit au mouvement d’organiser des repas solidaires pour les plus démunis d’entre nous, d’aller manifester devant les agences bancaires pour obtenir des reports de crédits et de solliciter les bailleurs pour obtenir des reports de loyers… Il est également envisageable de solliciter les collectivités locales pour qu’elles soient solidaires concrètement des grévistes. Cela étant, le plus gros souci est le timing… ne pas démarrer trop vite ou trop tard, pour s’assurer d’être les plus nombreuses(3)Choix militant d’utiliser le féminin pluriel comme « neutre » collectif. ensemble.

Lutte à propos des conditions de travail et contre le management

Plus compliquée à généraliser, cette lutte doit pourtant faire l’objet de toute notre attention de syndicalistes. Il y a un enjeu central de passer d’une souffrance individuelle au travail à une lutte collective. C’est souvent l’organisation du travail qui fait violence aux salariés. Les questions de « comment on travaille » et du « pourquoi » doivent faire l’objet d’une réflexion collective. Ce n’est pas une affaire secondaire. Les rencontres militantes autour de la Santé au Travail sont une autre piste à consolider.

En dehors des questions de santé, ces questions permettent aussi d’aborder la question de la production et donc d’une vision de classe de l’écologie(4)Source : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/retour-sur-deux-rassemblements-militants-les-assises-de-la-sante-au-travail-et-la-convention-de-lunion-populaire/7435727..

Les conditions de travail sont aussi l’occasion de combattre les oppressions, les discriminations, le harcèlement, le sexisme, l’homophobie, les violences faites aux femmes… non comme des luttes fragmentaires, mais comme un combat syndical quotidien de terrain pour faire reculer les injustices et faire avancer l’unité de classe.

Des luttes contre les délocalisations à la question de la propriété des moyens de production.

Les luttes contre les délocalisations, même si elles sont très ancrées localement, continuent malgré le peu d’intérêt des médias « parisiens ». Souvent les salariés vendent chèrement leur peau. Certains gardent un emploi, d’autres des indemnités de départ, parfois encore quelques retraites anticipées… C’est le rapport de force local et/ou médiatique qui fixe le curseur.

Peut-être qu’il faut saisir l’occasion de se poser la question de la propriété de l’entreprise concernée ? La plupart du temps celles qui délocalisent ont bénéficié de subventions massives de l’État, des collectivités locales, etc.

Une piste, utopique à ce jour, à explorer, serait que ces subventions soient considérées comme des actions, donc une part de propriété de l’entreprise. Cela voudrait dire que les pouvoirs publics pourraient socialiser l’entreprise en cas de départ et au minimum, exiger que les locaux et les machines soient des « communs » au vu des subventions touchées par les patrons et les actionnaires. Cela pourrait permettre de construire une propriété collective qui favorise l’émergence de plans alternatifs, de scoop, etc. L’argument principal est qu’il s’agit de récupérer l’argent public pour maintenir et développer l’emploi.

Un exemple : YARA à Montoir-de-Bretagne

Après des années de sous-investissement, de mises en demeure régulières pour des rejets hors-normes dans la Loire et dans les airs (sans jamais se mettre aux normes), des pannes, et des grèves pour dénoncer des conditions de travail de plus en plus dangereuses du fait de la non-conformité d’installations obsolètes, la multinationale norvégienne Yara avait annoncé(5)Source : différents articles de France Bleu., début novembre 2023, la fermeture de son usine de fabrication d’engrais de Montoir-de-Bretagne pour en faire un simple point logistique de stockage des engrais chimiques… avec au passage le licenciement « économique  » de 139 salariés sur 171.

Les salariés ont proposé un plan B le 15 mars à la direction du site. Les syndicats ont travaillé avec les experts du cabinet Secafi pour mettre au point un plan alternatif présentant le double avantage de maintenir les emplois et de fabriquer des fertilisants moins polluants. Ce plan sous-entend de faire quelques investissements pour remettre aux normes et réhabiliter l’usine pour en faire un site « exemplaire » en termes de sécurité et de respect des normes environnementales. Concrètement, les salariés ont eu dans l’idée de reprendre toutes les grandes promesses non tenues de l’industriel : sécuriser la salle de contrôles, installer des filtres pour traiter les poussières de nitrates de la tour de « prilling » et enfin mettre au point une usine de micro-algues, des algues chargées de « manger » les polluants émis par l’usine. Ces algues deviendraient à leur tour des fertilisants.

Le plan est évalué à 80 millions d’euros soit « autant, sinon moins, que le démantèlement de l’usine de production et la création d’une immense zone de stockage. Même la direction est d’accord avec nos chiffres » ajoute la déléguée CFDT. Malgré cela, la direction a refusé.

