Le syndicalisme à l’épreuve de l’époque  – 2 sur 2

You are currently viewing Le syndicalisme à l’épreuve de l’époque  – 2 sur 2
Une silhouette entourée de noms de syndicats brandie une pancarte

Cette seconde partie consacrée aux événements syndicaux concerne, après ceux de la CGT et de la CGT-FO, le congrès de la FSU-SNUipp (par Philippe Duffau) et celui de la CFDT (Jean-Claude Boual).

FSU-SNUipp : un congrès de combat, d’interrogations pour une vision de l’école de demain émancipatrice

Le congrès de la FSU-SNUipp s’est déroulé à Mulhouse du lundi 13 juin au 17 juin 2022.

Comme cela avait été évoqué dans la première partie, la FSU-SNUipp est issue des divisions syndicales de 1947 encouragées et financées par la CIA. Cette immixtion étasunienne avait abouti à la scission de la CGT unitaire et à la création de la CGT-FO. La FEN (Fédération de l’Éducation nationale), membre de la CGT, opta pour conserver l’unité syndicale et refusa la partition entre la CGT et la CGT-FO. Les tendances réformistes proches de FO et plus radicales proches de la CGT réussirent à se maintenir sous la même bannière jusqu’en 1993. Le 15 avril 1993, 12 syndicats nationaux lancent un appel « à la construction d’un nouveau fédéralisme revendicatif, proche des personnels, unitaire, pluraliste ». La Fédération syndicale unitaire est née. Rapidement, la FSU devient la première fédération de l’éducation nationale.

Glossaire : intersectionnalité et wokisme…

Comme l’affirmait Albert Camus : « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. Ne pas nommer les choses, c’est nier notre humanité. » Ainsi dans la mallette distribuée aux syndicalistes et aux participants en général, se trouvait un glossaire éclairant les notions de féminicide, de culture du viol, de patriarcat, de genre, d’intersectionnalité, de privilège blanc, d’islamophobie, de racisme systémique, de race-racisé-racisation. Ce sont autant de notions qui traversent les débats entre « universalistes » et « identitaires ».

La lecture des commentaires de la brochure syndicale montre le souci de la FSU-SNUipp de ne pas noyer « les rapports de classe » dans les diverses discriminations particulières. Cependant, ces dernières permettent, selon le syndicat, « la prise de conscience globale » de toutes les oppressions. Toutefois, à l’expression « privilège blanc » par trop controversée, la FSU-SNUipp préfère « double système discriminations-privilèges ». De même, le syndicat ne s’interdit pas d’user du terme « islamophobie » compris dans le sens d’hostilité envers les musulmans et l’islam en soulignant bien l’importance de « la libre critique des religions » comme un « droit en France établi par la laïcité ». Autrement dit, il n’y a pas de délit de « blasphème ». Pourtant, dans l’absolu, il ne peut être interdit d’être hostile à l’islam, au christianisme ou à toute autre religion, car cela relève de la liberté d’expression. Seules peuvent être interdites les discriminations du fait de l’appartenance réelle ou supposée à telle ou telle religion. Une nécessaire clarification s’impose de ces termes tels que « islamophobie » voire « christianophobie »… tant leur ambiguïté est forte.

Le bilan désastreux du quinquennat Blanquer

Les interventions dans le cadre du débat général ont mis en exergue la nocivité de la politique éducative du dernier ministre, la hausse des inégalités scolaires avec l’insuffisante prise en compte, voire la mise à l’écart de fait, des élèves les plus fragiles. Le manque d’attractivité de la profession révélée par le recours à des recrutements effectués en 30 minutes(1)Job dating dans l’académie de Versailles. Cette procédure qui accentue la contractualisation du métier permet à un jury composé d’un inspecteur ou d’un conseiller pédagogique, d’un membre des ressources humaines du rectorat d’auditionner et de sélectionner des candidats. Ces candidats risquent d’aller de désillusion en désillusion, car ils fantasment une école comme un paradis ou le fait de « tenir sa classe » n’est pas aussi aisé qu’ils se l’imaginent. Les abandons risquent d’être nombreux et, ce, d’autant plus que la formation sera au rabais. de candidats titulaires d’une licence est soulevé. Le déclassement salarial contribue au manque d’appétence pour un métier dont l’importance sociale n’est plus à démontrer.

