ReSPUBLICA – Tu es porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) et de l’alliance AMUF-CGT. Vous aviez déclenché un mouvement de grève pour le 22 décembre qui n’a duré que 24 heures… D’après votre communiqué, vous avez obtenu des avancées appréciables suite à ce mouvement. Comment expliques-tu cela ?
Nos revendications étaient anciennes et n’avaient pu aboutir jusqu’à présent du fait du blocage des syndicats corporatistes dont les revendications portent plus sur les questions de répartition des pouvoirs au sein des hôpitaux que sur les problèmes de conditions de travail.
Les différents gouvernements depuis ces 15 dernières années se sont toujours appuyés sur ces organisations pratiquant un « syndicalisme de salon » pour marginaliser des syndicats comme l’AMUF plus proches du syndicalisme revendicatif traditionnel.
Il est intéressant de souligner les pratiques peu démocratiques qui régissent ce mode particulier qu’est le syndicalisme médical. En effet lors de la seule élection professionnelle nationale qui existe pour les médecins hospitaliers dont le dernier scrutin a eu lieu fin 2011, les règles définissant la représentativité ont été définies après la publication des résultats, ce qui a permis d’exclure l’alliance AMUF-CGT. Le motif invoqué était que celle-ci n’avait pas présenté des listes dans suffisamment de collèges et le gouvernement actuel a sorti du chapeau le concept de « représentativité partielle » pour nous éliminer de la plupart des discussions.
Plusieurs éléments de contexte doivent également être pris en compte pour comprendre le déclenchement de notre mouvement.
D’une part, à la suite d’une action en justice auprès des instances européennes menée par une organisation représentant des médecins anesthésistes, le gouvernement français a reçu une injonction pour se conformer à la directive européenne sur le temps de travail datant de 1993 et à laquelle il aurait dû se conformer en 2003. En effet, en 2003, les accords sur la réduction du temps de travail avaient ignoré le fait que le maintien du temps de travail en demi-journées créait une situation non conforme au droit européen. Les médecins hospitaliers doivent travailler selon leur statut 10 demi-journées par semaine. Or la demi-journée n’est pas légalement normée mais est de fait de 6 h en cas de travail posté car 24 heures de travail sont décomptées en 4 demi-journées. Résultat : la semaine de travail exigible par les directions hospitalières atteint 10 fois 6 heures, soit 60 heures. Donc bien au-delà des 48 heures maximum de la directive européenne.
Malgré cette injonction, des décrets publiés début 2014 n’ont pas réglé le problème. De plus, un certain nombre d’hôpitaux, sous la pression financière, dénonçaient des accords locaux qui permettaient de ne travailler que 48 heures par semaine.
Le deuxième élément déclencheur du mouvement a été l’annonce du mouvement de grève des médecins libéraux. En effet, certaines Agences régionales de santé ont fait l’erreur de demander à des responsables de services d’urgences de limiter les congés des personnels pendant la période des fêtes pour pouvoir pallier le déficit de l’offre de soin prévisible.
Enfin cerise sur le gâteau, alors que des discussions s’étaient engagées en début d’année pour examiner la possibilité d’étendre l’accord sur la pénibilité au secteur public, la ministre annonce fin octobre que ce dossier n’est plus à l’ordre du jour.
Face à l’accumulation de ces difficultés, alors que nous avions demandé au ministère d’ouvrir des négociations sur le temps de travail, nous nous étions vu opposer une fin de non-recevoir malgré notre évocation de la possibilité d’un mouvement de grève au moment des fêtes, en profitant de la concomitance des temps avec l’action des libéraux, même si nos revendications étaient complètement différentes.
Devant l’autisme du gouvernement, poussé par notre base excédée et qui voulait en découdre, l’AMUF et les médecins CGT ont décidé de déposer un préavis de grève le 5 décembre pour une entrée en vigueur le 22 décembre. Cela laissait largement le temps à nos interlocuteurs pour ouvrir des négociations.
Comme c’est souvent le cas, nous avons été initialement renvoyés sur un chargé de mission, ancien sénateur, qui devait rendre un rapport au début 2015 sur les conditions de travail des médecins hospitaliers et l’attractivité de leurs carrières. Mission, commission… sans vouloir paraphraser Clemenceau, nous avons clairement signifié à la ministre que vouloir ainsi enterrer le problème était une très mauvaise stratégie dans le contexte de grogne généralisée dans le monde de la santé.
Quelques jours avant la date de début du mouvement, l’inquiétude a visiblement gagné le cabinet de la ministre et des discussions ont été ouvertes. Mais il était déjà trop tard pour pouvoir discuter sereinement. Nous avons donc négocié pied à pied jusqu’à la veille du mouvement en mettant la barre très haut.
Comme lors de nos précédentes actions, nous avons mobilisé et utilisé au mieux les médias, ce d’autant que nos revendications étaient clairement compréhensibles par n’importe quel salarié et que nous pouvions ainsi espérer un large soutien de la population. En effet, demander de ne plus travailler 60 heures par semaine mais seulement 48 heures, dans le contexte du débat sur les « 35 heures », cela paraît très raisonnable. Par ailleurs demander un décompte en heures du temps de travail – et non plus en demi-journées – et que toutes les heures travaillées soient payées, cela paraît aussi assez évident.
Sous la pression, la ministre a été obligé d’accepter une bonne partie de nos revendications. Pressée par le temps, elle s’est même permis d’annoncer la fin de la grève avant même de nous avoir notifié son accord sur le texte qu’elle avait sur la table à sa signature. Nous lui avons alors rappelé quelques règles du dialogue social, à savoir que ce sont aux salariés en grève de décider démocratiquement si les propositions qui leur sont faites sont suffisamment intéressantes pour qu’ils puissent mettre fin à leur mouvement.
Au total, nous avons pu annoncer après un peu plus de 24 heures de grève, la levée de notre préavis en engrangeant des avancées substantielles qui ont été appréciées très positivement par l’ensemble des urgentistes (1)Circulaire de Marisol Touraine n° DGOS/2014/359 en date du 22 décembre 2014 « relative aux modalités d’organisation du travail applicables dans les structures d’urgences-SAMU-SMUR. Date d’application : immédiate »..
Nous avons maintenant 6 mois pour les mettre en œuvre, sachant que le contexte de démographie médicale et de contraintes financières ne va pas nous faciliter la tâche. Mais le fait d’avoir montré une nouvelle fois que la lutte paye motive nos collègues pour continuer sur le même chemin.
Notes de bas de page
↑1 | Circulaire de Marisol Touraine n° DGOS/2014/359 en date du 22 décembre 2014 « relative aux modalités d’organisation du travail applicables dans les structures d’urgences-SAMU-SMUR. Date d’application : immédiate ». |
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