Et puis, coup de théâtre : fin mars, une panne de courant sur le site classé « Seveso » aurait pu avoir de graves conséquences ! Pourquoi le groupe électrogène de l’usine de fabrication d’engrais n’a-t-il pas fonctionné comme il aurait dû ? Les cuves d’ammoniac sont montées en pression le 29 mars. Sans les salariés encore sur le site et les pompiers, c’était la catastrophe assurée.

Le Bureau d’Enquêtes et d’Analyses est saisi et le 11 avril, la commission de suivi du site s’est réunie de manière exceptionnelle à la mairie de Montoir. Pour la première fois, le risque d’explosion a été clairement démontré.

Même si l’usine doit fermer, le sous-préfet de Saint-Nazaire a annoncé qu’une nouvelle astreinte financière de 360 000 euros allait tomber, ainsi qu’un nouvel arrêté préfectoral pour que Yara vide ses cuves d’ammoniac dans les règles et pour que l’industriel se mette aux normes sécuritaires également. Il a confié aussi que le ministère de l’Industrie était en train d’étudier sérieusement la question.

Et si c’était l’occasion pour les salariés de reprendre l’usine en main ?

Ce serait aussi l’occasion de poser la question de la propriété des moyens de production. On peut aussi reparler d’une forme de socialisation pensée par Bernard Teper(6)Source : https://www.gaucherepublicaine.org/librairie#!/Penser-la-R%C3%A9publique-Sociale-pour-le-XXI-e-si%C3%A8cle-Tome-1/p/45125026/category=0

https://www.gaucherepublicaine.org/librairie#!/Penser-la-R%C3%A9publique-Sociale-pour-le-XXI-e-si%C3%A8cle-Tome-2/p/45125037/category=0.
. Cette socialisation se construirait par la transformation annuelle et obligatoire d’une partie des profits de la boîte en actions, propriétés collectives des salariés. Cela aurait l’avantage de permettre aux représentants des salariées de siéger au conseil d’administration et d’être partie prenante des prises de décisions dans l’intérêt des salariés.

Bien sûr, il faudra un rapport de force conséquent pour qu’une Assemblée nationale légifère dans ce sens.

Resocialiser la Sécurité sociale

Il serait utile de voir comment cela se passe en Alsace-Moselle, qui fonctionne avec un régime particulier(7)Source : https://regime-local.fr/gestion-et-fonctionnement/. qui, jusqu’à ces dernières années, fournissait de meilleures prestations que le régime général dans le reste de la France. La cotisation est uniquement salariale et, donc, il n’y a pas de cotisation patronale. Cette « sécu locale » fonctionne comme une complémentaire obligatoire avec des comptes distincts gérés tant pour les cotisations que pour les prestations par la Sécurité sociale.

Ce régime était plus avantageux que la Sécurité sociale française. L’équilibre des comptes était assuré par une modulation des cotisations et des prestations décidées par un conseil presque uniquement composé de représentants syndicaux de salariés. Depuis la mise en place d’une complémentaire santé collective financée pour moitié entre salariés et employeurs, les organisations syndicales jugent la situation des salariés moins favorable en Alsace-Moselle que dans le reste de la France(8)Rapport présenté lors du colloque du 24 octobre 2014 cité par la « Revue du Droit local page 13 à 15. Mais l’idéal serait de revenir aux quatre conditions révolutionnaires à savoir unicité, gestion par les représentants élus des assurés sociaux, financement par le salaire socialisé de la cotisation sociale, solidarité avec la définition suivante : à chacun selon ses besoins financés par chacun selon ses moyens de la Sécurité sociale de 1945-46.

Lutte des travailleurs sans papiers

Il ne s’agit pas là d’un supplément d’âme antiraciste, mais d’une lutte de travailleuses/travailleurs pour l’égalité des droits, donc pour l’unité du salariat. Avoir des papiers, ne règle pas tout, mais permet de mieux négocier sa force de travail. Cela permet de mieux résister aux patrons voyous et aux usuriers de tous genres.

Il y a un gros travail d’explication à faire auprès de tous les salariés du privé comme du public, pour faire comprendre que la victoire des plus précaires est une avancée pour tous et toutes. L’inverse aussi malheureusement : les reculs des uns se répercutent sur les autres.