L’école du future façon FSU-SNUipp vs façon Blanquer-Macron

L’opposition entre la conception de l’« École du futur » conceptualisée par le syndicat enseignant et celle de Blanquer-Macron dont l’actuel ministre de l’éducation, Pap Ndiaye semble ne pas se départir, est manifeste. Pour le syndicat, il s’agit de redonner du sens au métier d’enseignant, de lutter contre les inégalités, de donner les moyens pour une vraie école inclusive.

L’école inclusive depuis la loi de 2005 exige des moyens humains et matériels exceptionnels sans quoi c’est la souffrance des élèves concernés, des enseignants et des familles qui va dominer. C’est là tout le paradoxe de la situation actuelle : inclure les élèves en situation de handicap tout en détricotant l’école. L’aide est sur-individualisée et aboutit à invisibiliser les difficultés dues aux inégalités sociales. Les RASED (Réseaux d’aide spécialisée pour les enfants en difficulté) et les AESH doivent être renforcés afin que l’école soit véritablement inclusive et émancipatrice pour toutes et tous.

Les congressistes s’accordent pour favoriser la rencontre entre le secteur de la recherche pédagogique, les enseignants et les mouvements pédagogiques sans a priori ni jugement de valeur. Tout cela doit viser les fondamentaux d’une école formatrice et émancipatrice. L’école maternelle doit demeurer une école à part entière non pilotée par l’élémentaire : ne pas faire trop vite et trop tôt pour ne pas pénaliser les élèves les plus fragiles. La gestion de l’EN par la caporalisation doit cesser.

L’école du futur, selon la FSU-SNUipp, doit se fonder sur une amélioration de la formation des enseignants, de la rémunération (depuis 10 ans le point d’indice est gelé), des conditions de travail et la mise à disposition de logements proches du lieu de travail afin d’éviter les trajets trop longs…, sur le refus du statut hiérarchique du directeur ou de la directrice (expérience de Marseille et abrogation de la loi Rilhac) afin de ne pas l’isoler de l’équipe pédagogique, sur le refus de la mise sous tutelle par rapport au collège du secteur, sur le refus de la fusion des écoles afin d’éviter de trop grosses structures, sur le refus de l’embauche de contractuels. Enfin les délégués des DROM (départements et régions d’outre-mer) ont mis en lumière les fortes différences en termes de moyens par rapport à la Métropole ou l’Hexagone.

Le quinquennat qui s’achève avec Jean-Michel Blanquer à la tête de l’Éducation nationale a été marqué, selon les intervenants, par une volonté de déconstruire le système éducatif au travers d’expérimentations telles celle de Marseille qui montrent clairement la conception macroniste de l’« École du futur » :

  • instauration d’un statut de la direction d’école qui fait passer le directeur ou la directrice de pair parmi ses pairs, d’animateur de l’équipe pédagogique à supérieur hiérarchique(2)Voir notre précédent article paru dans Respublica sur la loi Rilhac, https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-societe/respublica-enseignement/ecoles-elementaires-publiques-et-loi-rilhac/7429656,
    –        création de postes à profil qui permettrait aux directrices-directeurs de s’assurer de la conformité de l’enseignant avec le projet,
    –        rémunérations différenciées au travers des primes,
    –        affectations sur des postes selon des critères subjectifs,
    –        opacité dans la gestion du personnel,
  •  démantèlement progressif du statut de fonctionnaire qui donne à ce dernier les moyens de son indépendance pour servir l’intérêt général au profit d’une montée en puissance de la contractualisation(3)Loi de transformation de la fonction publique inspirée du management privé : élargissement du recours au contrat sur les emplois de direction de l’État et de ses établissements publics, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics et des établissements relevant de la fonction publique hospitalière, création d’un nouveau CDD « de projet » pour permettre la mobilisation de compétences externes pour la conduite ou la mise en œuvre d’un projet (l’exemple du recours à des cabinets tels McKinsey montre les dérives potentielles), autorisation du recrutement par voie de contrat sur les emplois permanents de catégories A, B et C, par dérogation au principe de l’occupation des emplois permanents par des fonctionnaires au sein de la FPE (à l’instar de la FPH), développement du recours au contrat sur emploi permanent pour faire face au besoin à temps non complet dans la FPT, reconnaissance des mérites individuels dans les procédures d’avancement et de promotion au choix (formulation plus acceptable pour mieux faire passer la pilule que « promotion à la tête du client » où celui qui aura l’échine la plus « souple » sera considéré comme méritant par le chef)..

