L’école est dans le collimateur des secteurs où des réductions drastiques sont prévues. L’Éducation nationale déjà mal en point, comme l’indique la recension d’une vidéo sur le sujet que nous avons publiée, les élèves et les enseignants vont en pâtir. Concrètement, ce ne sont pas moins de 4 035 postes d’enseignants qui devraient être supprimés. C’est principalement le primaire (maternelle et élémentaire) qui supporte cette saignée.
La baisse démographique est avancée pour le justifier. Le gouvernement aurait pu se saisir de ce fait pour rattraper notre retard par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE et restaurer les moyens alloués au service public d’Éducation nationale. Cela fait deux ans que l’école subit les suppressions de postes.
La situation ne peut que se dégrader :
- des classes surchargées qui compromettent la qualité de l’enseignement et la prise charge des élèves en difficulté ;
- des remplacements de moins en moins assurés qui rendent la charge de travail des enseignants présents plus lourde et pénalisent les élèves ;
- une inclusion des élèves à profils particuliers déjà difficile rendue encore plus inopérante.
La France, le mauvais élève en matière de scolarité
Voici le constat : des classes aux effectifs, en moyenne, plus élevés que chez la plupart de nos voisins, une attractivité pour le métier d’enseignant en berne en raison d’une rémunération trop faible et de contradictions patentes entre la mission d’émancipation de l’école et les consignes ministérielles qui caporalisent le métier. Il est impensable de former des êtres libres, conscients, avec des maîtres « assujettis ». Comme l’affirmait Ferdinand Buisson, « seuls des enseignants émancipés sur le plan politique et intellectuel peuvent porter un enseignement émancipateur ». Longtemps, dans le service public prévalait l’obligation de moyens sur l’obligation de résultat. Aujourd’hui, tout est évalué sur quelques disciplines, délaissant ce que nous pourrions appeler « les humanités » indispensables pour former des citoyens en phase avec les idéaux issus des « Lumières ».
Quelques chiffres, car il faut toujours partir de la réalité pour aller à l’idéal(1)Jean Jaurès : « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. ». :
- nombre moyen d’élèves par classe : France 21,3, OCDE(2)Organisation de coopération et de développement économique, en 2021, elle comptait 38 membres. 20,1 et UE 19,1. Cela peut sembler un écart faible, mais tous les enseignants l’ont constaté : à partir de 15 ou 18 élèves tout élève supplémentaire ne compte pas pour un, mais beaucoup plus ;
- dépense par élève bien en dessous de la moyenne de l’OCDE dans le primaire, soit 11 % d’écart : France, 7338 € et la moyenne de l’OCDE, 8331 € ;
- salaire horaire en dollars : Allemagne 133, moyenne UE 66, France 44 pour le primaire et Allemagne 144, moyenne UE 78, France 60 pour le secondaire général… ;
- part de la richesse nationale consacrée à l’éducation en France : 1996, 7,7 % du PIB, 2023, 6,7 %, soit 27 milliards en plus pour l’école si le budget y consacrait autant qu’en 1996…
C’est d’autant plus préjudiciable que le budget aggrave la situation en ciblant particulièrement l’école primaire(3)École primaire soit école maternelle et élémentaire.. Or, depuis que le régime républicain s’est installé, ses partisans conséquents ont bien conscience que l’école publique et laïque est consubstantielle de la République sociale et laïque. Jean Jaurès affirmait que « laïcité de l’enseignement, progrès social, sont deux formules indivisibles. Nous lutterons pour les deux. ». Nous pouvons également citer Ferdinand Buisson, qui fixait à l’école publique la mission de « faire des républicains ». Faire des républicains implique de former des citoyens critiques, méfiants à l’égard de toute forme de dogmatisme, et en capacité de critiquer également le régime républicain lui-même.
Il s’avère que l’école primaire est le lieu et le moment qui posent les bases d’une instruction et d’une éducation qui conditionnent la suite du cursus scolaire dans le secondaire, le supérieur et l’enseignement professionnel.
Supprimer des moyens à l’école est contre-productif pour la société et pour l’économie
Des études montrent qu’une école amoindrie coûte énormément à l’économie et entrave l’obtention d’un emploi. Ainsi, le niveau de formation influence fortement la participation au marché du travail, qu’elle soit mesurée par les taux d’emploi, de chômage ou d’inactivité. Dans les pays de l’OCDE, les personnes âgées de 25 à 34 ans qui n’ont pas de diplôme de l’enseignement secondaire supérieur affichent un taux d’emploi moyen d’environ 60 %, tandis que celles qui ont un diplôme de l’enseignement supérieur affichent un taux d’emploi de 87 %(4)OCDE : retombées économiques et sociales de l’éducation.. Il est avéré qu’investir dans l’éducation favorise la croissance. Des études montrent que l’insuffisance d’investissement dans l’éducation fait perdre à la France des dizaines de millions d’euros.
Dégradation des services publics, terreau du RN et des intégristes religieux
Les désertifications multiples dans les zones rurales avec la disparition des tribunaux de grande instance, la suppression des agences de la Banque de France, des commissariats, de nombreuses écoles, la dégradation dans l’accès à des soins de proximité donnent le sentiment légitime, reposant sur des faits, d’un déclassement, d’être des laissés pour compte : cela alimente en partie le vote RN.
Dans les quartiers dits sensibles, le même phénomène de déclassement et d’abandon par la disparition des services publics ou du manque de moyens de ces services pour remplir leur mission favorise la montée des intégrismes, qui organisent la solidarité individualisée de l’entre-soi, plus ou moins ethnocentrée et communautarisée, au détriment de la solidarité nationale organisée autour d’une Sécurité sociale intégrale. Les politiques néolibérales fondées sur la privatisation, la marchandisation de tous les aspects de la vie humaine, s’accommodent très bien du communautarisme qui divise les classes populaires sur fond de wokisme, d’indigénisme, d’intersectionnalité extrême et de féminisme non universaliste.
Cette division empêche la réalisation d’un vaste mouvement populaire qui, potentiellement, serait en en mesure de remettre en cause l’oligarchie capitaliste et financière. Il est dommage que certains, sur tout l’arc politique, naviguent sur ces biais communautaristes afin de séduire des blocs d’électeurs sur le marché des bulletins de vote, oubliant l’intérêt général humain au profit d’un court-termisme électoral.
Notes de bas de page
↑1 | Jean Jaurès : « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. ». |
---|---|
↑2 | Organisation de coopération et de développement économique, en 2021, elle comptait 38 membres. |
↑3 | École primaire soit école maternelle et élémentaire. |
↑4 | OCDE : retombées économiques et sociales de l’éducation. |