Imaginer d’autres formes d’organisations syndicales pour les secteurs les plus précarisés

Par ailleurs, nous avons beaucoup à apprendre sur la dynamique interprofessionnelle de certains collectifs de travailleurs sans papiers(9)CTSPV Collectif des Travailleurs Sans Papiers, par exemple.. Avec le soutien actif de petits réseaux syndicaux(10)Solidaires, CGT, CNT-SO…, ces collectifs font la tournée des entreprises d’intérim, de nettoyage, BTP, des sous-traitants, des donneurs d’ordre(11)Cf lutte des Chronopost : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-combat-social/chronopost-une-greve-qui-dure-depuis-deux-ans/7435246. pour arracher ici des documents administratifs, des retards de paie, etc.

Ils font la preuve que l’action collective interprofessionnelle est possible, dans des secteurs hyper précarisés et où les rares présences syndicales sont parfois très complaisantes avec les patrons voyous. Il y a là une piste à creuser pour le syndicalisme, dans les secteurs où la syndicalisation est très compliquée et où une syndiquée isolée ne peut pas grand-chose (ex : TPE/TPA).

Les TPE/TPA, l’intérim, la précarité, la sous-traitance sont des questions essentielles pour le syndicalisme. Sans doute faut-il partir aussi du travail militant des Unions Locales et/ou Départementales lesquelles devraient reprendre ce que faisaient les anciennes bourses du travail : formation, éducation populaire, défense et promotion de l’interprofessionnel : école, services publics, sécurité sociale, assurance-chômage. Il s’agit également de favoriser des échanges d’expériences, sur nos difficultés et nos réussites syndicales. C’est vital si nous voulons que le syndicalisme ait les moyens de mener et gagner les batailles et de ne pas s’en tenir à de pieuses résolutions de congrès…

Des services publics à reconquérir

La défense des services publics de proximité est aussi un axe de refondation. Au travers des luttes locales de défense des services publics de proximité, on peut arriver à lier les personnels de Santé, de l’Éducation, de la Poste, des Transports avec les usagers qui sont aussi des travailleurs. Cela peut contribuer à augmenter la conscience de classe. De ce point de vue, la Convergence des Services Publics me semble sous-utilisée dans certaines régions. Un bilan des luttes de défense des hôpitaux / maternités, souvent très implantées localement, serait intéressant.

Et puis, il faudrait approfondir les pistes comme celles d’une Sécurité sociale de l’alimentaire. C’est aussi une façon de lier, « pouvoir d’achat » et « agriculture paysanne ».

On pourrait avancer l’idée de nouveaux services publics : avec le vieillissement de la population, l’aide à domicile devrait relever d’un service public. Idem du côté de la petite enfance.

Il y a lieu de multiplier les espaces d’échanges horizontaux entre militants syndicaux. Certains existent déjà : les stages femmes (CGT/FSU/SOLIDAIRES). Des lieux sans enjeux de pouvoir, mais espaces d’échanges directs d’expériences entre militantes et militants sont à renforcer : la revue LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE(12)Source : https://revolutionproletarienne.wordpress.com/., les sites militants syndicaux(13)Source : http://www.syndicollectif.fr/ ; https://www.syndicalistes.org/. déjà existants. Mais les sites internet ne suffisent pas. Des rencontres thématiques – en présentiel -, où les patriotismes d’appareils restent au vestiaire, seraient un des moyens de nous renforcer qualitativement. Et de rallumer les étoiles…

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Source : https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?rubrique441, voir la rubrique insubordination salariale ou les locales de France Bleu.
2 Comme, par exemple, dans le secteur automobile aux USA.
3 Choix militant d’utiliser le féminin pluriel comme « neutre » collectif.
4 Source : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/retour-sur-deux-rassemblements-militants-les-assises-de-la-sante-au-travail-et-la-convention-de-lunion-populaire/7435727.
5 Source : différents articles de France Bleu.
6 Source : https://www.gaucherepublicaine.org/librairie#!/Penser-la-R%C3%A9publique-Sociale-pour-le-XXI-e-si%C3%A8cle-Tome-1/p/45125026/category=0

https://www.gaucherepublicaine.org/librairie#!/Penser-la-R%C3%A9publique-Sociale-pour-le-XXI-e-si%C3%A8cle-Tome-2/p/45125037/category=0.

7 Source : https://regime-local.fr/gestion-et-fonctionnement/.
8 Rapport présenté lors du colloque du 24 octobre 2014 cité par la « Revue du Droit local page 13 à 15.
9 CTSPV Collectif des Travailleurs Sans Papiers, par exemple.
10 Solidaires, CGT, CNT-SO…
11 Cf lutte des Chronopost : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-combat-social/chronopost-une-greve-qui-dure-depuis-deux-ans/7435246.
12 Source : https://revolutionproletarienne.wordpress.com/.
13 Source : http://www.syndicollectif.fr/ ; https://www.syndicalistes.org/.
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