Convergence des luttes sociales

Les combats à mener au sein de l’institution de l’Éducation nationale sont divers et nombreux et rejoignent souvent tous les secteurs de notre société :

  • lutter contre la réforme régressive des retraites dont le recul de l’âge de départ alors que 25 % des plus pauvres sont déjà morts à l’âge où ils auraient faire valoir leurs droits, que les comptes sont sur une trajectoire « maîtrisée » au point que le solde redeviendra positif à partir de 2035 sans réforme supplémentaire(4)Rapport du COR, conseil d’orientation des retraites de juin 2021.,
  • parvenir à l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, créer un vrai statut des AEHS (accompagnant d’élèves en situation de handicap),
    etc.

Situation politique et renouveau du syndicalisme

La situation politique issue du premier tour est abordée avec la problématique de l’abstention massive qui est un paramètre important pour contrer la politique néolibérale menée depuis des décennies en faveur des « riches », contre les travailleurs, les migrants et les précaires.

Les interrogations se font nombreuses sur la définition du syndicalisme, sur l’indispensable unité d’action pour favoriser les mouvements sociaux et collectifs qui doivent se saisir de la question environnementale, sociale et du féminisme. Une attente active apparaît pour réinventer un nouveau syndicalisme. Même si les arrêts de travail demeurent un moyen pertinent comme moyen de créer un rapport de force favorable, les grèves attendues, ritualisées, peu suivies, interpellent quant à leur efficacité réelle. La mollesse et la non prise en compte suffisante du mouvement des « Gilets jaunes » sont relevées. L’unité d’action avec la CGT et Solidaires est très souvent invoquée pour contrer les réformes régressives macronistes : le recul progressif de l’âge de départ à la retraite, la remise en cause des services publics avec le cadre national de l’EN fragilisé, la suppression des concours sur la base de diplômes, le recours à des contractuels taillables et corvéables, la privatisation rampante de l’école publique, le pouvoir d’achat en pleine régression. La stratégie de remise en cause des services publics du pouvoir s’appuie sur une présentation caricaturale qui les dévalorise aux yeux des concitoyens pour leur faire approuver les privatisations. Il s’agit d’éviter ce qu’ont vécu la Poste et France Télécom.

Le 50e congrès de la CFDT, un congrès d’autosatisfaction ?

Le 50e congrès de la CFDT s’est tenu à Lyon du 20 au 24 juin. La CFDT se revendique comme la première organisation syndicale du pays, une organisation pragmatique, loin du syndicalisme de slogans, tenante du « dialogue social », réformiste. Elle affiche 600 000 adhérents, mais constate aussi des déboires par rapport à ses objectifs dans la syndicalisation. Le précédent congrès de Rennes avait fixé comme objectif une augmentation des adhérents de 10 %. De fait le mandat se termine avec une perte de 14 000 adhérents et « les effets de la crise sanitaire n’expliquent pas tout » note l’organisation dans le rapport d’activité.

Le rapport d’activité qui relate les positions de la confédération ces quatre dernières années a été adopté à 89,54 % des mandats et Laurent Berger, qui a annoncé qu’il passerait la main au cours du mandat qui s’ouvre sans préciser la période, a été réélu dans le cadre du Bureau national, largement reconduit avec 96,68 % des voix. La presse a surtout retenu cette information et le fait que le congrès a « durci sa doctrine sur les retraites » en refusant d’attacher l’allongement de la durée des cotisations à l’allongement de la durée de vie, « compliquant ainsi la tâche du gouvernement et du président de la République » pour qui cet argument est un des fondements de l’inéluctabilité d’engager la réforme vers les 65 ans et plus disent certains.

Certes cette question a fait l’objet d’un débat spécifique lors du débat pour l’adoption de la motion générale. Le syndicat interco de la Somme défendait par un amendement au texte initial que « l’espérance de vie ne peut justifier l’allongement de la durée de cotisation comme dans la loi Touraine de 2014 », loi que la CFDT avait approuvée à l’époque conformément à son orientation. Le bureau national sortant soutenait que la « CFDT demeure partisane d’une réforme systémique… et un projet de système universel de retraite… que reculer l’âge du droit de départ est injuste, mais que  même durée de cotisation pour tous c’est juste, même âge de départ pour tous c’est injuste » affirmant que « la force de la CFDT vient de sa cohérence » (argument moult fois utilisé dans les débats). Malgré l’engagement de la direction confédérale, l’amendement a été très largement adopté par 67,50 % des voix contre 32,50 %. La presse s’est surtout fait écho de cet épisode en raison des débats actuels sur la réforme des retraites et de la réforme que souhaite engager E. Macron (ligne éditoriale oblige), mais d’autres amendements débattus sont aussi significatifs des positions et évolutions de la CFDT. Nous en avons retenu cinq.

1/ Le projet de résolution aborde le sujet du partage des richesses créées dans l’entreprise (nous reprenons les termes de la CFDT) en affirmant que « les richesses créées doivent rétribuer les travailleurs et les actionnaires, et permettre à l’entreprise d’investir. » Un amendement du syndicat des services de santé de Haute-Savoie proposait, « un amendement plus de forme que de fond », de supprimer la référence aux actionnaires qui n’ont pas besoin de la CFDT pour se défendre comme le prouvent la distribution des dividendes et d’ajouter « de mieux rétribuer les travailleurs ». Dans le débat, un syndicat a avancé « que ce |le texte] n’était pas défendre les actionnaires c’est être réaliste… dans l’entreprise il y a deux parties, le travail et le capital qui sont intimement liés et que le partage des richesses implique aussi le partage des décisions ».

Le Bureau national de son côté a affirmé que ce paragraphe n’était qu’une partie des revendications de la CFDT sur la répartition des richesses, 19 autres articles en traitaient, que la CFDT se veut pragmatique, les actionnaires sont indispensables à l’entreprise et ils ne sont pas assez nombreux en France, ce qui fait que ce sont les organismes financiers qui investissent, que d’ailleurs beaucoup de salariés étaient actionnaires  avec les fonds d’épargne salariale, que l’entreprise n’appartient pas aux actionnaires, c’est un collectif. L’amendement a été adopté par 51,49 % des voix contre 48,51 %.

 En fait cet amendement n’était pas que de forme comme le prouve le débat qui s’en est suivi, il nous donne quelques indications sur les rapports de classe tels que les voit la CFDT, notamment sa direction, vision qui peut être légèrement différente d’une grande partie de la base, ce qui explique aussi en partie les actions unitaires, le plus souvent avec la CGT, dans les entreprises.

Trois amendements portaient sur des questions de fonctionnement et d’évolution interne.

2/ Dans le projet de résolution, la direction proposait d’ouvrir un débat sur les cotisations, la charte les régissant datant de 1995. Trois syndicats interco (Doubs, Drôme-Ardèche et Saône-et-Loire) demandaient la suppression de cette disposition craignant qu’il s’agisse d’une augmentation des cotisations. L’amendement a été repoussé par 83,97 % des voix contre 16,03 %.

3/ Le projet de résolution comprenait un chapitre sur les « nouvelles formes de militantisme accessibles à tous et toutes ». En fait, cette proposition formulée de façon assez absconse ouvre à des évolutions importantes, car il s’agit de la place du syndicalisme dans la société civile et de l’affirmation d’une propension à aller vers le « sociétal ». Le débat a porté sur l’engagement syndical. Doit-il être prioritairement axé sur la vie professionnelle ou s’élargir à d’autres horizons, notamment les associations et ONG, le « pacte du pouvoir de vivre » servant de modèle et d’expérimentation. L’amendement refusant cette évolution a été rejeté par 82,50 % des voix contre 17,50 %. Un autre amendement portant sur la même question d’évolution de la CFDT, consistait à expérimenter sur la base du volontariat, la mise à disposition des locaux syndicaux de la CFDT à des associations et « tiers lieux ». Les syndicats Chimie-Energie Dauphiné et UFR Yvelines s’opposaient à cette disposition qui a été adoptée par le congrès, l’amendement ayant été rejeté par 58,41 % des voix contre 41,59 %.

4/ Toujours dans la catégorie évolution de l’organisation, le projet de résolution proposait de « confédéraliser et mutualiser la formation syndicale » afin d’optimiser et mieux structurer cette offre trop dispersée et insuffisante qualitativement et quantitativement (seuls moins de 10 % des adhérents sont formés syndicalement). La stratégie de la CFDT, en la matière, consiste à « aller vers, pour faire bénéficier de notre expérience syndicale » pour « un syndicalisme de résultats ». Plusieurs syndicats (7 en fait) s’opposaient à cette proposition, s’interrogeant sur ses buts réels, comme une « volonté de contrôler la formation des militants ? », sur la place laissée aux syndicats locaux et leur rôle en général et « craignant une usine à gaz ». Les amendements furent rejetés par 82,50 % des voix et 17,50 % pour et la disposition acceptée par le congrès.

5/ Dernier débat retenu, aussi significatif de l’évolution et de l’orientation de la CFDT, « le droit souple ». Un chapitre de la résolution intitulé « Penser
la place du droit souple
 » était contesté par le syndicat Métallurgie Gironde
et Lot-et-Garonne qui demandait sa suppression, car il « s’agit de règles de droit non obligatoires » dont « l’effet juridique est inexistant », un « droit dit aussi mou, gazeux… à la tête du client ». Pour le bureau national au contraire, il s’agit de définir un « droit pour qu’il s’applique aux travailleurs, en complément du droit dur », par « la mise en place de label, de charte, etc. » ; « le droit dur n’est pas toujours appliqué, par exemple l’égalité salariale femme/homme pourtant inscrit dans la constitution depuis 76 ans » donc le droit souple prépare le droit dur quand le rapport de force n’est pas favorable, exemple l’ANI de 2008 sur le stress au travail. Investir « le droit souple ce n’est pas limiter le droit dur, c’est le prolonger, le précéder… ». L’amendement a été rejeté par 76,98 % des voix contre 23,02 %.

Ce congrès est un congrès de continuité, comme pour FO, dans lequel la direction de la CFDT cherche à consolider sa première place d’organisation syndicale et à répondre à la crise structurelle des syndicats par des évolutions de méthode sans s’interroger sur la crise du capitalisme, ses rapports à l’écologie et la question sociale, sans interroger les conditions de l’unité syndicale dans les luttes comme dans l’organisationnel. Ce fut un congrès tourné sur soi en somme, loin des enjeux auxquels nos sociétés et les personnes, travailleurs, employés, classes moyennes et populaires sont confrontées.

Conclusion provisoire

Le syndicalisme français, n’a toujours pas tiré les « leçons » de la désindustrialisation qui a vu disparaître ou s’affaiblir les secteurs à fort potentiel de syndicalisation et de mobilisation ouvrière : les mines, l’automobile, la chimie, l’énergie, la privatisation de la Poste et de France Télécom, l’externalisation dans le nucléaire… La montée en puissance d’une économie de services dont on paye les conséquences en matière d’emplois et de souveraineté n’a pas permis de compenser les pertes en nombre d’adhérents des syndicats. Le secteur des services, notamment privés, n’est pas un vivier de syndicalisation du fait de l’emprise d’un esprit individualiste plus important que dans d’autres secteurs. L’action de la « voix des sans voix » de Mme Rachel Keke dans l’hôtellerie en faveur des femmes de chambre est une embellie dans une ambiance sombre. Cette faiblesse syndicale structurelle qui vient à la fois de la division syndicale et de la mondialisation qui fragilise le rapport de force des travailleurs face au patronat et aux actionnaires favorise les mouvements « spontanés » type « gilets jaunes ». Au lieu de regarder ces mouvements avec suspicion, les organisations devraient les intégrer et les associer à leurs luttes sociales dont ils font pourtant partie intégrante.

Les questions liées aux dérèglements climatiques, transition écologique, énergétique, biodiversité ne sont au mieux abordées par la CFDT et la CGT (quasiment pas par les autres syndicats) que par la collaboration avec des associations et ONG (qui est en soi une bonne chose) : elles le font avec des listes de revendications renommées propositions qui certes amélioreraient certaines situations, mais le fond de la question qui est la révolution dans les procès de production n’est pas abordé et la réflexion syndicale est trop dépendante d’organisations extérieures pour être intégrée et portée par les syndiqués. Les organisations syndicales – parce qu’elles sont au cœur de la production de la richesse comme organisations des salariés – ont un apport spécifique et essentiel à faire valoir dans ce domaine. Tout retard, toute tergiversation sont préjudiciables à toute la société, les « transitions » ne se feront pas si les travailleurs sont sur l’Aventin et restent dubitatifs.

Le combat syndical est à la fois de défendre les intérêts des travailleurs dans le cadre de système et d’œuvrer pour des transformations sociales et écologiques radicales.

Le syndicalisme ne peut se contenter de se fixer comme objectif d’aménager à la marge un tel système. Le combat syndical est à la fois de défendre les intérêts des travailleurs dans le cadre de système et d’œuvrer pour des transformations sociales et écologiques radicales.

Il y a encore du pain sur la planche pour que le syndicalisme retrouve toute sa vigueur dans la société. Ce renouveau ne peut venir que de la délibération collective de l’ensemble des travailleurs afin que l’action s’ancre sur le terrain dans l’unité et non pas chacun dans son pré carré.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Job dating dans l’académie de Versailles. Cette procédure qui accentue la contractualisation du métier permet à un jury composé d’un inspecteur ou d’un conseiller pédagogique, d’un membre des ressources humaines du rectorat d’auditionner et de sélectionner des candidats. Ces candidats risquent d’aller de désillusion en désillusion, car ils fantasment une école comme un paradis ou le fait de « tenir sa classe » n’est pas aussi aisé qu’ils se l’imaginent. Les abandons risquent d’être nombreux et, ce, d’autant plus que la formation sera au rabais.
2 Voir notre précédent article paru dans Respublica sur la loi Rilhac, https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-societe/respublica-enseignement/ecoles-elementaires-publiques-et-loi-rilhac/7429656
3 Loi de transformation de la fonction publique inspirée du management privé : élargissement du recours au contrat sur les emplois de direction de l’État et de ses établissements publics, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics et des établissements relevant de la fonction publique hospitalière, création d’un nouveau CDD « de projet » pour permettre la mobilisation de compétences externes pour la conduite ou la mise en œuvre d’un projet (l’exemple du recours à des cabinets tels McKinsey montre les dérives potentielles), autorisation du recrutement par voie de contrat sur les emplois permanents de catégories A, B et C, par dérogation au principe de l’occupation des emplois permanents par des fonctionnaires au sein de la FPE (à l’instar de la FPH), développement du recours au contrat sur emploi permanent pour faire face au besoin à temps non complet dans la FPT, reconnaissance des mérites individuels dans les procédures d’avancement et de promotion au choix (formulation plus acceptable pour mieux faire passer la pilule que « promotion à la tête du client » où celui qui aura l’échine la plus « souple » sera considéré comme méritant par le chef).
4 Rapport du COR, conseil d’orientation des retraites de juin 2021.